Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



REINE BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary Slessor, missionnaire au Calabar



TROISIÈME PARTIE

La Conquête de l'Okoyong
1881-1902.

CHAPITRE IV

Encouragée par tout ce qui se passait, plus sûre d'elle-même et surtout plus confiante que jamais en cette merveilleuse puissance divine qui la protégeait, Ma s'enhardit encore. Partout où menaçait un danger quelconque, partout où il y avait des troubles - même si c'était très loin d'Ekenge - on la voyait arriver, prête à user de toute son influence pour ramener le calme et la paix. Que de fois des indigènes, déjà rangés en ordre de bataille, la virent tout tranquillement se présenter devant eux !

Un jour, - elle était malade et alitée, - on lui transmit un message secret, la prévenant que deux tribus allaient en venir aux mains. Aussitôt elle se leva et se prépara à partir.
Ma, lui dit Edem, à quoi penses-tu ? Tu vas dans l'antre du lion et tu n'en sortiras pas vivante ? »

Il faisait nuit noire, et Ma était en pleine forêt, elle qui avait toujours une peur instinctive de l'obscurité et du mystère de la forêt. Les animaux sauvages l'effrayaient et elle se savait environnée de léopards. « Je pensais à Daniel, raconta-t-elle plus tard ; je demandai à Dieu de fermer la gueule de ces fauves, et il le fit. »
À minuit elle atteignit un village où elle espérait emprunter un tambour et demander qu'un homme libre l'accompagnât pour battre le tambour devant elle, signe qu'elle était sous la protection de l'Egbo. Mais le chef de ce village, despote bourru, refusa même de la voir ; il refusa également de lui prêter un tambour, et lui fit tenir ce message :
« S'il y a une guerre, ce n'est pas la présence d'une femme qui l'empêchera. »

À quoi Ma renvoya cette réponse :
« Tu ne penses qu'à la femme ; tu oublies le Dieu de cette femme. Je me passerai de tambour. »

Poursuivant sa route, Ma arriva enfin à l'un des villages où couvait la guerre. Tout y semblait calme ; mais, du sein des ténèbres, surgirent tout à coup une foule d'hommes armés qui l'entourèrent et lui demandèrent la raison de sa présence.
« Je suis venue pour empêcher la guerre, » dit-elle.

Ces hommes se moquèrent d'elle. Cette petite femme, faible et sans armes, empêcher la guerre ! Ils riaient d'un rire hideux.
- Tu n'obtiendras pas cela, dirent-ils.
- C'est ce que nous verrons. Convoquez un palabre afin que je sache pourquoi vous désirez la guerre.
- Très bien, répliquèrent-ils comme s'ils approuvaient la chose. Va te reposer jusqu'au second chant du coq. Nous te réveillerons et tu viendras avec nous au palabre.

Ma fit ainsi ; mais, lorsqu'on la réveilla, les guerriers étaient déjà loin.
« Cours, Ma ! cours ! » lui crièrent les femmes, sachant bien ce qui se préparait. Et Ma courut. Dévalant des pentes, traversant à gué des cours d'eau, hors d'haleine, elle rejoignit les combattants, prêts à l'attaque, et qui poussaient leurs hurlements guerriers.
« Voyons, leur dît-elle, ne vous conduisez pas comme des blancs-becs ! Calmez-vous. »

Un peu plus loin elle se trouva devant l'ennemi, déjà rangé en travers du chemin, en ordre de bataille.
« Je vous salue ! dit-elle. »

Pas de réponse. Pourquoi donc cette femme blanche venait-elle se mêler de leurs affaires à un tel moment ? pensaient sans doute les guerriers.
« Oh ! reprit Ma, je vois que vous êtes des gens bien élevés, et que vous avez des manières distinguées ! »

Les hommes froncèrent les sourcils. Évidemment on se trouvait dans une impasse dangereuse ; mais Ma ne perdait jamais la tête ; elle sourit et plaisanta ; et tout à coup un vieillard sortit des rangs et vint s'agenouiller devant elle.
« Ma, me reconnais-tu ? » demanda-t-il.

C'était ce chef malade qu'elle était allée soigner peu après son arrivée à Ekenge.
« Ma, reprit-il, nous admettons franchement que cette querelle est due à la bêtise d'un de nos hommes, et que c'est honteux que tous se battent pour cela. Nous te supplions de faire la paix. »

Ma tressaillit de joie. Elle obtint que, séance tenante, quelques guerriers de chacun des camps discutassent ensemble la question qui les divisait. Hélas ! elle crut bien des fois la guerre imminente ; il lui fallut force patience et sagesse pour obtenir de ces sauvages des concessions mutuelles. Enfin ils décidèrent de se contenter d'une amende. Mais quelle, ne fut pas l'horreur de Ma en constatant que cette amende était payée en eau-de-vie ! Tout le monde se mit à boire. Qu'allait-il s'en suivre ?
En désespoir de cause, Ma étendit quelques-uns de ses vêtements sur les caisses et les bouteilles d'eau-de-vie, et défendit qu'on y touchât. Elle donna un verre de la boisson à chacun des chefs, Les guerriers, furieux, l'entouraient, et l'auraient molestée si quelques-uns des plus âgés, armés de fouets, ne l'avaient protégée.
« Si vous vous dispersez tranquillement, dit-elle et si vous renoncez à faire la guerre, je vous promets de vous envoyer les bouteilles chez vous. »

Ces hommes la crurent sur parole. Ils rebroussèrent chemin, docile comme des enfants !
Il faisait de nouveau nuit lorsque Ma, lasse de corps et d'esprit, traversa une seconde fois la forêt pour retourner à Ekenge. Les grillons faisaient entendre leur cri-cri ; les grenouilles croassaient, les vers luisants révélaient et cachaient tour à tour leurs lueurs phosphorescentes ; mais, dans le regard de Ma, brillait un éclat bien autrement lumineux...

Deux années se passèrent, années de travail, de privations, d'efforts de toutes sortes. Par la chaleur, par la pluie, de jour et de nuit, Ma était occupée. Quand elle ne parcourait pas la forêt pour assister à quelque palabre ou lutter contre une coutume païenne, elle travaillait tout près de chez elle, enseignant aux femmes à coudre et à faire la cuisine, tenant une école, prêchant, soignant les malades. Comment pouvait-elle tenir bon si longtemps ? Peut-être à cause de son caractère enjoué, parce qu'elle voyait le côté comique des choses et se riait des difficultés. Elle avait toujours le mot pour rire, même lorsqu'elle était malade. Les missionnaires qui venaient la voir la trouvaient généralement gaie comme un pinson.
Et pourtant elle vivait d'une manière qui aurait vite eu raison de toute autre Européenne. Non seulement elle ne portait ni bas ni souliers (vieille habitude prise dans son enfance), ni même de chapeau, sous ce terrible soleil africain, non seulement elle se contentait de la grossière nourriture indigène, mais encore, bien qu'elle fit attention à l'eau qu'elle buvait, jamais elle ne la filtrait ou ne la faisait bouillir ! Cela simplifiait la vie, disait-elle, de ne pas se mettre en peine de tous ces détails !

Pourtant elle dut bien s'arrêter une fois, et reconnaître qu'un nouveau congé lui était indispensable. Le départ fut fixé au mois de, janvier 1891. Lorsque vint le moment de s'embarquer, elle était si malade qu'il fallut encore la porter à bord du vapeur. Janie, comme auparavant, l'accompagnait. C'était une fillette à la tête crépue, à la peau de velours et aux yeux rieurs, qui commençait à se dire que ce serait délicieux d'être blanche plutôt que noire. Un soir, pendant son séjour à Glasgow, comme elle prenait son bain, on la trouva frottant énergiquement la plante de ses pieds, à l'endroit où la peau était d'une teinte plus claire que sur le reste du corps.
- Que fais-tu là, Janie ? demanda quelqu'un.
- Oh ! répondit la fillette, il y a là un petit coin presque blanc ; peut-être que si je frotte bien fort la peau deviendra blanche partout.


Pendant ces mêmes vacances, Ma réalisa un autre de ses rêves. Elle désirait beaucoup pouvoir ouvrir au Calabar une école professionnelle où les garçons apprendraient à se servir de leurs mains aussi bien que de leur cerveau, afin de devenir de bons ouvriers en même temps que de bons instituteurs, et être ainsi utiles à leur pays à tous les points de vue. Elle écrivit un long article dans un journal religieux, développant son idée et en expliquant le but. Cet article eut le résultat désiré, et, dans la suite, l'école fut fondée. Elle porte aujourd'hui le nom de : « École professionnelle Hope-Waddell ».

Ce séjour en Écosse dura un an. Fortifiée par l'air natal, réjouie par l'affection qui lui avait été témoignée, Ma retourna à son poste solitaire en février 1892.

Les indigènes d'Ekenge lui avaient promis à son départ de s'abstenir de querelles. Et ils tinrent parole; dès son retour Ma en eut maintes preuves.
Mais ils lui dirent combien elle leur avait manqué, et qu'à l'avenir, ils ne pourrait plus se passer d'elle. Comme des enfants, ils venaient lui raconter leurs peines et leurs épreuves. Lorsqu'une dispute s'élevait, chacun de s'écrier : « Allons trouver Ma ! » Et Ma écoutait, décidait qui avait raison, et tous s'en retournaient satisfaits.
Il n'était plus nécessaire que Ma se rendit en personne dans un village à la mort d'un chef. Elle y envoyait un message, disant que personne ne devait être tué ; on commençait par protester énergiquement, mais les protestations aboutissaient toujours à ceci : « C'est bien. Nous avons compris ; notre mère a décidé ; nous lui obéirons ».
Ils ne savaient pas, ces sauvages, que, pendant qu'ils. discutaient entre eux, Ma était à genoux dans sa chambre, priant Dieu d'adoucir leurs coeurs.
Quelques-uns cependant regrettaient les jours d'autrefois : « Ma, disaient-ils, vous avez ruiné toutes nos bonnes vieilles coutumes. Nous avions l'habitude d'emmener nos gens avec nous quand nous partions pour le monde des esprits ; maintenant nous y allons tout seuls ».

Il fallait toujours que Ma fût sur le qui-vive, car plusieurs des tribus éloignées n'avaient pas abandonné leurs rites païens. Lorsque ces gens se préparaient à des actes qui n'auraient pas - ils le savaient bien - son approbation, ils s'enfonçaient en plein coeur de la forêt pour échapper à ses regards. Un jour, apprenant qu'un chef était mort, elle se fit conduire dans un coin perdu de la forêt où les hommes libres du chef défunt soumettaient de nombreux prisonniers à l'épreuve du poison. Les gens, en la voyant arriver, s'imaginèrent qu'elle se fatiguerait d'attendre leur décision, et ils s'assirent par terre, espérant lasser sa patience. Mais des jours et des nuits se passèrent, et Ma était toujours là, dormant le soir près. d'un feu ; elle n'avait pas peur de ces hommes armés, mais elle avait peur des bêtes fauves qui, se glissant dans l'obscurité, auraient pu bondir sur elle. Ce ne fut pas elle qui perdit patience, ce furent les indigènes, et peu à peu tous les prisonniers furent libérés.

Plus que personne, Emé Eté aidait Ma. Elle savait toujours ce qui se tramait, et secrètement la tenait au courant. Appelant un messager de confiance, elle lui remettait une bouteille. « Porte vite cela à Ma, disait-elle, et prie-la de remplir ceci de ibok (médecine) ; dépêche-toi. »
En recevant la bouteille, Ma comprenait sans peine de quoi il s'agissait ; cela voulait dire : « Sois prête ! » Et elle se tenait prête. Lorsque retentissait le cri - « Cours, Ma ! cours ! », elle volait où était le danger.
Une fois elle resta tout un mois habillée, se reposant sans ôter ses vêtements. Mais le résultat de cette longue attente fut la libération d'un homme condamné à mort.
Il arrivait cependant parfois qu'une querelle était si soudaine, ou qu'on appelait Ma tellement à l'improviste, qu'il était impossible à celle-ci de partir sur le champ. Alors, pour gagner du temps, elle dépêchait un coureur agile à ceux qui allaient en venir aux mains ; elle leur envoyait par ce messager une grande feuille de papier blanc sur laquelle elle écrivait quelques mots et répandait des quantités de cire à cacheter pour lui donner un air important. Comme aucun des combattants ne savait lire, ils examinaient fort minutieusement le « document, » en discutaient la valeur... et ils n'avaient pas fini de parler que Ma était au milieu d'eux !
Celle-ci préférait de beaucoup, pourtant, en appeler au bon sens des chefs. Elle essayait d'obtenir qu'ils se réunissent pour discuter entre eux de leurs affaires et prendre les décisions qu'ils jugeraient nécessaires. Elle appelait cela « la manière de Jésus » ; mais les chefs disaient : « C'est la manière du Dieu de la femme ». En réalité, n'était-ce pas l'art de se gouverner soi-même ?

UN PALABRE

Regardez la gravure ci-dessus. Elle représente Ma assistant à un palabre tenu dans une clairière de la forêt, à 8 kilomètres d'Ekenge. Les chefs de deux tribus en face l'un de l'autre, sous d'immenses ombrelles de couleur, portent de somptueux vêtements et sont entourés d'hommes armés. Ma, assise entre les chefs, tricote ! Connaissant la passion des indigènes pour des flux de paroles, - inutiles, la plupart du temps, - et prévoyant des heures de discussion, elle a apporté son ouvrage. D'ailleurs elle se sentait plus calme, disait-elle, si ses mains étaient occupées.

Durant le palabre en question, les deux chefs prirent la parole à tour de rôle ; les heures succédèrent aux heures, mais les chefs continuaient à déblatérer, et Ma devenait bien lasse. L'excitation générale dégénéra bientôt en fièvre. La nuit vint tout à coup, ce qui est toujours le cas sous les tropiques, et on alluma des torches qui donnèrent à la scène un aspect plus étrange encore. « Maintenant cela suffit, déclara Ma. Il faut en finir. »

Un chef âgé récapitula tout ce qui avait été dit, et Ma prononça le verdict à la satisfaction des deux partis. Puis, selon la coutume du pays, un des guerriers de chaque tribu s'avança et étendit la main, on fit à cette main même une incision afin d'en retirer du sang qui fut mélangé à du sel, du poivre et de la farine, et la moitié de cet horrible mélange fut avalée par chacun des guerriers ! C'est ce que les indigènes appelaient « l'alliance du sang » ; elle scellait la paix entre deux tribus.

La séance avait duré... dix heures ! Ma retourna chez elle au clair de lune, bien fatiguée et ayant grand faim, mais reconnaissante du résultat de sa longue journée.
Vous le voyez : sa patience était inlassable, son amour sans bornes, et Dieu lui permit de recueillir des fruits de son travail. D'année en année le champ de son influence s'étendit de plus en plus loin. Au fond, elle était la reine de l'Okoyong et, de son humble demeure, elle régnait sur des milliers de sujets. Le fait était d'autant plus remarquable qu'à cette époque toute la contrée appartenait à des chefs qui étaient chez eux maîtres absolus, et qui auraient pu facilement, si tel eût été leur désir, réduire à néant toute son oeuvre.

Mais bientôt il n'en fut plus tout à fait de même. Le pays fut placé sous le protectorat de la Grande Bretagne, et des consuls s'établirent dans plusieurs districts. Lorsque Ma fut mise au courant de la situation nouvelle, elle fit dire : « Surtout ne nous envoyez pas un consul, ou il y aura des troubles. Mes gens sont fiers et sauvages ; ils lutteront contre vous ». - « Miss Slessor, lui répondit-on, vous les connaissez en effet bien mieux que nous ; pourquoi ne seriez-vous pas notre consul auprès d'eux ? »
Ma accepta la proposition. Elle établit un tribunal indigène et, comme Déborah, jugea le peuple et lui apprit à obéir aux lois nouvelles. C'était un essai ; mais il réussit au-delà de toutes les espérances. Les sauvages les plus récalcitrants se plièrent docilement sous le joug que Ma leur imposait, et le protectorat britannique, au lieu d'entraîner une effusion de sang, s'établit dans la paix et dans l'ordre.

Ma avait accepté ses nouvelles fonctions parce qu'elle était convaincue que le Seigneur désirait qu'elle le fit. « Je ne suis qu'une pauvre femme bien faible et non pas une reine, comme le prétendent mes amis ! » disait-elle. Mais les fonctionnaires du gouvernement ne partageaient pas cet avis. Chaque fois qu'ils allaient la voir, ils étaient frappés de l'ascendant qu'elle avait sur le peuple, de l'admiration et du respect que tous lui témoignaient. « C'est un miracle, disaient-ils à leur retour, que cette reine blanche dans l'Okoyong. »


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CHAPITRE V - La maison de Ma ressemblait toujours à une grande nursery.
 

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