LE
MONDE ET L'HUMANITÉ
DE LA CRÉATION
AU DÉLUGE
CHAPITRE III
L'IMAGE DE DIEU EN L'HOMME
Genèse I
On connaît la vogue grandissante de
la théorie moderne de l'animalité
primitive de l'homme et de son évolution
graduelle, physique, intellectuelle et morale.
Quelques crânes humains préhistoriques
exhumés des cavernes où ils dormaient
sous d'épaisses couches de détritus
étaient pourvus d'arcades
sourcilières saillantes et d'une
mâchoire inférieure proéminente
et énorme. L'on en a conclu, un peu à
la légère, que l'homme descend du
singe, et l'on a bâti sur ces données
insuffisantes une théorie complète de
l'origine de l'être humain tout entier, qui
aurait évolué au cours des âges
millénaires. Cette hypothèse est
loin, du reste, de faire autorité, elle est
repoussée par nombre de savants de
première valeur. L'idée d'un
développement progressif continu, physique,
intellectuel et moral, nous laisse sceptiques. Sans
doute, le contenu de la connaissance s'est
extraordinairement accru ; mais l'aptitude
à comprendre, à saisir, à
savoir, est-elle plus grande aujourd'hui
qu'autrefois ? Le doute est permis. Notre
génération a-t-elle
dépassé, par exemple, celle des
anciens Égyptiens, dont les sciences avaient
évidemment acquis un développement
prodigieux ? La somme des connaissances
s'augmente naturellement avec les siècles,
mais cela n'implique pas le moins du monde une
amplitude plus considérable de
l'intelligence elle-même. Au point de vue
moral, sommes-nous plus développés
que les premiers hommes ? Après la
guerre mondiale, on a enregistré un recul
général à la barbarie.
Survienne une nouvelle tourmente comme
celle-là, où en serons-nous
alors ?
La Bible nous offre un terrain plus
sûr. Nous avons vu comment les six jours de
la création concordent avec les affirmations
générales de la science. Examinons ce
que dit le récit génésiaque de
l'origine et de la nature de l'homme.
La terre était prête
à recevoir celui pour lequel elle avait
été aménagée. Avant de
poser sur son oeuvre ce qui doit en être le
couronnement, Dieu semble s'arrêter et se
recueillir : « Faisons l'homme
à notre image et à notre
ressemblance. » L'oeuvre arrive à
son terme ; l'être qui va paraître
appartient à une économie
supérieure ; il dominera sur la terre
et tout ce qu'elle contient, inanimé ou
vivant. Dieu ne dit plus : « Que la
terre produise ! » Il ne s'agit pas
ici d'un développement organique
spontané, d'une
évolution naturelle.
L'être nouveau sera façonné des
mains mêmes de Dieu.
Le Créateur se servit pourtant de
la poussière de la terre, donc d'une
matière existant déjà.
Qu'était-elle ? Faut-il y voir de la
poussière même, ou un organisme vivant
qu'Il aurait modifié ? Quoi qu'il en
soit, cette expression implique que, au point de
vue de la substance, il y a
homogénéité entre le corps de
l'homme et celui de l'animal. Saint Paul dit
aussi : « Il est semé corps
animal... » Mais Dieu lui imprima le
sceau de sa ressemblance, et souffla dans ses
narines une respiration de vie, créant entre
Lui-même et l'être animé sortant
de ses mains un lien qui ne l'unit pas aux autres
créatures vivantes.
En quoi consiste ce sceau divin ?
A-t-il quelque chose de physique ?
De prime abord, on est tenté de
répondre vivement : non !
Cependant, que l'on ne se hâte pas trop de
conclure par la négative.
Il y a dans la stature de l'homme une
caractéristique qui s'impose à
l'observation. Un historien latin, vivant au
premier siècle avant Jésus-Christ,
écrivait : « Omnis
hornines, qui sese student praestare ceteris
animalibus, summa ope niti decet, ne vitam silentio
transeant veluti pecora, quae natura prona atque
obedientia ventri fixit" : « Il
importe que tous les hommes qui
s'étudient à surpasser les autres
êtres vivants, fassent tous leurs efforts
pour ne pas passer leur vie dans le silence comme
les bêtes, que la nature créa
penchées vers la terre et obéissantes
à leur ventre. » Cette stature
dressée est comme un reflet de la
souveraineté divine, cette parole
intelligente comme un écho de la voix du
Créateur, cette tête droite et ces
yeux capables de sonder l'immensité des
cieux sont comme un lien avec le monde
supérieur.
Il y a plus. Dieu est esprit, sans
doute, Il est invisible, assurément. Mais Il
s'est manifesté à quelques-uns de ses
serviteurs. Du sein du buisson ardent, Moïse
entend sortir une voix qui prononce des paroles
intelligibles. L'Éternel apparaît
à Abraham sous forme humaine, quand, se
rendant à Sodome, Il lui dit :
« Cacherai-je à Abraham ce que je
m'en vais faire ? » Le patriarche
est saisi d'émotion quand il comprend qu'il
s'entretient avec l'Éternel lui-même.
Le prophète Esaïe a une vision :
« Je vis le Seigneur assis sur un
trône très élevé, et les
pans de sa robe remplissaient le temple. Des
séraphins se criaient l'un à
l'autre : Saint, saint, saint est
l'Éternel ! »
Évidemment, Dieu lui
apparaît sous forme humaine. Et les
chérubins eux-mêmes, quoique pourvus
d'ailes, ont aussi des traits d'hommes.
Daniel
(VII, 9) contemple l'Ancien des jours
s'asseyant sur son trône ; son
vêtement était blanc comme la neige,
et les cheveux de sa tête étaient
comme la laine pure. Et voici sur les nuées
des cieux arriva quelqu'un de semblable à un
fils de l'homme. On lui donna la domination, la
gloire et le règne ; sa domination est
éternelle.
Autant d'anthropomorphismes.
Quand Jésus fut
transfiguré et qu'il apparut à ses
disciples dans la gloire du ciel, son visage
était devenu resplendissant, mais ses traits
n'avaient pas changé.
Philippe lui dit :
« Montre-nous le Père. »
Jésus répond : « Qui
m'a vu a vu mon Père. » -
Étienne voit le Fils de l'homme debout
à la droite de Dieu. - Dans l'île de
Patmos, Jean contemple le Seigneur de gloire, mais
c'est encore le Fils de l'homme. - Saint Paul
écrit aux Colossiens :
« C'est Lui qui est l'image du Dieu
invisible. » L'Épître aux
Hébreux dit : « Il est le
reflet de la gloire de Dieu et l'empreinte de sa
personne. »
(I. 3)
Si nous rappelons le prologue du
quatrième Évangile :
« La Parole était avec Dieu ;
et cette Parole était Dieu, la Parole a
été faite chair et a habité
parmi nous - nous comprendrons mieux le mot de la
Genèse : « Faisons l'homme
à notre image et selon notre
ressemblance », et nous conviendrons
qu'il y a, entre l'homme et son
Créateur, une affinité profonde, qui
pourrait bien se donner à connaître
déjà dans sa constitution
physique.
Un théologien profond a
écrit : « L'expression
créé à l'image de
Dieu » ne s'applique pas seulement
à la partie spirituelle de l'homme, mais
à son être tout entier, dans ce sens
que si Dieu veut se manifester, il ne peut le faire
sous aucune autre forme que sous la forme humaine
(ce qui s'est accompli en Jésus-Christ). Les
membres donc et les organes de l'homme, sa vue, son
ouïe, aussi bien que ses facultés
(mémoire, intelligence, volonté), et
même les traits fondamentaux de son
caractère moral (amour paternel, maternel,
conjugal, compassion, indignation, jalousie), ne
sont que le reflet matériel et imparfait de
ce qui existe spirituellement et parfaitement en
Dieu. L'homme est donc comme un petit miroir de
Dieu. Seulement, le péché ayant terni
et brisé ce miroir, nous ne pouvons plus y
trouver que des images fragmentaires, confuses et
défigurées. Mais Jésus-Christ,
l'homme parfait, pourra dire :
« Qui m'a vu a vu mon
Père. »
(Jean XIV, 9.)
Parlant de l'achèvement de notre
carrière, saint Jean dit
(I Jean III, 2) :
« Nous serons semblables à Lui
parce que nous Le verrons tel qu'Il
est. »
Voilà, quant à l'image
divine dans l'être physique de l'homme.
Mais il est évident que ce n'est
pas l'essentiel, et que la vraie ressemblance est
autre et va plus profond. Si, par son corps charnel
il tient de l'animal, par son être intime il
s'en dissocie profondément. Dieu est
esprit ; son image est une étincelle de
cet esprit, qui fait de l'homme une
personnalité consciente et disposant
d'elle-même, tandis que l'animal n'agit que
comme représentant de l'espèce
à laquelle il appartient. Cette
étincelle d'En-Haut lui confère des
facultés constituant autant de
caractères qui le distinguent de
l'animal : l'intelligence, capacité de
penser et de raisonner, la parole, la conscience
qui lui permet de discerner entre le bien et le mal
et qui présuppose la liberté morale,
enfin et surtout la faculté de progresser,
de se perfectionner.
Chacun de ces traits de l'image divine
est d'une ampleur immense et pourrait être
détaillé à l'infini.
On a prétendu qu'il n'y a point
de différence essentielle entre
l'intelligence de l'homme et l'instinct de
l'animal. Sans doute, l'instinct est merveilleux,
lui aussi. Le Créateur a semé
partout, même dans les plantes, des
étincelles de sa sagesse. Mais l'instinct
même le plus développé a des
limites infranchissables, tandis que l'univers
entier s'offre aux recherches de
l'intelligence.
« Mettez un singe à
Paris pendant cent ans, dit la boutade, il n'en
restera pas moins un singe. » Oui,
un singe, c'est-à-dire
l'animal qui se rapproche le plus de l'homme,
à Paris, la ville-lumière. Un
siècle tout entier ne le sortira point de
ses ténèbres, qu'il n'a même
jamais su éclairer en allumant le moindre
feu.
Tandis que l'histoire des missions est
riche en traits prouvant avec quelle
rapidité l'homme sauvage, même le plus
dégradé, retrouve au contact des
missionnaires, sans sortir de son milieu
dépravé, toute sa dignité et
devient en peu de temps un gentleman
accompli.
C'est l'image divine en l'homme qui lui
conférait sa royauté :
« Faisons l'homme à notre
ressemblance et qu'il domine sur toute la terre et
sur tout animal. »
Mais cette royauté, il devait la
conquérir ; il devait établir
lui-même son empire sur le monde, en mettant
en valeur toutes les énergies, physiques,
intellectuelles et morales que lui conférait
son origine divine. « Mon Père
agit jusqu'à présent », dit
Jésus ; le rôle de l'homme
était d'agir aussi, d'agir toujours ;
la couronne était à ce prix.
Extraordinaire destinée, en
vérité. « L'homme, a dit
Pascal, n'est qu'un roseau, le plus faible de la
nature. » Son organisme, en effet, est
d'une délicatesse infinie : un rien le
détraque. Une vapeur, une goutte d'eau
suffit à l'étouffer. Il n'est pas le
plus grand, ni le plus fort, ni le plus agile des
êtres vivants ; il est
sans défense naturelle contre leurs
attaques ; la morsure d'un serpent, le venin
d'un scorpion, la piqûre d'une mouche, il
n'en faut pas plus pour le tuer.
Roseau fragile... mais roseau
pensant ! L'intelligence qui l'anime, reflet
du génie divin infini, lui fournira les
armes dont il a besoin pour se défendre. Il
attaque l'éléphant gigantesque, le
rhinocéros monstrueux, le lion, le tigre, le
requin ; il poursuit le serpent
répugnant. Bien plus, il asservit tout le
monde animal.
Le fabuliste a dit.
Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet
nouveau.
Le second approcha ;
Le troisième osa faire un
licou pour le dromadaire.
L'intelligence est en l'homme comme la
clarté que la luciole porte en elle et qui
la dirige dans l'obscurité, lui permettant
de traverser le fouillis inextricable des ronces et
des taillis. Toute la nature s'offre à lui,
cachant jalousement les richesses
mystérieuses enfouies dans son sein. La
lumière de l'intelligence le guide dans ses
recherches, et la nécessité qui
l'aiguillonne le rend industrieux. À mesure
que l'humanité se multiplie et que ses
besoins augmentent, le génie humain suffit
à découvrir les moyens
d'y satisfaire. Après
avoir tiré parti de ce qu'il trouvait
à la surface du sol, il a brisé les
rochers, puis il a foui les entrailles mêmes
de la terre pour leur arracher les minéraux
nécessaires à son industrie. Il a
sondé les abîmes, visité le
fond des mers. Lui, dont le corps est lourd et
incapable de voler comme l'oiseau, il s'est
élancé à la conquête de
l'air.
Il n'y a point de limites à son
audace, point de bornes fixes à son
intelligence. L'histoire humaine est celle d'un
progrès continu. Quelqu'un oserait-il
affirmer que ce progrès ait des
limites ?
« Remplissez la terre,
soumettez-la et assujettissez-vous tout animal qui
se meut sur la terre. »
Mais ce n'est pas là toute la
destinée de l'homme. Son être n'y est
pas tout entier ; il manque encore
l'essentiel, le couronnement, la royauté
morale, spirituelle.
Eût-il assujetti toutes les forces
de la nature, conquis toutes les richesses du
globe, gravi tous les sommets, il ne serait encore
en cela que le plus intelligent des animaux. Sa
royauté vraie est d'un ordre plus
élevé.
Sa tâche essentielle était,
tout en développant son industrie, de
reproduire sur la terre, et dans les limites
posées au début à l'existence
humaine, les perfections divines.
Il devait régner à
l'instar de Dieu, c'est-à-dire dominer la
matière et se l'assujettir, tout en
demeurant supérieur à elle, libre de
s'en servir, sans jamais en être
dominé, la pliant, avec une
indépendance souveraine, aux fins glorieuses
qui lui étaient proposées, dans la
seule dépendance du Créateur dont il
tenait sa vie et ses biens. La nature devait
être devant lui comme un merveilleux livre
ouvert ; en le feuilletant, il devait y
épeler le nom de Dieu. En
s'élargissant, son intelligence devait
s'illuminer toujours davantage des clartés
d'En-Haut. En voyant le soin avec lequel Dieu avait
pourvu d'avance à tous ses besoins, son
coeur aussi devait s'ouvrir, comprendre l'amour
dont il était l'objet, et y répondre
en aimant à son tour. Sa conscience,
écho de la voix divine, devait le guider, le
préserver des pièges
inévitables et le conduire toujours plus
près de Celui dont elle proclame la
Sainteté. En un mot, il devait s'unir de
plus en plus étroitement à Celui qui
est la source de la vie et réaliser toujours
plus complètement cette ressemblance dont il
portait le sceau.
Glorieuse carrière, chemin
royal.
Quel en eût été le
terme ?
La mort ?
Non point. La mort est un
accident ; c'est une tragédie qui s'est
déroulée en cours de route. Une
déviation de la ligne droite
proposée. La mort ne
rentrait point dans le programme
du Créateur. Elle est une anomalie, une
malédiction qui a troublé le plan de
Dieu.
Quelques hommes ne furent pas ses
victimes. Enoc ne mourut pas ; il avait
marché avec Dieu, et Dieu le prit sans qu'il
passât par cette lugubre vallée. La
fin de Moïse demeure mystérieuse, les
rabbins juifs avaient coutume de dire :
« Il s'en est allé d'un baiser de
l'Éternel, car il avait marché comme
voyant Celui qui est invisible, et il
s'était entretenu avec Lui comme un ami
parle avec son ami. »
Le prophète Elie fut
enlevé au ciel dans un tourbillon de
feu.
Le Fils de l'homme eût pu ne pas
mourir. Sur le Thabor, tandis qu'il priait, il fut
transfiguré et apparut à ses
disciples dans la gloire du Ciel, parlant avec
Moïse et Elle. Sa carrière terrestre
était achevée ; il en avait
franchi les étapes sans broncher,
repoussé victorieusement les assauts du
diable. Ce jour eût pu être celui de
son ascension. Mais il s'entretenait avec
Moïse et Elie de la mort qu'il devait subir
à Jérusalem : celle-ci
était une offrande volontaire, un sacrifice
expiatoire pour délivrer ceux sur qui la
mort avait étendu son empire.
Et l'on connaît les enseignements
de saint Paul les croyants qui vivront à la
Parousie, c'est-à-dire au retour de Christ,
ne se coucheront pas dans le
tombeau : ils seront
transmués en un clin d'oeil, au son de la
dernière trompette, et enlevés dans
les airs à la rencontre du Seigneur pour
être à jamais avec Lui. Tel
était le plan de Dieu,
révélé par Jésus dans
la parabole du jugement dernier
(Matth. XXV) :
« Venez, vous les bénis de mon
Père, et possédez en héritage
le royaume qui a été
préparé pour vous dès la
création du monde. »
Le terme de cette destinée est
décrit
Apoc. VII :
« Ils sont devant le
trône de Dieu et ils Le servent jour et nuit
dans son temple ; et Celui qui est assis sur
le trône les abritera sous sa tente. L'Agneau
qui est au milieu du trône les paîtra
et les conduira aux sources des eaux de la
vie ; et Dieu essuiera toute larme de leurs
yeux. »
Lamartine avait fort bien dit :
Borné dans sa nature,
infini dans ses voeux,
L'homme est un dieu tombé
qui se souvient des cieux.
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