LE SERMON SUR LA
MONTAGNE
Transposé dans notre langage
et pour notre temps
CHAPITRE VI
LES CONDITIONS DU
SUCCÈS
(Matthieu VII, 7.27.)
1. La marche ininterrompue.
Le Sermon sur la montagne tire à sa fin.
Après nous avoir fait jeter un coup d'oeil
sur l'éclosion et le développement du
nouveau devenir, Jésus nous a montré
comment cette évolution intérieure
produit une morale toute nouvelle, fait jaillir des
profondeurs de l'être intime une vie
personnelle originale, nous rend capables d'une
conduite ferme et autonome, conforme à notre
nouvelle orientation, et pose les fondements d'une
vie en commun dont nous ne pouvons encore que
pressentir l'incomparable beauté. Il va nous
indiquer enfin, avec une énergique
insistance, ce que nous avons à faire pour
parvenir à cette rénovation totale de
notre être et de notre vie. Avant tout, il
nous faut rester en mouvement.
«Demandez et l'on vous donnera;
cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous
ouvrira. Car quiconque demande, reçoit;
quiconque cherche, trouve; et à celui qui
frappe, la porte s'ouvre. Lequel d'entre vous,
lorsque son fils lui demande du
pain, lui donnera une pierre, ou quand il
réclame du poisson, lui donnera un serpent?
Si donc, tout mauvais que vous êtes, vous
savez donner de bonnes choses à vos enfants,
combien plus votre Père qui est dans les
cieux, donnera-t-il ce qui est bon à ceux
qui le prient! »
Plus les perspectives que
Jésus nous ouvre s'éclairent à
nos regards, plus elles nous transportent
d'admiration, plus aussi il nous paraît
inconcevable que d'un point de départ aussi
imperceptible que notre recherche inquiète,
nous puissions jamais atteindre ce but glorieux. La
distance qui nous en sépare encore, les
obstacles formidables qui se dressent devant nous,
- car il n'y a rien qui ne puisse devenir un
obstacle - dérobent toujours de nouveau
à nos yeux la terre promise que nous avions
entrevue. C'est pourquoi Jésus, se penchant
vers ceux qui, dans leur saisissement, osent
à peine croire à la gloire
pressentie, leur dit : Cela se fera très
simplement : «Demandez et il vous sera
donné, cherchez et vous trouverez, frappez
et la porte s'ouvrira. » Puis, chose
étrange au premier abord, il motive cette
assurance catégorique en la
répétant sous une autre forme :
« Car quiconque demande reçoit; celui
qui cherche trouve; et la porte s'ouvre devant
celui qui frappe.» Nous ne saurions voir dans
cette répétition un
développement oratoire qui serait tout
à fait étranger à la
manière de Jésus. Elle doit
être l'expression d'une règle qui ne
connaît pas d'exception, d'une loi sur
laquelle se fondent son exhortation et sa promesse
: Demandez et il vous sera donné, car il est
impossible que celui qui demande ne reçoive
pas.
Mais cela ne lui suffit point
encore. En comparant plus loin la conduite du
père terrestre avec celle du Père
céleste, il nous affirme que nous pouvons
compter absolument sur l'effet de cette loi, dont
le Père lui-même garantit
l'accomplissement. En effet, si nous ne saurions
nous-mêmes donner à nos enfants des
pierres au lieu de pain, à plus forte raison
notre Père, auprès duquel nous ne
sommes tous que des méchants, nous
donnera-t-il les choses bonnes auxquelles nous
aspirons. Il est tout à fait impossible
qu'il laisse ceux qui cherchent la vie
véritable se repaître de ce qui ne
répond pas réellement à leurs
besoins : de leurs illusions, de l'espoir d'un au
delà, d'une croyance, d'une culture morale.
La vie humaine réalisée dans la
vérité deviendra sûrement leur
partage.
Cette parole : « Quiconque
demande reçoit », n'est donc pas un
encouragement donné à l'aventure, une
promesse sur laquelle on ne saurait compter en
toute occasion «parce qu'elle n'a qu'une
valeur générale », - ce qui a
une valeur générale ne doit-il pas se
vérifier précisément dans
chaque cas particulier? - mais bien une assurance
absolue, reposant sur une loi de la vie - quiconque
demande, obtient et dont Dieu lui-même se
porte garant. Cette loi est aussi positive que
celle qui y correspond dans le monde physique :
mange et tu seras rassasié, car quiconque
mange apaise sa faim. Nous avons affaire, dans les
deux cas, à des phénomènes
conformes aux lois de la nature, à un
enchaînement logique de cause à effet,
et, dans l'un comme dans l'autre, c'est la
puissance créatrice de toute vie qui
répond du succès.
Le fait qu'il s'agit ici des
phénomènes de l'évolution et
de la vie personnelles, ne change rien à la
chose. La vie spirituelle de
l'homme est régie par certaines lois aussi
bien que sa vie corporelle. Il faut nous en rendre
compte, car les spéculations abstraites nous
ont voilé jusqu'ici ces lois, en sorte que
nous nous figurons volontiers que dans le domaine
de la vie morale et de nos relations avec Dieu ne
règnent ni l'ordre, ni la rigueur que nous
trouvons dans la nature. Cette conception dualiste
est erronée. Nous ne faisons droit à
la déclaration de Jésus qu'en la
comprenant et en l'admettant comme nous le ferions
de cette affirmation : jette la pierre et elle
tombera, car ce qu'on jette tombe.
Il faut la comprendre ainsi pour en
mesurer toute la portée. Vous n'avez plus,
déclare Jésus aux chercheurs,
à vous mettre en peine des résultats;
la nouvelle naissance, l'évolution
véritable de l'être humain sont des
processus naturels qui se produiront
nécessairement si vous demandez, cherchez et
frappez. Tout s'accomplira de soi-même, comme
dans la nature. Vos aspirations, votre recherche,
vos tentatives, vous mettent en contact avec la
puissance de vie universelle, et son énergie
créatrice réalise alors en vous tout
ce pour quoi elles ont créé les
conditions nécessaires. Elle
n'évoquera point comme par magie des
résultats impossibles, mais fera tout
épanouir au fur et à mesure du
possible. Tout mûrira graduellement et
n'apparaîtra qu'en son temps. Mais le but
sera certainement atteint. les milliers
d'années encore indispensables
peut-être à l'humanité pour
parvenir à son développement
intégral, n'infirment pas plus ce principe :
« quiconque demande reçoit », que
la durée incommensurable de
l'évolution de la nature ne nous fait douter
de ses lois, à l'oeuvre, malgré tout,
dans tous les temps. Si, dans la pratique, le fait
que demander c'est recevoir,
chercher c'est trouver, essayer c'est
réussir, ne se confirme pas de
manière à nous apparaître aussi
logique et inéluctable que n'importe quel
enchaînement de cause à effet, cela
tient à notre manière de demander, de
chercher, de frapper, c'est-à-dire à
la disproportion entre notre aspiration et l'effet
espéré. Nous attendons toujours des
effets démesurés.
Or nul effet ne saurait
excéder sa cause; aussi l'exaucement est-il
toujours exactement proportionné à
notre désir. Nous recevons dans la mesure
où nous demandons. Si notre prière
n'est que l'élan chétif et
intermittent d'une aspiration à demi
étouffée, nous ne sentirons que de
loin en loin vibrer en nous les élans d'une
vie nouvelle. De même, si notre recherche
n'est que le coup d'éperon d'un
impératif catégorique, et non un
mouvement impulsif, nous parviendrons
peut-être, à force de volonté,
à régler notre vie selon Dieu, mais
elle ne sera pas renouvelée. Enfin c'est
à nos tentatives que se mesureront nos
succès. Mais certainement notre aspiration,
quelle qu'elle soit, ne peut manquer d'enfanter ce
qu'elle a conçu et porté par la
prière - l'objet auquel tend notre vie doit
devenir notre partage, nos efforts doivent aboutir.
Il est tout à fait impossible qu'un homme
qui s'est mis en marche, qui aspire, qui cherche et
qui ose, une fois le chemin trouvé, n'avance
pas sur la voie qui mène au but. Mais la
distance parcourue dépendra naturellement de
la' vigueur et de la rapidité de son allure.
Cela est inévitable, car en demandant nous
libérons l'énergie divine, en
cherchant nous lui frayons la voie, et nos
tentatives lui donnent l'occasion de se
manifester.
Si tel est le sens de la promesse de
Jésus, il est évident qu'elle ne
peut, pas plus que le reste du Sermon sur la
montagne, s'adresser à tous, mais seulement
à ceux qui prient en
esprit et en vérité, qui cherchent
avant tout le royaume de Dieu, et qui font l'essai
d'une vie conforme à l'état de choses
nouveau. Elle ne se rapporte donc qu'au devenir et
à la vie véritables, auxquels tout le
reste est assuré par
surcroît.
Cette conclusion ne nous est point
suggérée par l'examen du contexte et
de la place que cet enseignement sur la
prière occupe dans le Sermon sur la
montagne, on pourrait, dans ce cas, nous objecter
qu'il n'en faisait point partie à l'origine.
Elle ressort du fond même de la question.
L'invitation à demander, à chercher,
à essayer, et la promesse de l'exaucement,
ne sauraient s'adresser à tous, parce
qu'elles ne sont pas applicables à chacun.
On ne saurait dire au premier venu : Demande ce que
tu désires, et tu l'obtiendras. Ce serait un
mensonge. On parvient, il est vrai, à force
de subtilités, à démontrer que
toutes les prières qui ne se sont pas
accomplies ont été néanmoins
exaucées, et à éliminer ainsi,
en réalité, l'action
déterminante de Dieu. Il faut, pour cela, se
réfugier dans l'incontrôlable. Mais
ces pieuses arguties sont tout à fait
insoutenables en ce qui concerne les deux autres
promesses équivalentes à la
première, parce que pour ces
dernières le contrôle est aisé.
Comment dire à tous : «Cherchez et vous
trouverez, frappez et la porte s'ouvrira »,
quand l'expérience prouve surabondamment que
la plupart cherchent sans trouver et qu'un grand
nombre essaient sans réussir? Pourquoi donc
en serait-il autrement de la première
assurance : « Demandez, et il vous sera
donné » ?
À mon avis, se figurer que
Jésus ait jamais prescrit à tous
indistinctement de demander, et promis sans
réserve l'exaucement, c'est commettre une
erreur colossale qui rentre dans
la conception païenne de la prière.
Tout au contraire, la requête et l'exaucement
dont parle Jésus sont dans un rapport
organique étroit avec les
phénomènes de la vie et de
l'évolution nouvelles. Au reste, l'abus que
l'on a fait de sa promesse en l'isolant de ce qui
en est la condition, c'est-à-dire de la
relation vivante de l'homme avec Dieu et avec la
venue de son règne, trouve son
châtiment dans la superstition, la
fausseté, le doute et le désespoir
auxquels il a donné lieu. Mais si cette
promesse repose sur l'inflexible loi qui veut que
toute cause produise un effet correspondant, nous
comprenons l'insistance avec laquelle Jésus
exhorte ceux qui sont en marche vers le royaume de
Dieu, à demander, à chercher et
à frapper. Car la victoire est certaine,
pourvu qu'ils persévèrent dans le
mouvement de la vie.
Si la prière est un contact
conscient de l'homme avec Dieu, notre relation
personnelle avec la puissance de vie universelle
s'interrompt naturellement dès que nous ne
demandons plus. Nous cessons de participer à
J'évolution véritable, nous nous
excluons du vivant organisme de la création
nouvelle. Alors les éléments qui ne
pouvaient subsister qu'à condition de se
développer sans cesse,
dépérissent fatalement. Mais si notre
aspiration reste vivante, nous demeurons
accessibles à l'action divine qui communique
incessamment à notre être originel son
énergie vitale. De là l'exhortation
de l'apôtre Paul : « Priez sans
cesse.»
« Ne cessez point de chercher
»; cette parole de Jésus a
été retrouvée récemment
dans un vieux manuscrit. Qu'ils se le
répètent, ceux qui se figurent
qu'avoir trouvé dispense de chercher. En
réalité chaque trouvaille ne fait que
stimuler les véritables chercheurs et
l'élan qui les entraîne
s'accroît à mesure
qu'ils découvrent l'étroit sentier
qu'ils ont à suivre. Les paraboles du sel et
de la lumière nous ont déjà
montré la nécessité d'une
recherche incessante et nous avons reconnu dans la
poursuite du royaume de Dieu la force motrice
indispensable à la vie nouvelle. Que rien
n'arrête donc notre marche 1 Pour atteindre
le but il faut avancer sans
relâche.
Il n'en est pas autrement de la
troisième promesse. Les chercheurs sont
semblables à des gens qui se tiennent devant
une porte fermée. «Frappez, leur dit
Jésus, la porte s'ouvrira. » Essayez,
le succès couronnera la tentative. Non pas,
remarquez-le, les méditations, mais l'essai
pratique. Jésus reste toujours sur le
terrain de la vie. Il nous place dans
l'atmosphère limpide de la
vérité que ne trouble aucune
théorie. Il ne nous dit que ce qu'il a
vécu, ce qu'ont établi les faits. Il
ne démontre rien, mais il renvoie chacun
à ses propres expériences. Il est
vain, en effet, de discuter des déclarations
comme celle-ci : «Cherchez premièrement
le royaume de Dieu et tout le reste vous sera
donné par surcroît. » Il faut en
avoir éprouvé l'exactitude pour en
être convaincu. L'expérience
correctement tentée confirmera le principe
posé, aussi positivement que n'importe
quelle démonstration de physique faite dans
des conditions satisfaisantes.
C'est ce caractère purement
réaliste de Jésus qui fait de lui le
guide dont notre temps a besoin. Les faits seuls
comptent pour nous, et l'expérience
personnelle nous apporte seule la conviction. Aussi
son invitation à frapper, son assurance
positive que la porte s'ouvrira,
acquièrent-elles pour les chercheurs de nos
jours une importance vitale. À la
différence de tous les sages et de tous les
prophètes de ce monde,
Jésus nous indique une voie toute pratique.
Seul l'essai décidera si elle est
praticable. Entrons-y; nous verrons si sa promesse
se vérifie.
Lorsque nous avançons dans la
direction indiquée par Jésus,
l'être nouveau prend vie en nous, la
lumière se lève dans notre âme.
Mais les circonstances et les
phénomènes ambiants contrarient le
courant de vie qui nous anime, en sorte que notre
mouvement est refoulé et tenté de se
confiner dans notre vie intérieure. La
victoire nous semble impossible. Elle ne l'est pas
cependant : frappons et les portes s'ouvriront. Le
génie propre de notre être originel
saura trouver parmi l'économie ancienne
l'accès de l'évolution nouvelle.
Sachons porter les grands coups qui assurent le
succès. À l'aspiration et à la
recherche joignons l'action qui en est la
réalisation pratique.
La promesse de Jésus nous
garantit donc le succès. À une
condition toutefois, c'est que, demandant,
cherchant et frappant, nous soyons sur le vrai
chemin, sur celui qui mène à la vie.
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