Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



MARTIN NIEMÖLLER



 7. - DU BUREAU A L'AUTO

Lorsque, en 1931, Martin Niemöller fut appelé dans sa première paroisse de Dahlem, calme village de banlieue, il ne pouvait pressentir quelles tempêtes viendraient, deux ans plus tard, secouer le paisible presbytère situé à côté de l'église et du cimetière. Ces lieux, qui paraissent créés pour les natures romantiques et contemplatives, sont devenus le centre du champ de bataille où se déroule le combat de l'Eglise allemande. Nulle part mieux que là se trouve démentie la légende de l'idylle pastorale de village. La tension et l'agitation qui existent dans cette maison se communiquent d'emblée à qui la visite pour la première fois. Dans toutes les pièces, des gens attendent. Sonnette de la porte d'entrée, téléphone, cris d'enfants, bruits de bureau, s'entre-répondent à travers les parois. Niemöller n'est visible que pendant de courts instants entre deux ou trois questions à régler simultanément. Dans son « journal », il ne note que les faits et les personnes auxquelles il a eu affaire. Malgré son excellente mémoire il a parfois de la peine, le soir, à récapituler tous les événements de la journée.

À 8 heures du matin, deux ou quatre fois par semaine, il y a instruction religieuse de catéchumènes dans la salle de paroisse voisine. Le petit-déjeuner qui l'a précédée est une des rares occasions pour le père de famille d'être avec les siens. À 9 heures, la secrétaire arrive et c'est alors, pendant presque toute la matinée, la dictée des lettres, interrompue par de nombreux appels téléphoniques ou des visiteurs. Vers midi, il se rend en hâte à quelque séance du Conseil fraternel, formé des pasteurs de la ville, qui a commencé dès le matin et où l'arrivée de Niemöller est attendue avec impatience. Il n'y reste que le temps nécessaire, et regagne ensuite la maison. De là, après un bref repas, il se rend à l'église pour une bénédiction nuptiale ou au cimetière pour un culte funèbre. Ce ne sont pas seulement des paroissiens de Dahlem qui recourent à lui. Il y a longtemps que des familles berlinoises, de toutes les parties de la ville, ont pris l'habitude de s'adresser à Niemöller pour leurs actes religieux. Elles peuvent être assurées de n'essuyer aucun refus ni de voir arriver un remplaçant.

À 15 heures, de nouveau, deux fois par semaine, instruction religieuse, qui se poursuivra jusqu'à 19 heures avec une courte interruption. Ce sont cent à deux cents enfants appartenant à diverses classes, que Niemöller a comme catéchumènes. Cela représente dix heures de cours par semaine. Mais il tient particulièrement à ce travail et y attache tant d'importance qu'il porte à deux ans l'unique année obligatoire et en fait à ses élèves une condition. Cette décision trouvera de nombreux imitateurs, en raison des difficultés qui raréfient et compliquent l'éducation religieuse. Tous les quinze jours, le soir, ont lieu les catéchismes pour adultes de la paroisse de Dahlem. Le reste du temps est généralement réservé des mois à l'avance. Il ne se passe guère de jour sans que Niemöller ait à parler ici ou là. Parfois même, il doit quitter Berlin l'avant-veille et rentrer par le train de nuit, afin de se retrouver le lendemain matin à 8 heures devant ses catéchumènes. Quand il lui arrive de pouvoir rester à la maison, des audiences du soir, des séances de nuit ou des visites d'amis ne lui permettent jamais de se coucher avant minuit. Niemöller est un piètre mangeur - sa mine le montre assez - mais un excellent dormeur qui sait se reposer la nuit dans le train ou après dîner dans un fauteuil, à supposer qu'il ait quelques instants. Or ceux-ci se font rares dans un programme aussi rempli, qui comporte, en outre, la préparation des leçons, allocutions et discours.

Le centre de son travail à domicile est sa table de travail, que dominent les images des églises de Dahlem, de son presbytère précédent et de son pays natal. Sur la table même, voici les cartes déjà mentionnées avec des textes bibliques ou des citations de Luther, une masse de documents et de lettres, des calendriers, des mémentos et les deux appareils téléphoniques. Puis, toujours à portée de sa main, la Bible et le psautier, des commentaires et des liturgies. Tout cela dans un ordre parfait. Ses amis l'ont souvent taquiné au sujet de son habitude de commencer sa journée en mettant de l'ordre sur sa table de travail. Même la présence d'un visiteur ne l'en empêche pas. Il continue la conversation, le dos tourné vers son hôte. La seule chose qui puisse le faire retourner, c'est la présentation d'une nouvelle publication ou circulaire ecclésiastique qu'il ne connaît pas encore. Ce fanatisme de l'ordre fait partie de sa tradition prussienne... La correction de l'officier se manifeste aussi dans son écriture toujours facile à lire. La disparition d'un papier le met hors de lui et fait passer à son entourage des moments qui ne sont pas gais. À un tempérament aussi explosible, il faut un collaborateur calme et tranquille.

Mais Niemöller est de ceux qui font les choses eux-mêmes. Il n'a pas le talent de faire travailler les autres pour lui. Rien de plus stupéfiant que l'étendue et la variété de la production dont sa table est le centre. Il est en correspondance avec le pays tout entier. Chacun cherche auprès de lui des informations et des conseils. Des amis de toutes les provinces lui envoient des rapports quotidiens sur tout ce qui se passe dans l'Eglise. Les directions de cure d'âme et les affaires ecclésiastiques occupent une grande place dans ses lettres. Puis ce sont les questions financières et administratives, concernant en particulier la « Ligue de détresse des pasteurs », qui bénéficie grandement de l'expérience de Niemöller en matière d'organisation, des enquêtes pour les Synodes ou les Conseils fraternels, et enfin les relations avec les autorités de l'Eglise et du Reich. Quand les représentants officiels de l'Eglise font défaut et se taisent en présence des violations publiques des dix commandements et de l'Évangile, les lettres de Niemöller se font l'organe des paroisses. Nul ne peut l'intimider ni l'empêcher de dire la vérité franchement et sans craindre personne. Fenêtres et portes ouvertes, il va et vient dans son cabinet de travail, dictant ses lettres à haute voix, leur donnant un tour si vigoureux et si passionné qu'elles mériteraient d'être rassemblées et conservées comme documents de l'histoire ecclésiastique de ce temps.

Pourtant, l'effort principal dont cette table de travail est le témoin, c'est le sermon. Quelle que soit la facilité de sa plume, il se donne un mal inouï lorsqu'il s'agit de préparer son sermon ! Tandis que d'autres ont leur samedi libre et ne savent même pas l'utiliser, Niemöller s'empare de la moindre minute que lui laissent la famille, les paroissiens ou le téléphone. Il voudrait souvent se réfugier dans le calme de la sacristie, mais en vain. Une fatalité étrange veut que la plupart des moments critiques de ces quatre années de lutte coïncident presque régulièrement avec un samedi après-midi.

Rien d'étonnant à ce que, dans la règle, une ou deux heures du matin soient près de sonner quand il met le point final à son sermon. Même dans les circonstances ordinaires, il est rare qu'il compose au courant de la plume. Chaque phrase est le fruit d'un rude labeur, jusqu'à ce qu'il ait trouvé l'expression et la forme appropriées. Mais alors, ce qui est écrit reste écrit. On ne trouve guère de corrections dans ses manuscrits. Il aime à lire à sa femme ou à un ami intime ce qu'il a déjà rédigé, discute avec eux les questions exégétiques relatives à son texte, ou le choix des cantiques. Il accepte avec simplicité et gratitude toute indication qui peut lui être utile et cherche avec une sincère modestie à se laisser instruire. Le dimanche matin, de bonne heure, il se retrouve dans son cabinet de travail encore tout rempli de la fumée des cigares de la veille et, jusqu'au moment d'aller à l'église, il achève de mémoriser son sermon.

À vrai dire, on ne le voit jamais goûter un instant de réelle tranquillité. Cela n'est pas dans sa nature. Le téléphone, du reste, se charge de le maintenir en mouvement et en contact perpétuel avec le monde extérieur. Une partie importante de la lutte religieuse se déroule sous forme de centaines de communications téléphoniques, locales et interurbaines, où la parole de Niemöller sait être aussi nette et précise que dans ses lettres.

Mais depuis que les déplacements en chemins de fer sont devenus fréquents et onéreux, son principal moyen d'action, c'est son auto. Voit-on ouvertes les portes du petit garage au sous-sol du presbytère, on sait aussitôt que Niemöller est en route, soit pour un entretien en ville, soit pour une comparution devant le commissaire de police, soit pour de longs trajets diurnes ou nocturnes à travers le pays. Ne faudrait-il pas un chauffeur pour permettre à cet homme harcelé de respirer un peu en cours de route ? Erreur totale. Quelqu'un a fait un jour la remarque que c'était déjà un paradoxe de voir Niemöller dans un train dont la locomotive ne serait pas conduite par lui. Il est donc son propre chauffeur et roule à l'allure vive qui lui est naturelle, avec une sûreté remarquable. Ce passage d'une concentration à l'autre lui sert de détente. On peut se confier sans crainte à ce conducteur. Dans ce domaine aussi, sa manière de conduire est de beaucoup préférable à celle des hésitants perpétuels qui, à force de prudence, courent à leur perte. Lorsque, après deux ans de rude travail, la petite auto fut usée, Niemöller, malgré la perspective de sa prochaine incarcération, résolut d'en acheter une nouvelle. Mais il ne put s'en servir. Une étrange coïncidence amena le jeune homme qui la lui avait vendue dans la même prison que les pasteurs de l'Eglise confessante.

C'est là une existence pastorale singulièrement active, agitée même et mouvementée. À la considérer du dehors, elle n'a rien d'ecclésiastique, au sens habituel du terme. Mais, en vérité, l'allure et la technique y sont au service de la seule cause pour laquelle Niemöller vit et combat : annoncer l'Évangile, aussi longtemps que cela est possible et partout où l'occasion s'en présente, en un mot consacrer à ce ministère toutes les forces du corps et de l'âme.


Table des matières

 

- haut de page -