REINE
BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary
Slessor, missionnaire au
Calabar
TROISIÈME PARTIE
La Conquête de l'Okoyong
1881-1902.
CHAPITRE V
La maison de Ma ressemblait toujours
à une grande nursery. Bien que toutes les
mamans du monde soient pareilles sous beaucoup de
rapports, celles d'Afrique étaient
ignorantes, étourdies, ne savaient pas
prendre soin de leurs enfants, et attachaient une
telle importance aux étranges coutumes
païennes qu'elles se conduisaient souvent
envers leurs tout petits d'une manière
cruelle. Du temps de Ma, c'était encore pire
qu'aujourd'hui, parce qu'alors presque tous les
gens étaient esclaves.
Les bébés surtout
faisaient grand'pitié à Ma, et elle
se mettait en colère contre ceux qui, les
négligeaient, les affamaient ou les
enivraient. « Pauvre
chéri », disait-elle en ramassant
par terre un bébé abandonné,
et en pensant aux soins dont les enfants sont
entourés chez nous. À ses yeux le
plus petit être
possédait une âme pour laquelle
Jésus était mort ; elle les
aimait, tous ces négrillons, les lavait, les
soignait, les berçait en chantant.
Dans la maison missionnaire il n'y avait
pas de berceaux, mais il y avait quelque chose
d'infiniment mieux ! Autour du lit de Ma,
placé au milieu de la chambre, des hamacs
étaient suspendus au plafond, et à
chaque hamac une corde était fixée.
On couchait les bébés dans les
hamacs, et, si l'un ou l'autre se réveillait
pendant la nuit, Ma, de son lit, tirait la corde et
bientôt, doucement balancé, le
bébé se rendormait ! Parfois,
comme vous le pensez bien, plusieurs petits se
réveillaient à la fois, alors Ma
tirait ensemble deux ou trois bouts de corde !
Souvent il y avait une demi-douzaine de hamacs
autour du lit.
Et que d'efforts Ma eut à faire
pour arracher à la mort quelques-uns de ces
petits êtres ! Mais jamais elle ne leur
marchandait ni son temps ni sa peine. Lorsqu'elle
revenait tard d'une longue marche dans la
forêt, et qu'elle était
fatiguée, qu'elle avait faim et sommeil,
elle envoyait Janie se coucher et s'occupait
elle-même des petits qui avaient besoin
d'elle. Vous la représentez-vous, veillant
seule dans sa maison forestière pendant les
heures de la nuit, penchée sur un petit
corps maigre ? Les larmes aux yeux, elle
contemplait la petite figure tirée, donnait
à l'enfant un médicament, le calmait,
essayait de le soulager, pendant qu'à ses
côtés la mort guettait une nouvelle
victime. Comme les gens s'imaginaient que les
maladies étaient
envoyées par le mauvais
esprit, on ne lui amenait les enfants que
lorsqu'ils étaient mourants. Après
leur avoir fermé les yeux, elle les
enveloppait dans une blouse blanche, les
plaçait dans un coffre, les couvrait de
fleurs blanches et les enterrait dans son
cimetière d'enfants.
Un jour que quelques femmes qui lui
faisaient visite bavardaient entre elles au sujet
des emplettes qu'elles venaient de faire au
marché, l'une d'elles fit la remarque que
c'était « bien
drôle » qu'un bébé
jeté dans la brousse cinq ou six jours
auparavant fût encore vivant.
- Que voulez-vous dire ?
s'écria Ma.
- Oh ! rien, Ma. C'est seulement
une fillette qu'on a jetée dans la brousse
parce que sa mère est morte, et qui est
encore vivante ; nous l'avons entendue pleurer
quand nous avons passé par là ce
matin.
Ma n'en écouta pas plus
long ; elle vola à l'endroit qu'on lui
indiqua. Dans un terrain vague elle trouva la
petite abandonnée que les insectes
rongeaient déjà. L'enfant pleurait
doucement. Ma la prit dans ses bras, la ramena chez
elle, la coucha dans une calebasse et l'entoura de
soins si tendres que la petite se reprit à
la vie. Les indigènes l'appelaient
« l'enfant du miracle ». Ma lui
donna le nom de Mary et l'adopta comme membre de sa
joyeuse nichée. Mary resta auprès
d'elle jusqu'à son mariage dont nous
parlerons plus tard.
Les jumeaux continuaient toujours
à donner beaucoup de peine à Ma, tant
les gens en avaient peur. Elle
avait beau dire aux indigènes :
« Les jumeaux sont tout comme les autres
enfants ; si seulement vous les laissiez
vivre, vous verriez bien qu'il n'y a pas de
différence. Regardez ma gentille
Janie : c'est une jumelle », les
raisonnements ne servaient à rien. Le seul
moyen pour elle de sauver ces tout petits,
c'était de s'en emparer avant qu'on les
eût tués. C'était Emé
Eté qui la faisait prévenir
secrètement de la naissance de jumeaux.
Dès qu'elle recevait le message, elle
abandonnait sur le champ son occupation, quelle
qu'elle fût, et se rendait en hâte
à la maison qu'on lui avait
désignée. Hélas ! elle
arrivait souvent trop tard : les pauvres
petits étaient déjà morts,
écrasés dans des pots, et la maman
avait été chassée au loin.
Mais si elle arrivait à temps, elle
emportait les enfants à la maison
missionnaire, prenait soin d'eux, et les
protégeait contre les membres de leur
famille qui essayaient, par tous les moyens
possibles, de les saisir pour s'en
débarrasser.
Elle eut une fois entr'autres la joie de
sauver la vie à des jumeaux nés, dans
son village. Elle les coucha dans son propre lit.
Alors, grand émoi : chacun
prédisait de terribles calamités, et
Edem lui-même se tint à
distance.
« Je ne pourrai plus jamais
aller à la maison de ma mère,
gémissait-il ; non, plus
jamais. »
Personne ne parlait à Ma ;
les mères défendaient à leurs
enfants de se trouver sur son chemin. Triste et
peinée, elle tint bon. Un des jumeaux
mourut, mais l'autre vécut. Pourtant, les
gens aimaient leur Ma,
malgré tout, et ils finirent par venir lui
demander pardon.
« Ma, pardonne-nous,
dirent-ils humblement. On ne nous a jamais appris
à faire ce qui est bien. Aime-nous comme
autrefois. »
Ainsi se dissipa le nuage. Et
même, - grand encouragement pour Ma, - le
père du jumeau vivant vint chercher son
enfant, et reprit chez lui la maman. Quelle preuve
irréfutable que la terrible coutume
commençait à perdre sa
rigueur !
Puis, ce fut autre chose. Une femme
esclave, nommée lyé, venait d'avoir
des jumeaux. Elle demeurait à environ 8
kilomètres d'Ekenge, et Ma, prévenue,
se mit immédiatement en route. Elle
rencontra lyé dans la forêt, portant
sur sa tête une boîte qui contenait les
deux bébés, et poursuivie par une
foule d'hommes et de femmes qui l'agonisaient
d'injures. Tout ce qui lui appartenait avait
été détruit,
brisé ; on avait déchiré
ses vêtements. Ma se chargea de la
boîte, à laquelle personne n'aurait
d'ailleurs voulu toucher, même du bout des
doigts, et aida la pauvre maman à gagner la
maison missionnaire. Mais il ne fallait pas songer
à s'en approcher par le chemin ordinaire,
car personne n'aurait osé ensuite y
marcher ! Il fallut donc que Ma et Iyé
attendissent patiemment, en plein soleil, qu'on
eût défriché un autre
sentier.
En atteignant enfin la maison, on
s'aperçut que le petit garçon jumeau
était mort ; mais la petite fille
vivait. En réalité cette petite
n'était pas une négresse, mais
plutôt une mulâtresse. Elle avait la
peau douce, un nez comme celui d'un enfant blanc
et une jolie petite bouche,
« vraie boutonnière »
disait-on. Ma lui donna le nom de Susie ; et
Susie devint bientôt l'enfant
gâtée de la maison et la chérie
de Ma. Sa maman Iyé était
retournée auprès de sa
maîtresse, mais revenait quelquefois voir sa
jolie fillette, dont elle était
fière.
Quatorze mois se passèrent
pendant lesquels Susie prit de plus en plus
possession du coeur de sa maman adoptive. Mais un
jour, pendant une courte absence de Ma, et alors
que Janie était en haut à endormir un
enfant, Mamie, une autre des fillettes, fut
chargée de s'occuper de Susie qu'il fallait
toujours surveiller pour l'empêcher de faire
quelque bêtise. Mamie assit l'enfant par
terre pendant qu'elle préparait le
thé, et, étourdiment, posa non loin
d'elle un pot d'eau bouillante : en un clin
d'oeil Susie s'empara du pot et en renversa sur
elle le contenu. Elle fut horriblement
brûlée. La pauvre Mamie, croyant bien
faire, versa de l'eau froide sur les
brûlures. À son retour Ma, hors
d'elle, prit la mignonne dans ses bras, et ne la
quitta ni jour ni nuit pendant quinze jours. Dans
l'espoir qu'un médecin pourrait sauver sa
chérie, elle descendit avec elle à
Creek Town, et au milieu de la nuit réveilla
le docteur ; mais celui-ci l'assura qu'elle
avait fait tout le nécessaire et qu'il n'y
avait rien d'autre à tenter. Elle retourna
donc à Ekenge, chargée de son
précieux fardeau, et ne put qu'assister en
pleurant aux derniers jours de la fillette. Susie
bégayait tout doucement :
« Mem ! Mem ! » nom
qu'elle donnait à Ma, et tendait sa menotte
pour une caresse. Elle s'endormit un
dimanche matin dans les bras de
Ma. Vêtue d'une robe blanche, son petit
collier autour du cou, tenant à la main une
fleur, la chérie ressemblait à un
petit ange. Le chagrin de Ma faisait pitié.
Les gens s'en étonnaient et se disaient les
uns aux autres : « Vois comme elle
l'aimait ! » Ils vinrent tous
pleurer avec elle, et se tinrent debout autour de
la petite tombe.
Ma écrivait à ses amis
d'Écosse :
« Mon coeur languit
après ma petite bien-aimée. Oh !
ce silence ! cette place vide ! ce besoin
d'entendre de nouveau la petite voix
câline ! 0 Susie !
Susie ! »
Dans son déchirement elle se
décida à acheter la mère de
Susie, Iyé, et à l'affranchir. Elle
paya l'esclave 250 francs ; et, à
partir de ce jour, Iyé demeura dans la
maison de la mission où elle fut d'un grand
secours à Ma et aux missionnaires qui lui
succédèrent.
Il est impossible de raconter ici toutes
les aventures de Ma avec des jumeaux : il y en
aurait trop à dire ! Pourtant voici une
autre histoire à ce sujet.
Un après-midi, pendant qu'elle
donnait une leçon à l'école,
ou lui cria tout à coup par la
fenêtre : « Mal viens
vite ! des jumeaux ! - Où ?
demanda-t-elle. - À vingt kilomètres
d'ici, dans la brousse ; et la mère est
très malade ».
« Il va faire un orage, dit Ma
en regardant au dehors, et j'ai un
bébé malade à la maison. C'est
égal : viens Janie,
partons. »
Les deux voyageuses arrivèrent
à destination par la nuit
noire. D'épais nuages cachaient les
étoiles ; à peine y voyait-on
à quelques pas devant soi. Ma trouva la
mère sans connaissance, étendue par
terre. Un des bébés était
mort, et Janie creusa un trou dans lequel elle
l'enterra. Obéissant bien malgré eux
et avec force protestations aux directions de Ma,
le père des jumeaux et son esclave
fabriquèrent une sorte de brancard sur
lequel Ma plaça la femme ; après
quoi elle obligea les deux hommes à porter
le brancard à travers la forêt. Janie
prit dans ses bras le bébé vivant, et
l'on se mit en marche à la seule
lumière d'un morceau de bois allumé
à une des extrémités, et qui
ne tarda pas à s'éteindre. Il n'y
avait plus qu'à avancer de son mieux en
pleine obscurité ; mais bientôt
tous s'arrêtèrent car ils
s'étaient perdus. Posant à terre le
brancard, les deux hommes
s'éloignèrent pour essayer de
retrouver le sentier. Ma et Janie restèrent
seules dans la forêt mystérieuse,
ayant à leurs pieds la femme qui
commençait à gémir.
- O Mal dit Janie avec angoisse, s'ils
ne revenaient pas !
- Alors, fillette, nous resterions ici
jusqu'au matin.
Mais ils revinrent. Quelque chose brilla
tout à coup dans les ténèbres
et Janie trembla de frayeur. C'était une
torche que les hommes s'étaient
procurée dans une hutte, et à l'aide
de laquelle ils retrouvèrent le sentier. On
se remit en route. Lorsqu'enfin le triste
cortège atteignit la maison missionnaire,
les porteurs étaient si
exténués de fatigue qu'ils
tombèrent à terre et
s'endormirent. Ma aussi, certes,
était lasse ! mais sa journée,
à elle, n'était pas terminée.
Armée d'un marteau et de clous, elle alla
chercher des feuilles de zinc et construisit un
petit abri appuyé au mur de la maison. Sous
cet abri elle étendit la femme qui
bientôt reprit connaissance et à
laquelle elle donna tous les soins
nécessaires. Ce ne fut qu'alors qu'elle put
songer à son propre repos. À bout de
forces elle s'étendit sur son lit sans se
déshabiller et s'endormit
profondément.
Le lendemain. le second des
bébés mourut et sa pauvre maman ne
tarda pas à le suivre. Brisée de
chagrin, elle ne cessait de se lamenter d'avoir eu
des jumeaux et d'avoir ainsi perdu l'affection de
son mari. Mais Ma la consola, l'assurant que dans
le monde meilleur qu'elle allait habiter personne
ne lui en voudrait d'être la maman de
jumeaux. Ma mit le corps dans un cercueil qui fut
ensuite enseveli dans la brousse par le mari de la
femme et son esclave.
- Oh ! pauvres mamans
africaines !
La maisonnée de Ma s'était
augmentée peu à peu. À Janie
et Mary étaient venus s'ajouter Mana, que
deux hommes avaient saisie lorsqu'elle était
allée chercher de l'eau à la
fontaine, et vendue à Emé Eté
qui l'avait donnée à Ma ; la
petite Annie qui eût été
ensevelie vivante dans la tombe de sa mère
si Ma ne l'avait recueillie ; et six autres
garçons et filles ! Rien
d'étonnant à ce que la maman adoptive
fût souvent embarrassée de savoir
comment nourrir, vêtir, élever tout ce
monde !
Parfois les provisions se trouvaient
subitement épuisées ; il n'y
avait plus de boîtes de lait pour les tout
petits et il fallait, coûte que coûte,
aller sans retard s'en procurer à Creek
Town. Un jour que Ma montait la garde auprès
de quelques femmes enfermées dans une
palissade et condamnées à mort,
Janie, qui de temps en temps lui passait une tasse
de thé à travers la clôture,
vint tout à coup lui dire tout bas :
« Nous n'avons plus de lait, et
bébé pleure ».
Comment s'en tirer ? Dès
qu'il fit nuit, Ma se glissa chez elle, coucha le
petit affamé dans un panier qu'elle remit
à une femme, et à elles deux les
voilà parties pour Creek Town où
elles n'arrivèrent qu'à 4 heures du
matin. Ma réveilla une des dames
missionnaires, se reposa pendant une heure, puis
elle et sa compagne retournèrent à
Ekenge. Seulement cette fois ce fut dans la pirogue
du bon roi Eyo et sous la garde de ses
rameurs ; ô joie ! l'absence de Ma
n'avait pas été
remarquée ; et cette fois encore la
maman blanche obtint la libération de toutes
les prisonnières.
Comme vous le pensez bien, cette vaste
« famille », composée de
tant d'éléments divers, n'engendrait
pas la mélancolie ! Et Ma aimait
à rire et à s'amuser tout autant que
ses petits. Elle ne pouvait pas les conduire dans
de beaux magasins en au cinéma ! Alors
elle imaginait de loin en loin un jour de vacance,
avec un goûter « très
spécial » et des cadeaux pour
chacun. Mais le plus grand bonheur de tout ce
monde, c'était l'arrivée à
Ekenge des caisses envoyées d'Écosse.
Car, là-bas, on n'oubliait pas Ma
et on travaillait pour elle - des vêtements,
des livres, des gravures, des riens de toutes
sortes étaient réunis,
emballés dans des caisses
expédiées dans l'Okoyong, à
l'adresse de « Miss
Slessor ».
Les élèves des
écoles du dimanche écossaises
pensaient eux aussi à la Mission du Calabar
et lui consacraient leurs petites économies,
comme Ma l'avait fait autrefois. Ces
élèves finirent par réunir une
somme suffisante à la construction d'un
vapeur destiné à faire le service le
long des deux rivières, le Calabar et
l'Okoyong. Le petit vapeur, une fois construit,
reçut le nom de David Williamson en souvenir
d'un pasteur qui avait autrefois visité les
stations missionnaires de ces contrées. Mais
vous ne devineriez jamais le nom que lui
donnèrent les indigènes ! Ils
l'appelaient : la pirogue qui
fume !
Imaginez un peu l'excitation de tous les
habitants de la maison missionnaire lorsqu'un
messager à moitié nu, la sueur
luisant au soleil sur sa peau noire, apparaissait
à Ekenge, et criait de loin :
« Ma ! la pirogue qui
fume est à
l'escale ! »
« Bravo !
répondaient une douzaine de voix. Des
cadeaux ! Ma, pouvons-nous partir tout de
suite ? »
Ma, non moins ravie que ses
négrillons, était tout aussi
pressée qu'eux de déballer les
caisses ! Hommes, femmes et enfants,
dévalaient en courant le sentier conduisant
à la berge où le David Williamson
était amarré.
D'ordinaire les caisses étaient
trop lourdes pour être
transportées telles quelles chez Ma ;
il fallait les ouvrir sur place, réunir
plusieurs paquets en un seul, et confier ces colis
aux indigènes qui les portaient sur leurs
têtes et défilaient un à un sur
le sentier à travers la forêt. Parfois
il fallait deux ou trois voyages avant que tout le
contenu de toutes les caisses fût
réuni dans la maison missionnaire. Mais
alors, avec quelles délices on ouvrait les
paquets ! Quels cris de ravissement poussaient
les enfants, - et mêmes les grandes
personnes ! - en contemplant tel ou tel objet
qui leur paraissait tenir du prodige !
On trouvait dans ces caisses des
douzaines de vêtements en indienne, des
lainages, des bérets, des cache-nez, des
mouchoirs, des serviettes, des rubans, des boutons,
du fil, des lacets, des dés, des aiguilles,
des épingles, des perles, des
cuillères et des couteaux, des livres
d'images, des textes à suspendre au mur, des
plumes, et que de choses encore ! Les femmes
touchaient avec une admiration pleine de respect
les jolis petits objets de layette ; et les
hommes battaient des mains lorsque Ma exhibait aux
regards une robe ou un corsage, aux brillantes
couleurs.
Ma n'osait pas donner les poupées
en cadeau, parce qu'elle craignait qu'on n'en fit
des idoles ! Elle se servait des
poupées les plus soigneusement
habillées comme leçons de choses pour
enseigner aux femmes comment se faisaient les
vêtements et comment ils se portaient.
Certains objets fort communs chez nous
étaient considérés comme des
trésors là-bas. Ainsi lorsque Ma
offrit un essuie-plumes à
Janie, celle-ci s'écria d'un ton de
reproche :
« Quoi, essuyer avec cela une
plume sale ? Jamais ! » Et elle
pendit son essuie-plumes au mur, en guise
d'ornement.
À une vieille femme
récemment convertie, Ma remit une gravure
intitulée : « La
lumière du monde. » La vieille,
regardant la gravure avec émotion,
dit : « Oh ! je ne serai plus
jamais seule. »
Si vous aviez observé Ma pendant
qu'elle déballait et examinait le contenu
des caisses, vous l'auriez surprise fourrageant
partout comme si elle cherchait quelque chose de
spécial. Et lorsqu'elle avait trouvé
l'objet de son désir, elle poussait un cri
de triomphe ! C'étaient... des
boîtes de caramels et de chocolats !
Chacun savait en Écosse qu'elle aimait les
sucreries, et jamais on ne lui aurait
adressé une caisse sans y mettre quelques
bonbons. « Mes petits aiment les
sucreries », disait-elle à ses
amis ; mais ceux-ci lui riaient au nez et
répondaient : « Et Mary
Slessor les aime autant qu'eux ! » -
« Certainement »,
reconnaissait-elle, riant à son
tour.
Quand tout avait été
examiné, et que Ma avait dit aux enfants qui
avait envoyé ceci et cela, tous, se
mettaient à genoux et remerciaient le
Seigneur d'avoir mis au coeur de tant d'amis de
penser à eux, membres de son troupeau
africain.
Puis Ma disait : « Allons
nous coucher, mes chéris. Mais quelle belle
journée nous avons eue ! C'est presque
comme un anniversaire de naissance. Puissions-nous
en avoir beaucoup d'autres
semblables ! »
Ma ne distribuait pas gratuitement tout
ce qu'on lui envoyait d'Écosse. Elle donnait
à Edem une robe de chambre aux couleurs
voyantes, - robe qu'il revêtait pour les
séances du tribunal, provoquant ainsi
l'admiration... et la jalousie ! Ma donnait
encore un vêtement en flanelle de coton
à une femme pauvre et âgée,
pour lui tenir chaud en hiver ; mais, en
règle générale, elle
préférait que l'on gagnât par
son travail l'objet qu'on désirait
posséder, ou que l'on payât une partie
du prix. Elle enseignait ainsi aux indigènes
à vouloir se procurer tel ou tel
vêtement, et cela seul était
déjà un progrès très
réel.
À ce sujet cela vous
intéressera de savoir que, de tous les
objets que Ma possédait ceux que les femmes
indigènes admiraient par-dessus tout
étaient sa pendule, sa machine à
coudre et son harmonium. On venait de bien loin
pour contempler ces merveilles qui excitaient
l'envie générale.
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