Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



REINE BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary Slessor, missionnaire au Calabar



 CINQUIÈME PARTIE

En Avant - Toujours

1910 - Janvier 1915.

CHAPITRE I

 

Malgré son âge, malgré sa faiblesse, Ma n'était pas au bout de ses voyages d'aventure et de découverte. Un jour arriva à Use, venant on ne savait d'où, un jeune noir suivi de plusieurs hommes d'apparence étrange.
- Moekoemoe Ma, dit-il, je te salue. Nous sommes venus te rendre visite. Nous venons d'lkpé. Les soldats et les gens se sont battus ; les gens ont pris la fuite. Je te connais de réputation et j'ai parlé de toi aux gens ; ils te prient devenir les aider.
- lkpé ?... lkpé ? répéta Ma. Où est-ce donc ? Je n'en ai jamais entendu parler.
- Tout là-bas, en remontant le Creek, répondit vaguement son interlocuteur. À deux jours de pirogue. C'est une grande ville.
- Les chaloupes de commerce remontent-elles jusque-là ?
- Non; les hommes du Calabar ne sont pas admis à Ikpé.
- Je comprends ! C'est un marché interdit aux étrangers. Mais que désirent tes gens?
- Devenir des hommes de Dieu et apprendre à lire. Nous sommes déjà quarante qui avons décidé de servir ton Dieu.

Ma eut encore une longue conversation avec ses visiteurs. Ceux-ci répétaient sans cesse : « Viens toi-même, Ma ! Pars avec nous ! »
Évidemment ils savaient qu'elle était toujours prête à aller n'importe où, à bref délai !
-« Non ; je ne puis pas partir tout de suite, mais je viendrai le plus tôt possible. » Et satisfaits, les messagers se remirent en route le coeur léger.

Cependant, Ma reculait devant l'idée d'entreprendre encore du nouveau, d'aller dans un pays où elle ne connaîtrait personne et ne verrait jamais aucun blanc. Et puis, elle était si souffrante !... Mais n'importe. L'esprit d'aventure la tourmentait comme de coutume, et, un beau matin, elle s'assit dans une pirogue et remonta la rivière.

Lorsqu'elle eut laissé en arrière tous les endroits qu'elle connaissait, que de nouveaux spectacles s'offrirent à sa vue ! Les arbres qui bordaient les deux rives de l'Enyong Creek étaient couverts de fleurs exquises et de fougères ; les singes gambadaient dans les branches et s'y suspendaient par la queue ; les papillons et les libellules étincelaient au soleil, pendant que les serpents, glissant le long de vieux troncs d'arbres, s'éloignaient à la dérobée.

Ça et là, Ma vit la tête hideuse d'un hippopotame se soulever au-dessus des eaux pour observer la pirogue, et elle remarqua que les rives portaient la lourde empreinte des pas de ces massifs pachydermes. Après huit heures de navigation, elle et ses rameurs se trouvèrent tout à coup en face d'un de ces monstres qui, surgissant devant la pirogue, ouvrit son énorme gueule comme pour l'avaler d'une bouchée. La nuit tombait et la rivière se faisait plus étroite : « Très bien, très bien, mon vieil hippo ! dit Ma, nous ne te disputerons pas le droit de nous renvoyer ! » La pirogue vira de bord, atterrit, et Ma passa la nuit dans une affreuse hutte sale, remplie de moustiques.

Mais le manque de confort eut sa très grande compensation : Ma trouva dans ces parages un chef qui avait entendu parler d'elle, et de Jésus qu'elle annonçait. Bien qu'il ne sût pas lire et que tout le monde se moquât de lui, il adressait ses prières à Celui qui était encore pour lui « le Dieu inconnu ». Ma l'encouragea, pria avec lui, et partit le laissant tout heureux.

À la douce lumière de l'aube naissante, la pirogue glissa de nouveau sur les eaux paisibles, jusqu'au moment où l'Enyong Creek devint trop étroit pour lui livrer passage. Ma descendit à terre et se fraya, à travers la brousse, un chemin jusqu'à lkpé.
Elle trouva là une ville plus prospère qu'elle ne se l'était imaginé ; quatre races différentes s'y mélangeaient. Mais quelles horreurs le péché y étalait et combien les ténèbres y étaient profondes !

Les vieux chefs reçurent Ma sans enthousiasme ni empressement ; mais tout autre fut l'accueil des jeunes hommes : ils lui souhaitèrent chaudement la bienvenue. Ceux d'entre eux qui désiraient devenir chrétiens avaient déjà commencé à bâtir une petite église, à l'extrémité de laquelle ils avaient disposé deux pièces pour son usage personnel. Et l'attitude de ces jeunes hommes témoignait à elle seule de leur sérieux. Un jour que Ma entra inopinément dans une cour, elle y trouva deux d'entre eux à genoux, priant « le Dieu des hommes blancs ».
N'est-ce pas à des cas analogues à celui-ci que s'appliquent les paroles de Jésus : « Plusieurs des derniers seront les premiers » ; et encore : « Plusieurs viendront d'Orient et d'Occident qui seront à table dans le royaume des cieux » ?

Ma resta quelques jours à lkpé à étudier la situation, et se rendit compte que la ville pourrait devenir un centre important pour l'évangélisation de la contrée ; puis elle partit, en promettant de revenir.
En effet, elle revint à plusieurs reprises. Chaque fois on lui demandait : « Es-tu venue pour rester ? » - « Pas encore ! » répondait-elle. - « 0 Mal quand viendras-tu pour toujours ? »
Que pouvait-elle répondre ? Comment abandonner son oeuvre à Use ? Elle avait supplié la Mission d'envoyer à son secours d'autres missionnaires, mais les mois passaient... et personne ne venait.

Bientôt deux églises furent construites à Ikpé et les démarches auprès de Ma se firent de plus en plus nombreuses, les requêtes plus instantes. Ma se dit : « C'est un appel auquel je ne puis fermer l'oreille. Je suis vieille et fatiguée, mais je ferai de mon mieux pour tenir tête à l'oeuvre des deux stations. Plus de paresse pour moi. »

UNE ÉGLISE À IKPÉ

... O Ma ! avait-il jamais été question de paresse pour vous !...

Elle fut donc constamment en route, descendant ou remontant le Creek ; chaque trajet prenait près de deux jours. D'Ikpé on envoyait une pirogue et dix rameurs l'attendre à une plage près d'Itu. Que de mouvement et d'agitation dans la maison d'Use avant que tout fût prêt pour le départ ! Puis il fallait fermer la maison, - non pas à clé, comme nous le faisons - mais en clouant les fenêtres et en remplissant de bois et d'argile les espaces qui tenaient lieu de portes !

On se mettait en route dans l'après-midi. Ma, assise sur une chaise au centre de la pirogue, avait à ses pieds le cabas qui contenait son cher chat jaune ; les enfants (bébés compris) s'installaient tout autour d'elle. Lorsque venait le soir, on descendait à terre pour passer la nuit dans un village, puis, dès 4 heures du matin, on remontait en pirogue. Ma n'aimait guère traverser la partie de la rivière que fréquentaient les hippopotames ! « Et pourtant, disait-elle, jamais encore ils ne m'ont touchée. Ils se contentent de soulever leur tête hideuse et de me regarder fixement. »

Lorsque la chaleur devenait insupportable, la pirogue s'arrêtait de nouveau et tous descendaient à terre ; les rameurs faisaient cuire un repas sur un feu de branches, et Ma plaisantait avec tous pour maintenir la gaieté générale. Vers 4 heures de l'après-midi on atteignait enfin la plage d'lkpé ; mais il y avait encore un long trajet à faire à pied, et tous arrivaient à destination bien fatigués et prêts à s'endormir d'un lourd sommeil.

Ces rameurs n'étaient autres que ce que nous aurions appelé les gamins d'Ikpé ; ils avaient le coeur chaud malgré leur rudesse. Voici ce que Ma écrivait à leur sujet aux enfants d'une école du dimanche d'Écosse : « Ils ne marchandent pas leur peine. Ils rament toute la journée en chantant gaiement, comme s'ils ne s'apercevaient pas que le soleil de feu darde sur eux ses plus ardents rayons.

Lors de notre dernier voyage, nous avions à bord une telle charge de bois de construction que nos rameurs n'avaient pas de place pour s'asseoir. Un chef qui nous vit passer m'offrit de décharger sur sa plage une partie du bois, « car jamais, dit-il, ces garçons ne pourront remonter le courant avec un tel fardeau ». Mais mes braves rameurs lui répondirent vivement : « La pirogue est solide. En avant ! »

« Ils ramèrent huit heures durant sans même prendre le temps de manger. Vers 7 heures du soir, avant de nous retirer pour la nuit, nous avons fait le culte à bord et je voudrais que vous eussiez entendu chanter ces garçons ! Lorsque vers 3 heures du matin la lune se montra à travers la brume, ils poussèrent la pirogue au large et de nouveau ramèrent pendant huit heures, réveillant les échos par leurs chants, échos d'affreux endroits où dans la vase et la boue les crocodiles et autres monstres trouvaient un sûr asile. »

Le voyage de retour - sauf qu'il se faisait en sens inverse - était la répétition du voyage d'aller. En arrivant à Use on pratiquait une petite ouverture dans l'argile qui fermait les portes, chacun se glissait par cette ouverture et allait vite se coucher. Souvent tous étaient trempés jusqu'aux os ; parfois même Ma était si percluse de douleurs qu'il lui fallait encore passer la nuit dans la pirogue. « Comment donc vous y prenez-vous en pareille circonstance ? » lui demandait-on. Et elle de répondre gaiement : « Je m'administre un calmant, je m'enveloppe dans une couverture, et je m'en tire admirablement bien ».

Un jour qu'elle revenait à Use, elle eut la désagréable surprise d'y trouver la maison fortement avariée par un ouragan. D'urgence elle se mit elle-même aux réparations nécessaires ; mais ce travail était maintenant au-dessus de ses forces ; elle tomba malade et dut s'aliter. N'empêche que, lorsque vint le dimanche elle se leva, se traîna à l'église, s'assit sur une chaise et présida le culte comme de coutume.

Un jeune médecin missionnaire nommé Hitchcock était depuis peu établi à Itu. Il avait entendu parler de Ma et savait qu'il était assez dans ses habitudes d'en faire un peu à sa tête ! Mais, lui non plus ne péchait pas par un manque de volonté, et lorsqu'il trouva Ma si malade, il la prit en main et lui dit carrément comment elle devait se soigner. Pauvre Mal elle avait trouvé son maître ! Mais, au fond, elle ne demandait pas mieux que d'obéir aux ordres donnés ; sous les soins éclairés et pleins de tendresse de ce docteur, qui la traitait comme si elle eût été sa mère, et qu'elle-même traitait comme s'il eût été son fils, son état s'améliora un peu.
« Ma, lui dit le Dr. Hitchcock, plus jamais de bicyclette ! C'est fini pour toujours. » À défaut de bicyclette, Ma « fit du pousse-pousse » dans la petite voiture que lui envoyèrent ses amis d'Écosse ! Dans ce nouvel équipage, poussé par ses enfants, elle continua à parcourir la forêt.

Pendant ces jours de grande solitude, une des joies de Ma fut l'affection que lui témoignaient un grand nombre de jeunes, en Écosse. Elle écrivait à l'un d'eux qu'elle avait toujours un paquet de lettres à portée de sa main, et qu'elle lisait et relisait ces lettres comme elle aurait lu un livre. Plusieurs de ces jeunes étaient très jeunes ! En écrivant à Ma ils lui parlaient de leurs études, de leurs jeux, de leurs vacances, de leurs animaux favoris, de leurs livres, etc. Ma disait en parlant des lettres d'un certain petit garçon, qu'elles lui faisaient penser à une boîte de sardines tant elles étaient remplies de nouvelles pressées les unes contre les autres ! À toutes ces lettres Ma répondait longuement et d'une manière qui intéressait et amusait à la fois.

À une maman qui lui avait écrit qu'elle était bien aimable de se donner tant de peine pour de si jeunes correspondants, elle répondit : « Ce sont eux qui sont aimables pour moi. Ces chéris m'écrivent le plus simplement du monde ; ils me racontent leurs histoires ; ils jugent de tout à leur point de vue, à la lumière de leurs yeux innocents et avec l'intensité de leur vie débordante. Leurs lettres me sont un puissant tonique ; avec eux je vais en vacances : je cours les champs, je fais des pique-niques, je vais en bateau... il me semble presque que je respire l'air qu'ils respirent et que j'entends leurs cris joyeux. N'allez pas croire que, parce que je ressemble à un vieux parchemin ridé, mon coeur n'est plus aussi jeune qu'autrefois, et que je ne préfère pas mille fois les enfants aux grandes personnes ! Mais si, mais si ! car des enfants ont été mes seuls compagnons pendant les vingt-cinq dernières années. Certes, les fillettes chez vous sont attrayantes avec leur teint frais, leurs jolis cheveux et leurs gentilles manières ; lorsque j'étais en Écosse, c'était une joie pour moi de les regarder, de causer avec elles ; leur vue me faisait du bien ; je connais leur charme particulier. Mais ceci ne veut pas dire que je ne préfère pas les petits noirs aux petits blancs, bien au contraire. »

Une des correspondantes les plus régulières de Ma était une fillette habitant Edimbourg, et qui avait alors treize ans ; elle s'appelait Christine. Intelligente, s'essayant même à écrire des historiettes et des poésies, Christine était en même temps gentille, et aimable. Elle aimait de tout son coeur la vieille dame lasse et solitaire qui, du fond de sa forêt africaine, lui envoyait de si intéressantes missives. « Vous avez le génie de la correspondance, écrivait-elle à Ma ; vos lettres sont pleines de nouvelles, et d'affection aussi, de tout ce qui est vous. »

Voici un fragment d'une des lettres de Ma à sa jeune correspondante :
« Quelle délicieuse matinée ! Chez vous il doit faire gris et froid. Ici il est 6 h. 1/2 et je suis assise sous la petite véranda qui est mon sanctuaire. Nous avons fini de déjeuner, mais je ne me suis pas encore mise au travail, car il me faut une bonne heure pour remonter ma machine. Je voudrais bien que tu fusses ici pour jouir de notre brousse, de nos cocotiers et de nos palmiers, enveloppés en ce moment d'une buée bleue exquise, provenant de la fumée d'un feu de forêt. Oui : je crois vraiment que tu jouirais même de l'odeur âcre de la fumée. et que tu déclarerais que peu d'endroits sont aussi délicieux que le Calabar... Mais dans une heure !... Ce qu'il fera chaud ! »

Puis Ma racontait ce qui suit de la saison des « fumées » qui durait de novembre à février :
« Drôle de saison ; l'air est comme imprégné de quelque chose qui ressemble à du sable fin, et qui vous empêche d'y voir à dix mètres de distance. On a la gorge et le nez desséchés et douloureux, comme si on prenait l'influenza. Entre les visites de ces « fumées » qu'on dit venir du Sahara, la saison chaude vous brûle, vous grille, vous affaiblit, vous alanguit ; et l'on se demande où aller chercher une bouffée d'air pur et une gorgée d'eau fraîche. Et pendant ce temps les neiges de vos hauteurs, les vents glacés et les vagues de la mer chantent, dans vos climats froids, leurs chants de sirène ! »

À cela Christine répondit :
« Comme je voudrais pouvoir vous enlever à votre travail et à votre chaleur africaine et vous transporter chez nous pour de bonnes et longues vacances. Vous auriez sous les yeux les champs les plus verts de toute l'Écosse et ses hautes collines ; et le vent frais vous envelopperait. Les fleurs blanches et roses, les lourdes masses de l'aubépine, les douces senteurs de la giroflée, le chant des merles, la pelouse veloutée, l'avenue ombragée, les jacinthes sauvages, les petits oiseaux dans les haies, le radieux soleil du printemps se glissant entre les feuilles, comme tout cela vous prendrait le coeur ! »

Et, de fait, Ma avait grand besoin de vacances ; elle-même s'en rendait compte. Aussi, sans lui en rien dire d'avance, une dame écossaise fit tous les arrangements nécessaires pour lui procurer un congé aux Îles Canaries. Cette aimable dame se chargeait de tous les frais. Tout d'abord Ma protesta contre ce projet, « beaucoup trop beau », pensait-elle ; il lui semblait égoïste d'accepter ce « cadeau », alors que bien d'autres qu'elle avaient aussi besoin de repos. Mais les docteurs lui dirent : « Un congé pris maintenant vous mettra en état de reprendre du service ; sans congé vous ne pourrez plus travailler ». - « Dans ce cas, répondit Ma, j'accepte. » Et elle partit emmenant avec elle sa fidèle Janie, mais bien décidée à payer elle-même son voyage et ses frais de séjour !


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