Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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REINE BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary Slessor, missionnaire au Calabar



TROISIÈME PARTIE

La Conquête de l'Okoyong
1881-1902.

CHAPITRE II

 C'est au sujet d'un petit enfant que commença vraiment l'oeuvre de Ma dans l'Okoyong. On lui apporta un bébé nouveau-né, une petite fille dont la mère venait de mourir en apprenant que son mari avait été décapité dans une lutte entre deux tribus rivales. On avait nourri le bébé avec de l'eau, de l'huile de palme et du jus de canne à sucre ; lorsqu'on le remit aux mains de Ma, il ressemblait plutôt à un poulet à demi bouilli qu'à un être humain ; à sa vue, tout le monde éclatait de rire ! Ma s'occupa tendrement de cette toute petite ; elle l'avait toujours dans ses bras ou sur ses genoux, malgré les sourires amusés des gens, et la vieille grand'mère du bébé vint la bénir, dans sa reconnaissance. La petite fit quelques progrès, prit une apparence presque humaine, et Ma espéra la sauver, mais elle mourut peu après.

Les indigènes enterraient n'importe comment les corps des enfants, tantôt dans la terre près de leurs huttes, tantôt sous les haies au bord du chemin. Ma enveloppa de vêtements blancs le petit cadavre, le coucha dans une boîte et le couvrit de fleurs. Et la boîte fut déposée dans une petite tombe creusée dans la cour. Debout à côté de la tombe, Ma pria. Accroupie à ses pieds, la pauvre grand'maman sanglotait. Au loin se tenait la foule, curieuse et moqueuse. Entre eux les gens se disaient, en voyant la boîte qui leur aurait été utile : « À quoi bon cette perte ? » Et quelques femmes dirent à Ma : « Mais à quoi bon tant d'embarras ? Qu'est-ce qu'un enfant mort ! Vous trouverez d'autres enfants par centaines ».
Mais l'oeuvre était commencée.

Dans la cour de Ma, vous auriez toujours trouvé d'autres enfants que ceux qui étaient reconnus comme « siens ». Ma aimait les enfants. Pourtant, ceux-là n'étaient pas aimables : ils volaient, ils mentaient, ils donnaient du fil à retordre à tout le monde. « Que faire de tous ces petiots ? » se demandait Ma en soupirant. Mais elle se rappelait que Jésus avait dit : « Laissez venir à moi les petits enfants ». Alors elle rassemblait autour d'elle son troupeau, prenait dans ses bras les tout petits, faisait des vêtements pour tous, et enseignait à chacun à être propre, docile et sage. Naturellement aucun de ces enfants ne savait ni lire ni écrire. D'ailleurs, les gens plus âgés n'étaient pas plus avancés, en sorte que Ma organisa partout des écoles, qui, se tenaient en plein air, à l'ombre des arbres de la forêt. Au début tout le monde assista aux leçons, même les hommes et les femmes aux cheveux blancs. Tous apprirent leur alphabet en efik, et s'exercèrent à chanter les cantiques que Ma leur enseigna. Les oiseaux magnifiques qui volaient au-dessus de ces écoliers durent être bien étonnés d'entendre autre chose que les cris sauvages des chants guerriers. Et le soir, les étoiles scintillantes contemplaient au-dessous d'elles, non plus une foule tapageuse de gens ivres, mais une assemblée paisible à laquelle une femme blanche, debout, parlait en accents doux et graves des choses saintes.

Cependant, lorsque Ma voulut s'attaquer aux coutumes païennes du pays, les gens ne l'écoutèrent plus. « Ma, dirent-ils, nous t'aimons, et nous voulons bien apprendre à lire, et porter des vêtements pour te faire plaisir. Mais abandonner nos vieilles coutumes et nos rites, jamais ! » « C'est ce que nous verrons », répondit Ma d'un ton déterminé.
Donc, la bataille était engagée.

À la première attaque Ma fut vaincue, parce qu'elle ne s'était pas rendu compte de ce qui se passait. Un jeune garçon avait été accusé d'une faute quelconque. Ma le vit debout, chargé de chaînes, les bras étendus devant un pot d'huile bouillante. Un homme prit une grande cuillère, la plongea dans le liquide, et la vida sur les mains du jeune garçon. Ma, comprenant enfin les choses, s'élança vers le groupe, mais arriva trop tard. La victime se roulait par terre, hurlant de douleur. On expliqua à Ma que l'on venait, de s'assurer que ce jeune garçon était coupable de ce dont on l'accusait ! « S'il avait été innocent, lui dit-on, il n'aurait pas souffert. »

Ma se fâcha pour de bon. « Oh ! que vous êtes donc stupides ! s'écria-t-elle. Traité de la sorte, n'importe qui souffrirait. Permettez-moi donc de vous en faire autant », dit-elle à celui qui tenait encore la cuillère. Mais celui-ci s'enfuit, au milieu des éclats de rire des assistants.

Instruite par l'expérience, Ma sut maintenant à quoi s'en tenir, et, lorsqu'un esclave fut, à quelque temps de là, condamné à mort pour avoir, disait-on, usé de sorcellerie, sachant qu'il était innocent, elle se plaça à côté du condamné et fit face aux guerriers armés.
- Cet homme n'a rien fait de mal, leur dit-elle, vous ne le mettrez pas à mort.
- Oh ! répondirent-ils, inutile de le défendre nous l'avons condamné, il mourra.
- Écoutez-moi, répliqua Ma, essayant de raisonner avec ces sauvages qui s'approchaient d'elle en brandissant leurs fusils, en criant et en hurlant.

UN CHEF INDIGÈNE EN GRAND APPARAT

Elle leur tint tête, comme elle avait jadis tenu tête aux gamins de Dundee. Elle était pâle, mais calme et sans frayeur. Plus les gens s'excitaient, se fâchaient, la menaçaient, et plus elle restait maîtresse d'elle-même. Était-ce son merveilleux courage, qui ne l'abandonna pas, même lorsque le glaive étincelait au-dessus de sa tête ? était-ce l'étrange éclair qui brillait dans ses yeux, qui dompta et tranquillisa ces sauvages ? Toujours est-il que peu à peu le bruit se calma, puis cessa tout à fait. Les chefs accordèrent que, pour l'amour de Ma, ils ne tueraient pas le condamné. Ils se contentèrent de le charger de lourdes chaînes et le fouettèrent jusqu'à ce qu'il ne fût plus qu'une masse sanglante. Ma se dit que son intervention n'avait guère été utile ! C'était cependant un commencement.

La réputation de Ma s'étendant de plus en plus loin, des messagers arrivèrent un jour d'une ville située à bien des lieues d'Ekenge, et demandèrent à lui parler. Lorsqu'ils furent en sa présence, ils lui demandèrent de venir voir leur chef qu'on croyait mourant.
- Et qu'arrivera-t-il s'il meurt ? demanda-t-elle.
- Toutes ses femmes et toutes ses esclaves seront tuées.
- Alors je vous suis, dit-elle.

Mais le chef Edem vint la supplier de n'en rien faire. « Ma, dit-il, ne va pas chez ces gens ; ils sont cruels ; ils te feront du mal. Et puis, regarde comme il pleut ! Toutes les rivières auront débordé. »

Ma, qui ne pensait qu'aux femmes dont les vies dépendaient peut-être de sa présence, se mit bravement en route. Il lui fallut huit heures pour traverser la forêt. La pluie tombait à torrents, et elle dut, petit à petit, enlever la plus grande partie de ses vêtements, tellement ils étaient mouillés et gênaient sa marche. Comme elle traversait péniblement les villages qu'elle rencontrait, les gens regardaient avec étonnement cette femme tête nue et pieds nus qui paraissait si fatiguée et si seule.

Arrivée au but de son voyage, Ma y trouva les hommes armés, et se préparant déjà au massacre. Les femmes étaient terrifiées. Trempée jusqu'aux os, souffrant du froid et de la faim, elle se rendit cependant tout droit auprès du chef malade, et eut la joie de le ramener à la santé. En cette occasion il n'y eut donc pas de sacrifice humain ni de sang versé.
Mais là ne s'arrêtèrent pas les soucis de Ma. Il y eut bientôt du trouble dans la cour même où se trouvait sa maison.

Le chef Edem, toujours bon pour elle, n'en demeurait pas moins attaché à ses anciennes coutumes et sous l'empire des vieilles superstitions. Ainsi, il avait foi en la médecine des sorciers, gaillards rusés qui prétendaient connaître la cause de toutes les maladies, et le moyen de les guérir. Un jour, se sentant malade, Edem fit venir un de ces « hommes de médecine », lequel déclara qu'un ennemi avait caché des tas de choses dans le corps du malade, et fit semblant de les en retirer ! Lorsque Ma vint voir Edem, celui-ci exhiba des cartouches, de la poudre, des dents, des os, des coquilles d'oeufs, des graines, puis il dit : « Ma ! une affreuse bataille s'est livrée dans la nuit ! Vois ce que des méchants m'ont fait ! »
À ces paroles Ma sentit le coeur lui manquer ; elle ne savait que trop bien ce qui allait suivre...

En effet, plusieurs hommes et plusieurs femmes furent saisis, attachés à des poteaux et condamnés à mort. Ma se mit en devoir de les sauver. Ses ardentes supplications, sans cesse renouvelées, finirent par agacer Edem qui se fit transporter en secret dans une de ses huttes à la campagne. Ma ne pouvait plus l'atteindre ; son seul moyen d'action était maintenant la prière. Elle demanda à Dieu de guérir le malade, et sa prière fut exaucée. Edem, rendu à la santé, libéra les prisonniers, à l'exception d'une femme qui fut tuée.

Cette épreuve-là terminée, une autre attendait Ma. Un chef de la contrée, homme cruel et sanguinaire, vint rendre visite à Edem. Lui et sa suite se mirent à boire et furent bientôt complètement ivres. L'état de tumulte du village devint indescriptible. Bravement Ma se fraya un passage au travers de cette populace bruyante et essaya de la calmer. Vains efforts. Elle comprit que la seule chose à faire était de se débarrasser de ces fâcheux visiteurs ; elle trouva moyen de les faire déguerpir en les accompagnant elle-même chez eux afin d'éviter des combats sanglants ; car ces gens voulaient se battre avec tous ceux qu'ils rencontraient ! Sur le sentier de la forêt, ils remarquèrent quelques plantes et quelques feuilles flétries. « Sorcellerie ! » s'écrièrent-ils en fuyant de tous côtés, en proie à une panique folle. Ils se figuraient que ces feuilles fanées avaient le pouvoir magique de leur nuire !... Pauvres païens !
« Retournons au dernier village que nous avons traversé, hurlaient-ils à tue-tête, et massacrons tous ses habitants. Ils ont essayé de nous ensorceler. »

Et pêle-mêle, brandissant leurs glaives, poussant à gorge déployée leurs terribles cris de guerre, ils rebroussèrent chemin. Ma demanda à Dieu de l'aider à devancer ces hommes. Elle courut plus vite qu'eux, les dépassa, puis, se retournant, elle leur fit face, étendit les bras et les défia de passer. Peut-être était-ce pure folie de sa part. Pourtant, ce « je ne sais quoi » dans son regard, qui avait souvent déjà dompté les multitudes, obligea ces guerriers à s'arrêter. Ils discutèrent avec elle, puis promirent de lui obéir, et continuèrent leur route par un autre sentier.

Mais Ma n'était certes pas au bout de ses peines. Ces hommes se mirent bientôt à danser et à se battre entre eux, si bien qu'elle dût, avec l'aide de ceux qui avaient moins bu, attacher à des arbres ceux qui étaient ivres ! Elle accompagna ensuite les autres jusque chez eux, et ne les quitta que lorsqu'ils furent en sûreté. Sur le chemin du retour elle relâcha les prisonniers, maintenant fous de rage, et les renvoya à leur village les mains attachées derrière le dos.

Mais ce n'est pas encore la fin de l'histoire. Le jour suivant, le chef descendit en personne au village dont les habitants étaient censés avoir usé de sorcellerie; et, bien que ce village ne lui appartînt pas (il appartenait à Edem), il soumit les habitants aux épreuves ordinaires et ramena avec lui un jeune homme, menottes aux mains, dans l'intention de le tuer. En hâte Ma se rendit auprès du chef. Celui-ci, grossier et violent, lui rit au nez, faisant effort pour ne pas se fâcher. Ma demanda la grâce de ce jeune homme, mais dut se retirer sans avoir obtenu de réponse. Puis elle apprit qu'Edem se préparait à combattre le terrible chef. Si ces deux ennemis en venaient aux mains, quelle en serait la conséquence ! Il fallait l'éviter à tout prix. C'est à Dieu que Ma s'adressa, comme elle le faisait toujours, et sa prière fut exaucée. Tout à coup elle apprit que le prisonnier avait été libéré : c'était la paix et non la guerre.

Ma se demandait souvent comment elle ferait pour continuer à vivre dans de telles conditions. Sa hutte, dont nous avons déjà parlé, était envahie par les rats, les lézards, les cafards, les insectes de toute espèce. Impossible d'échapper aux femmes et aux esclaves, dont les querelles, le vacarme, la grossièreté la fatiguaient à la rendre malade. « Et pourtant, se disait-elle, je continuerai à suivre mon Maître, bien que le chemin ne soit ni facile ni agréable. Il n'a jamais lâché pied ; je serai vaillante et forte. »

Ce qui lui coûtait le plus, c'était de n'avoir pas un coin tranquille où elle pût lire sa Bible, réfléchir, prier, dans la solitude. Et c'est pourquoi, un beau jour, elle se mit à bâtir une petite hutte à elle, à quelque distance des autres. Pour commencer, elle fixa des troncs d'arbres dans le sol, et par-dessus ces troncs elle entrecroisa des branches ; puis elle enfonça des bâtons entre les troncs, et enlaça le tout de bandes de bambou, comme elle avait jadis enlacé les fils sur son métier à Dundee. Telle fut la charpente de la hutte. Contemplant son oeuvre, Ma battit des mains.
« On dirait que nous jouons à bâtir une maison ! » dit-elle aux enfants.

Pour faire les murs elle jeta de l'argile rouge entre les troncs d'arbres. Une fois sèche la surface de l'argile fut frottée jusqu'à ce qu'elle devînt tout à fait lisse. Des nattes, faites en feuilles de palmier, tinrent lieu de toit.
« Et maintenant passons au mobilier ! » dit Ma. Elle pétrit de gros morceaux d'argile, et en fit un fourneau ; puis elle modela un siège pour la cuisinière. Elle fit un buffet, dans lequel elle creusa les places destinées aux tasses, aux bols et aux assiettes. Enfin elle moula un canapé pour son propre usage. Tous ces objets, après avoir été battus et polis, furent vernis avec une teinture du pays.

Le changement de domicile amusa grandement les enfants. Il y avait tant de pots, de cruches, de casseroles, pendus aux poteaux extérieurs de la butte, que Ma déclara que celle-ci ressemblait aux roulottes des bohémiens, et elle l'appela La Roulotte. Lorsque tout fut fini et chaque chose à sa place, Ma, regardant son habitation d'un oeil plein de malice, dit en riant :
« Quelque humble qu'il soit, rien ne vaut son chez soi ! » Le repas qui suivit l'emménagement fut des plus joyeux ; qui donc s'inquiétait qu'il ne se composât que d'un plat et qu'il n'y eût sur la table ni fourchettes ni cuillères ? À mille lieues à la ronde on n'aurait pu trouver plus heureuse famille.
Ma pouvait enfin lire sa Bible et prier sans être constamment dérangée.

Pourtant, les chèvres, les poules, les rats, les insectes, voire même quelques bêtes de la forêt, se permettaient parfois de pénétrer dans son nouveau logis. Un beau matin, en se réveillant, elle vit sur son lit quelque chose d'étrange, et constata que c'était la peau d'un serpent. Le reptile s'était glissé chez elle pendant la nuit, et s'était débarrassé de ses vieux vêtements, suivant l'habitude de son espèce. Alors, Ma se mit-elle à rêver à autre chose encore : à avoir une maison avec un étage afin d'y être plus en sûreté !

Mais tout d'abord il fallait bâtir une église. Avec l'aide des chefs, des hommes libres et des femmes libres, un grand hangar fut bientôt construit ; il n'y manquait que la porte et les fenêtres. Quel jour ce fut lorsque cette église put être consacrée au culte du Dieu vivant, cette première église de l'Okoyong sauvage !

Ma avait dit aux gens qu'ils ne pouvaient venir dans la Maison de Dieu qu'avec des corps propres et des coeurs propres. La plupart d'entre eux n'avaient pas de vêtements du tout ; aucun enfant n'en portait jamais. Mais Ma ; qui avait récemment reçu des caisses envoyées par les écoles du dimanche et par les réunions de couture d'Écosse, y puisa de quoi faire des blouses de toutes les couleurs pour les femmes et les petits enfants. Que tout ce monde était fier et heureux ! Mais tous se calmèrent en entrant dans l'église et furent saisis d'une crainte faite de respect lorsque Ma leur expliqua ce que signifie une église, et leur dit que Dieu était là, présent au milieu d'eux.

Debout, les chefs promirent de respecter l'édifice, de ne jamais s'y quereller, de ne jamais y introduire des armes de guerre. Ils s'engagèrent aussi à envoyer aux écoles leurs enfants et leurs sujets.

Mais hélas ! semblables à cet égard à bien des civilisés, ces sauvages ne tinrent pas longtemps leurs promesses ! Ne laissant au village que quelques femmes et les enfants, ils s'en retournèrent dans la brousse à leurs luttes et à leur pillage. Le rhum et l'eau-de-vie étaient en cela les plus grands coupables. Tous buvaient, et souvent Ma, en se couchant le soir, savait qu'à des lieues à la ronde il n'y avait pas un être sobre. L'horrible drogue, venue de la côte, y avait été envoyée par les nations « chrétiennes » d'au delà les mers. Ma s'indignait que, par amour de l'argent, des hommes blancs consentissent à ruiner les indigènes. De toutes ses forces Ma s'opposait au trafic de ce poison. « Vous buvez tous, dit-elle un jour au chef Edem, parce que vous n'avez pas assez de travail. Chez nous on dit que « Satan trouve toujours à occuper les mains oisives ». Pourquoi donc ne pas faire le commerce avec le Calabar ? »

- Nous faisons le commerce avec le Calabar, répondit le chef en riant. Nous faisons le commerce des têtes.
- Il faut faire le commerce d'huile de palme et de denrées alimentaires. Mais tout d'abord, faites la paix avec le Calabar.
- Impossible, puisque le Calabar ne veut pas venir dans l'Okoyong.
- Naturellement, ils ont peur de vous, et non sans raison. Mais s'ils ne veulent pas venir ici, il faut aller chez eux.
- Et ne jamais revenir ?
- Bêtise ! Je vous accompagnerai.

Après avoir ainsi abordé le sujet avec le chef d'Ekenge, Ma écrivit à Creek Town, au roi Eyo, le priant d'inviter les chefs d'Okoyong à un palabre dans sa maison, et promettant d'essayer d'obtenir des indigènes qu'ils envoyassent quelques produits du pays aux commerçants du Calabar.

Sans délai le roi suivit ce conseil. Il lança des invitations. Tous les chefs les acceptèrent et une expédition pour le Calabar fut organisée. On chargea une pirogue des productions du pays, comme cadeau pour les gens du Calabar, et de barils d'huile et de sacs de noix de coco pour commencer le commerce. Mais les indigènes connaissaient si bien les lois de l'équilibre que tout à coup la pirogue chavira. Il fallut s'en procurer une autre et recommencer l'opération. Tous les chefs, comme nous l'avons vu, avaient accepté l'invitation du roi Eyo ; mais, au dernier moment, le courage manqua à plusieurs d'entre eux qui s'enfuirent et disparurent. Il en restait six sur la berge, dont deux seulement se décidèrent enfin à monter dans la pirogue, lorsqu'ils apprirent que Ma leur défendait absolument d'emporter leurs fusils et leurs glaives. - Ce serait fou ! leur dit Ma. Nous sommes en paix et non en guerre.
- Tu fais de nous des femmes, Ma ! Quel homme irait sans armes chez des gens qu'il ne connaît pas ?

Ma fut inflexible, et l'on finit par se mettre en route ; mais tout à coup Ma aperçut des armes cachées sous des sacs de noix. Se baissant, elle les saisit une à une, et les jeta au loin sur la plage ! Confus mais dociles, les hommes se mirent aux rames, et bientôt la pirogue descendit la rivière. Le voyage se fit dans la plus complète obscurité et par la pluie ; il prit douze bonnes heures. Mais le résultat de l'entrevue dépassa toutes les espérances, et Ma fut largement récompensée de sa peine.

Rien n'aurait pu surpasser l'amabilité du roi Eyo. Il reçut les chefs timides comme l'aurait fait un chrétien de race blanche ; il leur parla avec bonté, et pria Ma de leur faire elle-même les honneurs de sa maison. Le palabre eut lieu, et toutes les questions épineuses furent discutées, examinées, pesées, tranchées. Les chefs furent priés d'assister le même soir à une réunion tenue dans l'église et à laquelle le roi Eyo prit part. Il adressa aux chefs des paroles d'encouragement, et leur donna de sages conseils. Il avait pris, comme texte de son allocution, le verset : « Mes yeux ont vu ton salut, salut que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour éclairer les nations (Luc 2, 30) ».

Les chefs retournèrent dans l'Okoyong étonnés de tout ce qu'ils avaient vu, touchés et joyeux de l'accueil qu'ils avaient reçu, et bien décidés à entreprendre sérieusement le commerce avec la côte.

Ce voyage avait grandement ajouté à la réputation et à la position de Ma dans l'esprit des chefs. Elle en eut la preuve dès le lendemain du retour. Entendant au dehors des bruits confus, elle sortit pour se rendre compte de ce qui se passait. Elle vit plusieurs chefs donnant des ordres à des esclaves au sujet d'une construction à faire.
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle.

Mais, au lieu de lui répondre, un des chefs qui l'avaient accompagnée à Calabar se tourna vers la foule qui accourait, et, dans un élan d'éloquence, décrivit tout ce qu'il avait vu à Creek Town, la manière dont vivaient les Européens, et comment le roi Eyo et tous les chefs et tous les messieurs présents avaient traité leur « Mère » comme une personne supérieure à eux tous et digne de tout honneur, etc., etc. Il déclara qu'on allait maintenant la traiter comme le méritaient son rang et sa position, et que, pour commencer, on allait lui bâtir une maison digne d'elle !
Ma remercia vivement, mais eut beaucoup de peine à s'empêcher de rire.

La maison fat bientôt construite, et était en effet « supérieure » à la hutte ! Elle avait un premier étage et une véranda. Mais les indigènes ne s'entendent pas à la menuiserie. Ma demanda à la Société des Missions de lui envoyer un menuisier pour poser portes et fenêtres. C'est en réponse à cet appel qu'arriva d'Écosse un jeune homme, M. Ovens, qui, aidé d'un apprenti indigène nommé Tom, se mit sans retard au travail.

Toujours gai et de bonne humeur, M. Ovens riait d'une façon qui donnait à tous envie d'en faire autant ! Ma bénit Dieu de lui avoir envoyé quelqu'un que les difficultés de la vie dans l'Okoyong troublaient si peu. Elle et M. Ovens parlaient ensemble la langue maternelle et le soir M. Ovens chantait les chants plaintifs de leur chère Écosse. Si bien que Tom finit par dire : « Maître » je n'aime pas ces chansons. Elles font battre mon coeur et font pleurer mes yeux ».


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