REINE
BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary
Slessor, missionnaire au
Calabar
DEUXIÈME PARTIE
Les débats au Calabar. -
Initiation.
1876-1888
CHAPITRE I
Le 5 août 1876, Mary Slessor - elle
avait alors 28 ans - s'embarqua à Liverpool,
à bord d'un vapeur portant le nom de :
Éthiopie. Deux amies l'avaient
accompagnée Jusqu'au navire. Lorsque
celui-ci eut gagné le large, Mary,
habituée aux rues étroites de Dundee,
se sentit comme une écolière en
vacances. Tout était nouveau pour
elle ; son rêve se
réalisait...
Elle se rendit bientôt utile
autour d'elle, grâce à sa
serviabilité, et se lia d'amitié avec
plusieurs des passagers et des marins de
l'équipage.
Un des passagers surtout l'attira, parce
que lui aussi passait sa vie à penser aux
autres. C'était un architecte
écossais, M. Thomson. Celui-ci était
persuadé que les missionnaires de l'Afrique
occidentale se porteraient mieux
et n'auraient pas besoin de retourner aussi souvent
en Europe, s'ils avaient à leur
portée un endroit relativement sain et
à température modérée,
où ils pourraient de temps en temps aller se
reposer. Il avait même à ce sujet
exploré toute la côte, remonté
les rivières, escaladé les montagnes,
et fini par découvrir, à plus de
1.200 mètres d'altitude, un emplacement
où il décida de bâtir une
maison de repos. Abandonnant sa position en
Écosse, il était maintenant en route,
accompagné de sa femme et de deux ouvriers,
pour mettre son projet à exécution.
Mais les voies de Dieu ne sont pas nos voies. Ces
projets si beaux, si pleins de promesses pour les
missionnaires, ne purent être
réalisés, car M. Thomson mourut peu
après avoir débarqué.
C'est par lui que Mary apprit beaucoup
de choses concernant l'étrange pays vers
lequel elle se dirigeait. Il lui raconta que ce
pays était couvert d'une épaisse
végétation, de forêts ;
que des rivières rapides aux eaux couleur de
boue y traversaient de mystérieuses
contrées dans lesquelles aucun homme blanc
n'avait encore pénétré ;
que le soleil y brûlait comme une
fournaise ; que des ouragans soudains de pluie
et de vent y soufflaient parfois, emportant les
toits des huttes et déracinant les arbres.
Il lui parla des animaux sauvages qu'il y avait
vus : hippopotames monstrueux, horribles
crocodiles, éléphants gigantesques,
léopards, serpents, etc. Il lui
décrivit aussi de ravissants oiseaux aux
couleurs splendides, qui se baignaient dans la
lumière du soleil.
UN PONT
DANS LA BROUSSE
Mary écoutait tous ces récits les
yeux brillants, le coeur ému, comme elle
écoutait autrefois les récits que
faisait sa mère au retour des
réunions missionnaires.
Après une semaine de navigation,
le vapeur traversa des régions chaudes,
« Sous un ciel
tranquille et pur »,
comme l'exprime notre cher cantique. Et
bientôt Mary, comme le reste des passagers,
dut s'efforcer de trouver des coins à
l'ombre. Elle écoutait le clapotement des
vagues, admirait les magnifiques couchers de
soleil, contemplait les paisibles étoiles.
Parfois elle voyait des poissons-volants à
la surface de l'eau ; et le soir, la proue du
navire filait comme un éclair à
travers des ondes étincelantes.
Enfin, un après-midi, les chaudes
senteurs de l'Afrique se
révélèrent tout à
coup ; l'on aperçut au loin de longues
étendues d'écume baignant des plages
solitaires, de petits ports à moitié
cachés au milieu des arbres, et Mary prit
contact, pour la première fois, avec des
indigènes : ceux-ci, menant un bruit
assourdissant, s'approchaient du navire sans
s'inquiéter le moins du monde des requins
qui abondaient dans ces eaux. Que tout paraissait
étrange à la jeune
Écossaise !
Au commencement de septembre, le vapeur
pénétra dans la rivière de
Calabar et s'avança entre des berges
couvertes de grues et de pélicans. Sur des
bancs de sable, des crocodiles se chauffaient au
soleil, et nombre de perroquets et de singes
prenaient leurs ébats dans les arbres. Le 11
septembre, le navire toucha
à Duke-Town - étrange amas de huttes
en terre glaise - qui était le lieu de
destination de Mary Slessor.
Comment dire la joie dont le coeur de la
jeune fille était plein lorsqu'elle
débarqua, pour la première fois, sur
le sol de l'Afrique ? Enfin, enfin, le
rêve de sa vie devenait
réalité ! Et pourtant il lui
semblait encore rêver, tellement tout
était extraordinaire autour d'elle.
La maison missionnaire était
bâtie au sommet de la ville et la dominait
comme un phare. Là demeuraient
« Papa » et
« Maman » Anderson, vieux
pionniers de la Mission du Calabar. C'est
auprès d'eux que Mary devait
s'établir jusqu'à ce qu'elle
fût un peu habituée au pays, aux
indigènes et au travail qui l'attendait.
Dès le début, elle se sentit
où Dieu voulait qu'elle fût ;
elle aimait le chaud soleil et ses magnifiques
couchers, les blancs clairs de lune, les fleurs
merveilleuses au milieu desquelles voltigeaient les
oiseaux-mouches et les papillons aux mille
couleurs, tout ce qu'elle voyait, tout ce qu'elle
entendait ; oh ! combien c'était
différent de ce qu'elle avait vu et entendu
dans son pays du nord !
Elle exprimait parfois son ravissement
dans des poésies que malheureusement je ne
puis traduire à votre intention ! Mais
elle l'exprimait aussi en grimpant aux arbres, en
courant avec les enfants nègres, ce qui
quelquefois choquait les autres missionnaires,
moins jeunes ou moins gais qu'elle !
On la chargea de sonner chaque matin la
cloche destinée à réveiller la
maisonnée ; mais, comme il
n'y avait plus de sifflet de
fabrique pour la réveiller elle-même,
parfois elle se levait en hâte au milieu de
la nuit, sa chambre étant
éclairée presque comme en plein
jour ; elle croyait avoir dormi trop tard, et
s'habillant prestement elle courait sonner la
cloche, mais se trouvait en présence d'un
monde plongé dans le calme de la nuit,
tandis que la lune brillait encore de tout son
éclat paisible.
Avant longtemps cependant, ce qui avait
charmé Mary à son arrivée
sembla se flétrir à ses yeux ;
la lumière, la beauté du pays, tout
disparut pour faire place à de profondes
ténèbres, à la laideur du
péché. C'est qu'elle avait
été conduite dans les huttes et les
cours indigènes, tant à Duke-Town que
dans la brousse, et que ce qu'elle y avait vu du
paganisme l'avait révoltée.
Était-il vraiment possible, se
demandait-elle, que des êtres humains fussent
à ce point malheureux, avilis et
ignorants ? Dans certains villages, des petits
enfants tout nus avaient peur d'elle et
s'enfuyaient en criant. Elle-même, au
début, reculait souvent d'horreur devant les
hommes farouches qui se pressaient autour
d'elle ; mais d'instinct elle sut s'y prendre
pour gagner leurs coeurs et fut bientôt tout
à fait à son aise avec eux.
Elle revint songeuse de cette
tournée d'inspection, le coeur bien lourd.
Elle en causa avec « Maman »
Anderson.
- Fillette, répondit celle-ci,
vous n'avez encore, rien vu. Tout autour de nous
dans la brousse, et jusque bien loin dans
l'intérieur du pays, il y a des milliers de
ces nègres. Chaque village a un chef et
quelques hommes et quelques
femmes libres, mais tout le reste de la population
est esclave ; ils peuvent être vendus,
flagellés, mis à mort, à la
volonté de leurs maîtres. Lorsque
ceux-ci les traitent avec bonté, cela va
encore ; mais vous devinez de quelle
espèce sont la plupart de ces maîtres.
Toutes les tribus sont sauvages, cruelles,
rusées, et ne passent leur temps, jour et
nuit, qu'à se faire la guerre entre elles,
à danser et à boire. Quelques-unes
sont cannibales. Leur religion c'est la peur des
esprits, religion sanguinaire, sans notion d'amour.
Lorsqu'un chef meurt, savez-vous ce qui arrive
à ses femmes et à ses esclaves ?
On leur coupe la tête, puis on les enterre
avec le chef, afin qu'ils lui tiennent compagnie
dans le monde des esprits.
Mary frissonna.
- Ce doit être terrible pour les
enfants, dit-elle.
- Terrible. Ils sont presque tous
esclaves, et ils sont regardés par leur
maître comme autant de brebis ou de
cochons ; ils constituent son bien, sa
fortune. Dès qu'ils peuvent marcher, ces
petits êtres portent des fardeaux sur leur
tête, apprennent à ramer, balaient et
nettoient les cours. Souvent ils sont battus ou
même marqués au fer rouge. Ils dorment
par terre, sans rien pour les couvrir. Quand les
petites filles deviennent grandettes, on les cache
dans un endroit appelé ufoek nlcukhoe, sorte
de maison de retraite où elles sont
engraissées de force, après quoi
elles épousent un maître dont elles
deviennent l'esclave autant que la femme. Et les
jumeaux ! Pauvres chéris ! Je ne
sais pour quelle raison, on les craint plus que la
mort et on ne leur permet pas de
vivre. Dès que des jumeaux sont nés,
on s'en débarrasse en les écrasant
dans un pot, et ils sont jetés en
pâture aux léopards. La mère
est chassée dans la brousse et doit y vivre
abandonnée de tous. Elle-même a
tellement peur des jumeaux qu'elle tuerait les
siens si personne d'autre ne le faisait.
POT DANS
LEQUEL ON METTAIT LES BÉBÉS
JUMEAUX
- Je lutterai contre cette terrible coutume, dit
Mary ; je sauverai ces petits
innocents.
Des larmes de rage et de compassion
coulaient sur ses joues.
- C'est cela, fillette, répondit
« maman » Anderson. Nous
aurions besoin de beaucoup de missionnaires qui
vous ressemblent.
- La première chose à
faire, dit résolument Mary, c'est
d'apprendre la langue à fond. Je ne pourrai
rien faire d'utile avant de la parler
parfaitement.
La langue de ces pays s'appelle, l'Efik.
Mary l'apprit si rapidement et si bien que les
indigènes, disaient :
« Elle a reçu comme
bénédiction une bouche
efik ! »
Mary se mit donc à enseigner les
petits nègres, comme jadis elle le faisait
en imagination ; seulement, cette fois-ci, les
petits nègres étaient en chair et en
os. Au début, elle n'eut que peu
d'élèves, parce que les chefs ne
voyaient pas pourquoi on instruirait les enfants.
Les plus âgés de ces
élèves ne portaient, pour tout
costume, qu'une chemise rouge ou bleue, mais les
plus petits ne portaient rien du tout, sauf leur
ardoise sur leur tête et un crayon
piqué dans leurs cheveux
crépus ! Ce petit monde aux yeux riants
et aux pieds agiles était heureux, et Mary
s'attachait à chacun de ses
élèves, surtout aux plus difficiles.
Elle allait aussi dans les cours où
demeuraient ces enfants ; elle parlait de
Jésus à leurs pères et
à leurs mères et demandait instamment
à ceux-ci de venir à l'église
de la Mission.
Après trois ans de séjour
au Calabar, - trois ans de travail ardu, - Mary
Slessor tomba malade. Le climat était fort
malsain, malgré la beauté du pays.
Elle prit la fièvre et fut à la mort.
Un des symptômes de sa maladie était
un intense mal du pays - elle soupirait
après l'Écosse, après sa
mère et ses amies. Or, pour ce
mal-là, il n'y a qu'un remède. le
retour chez soi. En 1879 donc, Mary, trop faible
pour marcher, fut portée à bord d'un
paquebot qui la ramena en Écosse.
Le climat de sa patrie et les tendres
soins de sa mère eurent bientôt fait
de lui rendre la santé, et, en octobre 1880,
elle était de retour au Calabar.
À sa grande joie, elle obtint ce
qu'elle avait demandé à la
Société des Missions, à savoir
de quitter Dake-Town pour aller à Old-Town,
en amont sur la rivière, ville
renommée pour sa perversité. On l'y
chargeait de toute l'oeuvre missionnaire. Elle
pouvait agir à son idée, vivre
à sa guise, et elle décida tout de
suite d'en profiter pour faire le plus
d'économies possible, afin d'envoyer une
plus grande partie de son traitement à sa
mère.
Personne ne savait pourquoi elle
habitait une butte faite de terre glaise et de
bambou et au toit de palmes, pourquoi elle
était pauvrement vêtue, pourquoi elle
se contentait de la nourriture indigène.
Quelques personnes s'en étonnèrent,
mais Mary ne fit pas attention aux critiques des
uns ou des autres.
Parler de Christ et de son amour
était ce qu'elle aimait par-dessus tout.
À chaque personne qui venait chez elle, ne
fût-ce que par curiosité, pour voir ce
qu'était une femme blanche, elle parlait du
Sauveur. Le dimanche elle partait de bonne heure
pour Qua, village des environs, et lorsqu'elle y
arrivait, deux garçons sonnaient une cloche
suspendue à un bâton, et convoquaient
ainsi les gens au service. Un des chefs arrangeait
les bancs et faisait asseoir l'auditoire, qui
comptait habituellement de quatre-vingts à
cent personnes. De là, Mary se rendait
à un autre village appelé Akim, ou
à un autre encore appelé Ikot-Ansa,
et y tenait un culte analogue au premier. Chemin
faisant, elle allait voir les malades, entrait dans
les huttes, causait avec le chef et ses sujets, et
avec tous elle priait. Vers midi
elle était de retour à Old-Town, et y
dirigeait, l'après-midi, une nombreuse
école du dimanche. Le soir avait lieu le
service de l'église, auquel assistait
presque tout le monde et qui se
célébrait dans la cour du chef. Sur
une table recouverte d'une nappe blanche
étaient placées une Bible et une
lampe primitive. Après le service tous
échangeaient un cordial
« bonsoir », et Mary
était escortée chez elle par des
indigènes dont chacun portait une
lanterne.
Mary Slessor devint bientôt une
véritable puissance dans le pays et son
influence se fit partout sentir.
Les indigènes de Old-Town,
égoïstes et avares, ne voulaient pas
autoriser les tribus de l'intérieur à
passer par la ville pour aller vendre à la
côte leurs denrées, en particulier
l'huile de palme ; de là de nombreuses
querelles, voire même des escarmouches dans
lesquelles le sang avait coulé.
« Impossible de continuer dans
ces mêmes errements », se dit Mary,
et de sa propre autorité elle permit aux
gens qui venaient de l'intérieur de
traverser le terrain qui appartenait à la
Mission. Elle-même les conduisait
jusqu'à la plage. Comme on pouvait s'y
attendre, les hommes de la ville se
fâchèrent ; mais ils
n'arrivèrent pas à déconcerter
la brave missionnaire. Petit à petit, ils se
laissèrent fléchir par elle, et le
commerce se fit librement et ouvertement.
Après quoi, Mary se mit à
combattre la terrible coutume indigène de
tuer les jumeaux nouveau-nés. On finit
même par l'appeler : « La Ma
qui aime les
bébés ».
« Ma », dans la langue Efik,
est un titre de respect donné à
certaines femmes, et à partir de ce moment,
Mary Slessor fut connue des noirs et des blancs
sous le nom de « Ma Slessor »,
ou « Ma Akamba », ce qui
signifie « la grande Ma », ou
simplement "Ma". C'est ainsi que nous la
désignerons désormais.
Un jour, un jeune commerçant
Écossais, nommé Owen, vint à
elle portant dans ses bras un bébé
nègre.
« Voilà ce que j'ai
trouvé dans la brousse ; dit-il. C'est
une jumelle, l'autre a été
tuée. Celle-ci serait morte si je ne l'avais
pas ramassée. Je savais que vous aimeriez
l'avoir, alors, tenez ! »
Ma remercia vivement le jeune homme et
prit l'enfant, « Je l'appellerai Janie,
dit-elle, du nom de ma soeur ».
Janie grandit, devint une petite fille
intelligente et attrayante, et s'empara de plus en
plus du coeur de sa maman d'adoption.
Combien d'autres jumeaux Ma eut autour
d'elle, d'année en
année !
Il existait dans la contrée une
société secrète fort
puissante, appelée Egbo, et qui en
réalité gouvernait tout. Ceux qui en
faisait partie envoyaient dans le pays des hommes
masqués et étrangement
déguisés, appelés coureurs,
porteurs de fouets et de tambours. Quand ces hommes
apparaissaient, les femmes et les enfants devaient
se cacher, autrement tous étaient battus.
Or, un jour, Ma apprit, et avec quelle joie, que le
consul britannique et les missionnaires avaient
obtenu des chefs qu'ils fissent
des lois pour défendre de tuer les
bébés jumeaux et que ces lois
allaient être proclamées dans les
villages par la société d'Egbo. Voici
comment elle raconta, en écrivant aux
élèves d'une école du dimanche
de Dundee, ce qui se passa à cette
occasion :
« Comme j'étais assise
un soir sur la véranda, causant avec les
enfants, nous entendîmes tout d'un coup des
roulements de tambour et des chants. Le bruit se
rapprocha de plus en plus. C'était
étrange, parce qu'ici nul n'a le droit
d'entrer sur le terrain où notre maison
missionnaire est construite. Prenant par la main
mes tout petits garçons jumeaux, je courus
à la palissade, et devinez un peu ce que je
vis ! Une foule d'hommes, arrêtés
devant la palissade et qui chantaient en
balançant drôlement leurs corps. Ils
annonçaient qu'à l'avenir tous les
jumeaux et les mamans des jumeaux pourraient
demeurer dans la ville, et que quiconque les
tuerait ou leur ferait du mal serait pendu. Si vous
aviez pu entendre les mères des petits
jumeaux qui étaient avec moi ! Elles
riaient, tapaient des mains et criaient :
« Sosôno !
Sosôno ! » Merci !
Merci ! Vous ne serez pas
étonnés de savoir qu'au milieu de
tout ce bruit je me détournai pour verser
des larmes de joie et de reconnaissance. Quel beau
jour pour le Calabar !
« Un peu plus tard, des
traités furent signés et, en
même temps, un nouveau roi fût
couronné. Imaginez-vous que sur l'estrade,
pendant la cérémonie, bien en vue de
tout le peuple, étaient assises des
mères de petits jumeaux. Pareille chose ne
s'était encore jamais vue.
« Quelle scène que
cette cérémonie ! Comment vous
la décrire ? Il y avait là des
milliers d'Africains, chacun possesseur d'une voix
égale en volume aux voix de dix hommes de
chez nous, et tous parlaient aussi fort que
possible. Les femmes faisaient plus de bruit
encore. Je demandai à un des chefs de faire
cesser le tapage. « Ma, dit-il, comment
moi pouvoir fermer bouches
femmes ? » Le consul déclara
qu'il fallait absolument qu'on fît silence
pendant la lecture des traités, mais le roi
répondit, d'un ton
désespéré :
« Comment moi faire ? C'est des
femmes ; mieux les renvoyer ». Et
plusieurs furent en effet renvoyées.
« Et les toilettes,
donc ! J'en dirai ce que quelqu'un disait
jadis d'un chapeau que je garnissais,
c'était « renversant ».
Les femmes portaient des vêtements en soie et
en satin de couleur cramoisie et étaient
couvertes de broches, de pendants d'oreilles,
d'ornements de toutes sortes. Les hommes avaient
endossé des habits, genre uniforme, garnis
de dentelles d'or et d'argent, et étaient
affublés de chapeaux énormes,
resplendissants de bijoux et de plumes de toutes
couleurs. Plusieurs de ces corps noirs
disparaissaient sous les plis de lourds damas et
même sous des tapis de table rouges et verts,
brodés d'or et d'argent. Les hommes avaient
encerclé leurs jambes de cuivre, de perles
et de petites clochettes invisibles qui tintaient
tout le temps.
« Les membres de la
société d'Egbo étaient
superbes; quelques-uns avaient des tricornes
ornés de longues plumes pendantes; d'autres,
des couronnes, d'autres encore
des masques d'animaux à cornes ; et
tous portaient un nombre incalculable de jupons,
avec des traînes d'un mètre ou deux de
longueur, au bout desquelles était
attachée une petite touffe de
plumes.
« Toute cette splendeur, c'est
de la barbarie ; mais c'est imposant quand
même, vu dans son cadre.
« Eh bien ! les gens ont
convenu d'abandonner beaucoup des coutumes
mauvaises qui avaient empêché
l'Évangile de faire son oeuvre.
Rappelez-vous que tout cela est le résultat
des longs et fidèles efforts de ceux qui ont
ici prêché la Parole de Dieu. C'est
cet enseignement qui apprend au peuple comment il
faut se conduire.
« Maintenant j'ai
sommeil ; adieu. Que Dieu nous rende tous plus
dignes de ce qu'il a fait pour nous ».
|