Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps




CHAPITRE IV

LA VIE QUOTIDIENNE
(Matthieu VI, 19-34.)

1. Le centre de gravité.

Du domaine de la vie personnelle, le Sermon sur la montagne passe maintenant à celui de la conduite journalière envisagée à la lumière du nouveau devenir.

« Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où les vers et la rouille rongent, et où les voleurs percent les murs et dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel où ni les vers, ni la rouille ne rongent, et où aucun voleur ne perce les murs, ni ne dérobe. Car là où est votre trésor, là aussi est votre coeur. »

Nous ne dépasserions pas une interprétation juive et toute superficielle de ces paroles, si nous nous figurions que Jésus ait voulu exhorter ses auditeurs à «s'amasser des trésors dans le ciel en pratiquant la véritable justice, à laquelle est réservée une grande récompense qui est en dépôt dans le ciel et qui doit leur échoir là-haut au jour de la rétribution finale: la participation au règne de Dieu alors consommé ». Il se peut que quelque Israélite encroûté dans sa dogmatique ait interprété cette simple parole : Amassez-vous des trésors dans le ciel, d'une façon aussi compliquée que le théologien chrétien que nous venons de citer, et qui paraît pénétré de judaïsme jusqu'aux moelles.

Mais, à coup sûr, Jésus n'a voulu parler ni de bonnes oeuvres, ni de récompense, ni de «là haut», ni du règne de Dieu parfaitement réalisé, car il n'eût point, dans ce cas, motivé sa recommandation en ces termes : «Là OÙ est votre trésor, là aussi est votre coeur. » Où vivons-nous intérieurement? Voilà ce qui lui importe. C'est dans nos efforts et nos ambitions que se trahit notre état intérieur, c'est pourquoi Jésus commence par nous exhorter à rechercher des biens impérissables plutôt que des biens passagers.

Pour caractériser ces richesses impérissables, il se sert de l'expression courante de « ciel », domaine de l'éternité, mais cette parole : Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur, indique clairement qu'il ne s'agit pas dans sa pensée de la vie future. Notre coeur Vit, déjà ici-bas, dans les régions célestes, quand il s'attache à l'acquisition des trésors permanents que nous possédons virtuellement en raison de notre nature divine.

Nous avons donc le droit, tant selon la lettre que selon l'esprit, de transposer ainsi dans notre langage l'exhortation de Jésus : N'amassez point de trésors dans l'économie terrestre, car tout ce qui est terrestre est incertain, éphémère, sans valeur et sans fruit. Mais amassez des trésors de vie originelle que ne sauraient vous ravir ni les hommes, ni les vicissitudes de la destinée. Cette vie-là est indestructible et éternelle, parce qu'elle est indépendante de tout mode d'existence limité et procède de l'action même de Dieu. Son origine divine lui confère son prix infini et sa fécondité. Elle seule donne à notre existence un sens et une fin. Les « trésors» périssables représentent tout ce qui constitue communément la richesse et la gloire, le bonheur et l'orgueil de l'homme. Tous ces biens ne sont qu'illusion. Si nous fondons sur eux notre existence, si nous leur attribuons une valeur essentielle et une signification réelle, c'en est fait de nous. «La vie d'un homme ne dépend pas des biens qu'il possède.» C'est se perdre que d'y attacher son coeur. Rien n'est Plus instable, plus dépourvu de vie que la fortune. «Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il se perdait lui-même?»

Que sont la gloire et la considération? Un halo, une vaine lueur qui n'est pas même le reflet de notre vie réelle, mais seulement une hallucination de l'opinion publique. AU plus profond de nous-mêmes, nous soupirons après l'atmosphère limpide où rien n'existe et ne vaut que ce que nous sommes. Cela seul a du prix. Les seules choses essentielles sont celles qui ne peuvent être célébrées par les hommes, parce qu'elles vivent dans le secret de notre âme et que leurs manifestations n'attirent point non plus les regards.

Il en est de même de nos oeuvres et de notre carrière. Que nous servirait d'obtenir tels ou tels résultats, fût-ce même de marquer de notre empreinte toute une période de l'histoire du monde? Les seuls résultats satisfaisants sont ceux qui procèdent de l'épanouissement original de notre personnalité. Tout le reste est vanité. À quoi aboutit, en fin de compte, celui qui voue son existence à la culture d'un talent spécial, au progrès de la science, à l'amélioration du sort de l'humanité, s'il se perd lui-même? Il s'est frustré du seul bien qui demeure, de l'unique vie qui nous appartienne.

Ce n'est pas dans la fortune, la jouissance, l'activité, même les plus extraordinaires et les Plus excellentes, que se trouvent les biens indestructibles, inaliénables, éternels, mais uniquement dans notre vie personnelle. Elle possède une valeur vitale infinie, indépendante de toutes les fluctuations des valeurs en cours, de notre destinée comme de nos succès ou de nos conditions d'existence. Elle renferme une gloire divine au prix 'de laquelle tout ce que la vie peut nous offrir est vide et insignifiant. Nous enrichir dans ce domaine, c'est donner un sens à notre vie, trouver la seule satisfaction véritable en réalisant notre vocation, et créer notre éternité. Seules l'évolution, la carrière, la vie supérieure de la personnalité ont une importance capitale. tout le reste n'est qu'apparence, luxe mesquin, misérable bien-être.

Cette assertion est évidemment incompréhensible pour tout homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, qui n'a pas, avec un bienheureux frémissement, senti s'éveiller en lui le germe d'une vie nouvelle, et vu s'effondrer, parmi les angoisses de son devenir, tout ce qui faisait jusqu'alors la richesse et le repos de son existence. Il n'y voit qu'une exaltation insensée, ou une hostilité suspecte envers la vie. Mais vous, ô pèlerins de la recherche et du désir, qui n'avez plus où reposer votre tête, vous qu'une inquiétude consumante détourne de tout ce qui s'offre à vous contenter, vous savez ces choses, car parmi tous vos biens, vos plaisirs, vos travaux, vous vous sentez pauvres infiniment. Aussi comprenez-vous l'exhortation de votre guide : Amassez-vous dei trésors de vie originelle, enrichissez votre être intérieur. Le seul trésor qui ne soit pas du clinquant est enfoui au fond de vous-mêmes. Il l'en faut extraire pour avoir la vie, et pour être dans l'abondance.

Ce qu'il faut à tout prix, c'est vous trouver vous-mêmes et affranchir votre moi de tous les liens où il se meurt. Songez aux moyens de le ramener à la vie, de lui procurer l'air et la nourriture nécessaires à sa croissance. Triomphez de la paresse qui vous surprend toujours à nouveau et vous paralyse, que protégé par vos inquiétudes et vos aspirations germe et lève votre véritable moi. Il faut qu'il fasse éclater toutes les enveloppes que votre existence livrée aux choses périssables a tissées autour de lui, que, par une expansion continue, il s'en dégage et s'épanouisse. Vivez d'une façon personnelle pour que votre personnalité se développe. Cherchez votre propre voie, prenez en main la direction de votre vie afin de conquérir votre autonomie. Épurez votre vie intime, pour que se forme, homogène et distinct, votre être intégral. Luttez contre tout ce qui vous détourne de votre chemin, altère votre véritable nature, fait dévier votre conduite et entrave votre vie. Prêtez constamment l'oreille à la voix de votre génie et suivez ses ordres, de peur de voir s'engloutir et disparaître votre trésor.

C'est ainsi que vous amasserez des trésors permanents. Car notre moi, ce rayon de la divinité, est notre bien suprême, et sa vie, son devenir et son action constituent la seule existence humaine digne de ce nom. Sa puissance fait notre richesse, sa souveraineté sur toutes les vicissitudes et tous les hasards de la destinée fait notre gloire. C'est dans son épanouissement que réside la beauté impérissable d'une jeunesse éternelle devant laquelle pâlit le charme fragile de tous les objets extérieurs. La nécessité intérieure et impulsive de nos manifestations est notre liberté; notre dignité humaine reconquise est notre noblesse; notre titre d'enfants de Dieu, notre royauté. C'est dans la vérité qui demeure en nous que réside notre honneur; la vie créatrice qui travaille en nous fait notre prix. Notre solidarité avec nos frères, manifestation instinctive de notre origine divine, voilà le service dont nous nous acquittons envers l'humanité; les fruits de notre vie nouvelle, voilà nos travaux, dont la valeur consiste à propager la vie. Enfin, cet accomplissement de notre vocation, voilà notre bonheur incorruptible, inépuisable et toujours grandissant.

Ceux qui comprennent l'exhortation de Jésus à ne pas amasser des trésors périssables, voient ainsi cette évaluation nouvelle de toutes choses se vérifier dans leur vie tout entière. Jésus n'y insiste pas davantage. Il passe aussitôt des effets pratiques de la vie originelle à la loi sur laquelle ils se fondent : « Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur. » Là où résident nos intérêts dominants, là aussi réside notre être intime, là où gît notre bien suprême, là est notre centre de gravité. Or notre centre de gravité ne doit point être en dehors de nous, mais en nous-mêmes. De cette loi fondamentale de notre existence il résulte directement que les seuls trésors que nous devions amasser sont ceux de l'être véritable. Mais ce principe a une portée plus haute encore : il fixe la condition inéluctable d'une conduite vraiment personnelle, dans tous les domaines de la vie.

Si notre centre de gravité n'est pas en nous-mêmes, nous ne nous appartenons pas réellement, nous devenons les esclaves des hommes et des choses, des biens et des idéals dans lesquels il est placé. Nous tombons dans leur dépendance, nous perdons toute existence propre. Ils nous subjuguent et nous engloutissent; ce qu'il y a de personnel en nous est absorbé par eux. Nous devenons incapables de diriger notre vie dont la force motrice ne réside plus en nous, mais en eux. Notre fortune, notre vocation, nos affaires, nos circonstances, nos intérêts, nos idéals même nous désâment; ils deviennent des démons dont nous sommes possédés. Nos sentiments, notre volonté, nos pensées leur sont également assujettis. Nous succombons à leur domination tyrannique et arbitraire : ils nous aveuglent, nous grisent, nous intoxiquent et nous égarent; surmenés, aplatis, vidés, désagrégés, nous périssons enfin, et notre moi est étouffé et anéanti. La vie nous offre des exemples effrayants de cette ruine que la vocation la plus noble, les intérêts les plus élevés, l'idéal le plus splendide ne sauraient empêcher. Peu de personnes, il est vrai, discernent sous les conséquences extérieures de cet état de choses le désastre intérieur de ceux qui se perdent ainsi sans le savoir.

Il faut être fondé en soi pour se maintenir, pour rester indépendant et conquérir son autonomie parmi les agitations et les courants divers de la vie matérielle et spirituelle. Il n'y a d'homme véritablement libre que celui dont le centre de gravité est dans les profondeurs de son être. Seul il possède la force de résistance et la supériorité nécessaires pour rester, malgré les échecs et les déceptions, maître de la situation et créateur de sa destinée. Il tire sa vie de tout ce qui consume les âmes dépendantes, remplit de sa plénitude ce qui les épuise, use pour son salut de ce qui les use. Car il écoute la voix de son génie et il est en mesure de lui obéir. Aussi la vérité de l'être humain peut-elle s'incarner en lui et y déployer sa vigueur et ses clartés. En lui l'être originel atteint, par la vertu de sa vie intrinsèque, sa pleine maturité, et manifeste sa souveraine puissance de vie.

Mais quand la force centripète ne contrebalance pas la force centrifuge, quand la vie profonde et cachée ne maintient pas tout le reste en équilibre, notre personnalité se dissout dans le tourbillon de l'existence. Notre vie intime se volatilise; notre conscience individuelle, le sentiment de nos obligations et de notre responsabilité envers nous-mêmes s'évanouissent. Car nous ne nous sentons spontanément obligés qu'envers ce qui est réellement notre raison d'être.

Conquérir la vie personnelle, subsister par nous-mêmes, et traverser l'existence debout, voilà ce qu'il nous faut. La plante qui s'attache à un appui extérieur ne peut acquérir un tronc vigoureux. Toute dépendance est une mutilation. Toute rupture de notre équilibre aboutit à une position fausse. Pour trouver en toute circonstance l'attitude juste, il faut être fondé en soi. L'ordre, la suite, un développement continu s'introduisent alors dans notre vie, autrement tous les fils s'enchevêtrent et tous les rapports se faussent. Celui qui est au pouvoir de l'argent, par exemple, n'entre en rapport direct avec rien ni personne : il voit tout à travers l'argent. En conséquence, sa dépendance de l'argent influence et détermine tous ses sentiments et toutes ses actions. Rien d'étonnant à ce que tout dévie, se dénature, se déséquilibre, et à ce que sa vie entière dégénère et rate.

Enfin celui-là seul qui est fondé en soi peut conférer à la vie riche et multiple qui nous environne sa valeur vitale. Nous comprendrions mal la pensée de Jésus si nous croyions devoir mépriser ce que cette vie nous offre, sous prétexte que tout est vain. Nous avons au contraire à faire servir tous les éléments de l'existence au développement de notre être originel, et nous le faisons d'instinct quand notre centre de gravité est en nous-mêmes. Plus rien qui ne concoure à nous rapprocher du but. Tout acquiert une signification appropriée à notre personnalité, même les choses les plus superficielles et les plus fugitives.- Il ne se produit pas une dépréciation, mais une évaluation nouvelle de toutes choses, car désormais ce qui détermine la valeur d'un objet, c'est son importance au point de vue du développement de notre être intérieur. Pas n'est besoin cependant d'établir pour cela une nouvelle échelle des valeurs; chacun discerne instinctivement ce qui lui est bon et l'emploie de façon à en tirer profit pour sa vie.

Ainsi en est-il, par exemple, de l'amour sexuel, chose incertaine et passagère, enivrement d'un instant, satisfaction misérable en soi. Dès que nous en saisissons la signification personnelle et en faisons un moyen de devenir des hommes complets, il acquiert une valeur éternelle, d'un prix incomparable. De même l'art cesse d'être une simple occasion de jouissance esthétique et une excitation subtile des sens, dépourvues de toute valeur vitale et permanente. Le génie créateur des grands maîtres fécondant les âmes réceptives, les entraîne dans le large courant d'une vie immédiate et spontanée, et communique aux manifestations de leur vie une belle harmonie et une noblesse tranquille. Il en est ainsi dans tous les domaines. Il suffit d'avoir les yeux ouverts pour constater que tout peut acquérir une signification d'une portée immense pour notre vie et notre être véritables, dès que notre centre de gravité est en nous-mêmes et non dans les choses qui peuvent et doivent les alimenter.


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