Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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MARTIN NIEMÖLLER



 8. - « FRÈRE » ET « COLLÈGUE »

Il y eut un temps dans l'Eglise protestante où la manière dont les pasteurs se saluaient entre eux variait selon leur tendance. Les orthodoxes disaient « Frère », les libéraux disaient « Collègue ». Ce genre n'a pas entièrement disparu. Mais à l'intérieur de l'Eglise confessante, il y a quelque chose d'entièrement changé. Le terme de « frère » a pris un son nouveau et un sens concret. Le seul fait que cent à deux cents pasteurs de tous les arrondissements berlinois se rencontrent régulièrement chaque semaine ou tous les quinze jours, qu'ils se prêtent assistance mutuelle et organisent en commun des cultes et d'autres manifestations, tout cela marque un progrès sensible sur les conditions de l'Eglise d'avant 1933. À cet égard aussi ce temps de luttes a certainement été à l'avantage de la vie de l'Eglise. Les souffrances communes ont suscité la cohésion et la résistance commune.

Mais l'Eglise confessante est plus et mieux qu'une communauté de combattants. Elle a vraiment appris que la fraternité fait partie de l'essence de l'Eglise et que les « Conseils fraternels » sont une forme nécessaire de la direction d'une Église évangélique. C'est pourquoi ils durent et doivent être maintenus en face des méthodes de violence introduites par les « Chrétiens-allemands » dans le gouvernement de l'Eglise. Le principe politique du « Führer » est impossible et inapplicable dans ce cadre-là. « Les rois des nations les tyrannisent et les grands les asservissent. Qu'il n'en soit pas de même parmi nous. Mais quiconque veut être le plus grand, qu'il soit serviteur de tous » (Luc XXII, 25-26). Frédéric de Bodelschwingh avait raison, lorsque, élu Évêque d'Empire, il préférait le titre de Diacre du Reich. Car l'épiscopat lui-même ne tire son autorité et sa sainteté que du ministère de la Parole de Dieu, qui incombe à chaque pasteur.

Nul n'a mieux compris ni proclamé plus nettement ces vérités que Martin Niemöller. Non point certes par sympathie pour la démocratie et le parlementarisme, qui sont aussi étrangers à ses conceptions politiques qu'à son tempérament personnel. Au contraire. A-t-il un débat à présider, il limite la discussion au minimum nécessaire, s'en tient strictement à l'ordre du jour et fait voter une résolution sans équivoque. Certains de ses critiques l'ont même trouvé trop autoritaire. Niemöller sait bien cependant qu'il ne lui appartient pas de dicter sa volonté, mais que toute décision doit être le fait de l'ensemble de l'Eglise. Il n'est ni Führer, ni président, mais membre du Conseil, et c'est lui précisément qui réclame toujours avec insistance la convocation des synodes et qui s'en rapporte à leurs votes. « J'exhorte les Anciens qui sont parmi vous, moi qui suis Ancien comme eux, témoin des souffrances de Christ : paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, non comme dominant sur ceux qui vous sont échus en partage, mais en étant les modèles du troupeau » ( 1 Pierre V, 1-3). C'est sur cette parole que Niemöller a voulu régler sa manière d'agir. C'est dans cet esprit qu'il a contribué à la création de la « Ligue de détresse des pasteurs » et que, placé à sa tête, il adressa à ses frères dans le ministère ses lettres circulaires qui devinrent de plus en plus de vraies lettres pastorales.

Que de pasteurs de paroisses solitaires de la campagne auxquels ces lettres ont appris les nouvelles que les feuilles officielles des autorités ecclésiastiques auraient dû leur apporter ! Lorsque, en 1934, la formation des Synodes confessionnels fit passer la « Ligue de détresse des pasteurs au second plan », elle resta cependant la troupe de réserve sur laquelle l'Eglise pouvait toujours s'appuyer. L'assistance des frères qui se trouvaient dans des difficultés matérielles continua sans arrêt, grâce aux cotisations de tous. Car, dit Niemöller, « que serait une cure d'âmes qui oublierait le corps ? ». Souvent aussi, impatienté par certaines lenteurs ou par une résistance trop faible des dirigeants de l'Eglise, Niemöller sonnait le rassemblement des vieux lutteurs pour imprimer au corps tout entier un nouvel élan.

Cette fraternité pastorale se manifestait également dans les petites choses. Il est difficile de s'en faire une idée si l'on ne connaît pas par expérience le « frère Niemöller ».
« J'avais un camarade, le meilleur d'ici-bas », cette chanson militaire s'applique à Niemöller comme à nul autre, dans la lutte pour l'Eglise, comme naguère dans les tranchées. Martin Niemöller s'y révèle aussi humain que viril. Sa poignée de main fait sentir à l'ami qu'il reçoit la cordialité sincère de son accueil. Il ne cache pas la joie que lui procure la visite qui lui est faite et qu'il a peut-être attendue longtemps, et l'hôte de la maison de Niemöller ne peut commettre plus lourde faute que de partir trop tôt. Elle serait même pire que s'il arrivait mal à propos. Car Niemöller a besoin d'avoir autour de lui quelques êtres sur qui il puisse compter. Eux aussi peuvent toujours compter sur lui. Un frère est-il injustement attaqué, Niemöller est le premier à s'interposer pour lui et à mobiliser en sa faveur toutes les ressources disponibles. Une famille est-elle atteinte par le malheur, il intervient, téléphone ou écrit une lettre qui apporte un secours véritable et non des phrases. Le sort de frères ou de paroissiens isolés l'absorbe plus qu'il ne le laisse voir. Entre ses courses, d'une Église à une salle de conférences ou à une gare, il trouve toujours moyen de faire quelques visites dans les hôpitaux ou dans les familles de pasteurs persécutés.

Mais les relations fraternelles exigent de la franchise, car « la charité ne se réjouit pas de l'injustice, elle se réjouit de la vérité ». Ce que d'autres appellent le manteau de la charité chrétienne n'existe pas pour Niemöller. Il veut de la clarté, dès qu'une divergence se manifeste, et tient à appeler les choses par leur nom. Il a vite fait de téléphoner pour obliger à s'expliquer ouvertement le partenaire qui voudrait se dérober. Il déteste les détours diplomatiques par la poste ou par l'intermédiaire de tiers. La cause de l'Eglise lui paraît-elle trahie ou lésée, il devient impitoyable. Même ses amis les plus proches doivent alors subir de cinglants reproches. Chacun n'y est pas disposé, et plus d'une fois on lui fit avec sérieux ou en plaisantant cette remarque par laquelle le président Koch vint un jour à la rescousse d'un interlocuteur froissé :
- Aviez-vous bien besoin, frère Niemöller, de dire cela de cette façon ?

Mais Niemöller se connaît et ne se donne pas pour meilleur qu'il n'est. Sa colère passe aussi rapidement qu'elle a fait explosion et quand l'affaire est liquidée, il ne subsiste chez lui ni ressentiment ni susceptibilité.

Quiconque est d'accord avec Niemöller sur le fond des choses, supportera cela sans que la fraternité en souffre. Mais nous touchons ici à la frontière entre le « Frère » et le « Collègue » qui est en dehors de l'Eglise confessante. Il n'a pas toujours été facile pour Niemöller de tracer une ligne de démarcation rigoureuse, car, au-delà du fossé, il y avait plus d'un de ses anciens amis. Certains d'entre eux ont reçu maintes lettres d'avertissement, dans lesquelles, en des accents presque apocalyptiques, il adjurait un égaré de se raviser. Ce langage lui a valu bien des inimitiés. Mais il le croyait nécessaire parce qu'il voulait avoir fait tout son devoir pour amener une âme menacée à ouvrir les yeux sur son égarement. Ce que d'autres pouvaient considérer avec étonnement comme une étrange rechute dans les intransigeances de l'orthodoxie est en fait un retour à la discipline ecclésiastique, négligée depuis le XVIIe siècle, et dont la suprême sanction est l'excommunication de l'impénitent. L'Eglise confessante s'y est risquée pour la première fois, en 1934, en déclarant publiquement que Satan se servait de Ludwig Muller et d'Auguste Jäger pour faire son oeuvre et que ces hommes, par leur manière d'agir, s'étaient exclus de l'Eglise. NiemölIer en tira la conséquence pratique en refusant la chaire de Dahlem à tout « chrétien-allemand ». À ses yeux la seule solution de la question ecclésiastique est que l'hérésie et ses représentants disparaissent du sein de l'Eglise évangélique, dont les malheurs proviennent de la fiction qui a fait habiter « Christ et Bélial » sous un même toit.

Cette séparation des esprits, qui en résulte, NiemölIer la prend trop au sérieux pour l'appliquer aux seules relations officielles et en faire abstraction dans les rapports privés. Il lui est impossible de faire dévier la conversation avec un « collègue » sur des sujets neutres et de simuler une paix inexistante. « Si quelqu'un n'enseigne pas cette doctrine, ne le recevez pas, ni le saluez ». En 1934, il reçut un ouvrage théologique d'un homme qui, après avoir été parmi les fondateurs du mouvement de la « Jeune Réformation », s'était fait élire évêque par Ludwig Muller. Aussitôt Niemöller lui retourne l'ouvrage dédicacé, afin que l'expéditeur se sache démasqué. Jamais NiemölIer ne reconnaîtra à de tels hommes un titre accordé par un gouvernement ecclésiastique illégal.

Albrecht Ritschl, parlant un jour d'une assemblée de théologiens, disait y avoir rencontré beaucoup de collègues, mais peu d'hommes. Cette expérience pénible, Niemöller l'a faite des centaines de fois. De plus, sa passion de vérité lui a valu, même de la part des frères, bien des malentendus et des ingratitudes. Il ne s'est cependant pas lassé de la lutte et n'a jamais douté de la justesse de sa ligne de conduite, même quand il ne fut entouré que d'un petit nombre d'alliés. D'autant plus grande fut sa joie lorsque Zoellner, peu avant sa mort, reconnut que c'est lui qui avait eu raison dans sa méfiance à l'égard des « Comités ecclésiastiques », ou lorsque l'évêque Meiser déclara, en 1934, que s'il arrive à l'Eglise évangélique de connaître des jours meilleurs, ce sera grâce à l'activité de Niemöller et de la « Ligue de détresse des pasteurs ». De tels avis ont été émis ailleurs encore que dans les rangs de l'Eglise protestante allemande. Les hommes d'Eglise catholiques ont parlé de Niemöller avec la plus grande considération, et l'intérêt de la chrétienté oecuménique tout entière est un témoignage clair et explicite rendu à son oeuvre. Ce n'est pas là un culte voué à un nom célèbre, mais plutôt, grâce à Niemöller, la formation d'un sentiment nouveau de la responsabilité des Églises chrétiennes et d'une fraternité qui dépasse les frontières nationales.


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