Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



REINE BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary Slessor, missionnaire au Calabar



TROISIÈME PARTIE

La Conquête de l'Okoyong
1881-1902.

CHAPITRE VI

 

Il ne faut pas s'étonner si des peuplades sauvages, si nouvellement soumises au protectorat de la Grande-Bretagne, oubliaient bien vite les lois qui leur avaient été imposées, pour continuer leur vie accoutumée. Ma voyait bien ce qui en était ; souvent elle menaçait les indigènes de leur faire sentir le joug du pouvoir dont elle était le représentant de par son titre de consul.

Une fois, les terres d'une veuve avaient été saisies. Elle demanda aux gens s'ils préféraient que le cas fût jugé par la loi de Dieu ou par le consul accompagné d'un canon. Les indigènes réfléchirent, puis répondirent. « Iko Abasi », (par la loi de Dieu).
Sur ce, Ma ouvrit sa Bible et lut à haute voix :
« Voilà la loi de Dieu », dit-elle. Et les terres furent rendues à la veuve.
Puis un chef mourut, et un innocent fut accusé d'avoir causé sa mort. Ma en fut avertie ; mais une tempête faisait rage et elle envoya le message suivant : « Dès que la pluie aura cessé, je viendrai voir de quoi il s'agit ».
« C'est cela ! grognèrent les gens. Et, quand elle viendra, elle ne nous permettra pas de donner le poison au prisonnier. Cachons-le bien vite ».
Et d'urgence ils expédièrent cet homme au fin fond de la forêt, hors de l'atteinte de Ma.
Lorsque celle-ci, fatiguée et malade, apprit les faits, elle dit simplement : « Très bien ; cette fois-ci je n'irai pas à leur recherche. Il faut absolument qu'ils apprennent à obéir aux lois, et il est temps que je leur donne une leçon ».

Elle écrivit sur le champ au consul de Duke Town, le priant d'envoyer quelqu'un qui eût l'autorité nécessaire pour imposer sa décision dans la circonstance présente. Et, afin d'être sûre que la lettre arriverait à destination, elle la porta elle-même à l'embarcadère et la remit à un homme de confiance.
Mais en pays nègre tout se sait ! Ce que Ma venait de faire parvint sans retard à l'oreille des perturbateurs, et ils sortirent de la forêt en aussi grande hâte qu'ils s'y étaient cachés. Ils se précipitèrent à la maison missionnaire.
- Où est Ma ? demandèrent-ils à Janie. Nous avons besoin de Ma.
- Ma a été chercher le consul, répondit Janie, de fort mauvaise humeur. J'espère qu'il viendra avec un gros canon. Il en est temps. Vous êtes en train de tuer Ma avec vos sottises.

Confus et sérieusement alarmés, ces hommes se retirèrent. Pour eux, « un gros canon » signifiait leurs maisons et leurs récoltes détruites, ruinées, des arrestations, des emprisonnements. Dès que Ma fut de retour, ils revinrent, et la supplièrent d'obtenir du consul qu'il s'engageât d'avance à ne pas venir avec l'idée de leur faire la guerre.
« Entendu, répondit Ma ; nous aurons un grand palabre et nous discuterons sur toutes vos mauvaises coutumes. »

Lorsqu'arriva l'envoyé officiel du consul, accompagné de quelques soldats, il fut bien amusé de trouver cette reine « d'Okoyong » assise nu-tête sur son toit pour y réparer une brèche ! Ma descendit et reçut ses visiteurs. Un grand palabre eut lieu, et les chefs promirent solennellement de ne tuer personne aux enterrements, et de laisser vivre les jumeaux.
Mais Ma leva les épaules. « Ils promettront tout ce que vous voudrez, dit-elle au représentant de l'autorité britannique ; n'empêche qu'il me faudra les surveiller comme du lait sur le feu. » Car elle les connaissait à fond ses amis les indigènes ! En effet, ils ne tinrent pas leurs engagements, et Ma dut demander que le consul vînt en personne, ce qui fut fait. Sir Claude Macdonald parla aux chefs avec bonté, mais aussi avec fermeté. « Les lois sont faites pour votre bien, dit-il, pour votre sûreté et pour maintenir la paix ; mais si vous ne les observez pas, vous serez punis. »

Acquiesçant à tout ce que disait le consul, les chefs lui déclarèrent : « Monsieur, quand on nous dit quelque chose une fois, nous n'y faisons pas attention ; mais quand on nous le dit deux fois, nous y obéissons ».
Ma aussi prit la parole. Elle parla des bénédictions qui accompagneraient l'obéissance aux lois, dépeignit les jours de bonheur et de paix dont le pays jouirait, - même après qu'elle aurait disparu.
« Ma ! Ma ! interrompirent les chefs vivement émus, tu ne peux nous quitter ! Tu es notre mère et nous sommes tes enfants. Dieu ne te prendra pas avant que nous ne puissions marcher tout seuls ».

Cela se passait en 1896. Après ces événements importants, la vie de Ma se fit plus active et remplie que jamais. Elle s'aperçut que petit à petit les habitants d'Ekenge quittaient le village pour aller s'établir plus avant dans le pays, et bâtissaient de nouvelles huttes à un endroit appelé Akpap. Elle décida de les suivre.
La Mission promit de lui bâtir une maison à Akpap ; mais construire une maison prend du temps, surtout en Afrique où personne n'est pressé !

En attendant l'accomplissement de cette promesse, il fallait bien que Ma se logeât, elle et sa nombreuse famille. Elle ne trouva de disponible qu'un petit hangar, sorte d'étable à deux compartiments comme ces cabanes de bergers dans la montagne, qui sont dépourvues de fenêtres et qui ont le sol pour plancher. Mais Ma, comme de coutume, pensa au Maître qu'elle servait, et qui, lui, n'avait pas même un « lieu où reposer sa tête » durant sa vie terrestre ; elle ne se plaignit pas. Elle arrangea ses caisses dans un des compartiments de la hutte et elle et ses enfants s'installèrent dans l'autre.

LA MAISON DE MA À AKPAP

Le hangar, rendez-vous général des rats, lézards, fourmis, cafards, et de tous les insectes qui volent ou qui rampent, laissait fort à désirer lorsqu'on espérait dormir. Les rats se servaient de Ma comme d'un tremplin pour gagner le toit où ils se livraient à un jeu de cache-cache des mieux réussis.

M. Ovens, arrivant à Akpap pour y entreprendre la construction de la maison missionnaire, voulut, pour se rafraîchir, se laver la figure. Dans la demi-obscurité de la hutte, il aperçut une cuvette pleine d'eau et qui contenait même ce qu'il prit pour une éponge. Ravi, il saisit ladite éponge ; la promena sur sa figure, et découvrit... que son éponge n'était ni plus ni moins qu'un rat noyé !
De cette humble demeure, comme si c'eût été un palais, Ma continua à régner sur l'Okoyong.

Hélas ! une maladie étrange s'abattit sur les enfants de la contrée ; quatre des tout petits de Ma en furent atteints et y succombèrent. Puis la petite vérole, ce terrible fléau, frappa le pays et en décima les habitants. Partout les huttes étaient remplies de cadavres que personne n'osait ensevelir. Ma, occupée de l'aurore à la nuit et souvent de la nuit à l'aurore, vaccinait les bien portants, soignait les malades et les mourants. Au grand chagrin de Ma, Edem fut atteint à son tour. Malgré tous ses défauts, résultat inévitable de son éducation païenne, il avait toujours témoigné de la bonté à Ma, et celle-ci lui en était reconnaissante. Edem n'avait pas suivi ses sujets à Akpap, et ce fut à Ekenge que Ma se rendit pour le soigner. Elle le trouva absolument seul, car tous l'avaient fui dès les premiers symptômes de la maladie. Pendant de longues heures elle lutta de son mieux contre le mal. Vains efforts : Edem mourut vers le milieu de la nuit. Alors, fatiguée comme elle l'était par sa longue marche, son manque de sommeil et tous ses travaux récents, Ma sortit de la hutte, alla chercher des planches, fit un cercueil dans lequel elle plaça le cadavre, puis elle creusa une fosse et y enterra le chef.

Vous avez bien compris ? Cette femme, seule dans la nuit, en pleine forêt, fit un cercueil, creusa une tombe, ensevelit un mort...

Lorsque le chef d'Ekenge entra dans « le monde des esprits », il n'y eut ni danses, ni orgies, ni meurtres autour de son cercueil ; mais les étoiles silencieuses brillaient au ciel, et une femme blanche, solitaire et triste, priait près de la tombe. L'aube naissante trouva Ma se traînant péniblement à Akpap, où elle arriva brisée et dut s'aliter.
Elle ne se reposa pas longtemps ! Partout on l'appelait.

Cependant, après plusieurs accès de fièvre, elle dut reconnaître que l'énergie et la volonté d'agir ne remplaçaient plus pour elle les forces physiques épuisées. Ses amis de la Mission lui répétaient : « Si vous ne prenez pas un congé immédiatement, vous mourrez ». Elle ne désirait pas mourir encore : elle voulait vivre et travailler pour Jésus, son Maître et son Sauveur. « Très bien, répondit-elle donc ; si un congé doit me rendre des forces, va pour le congé ! Mais que faire de mes petits ? »

Une dame missionnaire d'une autre station offrit de se charger de deux des plus jeunes et de quelques fillettes avec l'aide d'lyé. Sur quoi Ma décida que Janie, Mary, Alice et Maggie l'accompagneraient en Écosse.
- Ma, protestèrent ses amis, malade comme vous l'êtes, vous n'allez pas voyager avec quatre petites négrillonnes ? Impossible !
- Dieu peut faire que l'impossible devienne possible, dit-elle simplement. Il prendra soin de moi et des enfants.

Et elle expliquait : « Janie est déjà grandette et m'aide beaucoup ; Mary a cinq ans et se tire d'affaire toute seule ; Alice a trois ans et est une petite débrouillarde, et Maggie, qui n'a que seize mois, se tient assise et s'amuse d'un rien ». C'est ainsi que, comme toujours, elle aplanissait des difficultés qui pour tout autre eussent paru insurmontables !

Restait la question des vêtements.
-Avez-vous le nécessaire ? demandait-on à Ma.
- Nous ne possédons que ce que nous avons sur le dos ; les fourmis ont tout abîmé pendant ma maladie. Mais là encore le Seigneur pourvoira.
« Qu'il te soit fait selon ta foi », dit Jésus. Lorsque Ma et son quatuor arrivèrent à Duke Town, elles y trouvèrent une caisse qui venait d'arriver de Glasgow à l'adresse de Ma, et qui contenait exactement tout ce dont les voyageuses avaient besoin. En remerciant les donateurs, Ma leur écrivit qu'elle espérait qu'ils ne seraient pas vexés de l'emploi qu'elle avait fait de leurs cadeaux, car vraiment, leur dit-elle, tout sera employé pour le service du Christ, comme si les vêtements avaient été distribués dans l'Okoyong.

On était alors en 1898. Le voyage fut des plus faciles. La bonté de chacun enveloppait Ma comme un chaud rayon de soleil. À l'arrivée à Liverpool, elle remit son porte-monnaie à un employé du chemin de fer en le priant de lui procurer les billets pour le train. L'employé, vivement intéressé comme tous les spectateurs par cette femme blanche entourée de quatre petites négresses, se hâta de prendre les billets et d'installer confortablement les voyageuses dans le train pour Edimbourg. À Edimbourg une vieille amie de Ma l'attendait sur le quai, et emmena toute la bande chez elle.
« Est-ce que Dieu n'est pas bon pour nous ? » demandait souvent Ma avec un joyeux sourire.

Naturellement tout le monde ouvrait de grands yeux à l'apparition des petites négresses, mais tout le monde les traitait avec bonté, surtout ceux qui apprenaient leur triste histoire Janie seule savait quelques mots d'anglais, mais toutes ces fillettes étaient intelligentes et eurent bientôt fait de comprendre ce qui se disait autour d'elles. Mary fut même envoyée à l'école.

Après un séjour chez sa vieille amie, Ma crut préférable de louer une petite maison au bord de la mer et d'y vivre comme en Afrique, Janie faisant la cuisine et Ma se promenant partout nu-tête et pieds nus. Mais vivre en Écosse comme on vit sous les tropiques n'est pas chose si aisée que Ma se l'imaginait, et on la trouvait souvent grelottant auprès d'un grand feu ! Ce que voyant, une autre amie de Ma imposa sa douce volonté et emmena toute la maisonnée dans un joli village en pleine campagne, où l'on passa juillet et août.

Ma dut cependant quitter cette demeure de paix pour aller parler à des réunions missionnaires. Sa réputation s'était encore accrue depuis son précédent séjour en Écosse et chacun était impatient de voir et d'entendre cette étonnante femme-pionnière qui vivait seule au milieu des sauvages.
Mais Ma était restée timide ; en particulier elle refusait énergiquement de parler en public du moment que le sexe fort était représenté. Et si on se permettait de faire son éloge, elle se sauvait tout simplement ! Elle ne se mettait jamais en scène : c'est de l'oeuvre qu'elle parlait, et des besoins de cette oeuvre qu'elle n'appelait jamais sienne.

On obtint qu'elle prît la parole dans une grande assemblée à Edimbourg. Comme de coutume, elle parla très bien. Quelques étudiants en théologie se glissèrent sans bruit sous une tribune pour l'écouter ; elle ne sembla pas y faire attention, mais tout à coup, s'adressant à eux directement, elle leur dit : « Il y a ici beaucoup d'étudiants qui sont prêts à servir Jésus ou qui se préparent à le faire. D'ici peu, ils se mettront à la recherche de belles églises et de confortables presbytères, alors que là-bas il y a des multitudes qui n'ont jamais entendu parler de leur Sauveur. Pour l'amour de Dieu ne veulent-ils pas venir là-bas travailler en son nom ? »

Souvent elle parlait des bienfaits de la prière. « Si vous vous sentez tout à coup poussé à prier pour tel ou tel missionnaire, disait-elle, faites-le tout de suite, où que vous soyez. Peut-être que celui ou celle pour qui vous priez est à ce moment précis en grand danger. Une fois que j'avais à faire à une foule d'hommes armés réunis dans un enclos, je sentis qu'une force m'était donnée pour leur tenir tête en réponse à la prière de quelqu'un. »


À une autre réunion, s'adressant aux jeunes, elle leur dit comment se reconnaissent les gens bien élevés et comme il faut : « Ce n'est pas, dit-elle, parce qu'ils portent de beaux habits ou possèdent de grandes richesses, mais c'est parce qu'ils ont des manières affables et de la considération pour les autres. Ce n'est pas parce qu'ils donnent leur argent ou se privent d'un peu de luxe pour hâter la venue du Royaume de Dieu, mais c'est parce que, chaque jour et de bon coeur, ils renoncent à eux-mêmes en faveur des autres, de ceux qui sont près et de ceux qui sont loin ».

C'est avec les enfants qu'elle était le plus à son aise ; et, lorsqu'elle entourait avec eux la table à thé, ou qu'elle s'asseyait par terre devant le feu en bonne compagnie, elle se surpassait. Elle leur racontait quelque terrible histoire qui les faisait trembler, - histoire vraie de ce qui lui était personnellement arrivé dans l'Okoyong. « 0 Maman, demandaient ces chéris lorsque leur mère les bordait le soir dans leurs lits, comment miss Slessor peut-elle vivre comme cela, toute seule avec ces sauvages, et les bêtes féroces si près ? »
« Ah ! répondait la maman tout doucement, elle le fait parce qu'elle aime Jésus et veut le servir. Je me demande si toi tu aimerais ton Sauveur à ce point-là ? »
Et les petits cerveaux des jolies petites têtes enfoncées dans les doux oreillers se le demandaient aussi...

Ma était également un problème pour les grandes personnes, car on voyait bien qu'elle était non seulement timide, mais craintive. Ainsi jamais elle n'aurait traversé un champ dans lequel passait une vache ! Elle n'osait pas traverser une rue seule, et n'arrêtait pas un omnibus en marche : elle n'y montait que s'il s'arrêtait par hasard pour un autre voyageur ! Elle tremblait dans un petit bateau ou dans une voiture qui allait vite. Qu'aurait-elle donc éprouvé dans une auto faisant du 60 à l'heure !

Pourquoi donc les choses l'effrayaient-elles à ce point ? Parce que tout cela ne concernait qu'elle personnellement. Lorsqu'il ne s'agissait pas d'elle-même, que le danger était pour les autres et qu'elle devait défendre et protéger ceux-ci, alors elle s'oubliait absolument, ne pensant qu'à ce qu'il y avait à faire ; elle se montrait alors brave et forte comme peu d'hommes le sont. Volontiers elle se serait sacrifiée pour les autres au service de Jésus.

Ma avait compté que son absence durerait un an ; mais, lorsque vint l'hiver d'Écosse avec son ciel gris, son froid pénétrant et ses pluies perpétuelles, elle et ses fillettes eurent faim et soif du soleil et de la chaleur de l'Afrique. Et puis, comme vous le devinez bien, Ma pensait toujours à l'Okoyong et à l'oeuvre qui l'y attendait. Aux amis qui tâchaient de la décider à rester en Écosse plus longtemps elle répondait : « Si vous ne me laissez pas partir, j'irai là-bas à la nage. Pensez à tous ceux qui meurent sans connaître Jésus ».

Elle et ses fillettes se remirent donc en route et passèrent sur mer la Noël de 1898. Quelle réception les attendait à Akpap ! Quelle bienvenue elles reçurent ! « Tout ira bien maintenant puisque Ma est de retour ! » disaient les indigènes ! La souveraine de l'Okoyong avait repris son sceptre.

Mais les trois années qui suivirent furent les plus solitaires, les plus arides que Ma eût encore connues. La Mission, qui avait espéré lui envoyer une aide, ne put le faire ; elle-même fut empêchée d'aller une seule fois au Calabar, et elle reçut fort peu de visites des autres missionnaires. De plus, elle avait à lutter sans trêve contre sa mauvaise santé ; pour elle, pas un jour ne se passait sans souffrance ; elle avait de longues nuits d'insomnie, et de violents accès de fièvre qui la laissaient presque mourante. Représentez-vous ce que cela devait être pour elle de n'avoir personne d'autre pour la soigner que ses fillettes noires. Pourtant, jamais elle ne se laissait aller à la mélancolie. Son indomptable énergie l'aidait à tenir tête à la faiblesse envahissante ; dès qu'elle le pouvait, elle faisait un effort pour se remettre au travail en souriant et d'un coeur vaillant.

Comme toujours, il s'agissait d'aller en toute hâte arracher des jumeaux à la mort, ou de s'occuper de petits orphelins, ou encore de se rendre à quelque village pour y lutter contre l'ivrognerie, sans parler du travail sur la station même. La maison missionnaire était maintenant bâtie, - rien de bien confortable, vous pouvez m'en croire, - mais enfin une maison « avec un étage ». Grand luxe, vous le voyez ! Le bas de la maison servait d'école, d'église et de lieu de réunion. Ma y tenait le culte du dimanche et les classes bibliques.

De plus, elle avait à présider les séances du tribunal, à assister aux palabres, à s'occuper du dispensaire, à faire des réparations, etc. etc. Elle était si absorbée qu'il pouvait lui arriver d'oublier à quel jour de la semaine on en était. Une fois elle célébra les services le lundi, croyant être au dimanche, et une autre fois on la trouva réparant son toit un dimanche alors que les services avaient eu lieu la veille !

Ma tenait les rênes du gouvernement d'une main à la fois ferme et douce. Les années écoulées l'avaient tant soit peu changée, en ce sens qu'elle comprenait maintenant la nécessité de se montrer parfois sévère avec les indigènes, et qu'elle leur parlait souvent comme un homme n'aurait jamais osé le faire. Quiconque comparaissait devant son tribunal pour avoir maltraité une femme était sévèrement puni ; et si un chef se permettait d'être d'un autre avis que le sien, ôtant une des pantoufles qui faisaient partie de son costume « officiel », elle en frappait le rebelle sur son épaule nue !

Jamais elle n'avait peur de ces gens ; de nuit et de jour elle circulait sans armes parmi eux ; les portes de sa maison n'étaient pas fermées à clef. Un jour que la foule s'était saisie d'un meurtrier et l'avait presque écartelé avant de le lui amener, elle écouta l'accusation, puis décida d'envoyer le prisonnier au tribunal de Duke Town. Alors, renvoyant ceux qui le gardaient, elle lui enleva ses chaînes, le fit entrer dans la maison missionnaire, s'assit, et parla longuement et sérieusement à ce meurtrier. L'homme, grand, violent, sombre, n'aurait pas eu grand'peine à la renverser d'un coup de poing et à se sauver dans la forêt ; mais il écouta en silence ce qu'elle lui disait et se laissa conduire dans une chambre où elle l'enferma le reste de la nuit.

Pendant les longues années qu'elle passa dans l'Okoyong, on ne lui fit mal qu'une seule fois et ce fut par accident : elle voulut séparer de force deux combattants et, dans la bagarre, le bâton de l'un d'eux la frappa. Un cri d'horreur retentit.
« Ma est blessée ! Notre Ma est blessée ! »

Des deux camps on se rua sur le malheureux homme qui tenait encore son bâton, et on le mit dans un état pitoyable.
« Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! criait Ma. Il n'avait pas eu l'intention de me frapper. »

Usant de toute sa force, elle fit reculer les agresseurs et arracha de leurs mains l'homme presque mort.
Ainsi, une à une, les années s'écoulèrent et l'aube de 1900 se leva. « Un siècle nouveau, dit Ma d'un air rêveur. Qu'apportera-t-il ? Qu'il nous suffise de savoir que la bonté du Seigneur ne nous fera jamais défaut. »

Il y avait maintenant quinze ans que Ma était arrivée dans l'Okoyong, et elle n'avait pas perdu sa récompense. Non seulement les vieilles coutumes païennes avaient presque entièrement disparu et le pays était en pleine paix, mais le nombre des disciples de Jésus augmentait de plus en plus.

En août 1903 l'Eglise fut fondée, et sept jeunes chrétiens reçurent le baptême en présence d'une grande assemblée. Le lendemain, onze des « enfants » de Ma furent aussi baptisés, et ce même jour, - splendide journée de dimanche, - les chrétiens se réunirent pour la première fois autour de la Table du Seigneur.
Ma, profondément émue, écouta les larmes aux yeux le chant, en efik, du psaume CIII. Elle aussi pouvait dire : « Mon âme, bénis l'Éternel ». « Rappelez-vous, dit-elle aux jeunes chrétiens membres de la jeune Église, que maintenant c'est à vous qu'on regardera et non à moi, pour juger de ce qu'est la puissance de l'Évangile. »

A elle seule, Ma avait mené à bonne fin, dans l'Okoyong, le travail pour lequel, au Calabar, il avait fallu le nombreux personnel de la Mission. Mais jamais elle n'acceptait qu'on lui en fît honneur ; elle n'était, disait-elle, que l'instrument dont le Seigneur se servait pour manifester son pouvoir. Lui était le Roi de l'Okoyong ; elle n'était que son humble servante.


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