LE SERMON SUR LA
MONTAGNE
Transposé dans notre langage
et pour notre temps
CHAPITRE III
LA VIE PERSONNELLE
(Matthieu VI, 1-18.)
2. Nos relations avec Dieu.
(Suite)
« Notre Père qui es aux cieux.
»
Quelle allégresse
débordante respire ce cri du coeur! Il faut
la connaître pour en mesurer
l'étendue. Dans la vie universelle, ardente,
intarissable, qui nous pénètre et
nous porte, et dont l'action créatrice et
vivifiante s'insinue en nous par chacun des
événements journaliers, nous
découvrons la source de notre être et
le salut de notre existence. Pour exprimer ce
mystère ineffable, il n'est qu'un mot, un
balbutiement : «Père ! » Dans
l'énergie vitale universelle, nous
distinguons l'amour infini qui est
l'atmosphère même de notre âme,
et dans son action une puissance paternelle
patiente et sage, qui nous soutient, nous conduit
et nous secourt. Ce que nous sommes procède
de lui. Ce qui se meut au tréfonds de notre
être émane de sa vie. Nous lui
appartenons indissolublement. Il 'est notre
Père céleste parce qu'il est l'auteur
de l'être originel qui germe en nous. Nos
aspirations à la vie nouvelle, l'impulsion
irrésistible qui nous pousse à la
perfection et à « l'accomplissement
» portent son caractère, Certes, nous
sommes ses enfants, véritablement nés
de lui, puisque nous sommes de ceux qui cherchent
et qui n'auront de repos que lorsque sa vie qui
nous presse aura remporté la victoire. C'est
pourquoi de notre âme transportée
s'échappe ce cri : Notre
Père!
Mais qui dira ce que renferment ces
deux mots? La certitude triomphante du jour qui se
lève, car à l'instant où nous
avons reconnu en Dieu notre père, le monde
entier sortant des
ténèbres s'est illuminé de sa
gloire; la révélation soudaine du
sens de notre existence, car elle s'éclaire
maintenant du rayonnement de notre être
véritable qui commence à palpiter en
nous; le sentiment d'une sécurité
absolue, car nous reposons en paix dans les bras de
notre père; la béatitude du paradis,
car nous l'avons reconquis en entrant dans la
sphère de la vie divine.
Telles sont les émotions qui
nous submergent lorsque nous nous tenons devant
Dieu, subjugués par sa grâce, heureux
dans son amour et dans le pressentiment de sa
gloire, plongés dans le courant de vie qui
procède de lui et qui nous entraîne
vers le but de l'humanité.
Ce cri de joie, expression
instinctive de la vie divine qui vient de sourdre
en nous, ne peut naturellement devenir la note
dominante de notre existence que lorsque nous avons
passé de la recherche inquiète
à l'expérience claire et
immédiate de Dieu, lorsqu'il est apparu en
Jésus à notre âme avide de lui,
et par son appel créateur a
éveillé en nous l'être
originel. C'est en contemplant Jésus-Christ
que nous apprenons à lire dans le coeur de
notre père céleste. Alors les
écailles nous tombent des yeux;
délivrés de l'aveuglement qui nous
dérobait la vue du monde réel et de
la vérité située
par-delà, nous contemplons toutes choses
à sa divine lumière. Alors de notre
coeur débordant d'une joie filiale et
s'oubliant dans la contemplation de sa gloire, cet
ardent souhait monte à nos lèvres
:
« Que ton nom soit sanctifié
! »
Le nom de Dieu est l'expression, la
révélation de son être. Il
résume tout ce que nous savons de lui. Ainsi
l'entend tout l'Ancien
Testament. Son «nom» marque donc son
caractère d'auteur de toute vie, de
père de tout être originel. C'est en
cette qualité que nous souhaitons le voir
universellement tenu pour saint.
Être sanctifié ne
signifie évidemment pas être mis
à part de tout ce qui est profane,
ordinaire, simplement humain. Il ne s'agit point
d'adorer ce nom, de lui rendre un culte. de le
craindre, le respecter, le préserver de tout
usage abusif et de tout mépris. Le nom de
Dieu est saint, il est impossible d'entrevoir
quelque chose de ce qu'il exprime sans en ressentir
une impression solennelle; il n'a donc nul besoin
d'être rendu saint, et Jésus a en vue
tout autre chose. Lui-même a, ici encore,
apporté le parfait accomplissement : en face
de la vénération officielle du nom de
Dieu, qui était alors poussée si loin
qu'on s'abstenait même de le prononcer, il a
révélé Dieu par sa personne et
par son activité, il a été
l'organe parfait de son action. C'est ainsi qu'il a
sanctifié le nom divin qu'il
annonçait.
Sanctifier ce nom, c'est laisser
transparaître le Père qu'il
représente dans tous nos actes et dans tous
les traits de notre caractère. La gloire et
la beauté divines manifestées dans
l'être et dans la vie personnelle, telle est
la seule célébration véritable
du nom de Dieu. En disant: « Ton nom soit
sanctifié », nous exprimons donc le
désir qu'il soit reconnu comme le
Père, partout et toujours, nettement et
pleinement. Cette aspiration s'éveille en
nous aussitôt que nous nous sentons ses
enfants et que nous découvrons ce qu'il est
pour nous. Dans ce voeu déborde l'amour de
Dieu répandu dans nos coeurs.
Son ardeur s'accroît à
mesure que nous constatons le peu de place que Dieu
tient dans l'existence humaine. En
le voyant se
révéler sans cesse aux hommes dans la
nature, dans l'histoire et dans la vie,
apparaître au milieu d'eux et leur
témoigner son amour dans la personne de
Jésus-Christ; en constatant d'autre part
combien leur être et leur vie sont encore
loin de porter son empreinte, nous ne pouvons que
nous écrier avec ferveur : ton nom soit
sanctifié !
Bien que sanctifiant officiellement
le nom de Dieu, à la façon des Juifs,
notre société chrétienne ne le
profane-t-elle pas continuellement, n'en
obscurcit-elle pas l'éclat? Combien ceux qui
le confessent l'abaissent à leur insu au
niveau de leur médiocrité ! Faire ce
que l'on fait au nom de Dieu et de ce nom, n'est-ce
pas chercher à le mettre de force au service
de nos désirs arbitraires et de nos
convoitises impures? La parole que l'apôtre
Paul adressait aux Juifs : «Le nom de Dieu est
blasphémé parmi les païens
à cause de vous », ne s'applique-t-elle
pas aussi bien aux chrétiens? Sous le
couvert d'une civilisation chrétienne,
confesseurs aussi bien que négateurs de Dieu
ne vivent-ils pas en fait dans la nuit de
l'athéisme? Il faut avoir ressenti le poids
de cette douleur et de cette honte pour comprendre
cette requête : Que les hommes trouvent en
toi leur Père, se reconnaissent et se
proclament tes enfants !
Si le Père était mis
en lumière par notre être et par notre
vie, ceux qui ont le coeur pur verraient Dieu. Les
égarés le retrouveraient et
rentreraient dans le chemin. Les enfants de Dieu
dissiperaient les ténèbres, non par
des enseignements et des paroles, mais par la
révélation de la vie. Tant qu'on
raisonne, qu'on discute, qu'on cherche à
prouver Dieu théoriquement, au lieu de
l'éprouver et de le faire éprouver en
vivant de sa vie, on ne le démontre point
victorieusement. Où
sont-ils de nos jours ceux qui voient Dieu, ceux
auxquels la nature ou l'histoire, la vie humaine ou
la prédication communiquent l'impression
immédiate du divin ? Les paroles et les
pratiques qui sont censées le faire
connaître, nos institutions et notre
activité religieuses, ne sont-elles pas de
nature à provoquer plutôt la
négation, tant les manifestations qui se
parent de son nom sont vulgaires, affectées,
impies et mensongères.
Le sanctifier, c'est au contraire le
laisser déployer largement en nous sa vie,
pure de tout élément étranger,
exempte de toute hypocrisie et de toute
impiété, sans lâcheté et
sans partage. Toutes ces choses sont aussi
incompatibles avec elle que l'eau avec le feu. Ceux
qui cherchent à les concilier ne rendent
point hommage à Dieu, quel que soit
d'ailleurs leur empressement à le confesser
et à célébrer son
nom.
Il règne parmi nous, sous ce
rapport, une indifférence et une
insensibilité tout à fait
incroyables. La nature divine n'apparaît dans
l'homme que travestie et obscurcie, mais cet
état de choses ne fait point l'effet d'un
sacrilège et d'une injure envers Dieu; on le
déclare inévitable. La
dégénérescence du
caractère du Père dans ses enfants ne
fait plus éprouver une impression
pénible; on s'est si bien habitué
à cette « imperfection humaine »
qu'on la considère comme l'état
normal. Le christianisme est ainsi devenu, sans
qu'on s'en aperçoive, la profanation
organisée et aveuglément
pratiquée du nom de Dieu.
En présence de toutes ces
choses, comment ceux qui ont trouvé le
Père ne feraient-ils point monter vers lui
cette ardente prière : Ton nom soit
sanctifié ! et n'ajouteraient-ils pas :
« Que ton règne vienne!
»
Quand le Père est reconnu et
manifesté purement, la vie nouvelle
s'épanouit, l'humanité s'organise
selon la pensée divine, du chaos
ténébreux surgit une terre
nouvelle.
Voir le dessein poursuivi par
Jésus se réaliser dans l'histoire
générale comme dans
l'expérience individuelle,
l'évolution véritable
s'accélérer, l'être humain se
constituer selon sa vérité, la vie
collective s'ordonner harmonieusement, et toutes
choses se réédifier sur ces bases
nouvelles, tel est le voeu exprimé dans
cette seconde demande.
Car un même désir
enflamme tous ceux chez lesquels commence à
poindre la nature du Père: que le mouvement
créateur se transmette à
l'humanité, que la vie originelle devienne
une puissance, que ses lois innées
régissent notre existence, qu'en vertu d'une
nécessité interne elle
s'épanouisse sans obstacles dans tous les
domaines, jusqu'à ce que la gloire divine
soit enfin «faite chair » au sein de
l'humanité.
Ce désir impétueux ne
reste pas chez eux à l'état
d'enthousiasme abstrait. Il revêt une forme
concrète et une signification personnelle
conformes à leurs expériences
intimes. S'ils brûlent de voir se lever un
jour nouveau, c'est qu'ils le sentent poindre en
eux. Ils connaissent en quelque mesure la vie
originelle et son instinct délicat de la
vérité, les élans
spontanés dans lesquels se
révèlent les lois de l'être
nouveau, la continuité de la transformation
qu'ils subissent. Ils ont l'avant-goût d'une
conduite nouvelle, de relations vivantes avec le
prochain, du bouleversement de nos conditions
d'existence qui en résulte, des forces et
des clartés qu'on en
retire. Ils pressentent, par conséquent, la
révolution qu'opère la
personnalité de Jésus, et sa
portée incommensurable pour la
régénération de
l'humanité. Et chacune de leurs
expériences nouvelles évoque dans
leur âme une aspiration fervente en faveur de
la grande famille humaine: Ton règne
vienne!
Leur requête devient d'autant
plus pressante que le spectacle de la
prétendue « extension du royaume de
Dieu » suffit moins à apaiser leur
désir. Elle n'est en effet qu'une
propagation du christianisme, d'une conception du
monde et d'une manière de vivre
imprégnées d'idées
chrétiennes, mais qui ne créent point
un ordre de choses nouveau, qui laissent au
contraire dans l'état ancien les hommes et
l'économie générale du monde.
Leur sens de la vérité ne leur permet
pas de s'accommoder comme on le fait d'une
rédemption par Christ qui n'en est pas une
en réalité, d'une nouvelle naissance
qui n'a pas lieu véritablement, d'une vie
chrétienne où ne se réalise
aucune des lois naturelles de l'être
originel, d'une constitution de la
personnalité qui ne triomphe point du
désaccord intérieur, d'un
progrès de la vérité qui n'est
qu'une acquisition théorique de la
théologie, d'une religion qui relègue
le royaume de Dieu dans un
impénétrable au-delà.
On les accuse d'exaltation et
d'orgueil. Cependant ils ne veulent que la
vérité. Ils ne voient à
l'oeuvre aucune des lois du royaume de Dieu :
l'homme ne subordonne point tous ses
intérêts au salut de son âme et
à la réalisation de sa vocation
divine; il ne prend point une position affirmative
et créatrice à l'égard de la
vie; il ne considère pas la fortune comme un
dépôt, mais comme une
propriété; il n'admet ni le droit
absolu du prochain sur lui, ni la
prééminence de
l'union intérieure que crée la vie
nouvelle sur les liens du sang, la recherche du
royaume de Dieu ne prime pas pour lui toute autre
considération; il ignore l'organisation
nouvelle dans laquelle chacun ne veut exister qu'en
tant que membre d'un corps et ne voit de grandeur
et de dignité humaine qu'à
s'assujettir aux autres pour les servir. Et
cependant partout où ces lois de la vie
originelle ne portent et ne modèlent pas la
vie, il n'y a pas de règne de Dieu; il n'y a
que le règne de l'être fermé
à l'action divine, qui ruine et se ruine.
C'est pourquoi l'élément nouveau que
les hommes du devenir sentent fermenter en eux se
révolte contre cette institution soi-disant
fondée par Jésus, qui porte le nom de
christianisme, et ils sont remplis d'une aspiration
passionnée au règne de Dieu qui est
vie et vérité.
«Que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel ! »
De même que dans la
sphère infinie du divin, rien n'a de valeur
déterminante à côté de
Dieu, ni surtout contre lui, de même dans le
monde fini, sa volonté doit régner
exclusivement, totalement, absolument. Cette
requête s'ajoute tout naturellement à
la précédente : le regard du croyant
passe de la constitution générale de
la vie aux faits qui la composent, et de son coeur
s'échappe ce soupir : Oh ! si les
manifestations si variées et si multiples de
la vie sur notre terre devenaient l'expression et
l'accomplissement de la volonté de Dieu ! Si
tous les hommes, à chaque instant de leur
existence, et dans chacun de leurs mouvements,
n'étaient que les souples organes de son
action souveraine!
Si le vouloir du Père
devenait le nerf moteur de l'humanité
nouvelle !
L'expérience
journalière des enfants de Dieu suffirait
à leur inspirer ce voeu. Lorsque nous
prenons conscience de la direction paternelle qui
régit notre vie, nos yeux s'ouvrent pour
apercevoir dans chacune des obligations qui nous
sollicitent, dans tout événement qui
surgit, dans toute impression du dehors comme dans
toute impulsion du dedans, un désir, une
volonté divine, un appel à «
l'accomplissement ». Partout nous distinguons
sa voix, nous prêtons l'oreille afin de la
mieux saisir, et plus nous redoublons d'attention,
plus son langage nous devient intelligible,
jusqu'à ce qu'enfin nous discernions en
toute chose ce qu'il veut nous dire. Ainsi notre
existence, constante manifestation de la
volonté du Père, prend un sens, une
valeur, s'éclaire et se vivifie.
Cette expérience n'a rien de
commun avec les efforts tentés pour mettre
notre vie quotidienne en rapport avec les
impératifs de la morale ou les
préceptes de la religion. L'énergie
créatrice de la puissance de vie universelle
ne cesse de pousser l'homme vers sa perfection.
C'est elle qui nous presse de réaliser en
toute occasion notre humanité
véritable, de résoudre le
problème de l'existence dans chacune de nos
obligations quotidiennes, et de faire
épanouir les germes de vie que recèle
chacun de nos instants. Dans cet attrait qui
s'exerce sur nous, nous percevons l'appel du
Père à devenir, par l'accomplissement
du devoir et l'emploi intégral du moment,
les instruments de Dieu, en sorte que, dans toute
notre activité, s'inaugure la
rénovation universelle que Jésus
voulut apporter au monde.
Celui qui connaît ces
expériences sent monter de son
coeur ce soupir : Ta
volonté soit faite! C'est la pulsation d'une
vie nouvelle. Dans la mesure où la
volonté divine est pressentie, comprise, et
réalisée d'une manière
actuelle et vivante, le règne de Dieu se
constitue, il s'installe dans la vie et dans
l'être humain, et le Père est
pleinement manifesté. Tel est
l'enchaînement interne des trois
premières demandes de l'oraison dominicale.
Elles traduisent les aspirations qui nous
envahissent quand notre regard rencontre celui du
Père. Elles sont l'expression toute
spontanée des émotions que fait
naître au coeur de l'homme la vie nouvelle
qui s'épanouit en lui.
« Donne-nous aujourd'hui notre pain
quotidien. »
Dans la demande
précédente s'exprimait le sentiment
des obligations diverses et multiples que Dieu, par
le langage des événements
journaliers, nous appelle à remplir.
Celle-ci réclame le pain quotidien,
condition indispensable de leur accomplissement.
L'homme vit selon son être véritable
de la «parole de Dieu »,
c'est-à-dire des manifestations de la vie et
de la volonté du Père, qui deviennent
pour lui l'objet d'une expérience
immédiate et constante. Mais cette vie
repose sur les conditions matérielles
auxquelles nous sommes assujettis. Elles sont
toutes impliquées dans cette demande, sans y
être énumérées,
cependant.
C'est une requête simple et
enfantine, et non l'expression tumultueuse de nos
angoisses, de nos soucis et de nos convoitises, ni
un cri de révolte contre la détresse
et la souffrance. Le Père sait de quoi nous
avons besoin, avant que nous le lui demandions.
À la confiance avec laquelle
il attend de nous une parfaite
obéissance à sa volonté,
répond la confiance avec laquelle nous
attendons de lui tout ce qui nécessaire
à votre vie. Inutile de discourir longuement
à ce sujet. si nous le mentionnons dans
notre prière, c'est parce que notre abandon
filial a besoin de s'exprimer. La
brièveté même de notre
requête en est le témoignage; de
longues et pressantes supplications trahiraient une
secrète défiance et contrediraient
cette autre parole : Que ta volonté soit
faite! Demander simplement notre pain quotidien,
c'est dire : Nous remettons à ta sollicitude
le soin de ce qu'il faut à notre vie; mieux
que nous, tu sais ce qui nous est
nécessaire.
«Et remets-nous nos dettes comme
nous les remettons à nos
débiteurs.»
Notre pensée se reporte
aussitôt à notre vocation d'enfants de
Dieu et le sentiment de la distance à
laquelle nous restons de son accomplissement, qui,
dans les trois premières demandes,
s'élevait à Dieu en une ardente
aspiration, devient une honte brûlante et, de
nouveau nous jette aux pieds du Père:
Pardonne, nous écrions-nous, ne nous tiens
pas rigueur, ne permets pas que nos fautes fassent
obstacles à ta vie en nous dans le
monde.
Cette demande - sa teneur et son
contexte en font foi - a é trait aux
obligations que nous impose notre qualité
d'enfants de Dieu. Noblesse oblige, la noblesse
d'ordre divin plus que toute autre : elle nous
oblige à glorifier le Père en toute
occasion, d'une manière positive et
complète à établir son
règne en instaurant la vie humaine normale,
et à réaliser sa volonté dans
chacun des mouvements de notre
vie. Ceux qui ont trouvé
en Dieu leur père comprennent la rigueur
sacrée de cette dette d'honneur, et leur
supplication témoigne de l'humiliation
qu'ils ressentent pour y avoir si insuffisamment
satisfait : Pardonne-nous nos manquements envers
nous-mêmes, envers notre prochain, envers la
vie. Pardonne notre infidélité en
face des exigences de la vie nouvelle. Prends
pitié de notre faiblesse, de nos lenteurs,
de notre tiédeur et de notre indolence,
captifs que nous sommes trop souvent encore de
notre vieille nature. Use d'indulgence, comme nous
le faisons envers ceux de nos semblables qui ne
remplissent point leurs obligations envers
nous.
Il n'est nullement question dans
cette demande d'une rupture de nos relations
personnelles avec le Père, qui exigerait une
réconciliation. On y sent vibrer, au
contraire, une assurance filiale et une parfaite
intimité. S'il en était autrement,
elle figurerait au début de l'oraison
dominicale, et non dans la seconde partie
seulement. Comment cela serait-il possible,
d'ailleurs? L'aspiration passionnée qui se
fait jour dans les trois premières demandes
ne témoigne-t-elle pas d'un contact vivant
avec le Père? On y sent palpiter
l'élan de sa vie, elles rayonnent de
l'ardeur de sa grâce et sont toutes
pénétrées de son
esprit.
Nous ne saurions donc trouver dans
cette prière la base d'une notion abstraite
et dogmatique du péché. Elle est la
confession spontanée de l'âme croyante
qui s'humilie de son insuffisance et de ses
infidélités sans en faire grand
état, et qui, en présence des
pièges qui l'environnent, implore le secours
du Père avec la naïve certitude qu'il
ne garde jamais rancune, mais ne vient que plus
volontiers au secours de ses enfants.
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