LE
MONDE ET L'HUMANITÉ
DE LA CRÉATION
AU DÉLUGE
CHAPITRE IX
CAÏNITES ET SETHITES - UN HOMME QUI NE
MOURUT PAS
Marquons de quelques jalons la descendance
de Caïn. Il eut un fils, Hénoc. La
mère ne pouvait être qu'une soeur de
Caïn, car Adam « engendra des fils
et des filles ». Les restrictions
apportées dans la suite aux mariages
consanguins furent dictées par la diminution
de la force vitale, qui possédait toutes ses
énergies durant les premières
générations ; l'union entre
frères et soeurs s'imposait naturellement
aux origines de l'humanité, sans les
inconvénients qu'elle ne pouvait manquer
d'avoir à une époque plus
avancée.
La naissance d'Hénoc semble
avoir mis un terme au vagabondage de son malheureux
père. Dieu n'est pas impitoyable, et le
temps efface à la longue les pires
blessures. Ce fils construisit une ville, à
laquelle il donna son nom ; c'était
sans doute simplement un endroit habité
protégé par une muraille.
Lémec, qui appartient à la
septième génération, prit deux
femmes : c'est l'avènement de la
polygamie, contraire à l'intention de Dieu
qui, dit Jésus, créa un
homme et une femme. Son fils
Jabal fut le père de ceux qui habitent sous
la tente et au milieu des troupeaux ;
jusque-là, peut-être, on
s'était établi dans des grottes ou
sous des huttes de feuillage ; c'est le
début de la vie nomade. Avec Jubal, son
frère, nous assistons à
l'éveil de la musique pastorale, harpe et
chalumeau.
Dans tous les temps, la vie
champêtre a favorisé l'art musical,
imitation du chant des oiseaux, du murmure du vent,
du fracas du tonnerre. Chez les Grecs, Pan, dieu
des bergers, passe aussi pour avoir inventé
harpe et chalumeau. David, le pâtre,
était harpiste et poète.
Tubalcaïn, troisième fils de
Lémec, se mit à travailler le fer,
forgeant toutes sortes d'instruments
tranchants ; c'est le père de la
métallurgie. Cette énumération
est du plus haut intérêt, car elle
nous montre les premiers pas de l'homme dans les
arts et dans l'industrie.
Elle aboutit à un morceau
poétique : hélas ! c'est un
hymne de guerre, qui donne la note morale de tout
ce développement. Tubalcaïn fit
probablement hommage à son père de sa
première lance. Lémec la brandit
orgueilleusement et, prenant à témoin
ses deux femmes, il
s'écrie :
« Ada et Tsilla, entendez
ma voix !
J'ai tué un homme pour m'avoir
blessé «
Et un enfant pour m'avoir meurtri.
Car Caïn sera vengé sept
fois Et Lémec soixante-dix-sept
fois ! »
Cette fanfaronnade donne le ton de
ses dispositions intérieures. Les
descendants de Caïn n'ont donc pas tiré
profit de la terrible leçon qui lui avait
été infligée. L'homme
s'accoutume au mal : loin de s'en humilier, il
s'en vante ; il renforce encore son
endurcissement et sa cruauté, avec sa
lâcheté : je tue un enfant pour
une égratignure ! On peut deviner les
scènes brutales et cruelles qui se cachaient
derrière cette arrogance sinistre. Non
seulement on n'hésite pas à
répandre le sang : l'on s'en fait une
gloire. La garantie de vengeance donnée par
Dieu à Caïn paraît
dérisoire. Lémec sera vengé
soixante-dix-sept fois ! C'est de la fureur
sanguinaire, c'est un défi à Dieu,
qui avait mis un frein à la
vengeance.
Le progrès matériel
marche de pair avec l'extension du vice.
Le saint livre aurait-il
peut-être trop chargé le tableau,
l'aurait-il noirci à l'excès, pour
soutenir une thèse ?
Hélas ! s'il fallait une
confirmation, le présent suffit à la
donner, convaincante, effroyable. Nous aurions
mauvaise grâce à nous scandaliser.
Notre génération, orgueilleuse des
conquêtes de la science, n'a-t-elle pas vu
tous les arts, toutes les industries, toutes les
découvertes, toutes les énergies de
l'homme en un mot, comme aussi
toutes les ressources du globe au service d'une
entreprise meurtrière telle que le monde
n'en avait jamais connu ? Les sauvages,
accourus des deux hémisphères sur le
théâtre de la guerre, n'ont-ils pas
été estomaqués de voir
à quoi peut servir la civilisation qu'on
leur avait tant vantée ? Le javelot de
Lémec était jouet d'enfant en
comparaison des machines infernales
inventées par le génie du XXe
siècle de l'ère
chrétienne.
Ni morale, ni crainte de Dieu,
voilà le sens profond des jactances de
Lémec.
Y a-t-il quelque chose de la morale
ou de la crainte de Dieu dans la maxime qui a
prévalu chez ceux qui
déclenchèrent la guerre :
Nécessité ne connaît point de
loi ?
Et qu'est-ce que les
soixante-dix-sept de Lémec, comparés
aux vingt millions de victimes immolées sur
l'autel de l'orgueil et de l'ambition, sans compter
les multitudes d'innocents
sacrifiés !
Non, nous n'avons pas lieu
d'être fiers et de regarder avec
commisération ces premiers hommes qui ont
employé de manière criminelle les
instruments qu'ils eussent dû vouer à
leur travail. L'humanité contemporaine est
digne d'eux ; elle a prolongé les
lignes qu'ils avaient été les
premiers à tracer.
Mais Eve avait donné à
Adam un autre fils ; elle l'appela Seth
(remplacement) car, dit-elle, Dieu m'a donné
une autre postérité à la place
d'Abel, parce que Caïn l'a
tué.
À Seth naquit un fils ;
son nom, Énosch, qui signifie faible,
malade, désigne l'homme, mais avec la notion
d'infirmité. Tandis que les descendants de
Caïn semblent avoir eu l'apanage de la
robustesse.
Énosch fut donc probablement
chétif, et cette infirmité
paraît lui avoir conféré une
grandeur morale qui fait défaut aux
Caïnites.
« Ce fut alors qu'on
commença à invoquer le nom de
l'Éternel. »
Tandis que, chez les descendants de
Caïn commence le travail d'une civilisation
purement terrestre, la race séthite jette
les premières bases du royaume de Dieu.
L'homme, certes, connaissait l'Éternel
dès l'origine et s'entretenait avec lui,
mais ces entretiens ne constituaient pas à
proprement parler un culte. Il semble que celui-ci
n'ait été institué qu'au
moment où l'homme a senti toute sa faiblesse
et par conséquent aussi toute la distance
qui le sépare de Dieu. En effet, cette
notice est placée immédiatement
après la naissance d'Énosch, dont le
nom rappelle l'impuissance humaine. Et cela est
parfaitement psychologique et exprime une
vérité de tous les temps. Le
Psalmiste dira :
« Il m'est bon d'avoir
été affligé ; car avant
d'être affligé je m'égarais,
mais maintenant j'observe tes
commandements. »
L'épreuve, source de
bénédictions, la souffrance
conduisant à Dieu, voilà le
thème favori de nombreux poètes
chrétiens :
- Seigneur, dans ma souffrance
- À toi seul j'ai recours ;
- J'attends de ta puissance
- Un sûr et prompt secours ;
- C'est dans les bras d'un Père
- Que je me suis jeté,
- En sa grâce j'espère,
- Car il m'a racheté.
-
- Âme faible et craintive,
- Pourquoi donc te troubler ?
- Quand tu n'es pas captive,
- Comment peux-tu trembler ?
- Laisse aux enfants du monde
- Les soucis et les pleurs ;
- Dieu, sur qui je me fonde,
- À connu mes langueurs.
-
- Qu'il est doux de se dire
- L'Éternel pense à moi,
- Il sait quand je soupire,
- Quand je suis dans l'effroi.
- Il recueille mes larmes,
- Il veut les adoucir,
- À toutes mes alarmes
- Il daigne compatir.
-
- Oh l viens, dans ma détresse,
- Me protéger, Seigneur,
- Et sois ma forteresse
- Au jour de la terreur.
- Sois mon bien, mon partage.
- Mon espoir est en toi,
- J'obtiendrai l'héritage
- Que j'attends par la foi.
Il ne s'agit point seulement d'un sacrifice
comme le premier holocauste, mais de pensées
exprimées, de louanges, de prières,
de supplications.
Et c'est ainsi que la souffrance,
déchaînée par Satan, devient un
instrument dans la main de Dieu. À travers
les âges elle demeurera la grande
éducatrice, menant les hommes à la
source de la consolation et de
l'espérance.
Suit la généalogie des
Séthites jusqu'à Noé,
énumération monotone, qui tient en
quelques mots et se termine invariablement par
cette conclusion mélancolique : puis il
mourut. Pour monotone qu'il soit, ce refrain est
singulièrement éloquent. Il tombe
comme un lourd marteau sur chacune de ces
générations et contraste tragiquement
avec la conclusion majestueuse que Dieu avait
formulée à la vue de l'oeuvre de ses
mains : « Tout était
très bon ! » C'est, dans la
longue série des siècles,
l'écho répercuté de
l'avertissement fatidique : « Au
jour où tu en mangeras, tu
mourras. »
Faut-il envisager les années
ici mentionnées comme équivalentes en
durée à nos années de douze
mois ? Mathusalem vécut neuf cent
soixante-neuf ans ! Des doutes ont
été émis ; on a
cherché des analogies chez d'autres peuples,
où les années sont ramenées
à trois, deux, ou même un mois !
L'absurdité de ce calcul éclate dans
le fait que, à ce taux-là, plusieurs
des patriarches eussent été encore
des enfants à la naissance de leur premier
fils !
Il n'est point difficile d'admettre
que l'existence humaine ait eu dans les premiers
âges une durée normale beaucoup plus
grande que dans la période actuelle.
Destiné primitivement à
l'immortalité, l'homme n'a été
livré que graduellement à la
puissance de la mort. Sa force vitale initiale
serait allée en s'épuisant lentement
jusqu'à une certaine limite à
laquelle elle s'est arrêtée.
Moïse dit (Ps. XC) : « Les
jours de l'homme mortel reviennent à
soixante-dix, et, s'il y en a de vigoureux,
à quatre-vingts. » Cependant, il
parvint lui-même à cent vingt ans,
sans avoir rien perdu de sa
vigueur !
L'on sait que nombre d'animaux
vivent plusieurs siècles ; pourquoi en
eût-il été autrement de
l'homme, le roi de la
création ?
« ... Puis il
mourut. »
« Par un seul homme le
péché est entré dans le
monde, et par le
péché la mort. Et la mort est
passée sur tous les
hommes. »
Et pourtant... non ! L'un des
patriarches fit exception à cette
règle inexorable :
« Tout le temps
qu'Hénoc vécut fut de trois cent
soixante-cinq ans. Il marcha avec Dieu et on ne le
vit plus, car Dieu l'avait
pris. »
Il y a dans le terme marcher
l'idée d'activité, et dans les mots
avec Dieu, celle de communion intime.
« Il marcha avec Dieu et
on ne le vit plus, car Dieu l'avait
pris. » C'est la plus belle oraison
funèbre qui fut jamais
prononcée.
À remarquer qu'Hénoc,
septième chaînon de la
généalogie séthite, est le
pendant de Lémec, septième de la
lignée caïnite. La réalisation
parfaite de la vie en Dieu a ainsi correspondu au
degré extrême de l'endurcissement et
de la révolte.
On ne le vit plus, il disparut, Dieu
l'avait pris. Sa tâche morale
terminée, Dieu le retire de ce monde et le
prend à Lui. C'est sans doute ce qui serait
arrivé à Adam s'il fût
demeuré fidèle. C'est ce qui arriva
plus tard à Elie, c'est ce qui aurait pu
arriver à Jésus-Christ, s'il l'avait
voulu lui-même, au moment de la
Transfiguration.
Cet enlèvement était
la révélation d'une vie
supérieure, dernier but de la vie terrestre.
C'était le moyen de
consoler les premiers hommes des souffrances de
leur longue carrière terrestre qui,
semblait-il, n'avait d'autre issue que la mort. Au
moment où Hénoc fut enlevé,
tous ses ancêtres, sauf Adam, vivaient
encore, et déjà
Méthuscélah et Lémec,
grand-père et père de Noé,
étaient nés, de sorte que ce fait
miraculeux eut pour témoins toutes les
générations de la race
séthite, à l'exception de la
première et de la dernière. Dieu leur
révèle, en prenant à lui le
plus fidèle d'entre eux, que la destination
primitive de l'homme n'est pas annulée et
qu'elle sera le prix de la
fidélité.
Ainsi, chacune des grandes
époques du règne de Dieu a eu sa
démonstration de la vie à
venir : l'époque patriarcale en la
personne d'Hénoc, l'époque
théocratique en celle d'Elie et
l'époque chrétienne en celle de
Jésus-Christ.
Et notre âge aussi aura sa
démonstration, dont l'heure s'apprête
à sonner. L'hostilité entre la
postérité de la femme et celle du
serpent dure encore et devient de plus en plus
aiguë ; elle court à son terme.
Jésus a annoncé son retour pour
l'époque où l'Évangile du
Royaume aurait été porté en
témoignage par toute la terre ;
l'Évangile est proclamé aujourd'hui
en plus de huit cents langues ! Cette
époque devait être marquée
aussi par des guerres et une tribulation sans nom.
C'est le chemin dans lequel l'humanité du
vingtième siècle
s'est engagée et où elle semble,
hélas ! vouloir
persévérer.
« Quand vous verrez que
ces choses commencent d'arriver, dit Jésus,
levez vos yeux, levez vos têtes, car votre
délivrance est
proche. »
Beaucoup de croyants pressentent
cette heure solennelle, où se
réalisera pleinement le plan divin
élaboré dès le
commencement.
Puisque c'est là le programme
de demain, donnons-le dans son entier, tel que
l'expose saint Paul dans la
première épître aux
Corinthiens, chap. 15, v. 51-53, et dans la
première aux Thessaloniciens,
chap. 4, versets 13-18.
« Voici un mystère
que je vous révèle : nous ne
mourrons pas tous, mais tous nous serons
changés en un instant, au son de la
dernière trompette ; car la trompette
sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles,
et nous serons changés. Il faut, en effet,
que ce corps corruptible revête
l'incorruptibilité, et que ce corps mortel
revête
l'immortalité... »
« Nous ne voulons pas,
frères, que vous soyez dans l'ignorance au
sujet de ceux qui sont morts, afin que vous ne vous
affligiez pas comme font les autres hommes, qui
n'ont point d'espérance. En effet, si nous
croyons que Jésus est mort, et qu'il est
ressuscité, nous devons croire aussi que
Dieu ramènera par Jésus et avec lui
ceux qui sont morts. Voici, en effet, ce
que nous vous déclarons
par la Parole du Seigneur : nous les vivants,
qui serons restés jusqu'à
l'avènement du Seigneur, nous ne
préviendrons pas ceux qui sont morts. Car le
Seigneur lui-même, à un signal
donné, à la voix d'un archange et au
son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et
ceux qui seront morts en Christ ressusciteront
premièrement. Ensuite nous, les vivants
restés sur la terre, nous serons
enlevés tous ensemble avec eux au milieu des
nuées, à la rencontre du Seigneur,
dans les airs, et ainsi nous serons toujours avec
le Seigneur. »faut, en effet, que ce
corps corruptible revête
l'incorruptibilité, et que ce corps mortel
revête
l'immortalité... »
« Consolez-vous donc les
uns les autres par ces paroles ! »
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