LE
MONDE ET L'HUMANITÉ
DE LA CRÉATION
AU DÉLUGE
CHAPITRE XI
CAUSES PHYSIQUES DU DÉLUGE
De tous les faits préhistoriques,
le déluge est celui qui a laissé le
plus de souvenirs dans la mémoire des
peuples. Les nègres peut-être
exceptés, toutes les races humaines en
possèdent des légendes.
En Europe, c'est chez les Grecs qu'elles
sont le plus précises. Le plus connu des
nombreux récits relatifs à cet
événement, est celui-ci :
Deucalion, fils de Prométhée,
construit, sur l'ordre de son père, un
coffre où il se réfugie avec sa femme
Pyrrha pour échapper à un
déluge envoyé par Zeus à cause
des crimes des hommes. Après avoir
flotté neuf jours au gré des flots,
la nef s'arrête sur le Parnasse. Deucalion et
Pyrrha en sortent, offrent un sacrifice et
repeuplent le monde en jetant derrière eux
les os de leur mère, la terre,
c'est-à-dire des pierres qui se changent les
unes en hommes, les autres en femmes.
On retrouve des vestiges lointains du
déluge jusque chez les Celtes du Pays de
Galles, chez les Scandinaves et les
Lithuaniens.
Ces traditions sont fort
répandues en Asie, où elles offrent
beaucoup de traits communs avec la narration
biblique. Il y en a quatre principales en
Inde. Mais c'est en Babylonie
que se trouve le parallèle le plus
intéressant de notre récit, ainsi que
le prouvent les inscriptions cunéiformes du
palais d'Assurbanipal.
Ce qui est étonnant, c'est
l'existence de cette tradition chez les peuples
d'Amérique. La légende mexicaine, en
particulier, fixée par l'écriture et
par la peinture avant l'arrivée des
Européens dans le Nouveau Monde, a des
rapports frappants avec le récit
biblique.
Oui, il y a ressemblance, analogie entre
toutes ces traditions et celle que nous a
conservée la Genèse. Oui, quant au
fond, au fait lui-même ; mais quant
à la forme, quelle différence !
Une immense distance sépare ces
littératures païennes de la
littérature sacrée, qui grandit
démesurément à mesure qu'on en
fait la comparaison. Les légendes
païennes sont submergées sous des flots
d'imagination puérile, fantaisiste et
superstitieuse. L'inspiration divine éclate
au contraire dans les pages si sobres et si vraies
de la Genèse.
Leurs nombreux traits de ressemblance
permettent d'affirmer que tous ces souvenirs
doivent remonter à une source commune et
provenir d'un cataclysme qui anéantit
l'humanité au moment où elle
était encore groupée dans les plaines
de la Babylonie. Les peuples divers, en se
dispersant, ont emporté avec eux
la tradition de ce fait et,
oubliant leur patrie primitive, ils l'ont
placée dans le pays où ils se sont
fixés et ont donné peu à peu
au récit primitif une couleur locale. Mais
des modifications plus considérables encore
proviennent de l'oubli de Dieu et de la loi morale,
ce que l'on relève en particulier dans le
récit babylonien, le plus rapproché
de la relation biblique au point de vue des
circonstances extérieures, mais qui en
diffère profondément au point de vue
religieux et moral. Tandis que celle-ci est tout
imprégnée du sentiment de la grandeur
et de la justice du Dieu unique, le
polythéisme le plus complet domine le
récit babylonien, et les dieux y sont
traités avec fort peu de respect. Avant
d'agir, ils doivent commencer par s'entendre ;
puis il y a parmi eux un traître qui divulgue
leurs desseins et sauve Hasisatra à leur
insu. Après avoir
déchaîné les
éléments, ils sont impuissants
à les réprimer et fuient devant eux
de ciel en ciel pour se blottir enfin, tremblants
de peur et serrés les uns contre les autres,
« comme des chiens ». dans
l'espace le plus élevé.
La supériorité du texte
biblique saute aux yeux du lecteur le moins
impartial.
Quant à la réalité
du déluge, nul ne songe à la
contester, car elle est abondamment
confirmée par la science.
Antédiluvien et postdiluvien sont des termes
classiques, universellement admis. Qui n'a vu des
représentations d'animaux
antédiluviens, plésiosaures,
ichthyosaures,
mégalosaures, etc. ? Les
géologues affirment même que la terre
a été, une fois au moins, plusieurs
fois peut-être, recouverte en partie d'un
linceul de glace. En bien des lieux aussi abondent
les vestiges certains de cataclysmes étendus
et subits qui ont modifié
profondément le régime de vastes
contrées.
Le déluge fut-il universel ?
Les termes bibliques le donnent à entendre,
ainsi que la présence de la tradition
diluvienne en Amérique et ailleurs
encore.
Et cependant, si la science venait
à établir qu'il n'a été
que régional, cela n'infirmerait point le
récit de la Genèse. L'expression
« toute la terre » est
employée par exemple au début de
l'Évangile de saint Luc pour désigner
toutes l'étendue de l'empire romain.
L'intention divine ayant été de
détruire l'humanité, du moment
où celle-ci était parquée dans
les plaines de la Mésopotamie, l'inondation
a pu fort bien être restreinte à cette
partie du globe.
Quelles sont les causes physiques qui la
déterminèrent ?
Quarante jours de pluie
incessante ? L'esprit le moins averti comprend
que ces ondées, si abondantes et si
prolongées qu'elles fussent, n'eussent
jamais suffi à couvrir les montagnes, car...
tous les fleuves s'en vont à la mer, ainsi
que dit l'Ecclésiaste.
La Genèse du reste est assez
catégorique et complète. La pluie n'y
figure même pas au premier rang :
« Les fontaines du grand
abîme jaillirent et les écluses des
cieux s'ouvrirent et la pluie
tomba. »
Les fontaines, cela jaillit d'en bas, et
l'abîme désigne toujours les
profondeurs de la mer. C'est donc l'Océan
qui, attiré ou soulevé par une force
inconnue, fit irruption sur les continents. Ce fut
en grand ce qui se produit encore
fréquemment lors des raz de
marée ; le fond de la mer,
soulevé par un séisme, rejette ses
flots sur la terre. Le fameux raz de marée
de Corée fit deux cent mille victimes, celui
de Messine, soixante mille.
Et qui n'a remarqué la
simultanéité des
phénomènes telluriques et des
désordres atmosphériques ? Un
grand tremblement de terre coïncide
ordinairement avec de violents troubles
barométriques. Lors de la destruction de
Messine, une pluie diluvienne ne cessa de tomber
pendant plusieurs jours.
Un soulèvement du fond de
l'Océan Indien peut fort bien avoir
rejeté la mer sur la Mésopotamie, et
l'on comprend ainsi que l'arche de Noé ait
été poussée vers le nord,
jusque sur les hauts plateaux de
l'Arménie.
Une phrase typique de la légende
babylonienne donne à penser que l'on s'y
souvenait de la double origine du déluge, la
pluie et un bouleversement terrestre :
« Les archanges de l'abîme
apportèrent la
destruction ; dans leurs épouvantements
ils agitèrent la terre. »
Le fait essentiel, ce n'est pas
l'universalité de l'inondation, mais la
destruction totale du genre humain, que Dieu avait
annoncée à Noé.
« Et toute créature
périt. »
Satan avait donc triomphé et
réduit en cimetière cette terre sur
laquelle il avait déchaîné ses
puissances infernales...
Mais non, le plan divin,
bouleversé il est vrai, n'est pas
anéanti.
L'arche flotte sur les eaux, sauvant
celui dont le diable n'a pu faire sa victime :
Noé échappe au déluge.
C'est qu'un nouvel élément
de l'histoire fait ici son apparition. Les
obstacles qui se sont opposés
victorieusement à l'oeuvre de Dieu ont
déterminé en lui la manifestation
d'une disposition nouvelle. jusqu'ici il avait
déployé sa sagesse, sa puissance, sa
patience, sa sainteté.
Noé trouva grâce devant
Dieu.
La grâce divine intervient ;
elle constituera désormais la trame des
relations de Dieu avec les hommes.
Noé trouva grâce devant
Dieu, et Dieu fit alliance avec lui. Alliance dans
laquelle l'homme n'apporte que sa faiblesse et sa
foi ; dans laquelle aussi Dieu déverse
les trésors de sa bonté.
Noé signifie : repos.
À sa naissance, son père Lémec
(à ne pas confondre avec le descendant de
Caïn), s'était
écrié : « Celui-ci
nous soulagera du travail de nos mains et de la
peine que nous donne ce sol que l'Éternel a
maudit. » Ainsi, tandis que les
personnages de la race caïnite
s'étaient établis commodément
sur la terre, mettant en jeu toutes leurs
facultés pour se rendre la vie
agréable, ceux de la race de Seth cultivent
la terre de père en fils, employant leurs
facultés au service de l'Éternel,
attendant patiemment l'accomplissement de la
promesse faite au premier couple humain et
l'enlèvement de la malédiction qui
pèse sur le sol.
Noé était juste,
intègre parmi les hommes de son
temps.
Trait de lumière traversant un
tableau obscur. Juste, c'est-à-dire
accomplissant consciencieusement ses devoirs envers
Dieu et envers les hommes ; intègre,
c'est-à-dire droit, ne tolérant
aucune lacune volontaire dans cette
justice.
Il marchait avec Dieu, dans la communion
duquel il trouva la force de mener une vie si
différente de celle de ses
contemporains.
Il n'en faudrait pas conclure qu'il
fût saint, qu'il fût parfait. Il trouva
grâce aux yeux de l'Éternel.
C'est, disions-nous, le début
d'une nouvelle économie,
au terme de laquelle se réalisera pleinement
la promesse faite en Eden.
Trop convaincante, hélas !
est la preuve de la corruption
irrémédiable de l'homme et de
l'impossibilité où il est de se
régénérer par lui-même
et de réaliser sa destinée.
Avertissements, menaces, tout est en pure perte. Il
ne reste plus que le châtiment.
Mais si le châtiment frappe tous
les coupables, c'est la destruction de la race
entière.
Sans la grâce, tout est
perdu.
Noé qui n'était pas sans
tache, fut choisi comme objet de la faveur et de la
bénédiction divines. En lui la race
humaine fut sauvée et ce salut fut une
récompense non des oeuvres, mais de la foi
du patriarche.
Pendant cent vingt ans, il fut un
prédicateur de la justice. Tandis qu'autour
de lui on plantait, on bâtissait, et l'on
prenait et l'on donnait en mariage, lui, attentif
à la voix intérieure qui
l'avertissait, préparait son sauvetage et
exhortait ses contemporains.
La construction de l'arche dura
probablement autant, car c'était un navire
de dimensions colossales pour
l'époque : 150 mètres de
longueur, 25 de large et 15 de haut, et son
aménagement compliqué exigeait un
travail énorme. Un bâtiment construit
d'après ces proportions n'est pas propre
à avancer rapidement, mais des essais ont
prouvé qu'il peut supporter une charge plus
considérable qu'un vaisseau de type
ordinaire. C'est tout ce qu'il
fallait pour le but que Dieu se proposait.
L'on se représente
aisément les sarcasmes et les quolibets qui
pleuvaient sur cet homme, trop prévoyant au
gré des autres. Dans la tradition
babylonienne, on lit : « Je dis
à Ea mon Seigneur : « Le
vaisseau que tu me commandes de construire ainsi,
quand je le ferai, jeunes et vieux se riront de
moi. » Ea ouvrit sa bouche et parla
ainsi : « S'ils se moquent de toi,
tu leur diras : Sera puni de mort celui qui
m'a injurié, car la protection des dieux est
avec moi. »
De tout temps, celui qui écoute
la voix de Dieu passe pour fou aux yeux des
mondains qui le narguent.
Outre sa famille, Noé devait
donner asile à des échantillons de
tous les animaux menacés de destruction.
Mais comment donc allait-il s'y prendre pour
constituer cette étrange collection et
comment l'animal domestique subsisterait-il
à côté du
carnassier ?
Dieu avait prévu d'avance la
difficulté et l'avait enlevée de
l'esprit du Noé, en lui disant :
« Des oiseaux, des quadrupèdes et
de toutes les espèces d'animaux qui rampent
sur le sol, il en viendra vers toi deux de chaque
espèce pour que tu les conserves en
vie. »
Noé n'avait donc nullement
à se mettre en peine, ni même à
chercher ; il n'avait qu'à attendre.
L'instinct que Dieu a donné à chaque
animal, et par lequel il lui
commande, allait y suffire. Cet instinct de
conservation permet aux bêtes de pressentir
ce que l'homme ne peut prévoir, notamment la
proximité des grandes catastrophes. Les
exemples foisonnent. Des trépidations du
sol, des grondements souterrains inusités et
imperceptibles à l'oreille humaine,
jetèrent sans doute l'angoisse et la terreur
dans le monde animal. Et l'on sait comment, dans un
danger commun, les fauves perdent
momentanément leurs moeurs cruelles et leurs
appétits sanguinaires, comment aussi ils
recherchent la protection de l'homme.
Il en vint donc de toute espèce,
bénévole et tremblants, Noé
n'eut qu'à les introduire dans l'abri qu'il
leur avait préparé.
Puis, la grande épreuve
éclata. Noé l'attendait de pied
ferme, confiant dans la promesse divine
« J'établirai mon
alliance avec toi. »
Il avait recueilli des
bêtes.
Et les hommes donc, les
repousserait-il ? Il devait se demander
lui-même avec anxiété quelle
attitude il adopterait à l'égard de
ses semblables quand le fléau se
déchaînerait. Barricaderait-il sa
porte, les repousserait-il durement ?
Problème douloureux. Que
répondrait-il à ceux qui lui
crieraient : « Tu as pris sous ta
garde des animaux... Sauve-nous donc, nous des
hommes, nous tes semblables, nous tes
frères ! »
Il ne connut pas cette dure
extrémité. Non, il n'eut pas à
faire la sourde oreille, à fermer les yeux
pour ne pas voir les mères suppliantes
élever leurs enfants au-dessus des eaux
bouillonnantes et les tendre vers lui.
Dieu ferma la porte de l'arche.
Sans doute une vague subite et
puissante, une lame de fond rejetée par
l'Océan Indien, une poussée
formidable du grand abîme emporta-t-elle d'un
coup l'immense esquif dont le vent, soufflant en
tempête, ferma violemment la porte. Les
occupants de l'arche, au milieu de craquements
sinistres, furent secoués, balancés,
roulés et tangués. Les cataractes des
cieux voilèrent l'éclat du soleil,
l'obscurité régna.
Noé ne dut rien voir, rien
entendre. Dieu peut demander de grands sacrifices,
mais il n'eût pas exigé cela de son
serviteur.
Ainsi périt la première
humanité.
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