REINE
BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary
Slessor, missionnaire au
Calabar
TROISIÈME PARTIE
La Conquête de l'Okoyong
1881-1902.
CHAPITRE I
Depuis deux ans déjà, Mary
Slessor sollicitait de la Société des
Missions l'autorisation d'avancer encore plus loin
dans l'intérieur du pays. Mais jusque
là ses collègues avaient obtenu qu'on
l'en empêchât, à cause des
dangers auxquels elle aurait été
exposée.
La région dans laquelle Ma
désirait se rendre n'était
habitée par aucun blanc ; les quelques
missionnaires qui avaient tenté de s'y
établir en avaient été
promptement chassés, après avoir
couru grand risque d'être mangés par
les indigènes. C'était une
région de vastes forêts et de
rivières, dont les habitants vivaient
plutôt comme des bêtes sauvages que
comme des êtres humains. On y commettait les
plus terribles crimes du paganisme sans que
personne s'en mît en peine.
« Alors, pensa Ma, c'est
là aussi qu'il y a une oeuvre immense
à faire pour Jésus. Oh ! si
seulement je pouvais aller au milieu de ce peuple,
lutter contre ces affreuses coutumes jusqu'à
ce qu'elles soient
abolies ! »
Une partie de ce pays, au nord de Creek
Town, située entre deux rivières et
appelée Okoyong, avait une triste
renommée. La tribu qui l'habitait,
puissante, orgueilleuse, guerrière,
était la terreur de ses voisins. Pas un
homme, pas une femme, pas un enfant même, qui
ne portât des armes ; la nuit chacun
dormait avec son fusil et son glaive à ses
côtés. Pendant la journée des
bandes rôdaient le long des chemins de la
forêt, et malheur à qui se trouvait
sur leur route ! Il était
attaqué, fait prisonnier, vendu comme
esclave, ou envoyé au loin pour servir de
pâture aux cannibales. Ces gens
détestaient cordialement les habitants de la
côte.
Ma savait tout cela. Et c'était
précisément à cause de tout
cela qu'elle demandait si ardemment à ceux
qui dirigeaient la mission à Duke Town de
lui permettre de pénétrer dans ce
pays.
- Je n'ai pas peur, disait-elle, et il
n'y a plus personne de ma famille pour
s'inquiéter à mon sujet.
- Non, non ; c'est encore trop
dangereux d'aller là-bas, lui
répondait-on.
Et les commerçants, ses amis, lui
disaient : « Ce qu'il faut à
ces gens-là, Ma, en fait de missionnaire,
c'est un consul et une
canonnière ».
N'importe, Ma tint bon et prit patience.
Souvent ainsi Dieu astreint ses
serviteurs à une certaine tâche, alors
qu'eux-mêmes en choisiraient une autre. Il
sait ce qui est bon pour eux : il ne se trompe
pas. C'est dans la patience et la confiance qu'il
faut attendre le moment qu'il a lui-même
choisi. C'est ce que fit Mary Slessor.
La voyant si persuadée que Dieu
l'appelait en Okoyong, on l'autorisa enfin à
faire les démarches nécessaires pour
s'assurer qu'elle y serait bien reçue.
À trois reprises, Ma, accompagnée de
quelques missionnaires, se rendit dans le
pays ; mais elle y rencontra une grande
hostilité.
« Nous ne voulons pas de
missionnaires, ni hommes, ni femmes »,
dirent les gens.
Que faire ? Renoncer à
apporter l'Évangile de Jésus-Christ
à ces païens ? Laisser la victoire
à Satan ? Jamais ! Les disciples
du Sauveur, comme leur Maître, se tiennent
à la porte, et frappent jusqu'à ce
qu'on leur ouvre.
Au bout d'un an de démarches
infructueuses, Ma se dit : « J'irai
seule voir ce qu'il en est ».
En juin 1888, par une chaude
journée, elle partit à bord de la
pirogue du roi Eyo, prêtée pour la
circonstance, et remonta la rivière Calabar.
Une scène de toute beauté se
déroulait sous ses yeux : les eaux
paisibles étincelaient aux rayons du soleil,
les rives étaient couvertes de cotonniers,
de bananiers, de palmiers ; de brillants
oiseaux et des papillons aux mille couleurs
voltigeaient en tous sens. On n'entendait que le
bruit régulier des rames, et les voix des
rameurs qui improvisaient des chants en l'honneur
de leur Ma.
Celle-ci se mit à songer à
ce qui l'attendait dans ce pays inconnu vers lequel
elle voguait, aux dangers de la forêt,
à la colère que manifesteraient les
sanguinaires habitants de l'Okoyong. Avait-elle eu
tort de s'aventurer ainsi toute
seule ?
« Commençons par une
tasse de thé, pour nous éclaircir les
idées », dit-elle. Et elle voulut
allumer le petit poêle de la pirogue, mais
découvrit qu'on avait oublié
d'emporter des allumettes ! Heureusement, on
approchait d'une ferme dont Ma connaissait le
propriétaire, homme important de la
contrée. La pirogue aborda ; Ma
descendit à terre, alla à la
recherche d'allumettes, et s'en procura. La pirogue
aussitôt se remit en route.
Lorsque le thé fut prêt, Ma
ouvrit une boîte de conserves, se tailla, une
belle tranche de pain, et dit :
- Fais-moi passer une tasse, s'il te
plaît.
- Une tasse ? répondit le
garçon auquel elle s'adressait. Il n'y a pas
de tasse ; je l'ai oubliée, Ma.
- Quel ennui ! Comment vais-je m'en
tirer ?
- Je laverai la boîte de
conserves, Ma.
- Bonne idée ! Se servir de
ce qu'on a est le meilleur moyen de ne jamais
être à court.
Mais... la boîte de fer blanc
s'échappa des mains du bonhomme, et tomba au
fond de la rivière.
Ma poussa un soupir ; puis,
philosophiquement, elle versa son thé dans
une soucoupe !
De coup de rame en coup de rame on
approchait du but.
Timide comme elle l'était, elle
avait peur quand elle se trouvait
dans une foule en Écosse !
- Qu'est-ce donc qui donnait à Ma
le courage de s'avancer ainsi, seule, dans des
régions inconnues, pour se trouver
bientôt face à face avec des
sauvages ? C'était sa foi en Dieu.
Convaincue que Dieu l'appelait à ce nouveau
champ de travail, elle était
également sûre qu'il y veillerait sur
elle. Jamais elle ne portait d'armes d'aucune
sorte. David, pour vaincre Goliath, n'avait fait
usage que de sa fronde et d'une pierre ; Ma
allait maintenant au-devant d'un autre
géant, n'ayant, pour l'aider dans le combat,
que son joyeux visage et un coeur débordant
d'amour et de sympathie. Comme Jésus, elle
faisait face à l'ennemi revêtue de la
puissance du Saint-Esprit.
Les rameurs débarquèrent
Ma sur une étroite plage ; le coeur lui
battait bien fort ; elle traversa seule la
forêt ; et, après avoir fait six
kilomètres, elle atteignit un village aux
huttes de terre, nommé Ekenge.
Aussitôt qu'on l'aperçut,
des cris se firent entendre : « Ma
est arrivée ! Ma est
arrivée ! » Et bientôt
elle fut entourée d'une foule bruyante.
À sa grande surprise, tous avaient l'air
content de la voir.
« C'est brave d'être
venue toute seule, lui dit-on ; vous avez bien
fait. »
Le chef, appelé Edem,
était sobre ce jour-là, et il ne
voulut pas permettre à Ma d'aller au village
voisin, où tous étaient ivres et
pourraient la maltraiter. Ma passa donc la nuit
à Ekenge.
CARTE DE
LA MISSION DU CALABAR ET DES PAYS VOISINS
« J'ai appris à ne pas
être très difficile quant à mon
lit, raconta-t-elle plus tard à une
amie ; mais quand je me vis
étendue sur quelques sales morceaux de bois
recouverts de sales copeaux, en compagnie de rats,
d'insectes, de plus d'une douzaine de
chèvres, de moutons, de vaches,
d'innombrables chiens, et
par-dessus le marché de trois femmes et d'un
bébé nouveau-né, vous ne vous
étonnerez pas que je n'aie guère
fermé l'oeil ! Mais, au fin fond de mon
coeur, la nuit a été bonne et
paisible, »
Avant de se coucher elle avait
réuni autour d'elle les garçons de la
suite du roi, et avait fait avec eux le culte du
soir, en présence de la foule
assemblée. Les garçons
répétèrent à
l'unisson : « Dieu a tellement
aimé le monde qu'il a donné son fils
unique, afin que quiconque croit en lui ne
périsse point, mais qu'il ait la vie
éternelle. »
Le lendemain, Ma reçut les chefs
de la contrée, et tint un palabre. Le charme
de sa personne, sa franchise, son
intrépidité, eurent bientôt
fait de lui gagner les coeurs de ces sauvages. Ils
s'engagèrent à lui donner un terrain
pour y bâtir une église et une
école, tant à Ekenge qu'à
lfako, à quelques kilomètres plus
loin. A la demande de Ma ils promirent aussi que,
lorsque les bâtiments de la Mission seraient
achevés, ils serviraient de lieu de refuge
à tous les accusés jusqu'à ce
que leur cause fût jugée.
Joyeuse, émue, reconnaissante, Ma
traversa de nouveau la forêt par la pluie
battante, et retrouva sa pirogue sur la plage. L'on
se mit en route pour le voyage de retour. Mais la
marée était contraire, et il fallut
s'arrêter pendant une couple d'heures dans
une petite anse, après avoir attaché
la pirogue à un arbre. Ma, fatiguée,
ayant très froid, observait les crabes qui
se battaient dans la vase, mais elle n'osait pas
dormir, pour le cas ou quelque
crocodile ou serpent jugerait à propos
d'attaquer la frêle embarcation. Elle
entendait les rameurs se dire tout doucement les
uns aux autres : « Chut !
laissons Ma dormir ! » ou
encore : « Ne secouez pas la pirogue
de peur de réveiller
Ma ! »
Comme ils l'aimaient, leur Ma, ces rudes
fils de l'Afrique !
Lorsqu'on partit de nouveau, Ma
s'endormit, et ne se réveilla qu'en
approchant de Creek Town, dont les lumières
brillaient dans la nuit.
Deux mois plus tard, tous ses
préparatifs achevés, Ma était
prête à aller s'établir pour de
bon dans l'Okoyong. Une dernière fois on
essaya de la dissuader de son projet.
À quoi bon aller
là-bas ? Croyez-vous donc que ces gens
vous écouteront ? » disait
l'un.
« Est-ce que vous vous
imaginez qu'à cause de vous ils mettront de
côté leurs armes ? »
demandait un autre.
« Plus jamais nous ne vous
reverrons. »
« Vous serez
massacrée. » Et ainsi de
suite.
Étrange façon de donner du
courage à quelqu'un qui en avait tant
besoin !
Ma se contentait de sourire. Elle savait
bien que Jésus l'accompagnerait et qu'avec
lui elle n'avait rien à craindre.
À ses amis d'Écosse elle
écrivait : « Je vais aller
vivre au milieu d'une nouvelle tribu, tout à
fait à l'intérieur du pays. C'est une
tribu féroce et cruelle, et tout le monde me
dit que les indigènes me tueront. Mais je ne
crains rien. Seulement je me rends bien compte
qu'il me faudra du courage et de
la fermeté pour lutter contre toutes leurs
coutumes sauvages ».
Le départ fut fixé au 3
août (1888). Il plut à verse toute la
nuit précédente. Ma pensait à
trop de choses pour pouvoir dormir, et, dès
qu'elle entendit arriver les hommes qui devaient
porter les bagages à la pirogue, elle se
leva. La pluie continuait à tomber à
torrents ; les porteurs, de fort mauvaise
humeur, grognaient et se disputaient entre eux, et
Ma, après sa nuit sans sommeil, était
fatiguée et triste. Heureusement pour elle,
le bon roi Eyo fut bientôt sur les lieux, et
se chargea de diriger les préparatifs.
Voyant combien Ma était émue, il
s'assit à côté d'elle,
l'encouragea de son mieux et lui promit d'envoyer
de temps en temps, en secret, des messagers pour
savoir comment elle allait, comment les choses
marchaient, etc. Il ajouta qu'elle-même, de
son côté, devait s'adresser à
lui si elle avait besoin d'aide. Ma, de nouveau
pleine de courage, s'embarqua, accompagnée
de sa suite de cinq enfants. Les adieux avaient
été pénibles, et
s'étaient faits au bruit de
sanglots.
« Adieu !
adieu ! » cria Ma une
dernière fois, comme la pirogue gagnait le
large et disparaissait dans la brume et la
pluie.
Lorsqu'on aborda sur la plage boueuse,
il faisait nuit noire : les nuages cachaient
les étoiles. Ma descendit de la pirogue, et,
contemplant la forêt qu'il fallait maintenant
traverser, songeant au long trajet à faire
à pied avec ses petits, et au but final de
tant d'efforts, soudain, le coeur lui manqua. Qui
sait ? Elle allait
peut-être se perdre dans la
forêt ? Ou bien elle y rencontrerait des
bêtes féroces ? Qui sait
encore ? Peut-être que les
indigènes seraient ivres et refuseraient de
la recevoir ? Oh ! que de terreurs
peuplèrent son imagination ! Ce fut en
pensant à Jésus et à ce qu'il
avait fait pour elle qu'elle sentit les forces et
l'énergie lui revenir. Jésus, lui,
n'avait jamais reculé ; calme, et en
pleine possession de lui-même, il
s'était avancé vers la Croix. Ma,
revenue de sa faiblesse d'un instant, réunit
les enfants, et, avec eux, résolument
plongea dans les sombres profondeurs de la
forêt.
Quelle étrange procession !
L'aîné des garçons,
âgé de onze ans, ouvrait la marche,
portant sur sa tête une boîte qui
contenait du pain, du thé et du sucre ;
après lui venait un garçonnet de huit
ans chargé d'une bouillotte et de plusieurs
pots, suivi à son tour par un tout petit de
trois ans qui trottinait de son mieux, mais en
pleurant comme si son coeur allait se briser !
Janie venait après lui, sanglotant, elle
aussi, à fendre l'âme. Ma, la maman
blanche de tout ce petit monde noir, fermait la
marche, portant sur son épaule le
bébé Annie, petite fille née
en esclavage. Elle chantait en marchant pour
encourager les enfants ; mais quelque chose la
prenait parfois à la gorge, lorsque
retentissait le cri d'un vampire, ou qu'elle
entendait, tout près, les pas furtifs ou les
sourds grognements d'animaux sauvages.
Effleurant des branches ruisselantes de
pluie, trébuchant dans la boue noire et
glissante, misérable,
éreinté, affamé, ce bizarre
cortège arriva enfin à
Ekenge.
Mais tout y était
étrangement tranquille. Personne pour leur
souhaiter la bienvenue...
« C'est singulier »,
pensa Ma, qui savait que les réceptions sont
toujours bruyantes dans ces villages païens.
Elle appela à haute voix et deux, esclaves
apparurent.
- Où est le chef ? Où
sont les gens ? demanda-t-elle.
- Tout le monde est parti pour lfako, le
village voisin, pour assister à la
fête d'un mort.
- Alors apportez-moi du feu et de
l'eau.
Vite elle fit du thé pour les
enfants, les déshabilla, et les coucha
pêle-mêle dans un coin. Après
quoi elle s'assit, toujours avec ses
vêtements trempés, et attendit
patiemment les porteurs qui devaient arriver avec
les caisses contenant vêtements de rechange,
nourriture, etc. Hélas ! au lieu de
porteurs, ce fut un messager qui finit par se
présenter devant elle, l'informant que les
porteurs se déclaraient trop
éreintés pour apporter quoi que ce
fût avant le lendemain.
« Les
paresseux ! » s'écria-t-elle.
Ils avaient compté sans leur
hôte ! Lasse comme elle l'était,
d'un bond Ma fut debout, et, nu-tête,
nu-pieds, elle s'enfonça de nouveau dans la
forêt pour retourner à la
rivière. À peine avait-elle fait
quelques pas en courant qu'elle entendit quelqu'un
courir derrière elle. Elle s'arrêta
brusquement.
« Ma !
Ma ! » appelait une voix.
C'était le messager de tout-à-l'heure
qui offrait de lui tenir
compagnie, ce qu'elle accepta de
bon coeur. Ils se mirent à courir
ensemble ; souvent ils trébuchaient,
parfois ils tombaient, ou encore ils se heurtaient
contre un arbre. À plusieurs reprises ils
s'arrêtèrent en tremblant, car un cri
tout près d'eux leur avait
révélé la présence
d'une bête fauve.
Ils atteignirent la berge. Ma alla droit
à la pirogue, et, soulevant la bâche,
elle réveilla les dormeurs. Ceux-ci ne se
gênèrent pas pour témoigner de
leur mécontentement ! N'empêche
que ces hommes rudes ne purent résister
à Ma : chargeant les colis sur leurs
têtes, ils se mirent en route, à la
file indienne, pour Ekenge. Ma les suivait, faisant
ainsi le même fatigant trajet pour la
troisième fois dans la même
demi-journée. Les colis furent
déposés dans la hutte qu'Edem, le
chef, avait donnée à Ma ; ils
remplissaient cette hutte, même
empilés les uns sur les autres. Il
était plus de minuit lorsque Ma put enfin
s'étendre sur ses colis et s'y endormir d'un
profond sommeil.
Oh ! cette hutte I.. Petite, sale, aux
murs de terre glaise, sans fenêtres, et un
trou en guise de porte ! Elle était
située dans la cour réservée
aux femmes du chef. Le premier soin de Ma fut de
faire une lessive en règle des murs et du
sol, puis elle fit mettre une porte devant le trou
béant, fit percer l'emplacement d'une
fenêtre et y suspendit des dessus de lits en
guise de rideaux pour se protéger des
regards indiscrets. Après quoi elle fit
déblayer une partie du terrain qu'on lui,
avait donné, et l'entoura d'une
palissade.
Tous ces divers arrangements
étaient terminés
lorsque le chef et sa suite
revinrent de la fête d'Ifako. Ils
souhaitèrent bruyamment la bienvenue
à Ma, car c'était un grand honneur
d'avoir parmi eux une femme blanche ; mais
quant à changer, à cause d'elle,
leurs habitudes et leurs coutumes, ils n'y
pensaient guère. Jour et nuit ils buvaient
du rhum et de l'eau-de-vie, dansaient, offraient
des sacrifices à leurs dieux, qu'ils
appelaient « jujus ». Parfois
le tapage était tel que Ma ne pouvait fermer
l'oeil de la nuit. La cour était pleine de
femmes à demi-vêtues qui grondaient et
se disputaient. Quelques-unes d'entre elles,
méchantes, remplies de haine contre Ma
étaient résolues à obliger
celle-ci à quitter le pays. Cependant l'une
de ces femmes, soeur du chef et nommée
Emé Eté, se fit au contraire l'amie
de Ma à qui elle raconta un jour sa triste
histoire.
Voici cette histoire.
Emé Eté avait
épousé un chef qui l'avait
très maltraitée ; lorsque ce
chef mourut, on déclara que c'était
la faute de l'une ou l'autre de ses femmes. Toutes
furent arrêtées et amenées
devant les juges. Étrange la façon
dont ces juges décidaient de l'innocence ou
de la culpabilité des accusées !
À mesure que chacune des femmes du chef
s'avançait, on coupait la tête
à une poule, et, suivant la manière
dont le corps de la pauvre poule tombait à
terre, on disait : « Cette femme est
innocente », ou : « Cette
femme est coupable ». Lorsque vint son
tour, Emé Eté tremblait de frayeur.
Elle fut déclarée innocente, et
s'évanouit.
Grande, large de corps, Emé
Eté était large aussi
de coeur. Lorsqu'elle eut
décidé de traiter Ma en amie, elle se
conduisit envers elle comme aurait pu le faire une
amie intime à la peau blanche ! Elle
veilla sur sa sûreté, l'entoura de
soins attentifs et affectueux, l'accompagna
à ses réunions et l'aida dans son
travail. Et Ma lui rendit son affection. Mais,
malgré tout cela, Emé Eté
resta païenne jusqu'à la fin de sa
vie ! Elle qui désirait voir les gens
abandonner leurs habitudes païennes
n'abandonna jamais les siennes, et continua
à sacrifier aux idoles.
Ce fut pour Ma un douloureux
mystère, car, de toutes les femmes
indigènes qu'elle rencontra pendant sa vie,
aucune ne lui prit le coeur comme Emé
Eté.
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