Du
Thabor à Golgotha
V
VOILA
L'HOMME
I. NUIT DE
TÉNÈBRES
Avec un calme majestueux, le Seigneur a
dévoilé ouvertement le mystère
de sa divinité. La révélation
du Fils de Dieu que, depuis des siècles, les
prophètes et les rois ont attendue et
espérée, a retenti devant
l'assemblée des pères d'Israël.
Celui qui prononce cette parole est, il est vrai,
un homme sans apparence, c'est même un
prisonnier. Mais, dans sa courte vie, il a
montré qu'il avait le droit de rendre ce
témoignage.
À l'ouïe de cette
déclaration, les principaux, les
sacrificateurs, les anciens, se lèvent avec
violence. « Le souverain sacrificateur
déchira ses habits, disant : Il a
blasphémé ; qu'avons-nous plus
besoin de témoins ? Vous venez
d'entendre son blasphème. Que vous en
semble ? Ils répondirent :
Il mérite la
mort. »
(Matth. XXVI, 65, 66.) Chose
merveilleuse ! Le souverain sacrificateur
prononce, contre son gré, son propre
jugement. Au moment où l'Agneau de Dieu
s'offre en holocauste pour le péché,
le sacerdoce éternel commence et celui du
souverain sacrificateur terrestre prend fin. C'est
en témoignage de ce fait que celui-ci
déchire son vêtement. « La
folie de Dieu est plus sage que les
hommes. »
(I Cor. I, 25.)
Une explosion de fureur sauvage
éclate dans la salle. La plume se refuse
à décrire cette scène. Les
membres du sanhédrin, oubliant qu'ils sont
assemblés en tribunal officiel, se
précipitent sur le Seigneur garrotté
et sans défense, le frappent, lui crachent
au visage, lui crient des injures (Marc XIV, 65),
donnant essor à la haine, à la
grossièreté, à la
cruauté que peut contenir un coeur
enflammé par le diable. Et, lorsque les
principaux s'éloignent, leurs serviteurs
continuent toute la nuit leur oeuvre infernale.
(Luc XXII, 63-65.) Le soleil est
descendu à l'horizon, le ciel est sombre et
voilé, le mystère reste
impénétrable.
Il est des épreuves pires que la
mort. Les souffrances de cette dernière nuit
me paraissent plus terribles que la mort même
de Jésus. Il y a un siècle, lorsque
Louis XVI et Marie-Antoinette furent
guillotinés, un cri d'indignation
s'éleva dans le monde entier contre le
peuple qui ajoutait ce
régicide à tant de
sang déjà répandu. Mais que
sont les humiliations, subies par le malheureux
monarque, comparées au traitement
infligé au Roi des rois ?
Quelque saisissante que soit la mort de
Christ à Golgotha, nous la comprenons en une
certaine mesure. C'est l'Agneau de Dieu, qui
s'offre en expiation pour les pécheurs. Ce
sacrifice a quelque chose de grand, de divin ;
il parait nécessaire. Mais ces traitements
grossiers, bas, vulgaires, nous révoltent.
Pourquoi le Fils unique de Dieu, l'image empreinte
de sa personne, celui qui partageait la gloire du
Père avant que le monde fût fait,
pourquoi dut-il être abaissé à
une telle ignominie ? Celui dont le visage
resplendit comme le soleil, celui que les anges
adorent en se voilant la face
(Esaïe VI, 2, 3), il est
là, lié de cordes, la figure
ensanglantée, meurtrie par les coups de
poing et couverte de crachats que ses mains ne sont
même pas libres d'essuyer ; et, durant
toute une nuit, les êtres les plus
méchants que la terre ait portés, ne
cessent de l'accabler d'injures et de
grossièretés ! Cette ignominie
était-elle indispensable pour notre
salut ? Le sang répandu sur la croix ne
suffisait-il pas pour expier nos
péchés ? Pour répondre
à cette question, il faudrait descendre
jusqu'aux profondeurs de l'enfer et nous
élever jusqu'au trône de la justice
divine.
Essayons de nous représenter la
douleur que le Dieu saint doit éprouver
à la vue du mal. Depuis que « le
péché est entré dans le
monde »
(Rom. V, 12), Dieu en souffre et cela
d'autant plus qu'il est la sainteté
même. Cette souffrance incommensurable avait
besoin d'une expiation. Dans son immolation
volontaire, non seulement le Sauveur a
été exposé à tous les
assauts de la tentation, mais il a expié la
douleur que le péché a causée
à Dieu et il a porté la
culpabilité de l'humanité dont il
fait partie. Par sa sainte haine du mal, il le
condamne et l'expie. Tous les péchés
qui attristent le coeur de Dieu ont assailli le
Sauveur qui les a surmontés et
expiés, depuis la faiblesse du timide
disciple jusqu'à la haine diabolique des
pharisiens. Il ne repousse aucune amertume, il vide
jusqu'à la lie la coupe de la vieille
inimitié du serpent contre Dieu.
Ces excès d'ignominies qui frappent
le Seigneur ne sont point accidentels, mais
proportionnés à l'immensité de
la douleur causée à Dieu par le
péché. Sur le Thabor et à
Gethsémané, s'est
décrété entre le Père
et le Fils « le grand mystère de
piété » II Tim. III,
16) ; le Père mesurant la somme de
souffrances nécessaires au rachat du monde,
et le Fils les acceptant avec une sainte
soumission. L'amour divin ne pouvait s'abaisser
plus bas qu'en prenant sur lui toutes les
conséquences de nos
péchés, c'est-à-dire la
souffrance ; il s'est approprié ce qui
était à nous, afin de nous donner ce
qui est à lui.
Les Juifs ne sont pas les seuls bourreaux du
Seigneur ; l'humanité entière
est coupable de sa mort et de ses souffrances. Tous
ont leur part de responsabilité dans le
martyre du Christ. L'homme, quand il est
réduit à lui-même et à
sa mauvaise nature, se laisse entraîner, par
l'influence du Malin, à l'inimitié
contre Dieu et à la haine de la
sainteté. Christ, par ses saintes
souffrances, a surmonté le
péché ; en conséquence,
ceux qui lui appartiennent peuvent vaincre le mal
et vivre de la vie nouvelle d'enfants de Dieu. Ils
se séparent de la vieille humanité
pour faire partie de l'humanité nouvelle
dont Christ est le chef.
Contemplons avec vénération
l'abaissement de notre Maître, le calme et la
sainteté avec lesquelles il supporte ces
barbares traitements. Nulle parole de plainte, nul
cri de douleur ne sortent de ses lèvres.
Oh ! si nous avions pu lire dans son
coeur ! nous aurions vu qu'il ressentait
profondément l'indignité de ces
tourments, mais que l'amour de son Père et
la compassion pour ses persécuteurs
dominaient tout autre sentiment. « J'ai
présenté mon dos à ceux qui me
frappaient, mes joues à ceux qui
m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas
dérobé mon visage aux outrages ni aux
crachats. »
(Esaïe L, 6.) « Les
outrages de ceux qui t'outragent sont tombés
sur moi ; j'ai été l'objet de
leurs railleries. »
(Ps. LXIX, 10, 12.) Les
prophéties, qui annonçaient sa
Passion, dans leurs plus cruels détails
(Esaïe LIII), faisaient la constante
préoccupation du Seigneur. Il les suivait
ligne après ligne. Elles ne s'accomplissent
point parce qu'elles ont été
prédites, mais elles ont été
prédites parce que, d'après le
conseil de Dieu, elles devaient s'accomplir.
Il est à peine nécessaire de
tirer de cette scène une application
pratique. En voyant le Sauveur
méprisé et rejeté, nous nous
souviendrons de ce passage : « Tu
m'as tourmenté par tes péchés,
et tu m'as fatigué par tes
iniquités »
(Esaïe XLIII, 24) ; et de
la parole du Seigneur : « Le
serviteur n'est pas plus grand que son
maître. »
(Jean XIII, 16.) Il est plus facile
au coeur naturel de s'humilier devant Dieu que
devant les hommes. Que de chrétiens tiennent
à leur honneur, à leur
dignité, au respect qu'ils croient
mériter ! comme ils jugent souvent avec
sévérité ceux qui leur ont
manqué d'égards ! Et cependant
ils se disent disciples de Jésus et ils
n'attendent leur salut que de ses souffrances et de
son ignominie ! Pour le chrétien, ce
devrait être un honneur de porter l'opprobre
de Christ et un opprobre de recevoir les honneurs
du monde. Que sont nos souffrances, nos
amertumes, nos blessures, en
comparaison de celles que le Sauveur a
endurées ?
Quand nous sommes en voyage, qu'importe
l'opinion qu'auront de nous les compagnons de route
qui vont bientôt nous quitter ?
l'essentiel est ce qu'on pense de nous au pays
natal. Trop souvent le chrétien est
semblable au voyageur insensé, qui recherche
les hommages et les honneurs de ses amis d'un jour
et qui ne s'inquiète pas d'être
inconnu ou méprisé dans sa patrie.
« Il n'y a point de proportion entre les
souffrances du temps présent et la gloire
à venir, qui sera manifestée en
nous. »
(Rom. VIII, 18.)
« Réjouissez-vous de ce que vous
participez aux souffrances de Christ, afin que
lorsque sa gloire sera manifestée, vous
soyez aussi comblés de joie. »
(I Pier. IV, 13.)
II. REJETÉ PAR ISRAËL.
LIVRÉ AUX GENTILS
La nuit est passée. Un jour nouveau se
lève. C'est le grand jour de l'expiation,
dont le souvenir sera conservé aussi
longtemps qu'il y aura des hommes sur la terre et
que les élus célébreront par
leurs cantiques, d'éternité en
éternité.
« Dès que le jour fut venu,
le conseil des anciens du peuple, les principaux
sacrificateurs et les scribes
s'assemblèrent »
(Luc XXII, 66), sans
doute en plus grand nombre qu'au
milieu de la nuit. « Ils firent venir
Jésus dans leur sanhédrin ; et
ils lui dirent : « Si tu es le
Christ, dis-le nous. »
(Luc XXII, 67.) Pour la seconde fois,
Jésus rend témoignage à sa
divinité. Pour la seconde fois, Caïphe
et le conseil le condamnent à mort comme
blasphémateur.
Le conseil se trouve maintenant dans le plus
grand embarras ; car le droit de faire
exécuter ses sentences lui a
été retiré quelques
années auparavant par les Romains. Ici se
manifeste, d'une manière merveilleuse, la
toute puissante intervention de Dieu. En effet, si
Israël possédait encore ce droit, le
Sauveur ne serait point crucifié, mais
lapidé. « Quiconque
blasphémera le nom de l'Éternel sera
puni de mort, toute l'assemblée le
lapidera. »
(Lévit. XXIV, 16.) Or, la
crucifixion du Christ avait été
annoncée 1500 ans auparavant par le type du
serpent d'airain.
(Nomb. XXI, 4-9.
Jean III, 14, 15.) Il ne fallait pas
que le Seigneur mourût de la mort du
blasphémateur et il importait que le
souvenir de ses dernières paroles et de sa
sainte agonie fût conservé à
l'Eglise et au monde.
Il s'agit pour les principaux, d'obtenir du
gouverneur romain la sanction de leur jugement. Ils
savent d'avance que ce ne sera pas chose
aisée. Mais « les enfants de ce
siècle sont plus prudents
dans leur
génération que les enfants de
lumière. »
(Luc XVI, 8.) La
méchanceté, alliée à la
puissance des ténèbres,
possède de grandes ressources. Les
pharisiens soulèvent le peuple, lui
répètent que Jésus de
Nazareth, le soi-disant prophète, a
été reconnu et jugé comme
blasphémateur par le sanhédrin. La
foule se rassemble. « Toute
l'assemblée s'étant levée,
mène Jésus à
Pilate. »
(Luc XXIII, 1.) Les rues se
remplissent d'une multitude de gens agités
et bruyants. Nul ne reste en chemin. Tous sont
entraînés. Qui oserait s'opposer au
fanatisme déchaîné des
principaux ? Les timides feront nombre et l'on
s'est assuré de gens pour crier. Le sinistre
cortège arrive devant le palais de Pilate.
-
O Abraham ! homme de foi et
d'espérance ! O Jacob ! homme de
paix ! O Moïse ! toi qui as
été fidèle dans la maison de
ton Dieu ! O David ! chantre
d'Israël ! Du haut de votre demeure
bienheureuse, voyez votre pauvre peuple
tombé. La semence qui doit être en
bénédiction à toutes les
nations, l'Étoile de Jacob, le Fils de
David, Celui que votre foi a salué d'avance,
est venu sur la terre et votre peuple le
repousse !
C'est une grande humiliation pour les
membres du sanhédrin, après avoir
siégé comme juges, de devoir
comparaître en simples accusateurs devant
l'exécré Romain. Mais la haine ne
craint ni peine ni honte. Qu'ils
seraient merveilleux, les progrès du
règne de Dieu sur la terre, si l'esprit de
sacrifice des chrétiens était
à la hauteur de celui des
méchants !
Les Juifs, en livrant le Messie aux Gentils,
accomplissent les prophéties, sans s'en
rendre compte, et prononcent leur propre
condamnation. Leur peuple sera rejeté, leur
temple désert, leur Pâque deviendra
une fête vide de sens, sans espérance
et sans avenir. Ils contribuent inconsciemment au
plan de Dieu pour le salut des nations
païennes. Car Christ, remis aux mains des
Romains, sort du cadre étroit de l'histoire
d'Israël pour entrer dans le domaine de
l'histoire universelle. Ses souffrances et sa mort
appartiennent au genre humain tout entier.
Les anciens du peuple
« n'entrèrent point dans le
prétoire, afin de ne pas se souiller et de
pouvoir manger la Pâque. »
(Jean XVIII, 28.) Pendant les sept
jours qui précèdent la fête de
Pâque, les juifs devaient manger des pains
sans levain et enlever de leurs demeures tout
levain, emblème du péché.
(Exode XII, 14-20.) Ils observent la
forme, mais sans en comprendre le sens. S'ils
avaient été à l'école
de Christ, ils auraient appris, comme les
apôtres, ce que signifie le levain.
(Matth. XVI, 6-12.) On pourrait les
croire de stricts observateurs de la loi, si l'on
ne savait que parmi eux se
trouvaient des Saducéens,
- en premier lieu le souverain sacrificateur - qui
ne croient ni au Dieu vivant, ni aux anges, ni aux
esprits. Mais, en présence du peuple, ils
affectaient les dehors de la piété.
Plusieurs cependant, d'entre les pharisiens,
croyaient sincèrement qu'ils se
souilleraient en franchissant le seuil d'une
demeure païenne. Quelle délicatesse de
conscience exagérée, unie à un
manque complet de droiture ! Assassiner un
prophète, un saint, souille moins que de
toucher du levain.
III.
ACCUSATIONS CONTRE LE
CHRIST
Pilate, bien que contrarié à la
vue de la foule tumultueuse, sort cependant de son
palais ; car il tient à ménager
les préjugés des Juifs.
« Quelle accusation portez-vous contre
cet homme ? »
(Jean XVIII, 29.) « Ils lui
répondirent : Si ce n'était pas
un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas
livré. »
(Jean XVIII, 30.) Les pharisiens
avaient espéré que Pilate ratifierait
leur jugement, sans autre forme de procès.
Le gouverneur, pensaient-ils, aurait dû
comprendre que, lorsque le sanhédrin a
condamné un homme et l'a livré au
pouvoir séculier, il n'est pas besoin de
plus ample information. En demander le motif, c'est
douter de la sagesse de ces saints hommes.
Mais ce n'est point en vain que Pilate a
étudié le droit romain,
d'après lequel nul ne peut être
condamné sans interrogatoire
préalable. Aussi, d'un ton positif ;
« Prenez-le vous-mêmes, et le jugez
selon votre loi ! » dit-il aux
Juifs. « Il ne nous est pas permis de
faire mourir personne !
(Jean XVIII, 31, 32.) Cette
réponse montre leur volonté bien
arrêtée de faire périr
Jésus, La seule possibilité de
l'avortement de leur plan les met en fureur.
Quoi ! depuis trois ans, ils méditent
des pensées de mort contre Jésus, ils
sont sur le point de réussir, et ils
devraient y renoncer ! À aucun
prix ! Il faut absolument que l'orgueilleux
Romain cède à la pression et condamne
à mort le Seigneur.
Autant les bonnes pensées mettent de
temps à germer, autant les mauvaises
viennent facilement au méchant. L'homme le
plus stupide, quand il est animé de l'esprit
de mensonge, montre parfois une habileté
surprenante.
Les membres du conseil, après
s'être concertés, présentent
contre le Seigneur une triple accusation :
« Cet homme séduit la nation
- » « Il défend de
donner le tribut à
César ; » « Il se
dit le Christ, le roi. »
(Luc XXIII, 2.) La première
accusation était juste, mais dans un sens
tout autre que celui que les juifs y attachaient.
La seconde était un mensonge positif. La
troisième, la seule que Pilate
prenne en considération,
était une perfide fausseté. Ces
accusations étaient calculées de
manière à faire de Jésus un
chef politique et un révolutionnaire.
Reprenons-les en détail.
Jésus en effet a séduit le
peuple. Il l'a détourné de ses
conducteurs aveugles pour le ramener au Dieu
vivant. Il l'a détourné des
institutions humaines et formalistes pour le
conduire au bon Berger. Les pharisiens ne se
trompaient point, lorsqu'ils disaient en plein
sanhédrin : « Si nous le
laissons faire, tout le monde croira en
lui. »
(Jean XI, 48.) Pouvait-on
blâmer ce pauvre peuple d'abandonner les
citernes crevassées et sans eau, pour se
désaltérer à la fontaine
jaillissante de miséricorde, d'amour, de
pardon ? Pouvait-on hésiter, à
moins d'être aveuglé par la haine,
entre les paroles saintes et divines qui sortaient
de la bouche de Jésus et les fades
enseignements des docteurs de la loi.
Les discours du Seigneur avaient
profondément ébranlé la
puissance et l'influence des pharisiens. Il
détourne le peuple, non du pouvoir
établi, comme les Juifs cherchent à
le faire croire, mais des bergers faux et
infidèles, de ceux « qui payent la
dîme de la menthe, de l'aneth, et du cumin et
qui négligent les choses les plus
importantes de la loi, savoir : la justice, la
miséricorde et la
fidélité. »
(Matth. XXIII, 23.) Le coeur de
Jésus débordait de compassion et de
miséricorde, il appelait à lui
« tous ceux qui sont
fatigués et chargés »
(Matth. XI, 28), ceux-ci forment
toujours la majorité - leur
démontrant « que son joug est
aisé, et son fardeau
léger. »
(Matth. XI, 30.) N'est-il pas naturel
que, pour le suivre, le peuple ait abandonné
ses faux docteurs ?
Avant la venue du Sauveur, l'amour
compatissant était inconnu au vieux monde.
Jésus a détrôné la
religion froide et formaliste, pour la remplacer
par une religion pleine de vie et d'amour.
Oh ! si les chrétiens
possédaient plus de compassion et de
charité pour les âmes, ils
remporteraient de grandes victoires. Un
missionnaire qui annoncerait l'Évangile aux
païens, sans que son coeur soit rempli de
compassion, un pasteur en chaire, un maître
dans son école, un père au milieu de
sa famille, qui n'éprouveraient pas d'amour
pour ceux auxquels ils s'adressent, ne feront
jamais de bien ; au contraire, leur influence
sera d'autant plus funeste qu'ils seront plus haut
placés.
Depuis la conquête du pays de Canaan,
jamais le peuple d'Israël n'avait
été aussi profondément
agité. Samuel, David, Élisée,
Jean-Baptiste, d'autres encore, avaient
suscité de grands soulèvements, mais
ils n'étaient que des serviteurs,
Jésus est le Maître. Leur apparition
ressemble au météore qui traverse la
nuit sombre, ou à une belle journée
isolée au milieu d'un long et triste hiver.
La venue du Sauveur est pareille
au soleil printanier, dont les doux rayons,
pénétrant en tout lieu, fondent la
glace et éveillent la nature à une
vie nouvelle.
Ce mouvement se propagea dans toute la
Judée et même dans les pays
avoisinants. Partout où Jésus se
montre, les hommes quittent leurs travaux et se
rassemblent par milliers autour de lui. Le Seigneur
n'a plus le temps de manger. Pour prier, il doit
prendre sur son repos de la nuit. S'il cherche
quelques heures de solitude dans un lieu
écarté et désert, cinq mille
personnes l'y suivent et restent à
écouter sa parole divine, oubliant le manger
et le boire, et ne songeant plus au long chemin du
retour.
(Matth. XIV, 14-21.) jamais la
Judée n'avait vu si joyeux cortège
que celui qui suivait Jésus, se rendant
à Jérusalem pour les fêtes. Les
populations de villes et de villages entiers se
joignaient à lui. Oui, il a soulevé
le peuple.
Cette agitation n'a pas été
circonscrite aux seuls temps du Christ. Les uns
après les autres, tous les peuples en ont
été saisis. L'Évangile a
remué le monde grec et le monde romain
jusqu'à leur base et il a planté, au
milieu du désert du paganisme, un riche
jardin de Dieu. À l'époque de la
réformation, cette même Parole est
venue remuer à salut tous les peuples de
l'Europe et les appeler à une vie nouvelle.
Plaise à Dieu que, parmi nous aussi,
l'Évangile de
grâce, la bonne nouvelle du salut, vienne
réveiller les âmes et produire une
profonde et puissante commotion !
Pilate devait être renseigné,
par ses subordonnés, sur ce mouvement dont
on faisait un grief à Jésus. Le
centenier romain de Capernaüm
(Matth. VIII, 5-13), qui avait
éprouvé dans sa famille le secours
miraculeux du Seigneur, avait sans doute
raconté à ses supérieurs la
guérison de son fils. Non seulement Pilate
devait être au fait de cette agitation, mais
il devait savoir qu'elle n'était ni
politique ni révolutionnaire et que la
personne de Jésus était un danger,
non pour les Romains, mais pour les pharisiens.
Aussi n'attache-t-il pas d'importance à
cette accusation.
Le deuxième fait,
allégué contre le Seigneur,
était un mensonge conscient. Jésus
avait répondu avec la plus grande
clarté à la question captieuse des
Hérodiens : « Rendez donc
à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à
Dieu. »
(Matth. XXII, 21.) Si cette
accusation avait été fondée,
elle aurait pesé fortement dans la balance
aux yeux du fonctionnaire romain.
Le fait que celui-ci ne le relève
pas, est la preuve qu'il était assuré
de l'innocence de Jésus sur ce point.
Peut-être l'officier de garde à la
porte du temple avait-il assisté à
l'entretien de Jésus avec les principaux et
en avait-il fait rapport à son maître.
La troisième accusation est seule
jugée digne de l'attention du
gouverneur : Jésus veut se faire roi.
Aveuglés par leur haine, les juifs ne se
rendent point compte qu'ils dévoilent aux
Romains leur espoir et le sujet de leur constant
désir. En effet, ils attendaient le Messie
promis par les prophètes. Mais leurs
espérances messianiques
déviées et faussées en avaient
fait un roi terrestre, qui devait délivrer
la Judée de la domination romaine et relever
leur orgueil national.
IV. LE ROI DES
JUIFS
Pilate fait appeler Jésus.
« Es-tu le roi des
juifs ? » (Jean XVIII, 33) lui
demande-t-il. Pilate était depuis trop
longtemps en Judée pour ignorer les coutumes
religieuses, le grand passé historique, les
espérances à venir des juifs. Les
particularités de ce peuple, sa religion,
son attente positive d'un Messie avaient dû
attirer son attention. Il devait savoir qu'un grand
nombre de juifs regardaient Jésus comme le
Messie promis et qu'ils l'avaient même
ouvertement proclamé. Peut-être
n'était-il monté, de
Césarée à Jérusalem,
pour la fête de Pâque, que parce qu'il
connaissait le complot formé contre
Jésus. Ceci expliquerait sa conviction
arrêtée de l'innocence du Seigneur
et l'importance que
l'orgueilleux Romain mettait au procès d'un
juif obscur. Sa résistance à la
fureur des pharisiens devait avoir un motif autre
que celui de faire triompher le droit romain du
fanatisme israélite. Peut-être
avait-il quelque connaissance de la merveilleuse
vie de Jésus et des prophéties,
d'après lesquelles un roi victorieux devait
surgir en Israël et subjuguer le monde
entier.
À la question de Pilate, Jésus
répond par une autre question :
« Dis-tu cela de ton propre mouvement, ou
d'autres te l'ont-ils dit de
moi ? » (Jean XVIII, 34.) Est-ce le juge ou
est-ce ton coeur qui parle ? Oh ! si
c'était ton coeur ! En
prononçant ces mots, Jésus a en vue,
non seulement le salut de Pilate, mais celui des
générations à venir ;
car, par la volonté de Dieu, chacune de ses
paroles est destinée à
l'humanité tout entière.
Pilate est obligé de
reconnaître qu'il ne parle pas de
lui-même, Il sait bien que Jésus n'est
ni un révolutionnaire, ni un
prétendant au trône. Manifestement
blessé de ce reproche, il reprend :
« Suis-je juif, moi ? Ta nation et
tes principaux sacrificateurs t'ont livré
à moi ; qu'as-tu
fait ? »
(Jean XVIII, 35.) Penses-tu,
semble-t-il dire, que je te prenne pour un
roi ? Il faut être juif, pour s'imaginer
pareille folie. Tu dois cependant avoir fait
quelque chose pour exciter à un pareil point
tes chefs contre toi ? Qu'est-ce ?
Qu'as-tu fait ? Cette
dernière question est une
petite vengeance de l'humiliation qu'il vient de
subir.
Il eût été aisé
au Seigneur de manifester son innocence au grand
jour. Peu de mots lui auraient suffi pour
convaincre le gouverneur qu'il n'avait fait aucun
mal, mais au contraire beaucoup de bien, soit au
peuple juif, soit aux païens, même a des
serviteurs de Pilate, ce que des milliers pouvaient
attester. Mais le Seigneur ne cherche pas à
prouver son innocence, Il veut que Pilate arrive
à cette conviction par lui-même et que
le représentant du monde païen
reconnaisse et atteste sa dignité royale,
comme elle l'a été par le conseil des
juifs, afin que toutes les nations sachent que
c'est le Sauveur du monde, le Messie, le Roi, qui a
été mis à mort.
C'est pour cela qu'il laisse sans
réponse cette question : qu'as-tu
fait ? et qu'il relève avec une grande
clarté sa dignité royale, à
laquelle le juge romain n'attachait que peu
d'importance. Dans l'accusation des Juifs, il y
avait un fond de vérité. Pilate va
l'apprendre.
V. LE
RÈGNE DE CHRIST
« Mon royaume n'est pas de ce
monde ; si mon royaume était de ce
monde, mes serviteurs
combattraient, afin que je ne
fusse pas livré aux Juifs ; mais
maintenant mon royaume n'est pas
d'ici-bas. »
(Jean XVIII, 36.)
Précédemment, le Seigneur avait
parlé de son règne, mais jamais d'une
manière aussi claire et positive. On
l'accuse de vouloir se faire roi et c'est en roi
qu'il répond ; il est roi en effet, il
possède un royaume, c'est un fait
avéré.
Quand Jean-Baptiste commence son
ministère, il annonce le royaume des cieux.
« Repentez-vous, car le royaume des cieux
est proche. » (Matth. III, 3.)
Jésus fait de la prédication du
royaume de Dieu le point central de ses
enseignements : « Heureux les
pauvres en esprit, car le royaume des cieux est
à eux.
(Matth. V, 3.) Les apôtres
suivent son exemple ; ils appuient leurs
exhortations sur la glorieuse manifestation du
Seigneur, sur l'héritage royal, sur la
gloire et la félicité des
élus. (
I Cor. XV, 58.) Notre vie est un
pèlerinage ; nous rencontrons sur notre
chemin, des soucis, des épreuves et beaucoup
de péchés. Qu'est-ce qui consolera et
relèvera le coeur découragé,
fléchissant sous son fardeau, si ce n'est la
pensée du retour à la maison
paternelle ? Quand on est certain de trouver
dans sa patrie l'abondance et le bonheur, on
supporte plus facilement les difficultés et
les peines de l'exil.
Dès les premiers jours de
l'humanité, Dieu avait eu en vue
l'établissement de son royaume sur la terre.
Le but constant de ses voies envers les
hommes a été de
transformer les pécheurs
égarés et perdus, en une
communauté d'élus saints et
bienheureux.
Le règne du Seigneur a
été prédit par de nombreux
types et par beaucoup de prophéties
(Dan. II, 44:
VII, 27.), les unes parlant de son
abaissement
(Esaïe LIII), les autres
décrivant sa puissance et sa gloire.
(Ps. II, 6 ;
XXIV, 7, 8.) Les Israélites
ne pouvaient se faire à l'idée d'un
Messie abaissé, souffrant, mourant ;
même les apôtres s'attendaient à
une manifestation glorieuse et extérieure de
la puissance de leur Maître. ...
Les prophéties, concernant le royaume
des cieux, ont commencé à s'accomplir
à la venue de Christ. Et lorsque, à
son Ascension, le Seigneur a quitté la
terre, il y a laissé une Église qui
l'adorait comme son roi et qui formait les
prémices du royaume qui doit embrasser tous
les peuples. Depuis ce temps des petits
commencements, depuis dix-huit siècles, ce
règne n'a cessé de s'étendre.
Il a conservé le caractère de son
divin fondateur. Par la souffrance à la
gloire. Si le royaume de Christ dans le monde est
crucifié, c'est le signe de sa
réalité, de sa vitalité. Cette
condition ne doit point être mise de
côté. On tient trop à voir
l'Eglise honorée et puissante. Mais cet
état n'est ni normal ni salutaire.
L'histoire de la chrétienté de tous
les siècles en est la preuve. Le pouvoir et
la vertu sont choses très
différentes. La force intérieure
diminue à mesure que la puissance
extérieure augmente ; par contre, plus
l'Eglise est opprimée, plus sa force
intérieure sera grande et glorieuse.
La prédication du royaume des cieux,
pleine de grâce et de pardon, s'adresse aux
égarés, aux tombés, à
tous ceux qui ont le mal du pays de la patrie
céleste. Pour entrer dans ce royaume, il
faut passer par la nouvelle naissance ; il
faut que le vieil homme meure et qu'une vie
nouvelle soit créée en nous. Les
enfants du royaume se savent étrangers dans
ce monde ; leur bourgeoisie est au ciel. Leurs
biens et leurs privilèges, pendant cette
période d'épreuve, ne sont pas
visibles au dehors, mais la valeur en
dépasse tout ce que le monde peut
offrir : paix du coeur, justice, joie,
espérance assurée. Les
chrétiens sont de race royale, mais ils
portent leurs trésors dans des vases de
terre.
(I Pier. II, 9.) Ce sont des rois
tombés et détrônés, mais
qui doivent être bientôt relevés
et introduits dans la gloire. L'homme n'est ni ange
ni bête, mais un enfant de Dieu déchu
et sa dignité consiste en ce qu'il
connaît son origine. Heureux ceux qui ont le
mal du pays du ciel, car ils entreront dans la
maison paternelle.
Notre époque actuelle de
développement progressif ne durera pas
toujours. Dieu en a fixé le terme. Il ne
nous a pas révélé
« les temps ou les
moments que le Père a
fixés de sa propre
autorité. »
(Act. I, 7.) Mais sa Parole nous dit
d'une manière positive que la fin viendra.
Dans ses discours et ses paraboles, le Seigneur a
sans cesse fait allusion à son retour et
à l'établissement de son
règne. Cette perspective forme
l'arrière-plan de la prédication
apostolique. Les prophéties de l'ancienne
alliance et celles de l'Apocalypse annoncent un
royaume qui ne sera pas uniquement spirituel.
Christ n'est pas venu anéantir l'attente des
Juifs, mais corriger leurs idées
erronées. Le Seigneur doit revenir sur cette
vieille terre pécheresse, afin de soumettre
tous les royaumes et d'y établir son
règne messianique. Alors la justice et la
paix fleuriront en tout lieu et « la
terre sera remplie de la connaissance de
l'Éternel, comme le fond de la mer des eaux
qui le couvrent. »
(Esaïe XI, 9.)
La fin de l'économie présente
est annoncée comme devant être une
époque de grandes tribulations, dont la
destruction de Jérusalem et les
désolations qui l'ont suivie, ne sont que
l'image et le prélude.
(Matth. XXIV.
Luc XXI.) « Que personne
ne vous séduise en aucune
manière ; car il faut que la
révolte soit arrivée auparavant, et
qu'on ait vu paraître l'homme de
péché, le fils de la perdition,
l'adversaire. Alors paraîtra l'impie, que le
Seigneur détruira par le souffle de sa
bouche, et qu'il anéantira par
l'éclat de son
avènement. »
(2 Thess. II, 3-10.) D'après
ce passage, l'antéchrist doit
précéder le retour du Seigneur et
entraîner par ses séductions une
grande partie de la chrétienté. Le
diable dirigera la dernière et terrible
persécution contre l'Eglise, qui sera
purifiée et affinée, comme l'or dans
le creuset de l'épreuve.
Quand l'angoisse sera parvenue à son
comble, le Seigneur apparaîtra du ciel avec
une grande puissance et avec gloire ;
« le diable sera lié pour mille
ans, jeté dans l'abîme et
enfermé, afin qu'il ne séduise plus
les nations, jusqu'à ce que les mille ans
soient accomplis. »
(Apoc. XX, 2, 3.) Pendant le
règne de mille ans, la divine puissance du
Seigneur ne rencontrera plus d'obstacle. La paix,
la joie, l'harmonie régneront sur la
terre ; « les épées
seront changées en hoyaux, et les lances en
serpes. On n'apprendra plus la guerre, »
(Esaïe II, 4.) « Il
n'y aura plus là d'enfant né pour peu
de jours, ni de vieillard qui n'accomplisse ses
jours. »
(Esaïe LXV, 20.) La terrible
désharmonie cessera dans la nature. Christ
et ses saints régneront sur la terre.
(Apoc. XX, 4-6.) Toutes les
prophéties concernant le règne du
Fils de David et sa domination sur les peuples
seront accomplies. Il sera le Maître
souverain et les promesses faites aux croyants se
réaliseront au delà de toute attente.
Le millénium est une époque de
sabbat pour l'humanité et pour la nature.
Cependant la terre, n'étant pas encore
transformée, ne peut être la demeure
permanente du Seigneur et de son Église. Il
est un grand progrès dans l'histoire du
règne de Dieu, une époque de mission
parmi tous les peuples, celui d'Israël en
premier lieu ; mais il n'est pas l'entier
accomplissement des voies de Dieu envers
l'humanité. Il reste un dernier degré
à franchir :
l'éternité.
Dans la description courte, mais solennelle,
de sa vision, saint Jean indique la transition du
millénium à l'éternité.
(Apoc. XX, 7-10.) Satan sort de
l'abîme, il exerce sa puissance de
séduction sur les habitants de la terre et
il livre, à Jérusalem, son dernier
combat à mort contre la sainte
communauté. Le Seigneur apparaît pour
le vaincre et exercer le jugement final sur lui et
sur toutes les créatures.
Notre imagination est impuissante à
nous représenter la gloire et la
félicité dont jouiront les
élus. « Les nouveaux cieux et la
nouvelle terre »
(2 Pier. III, 13), deviendront
l'habitation de Dieu et de l'humanité
sauvée et glorifiée. Non seulement
les hommes, mais l'univers entier atteindra le plus
haut degré de perfection. Sur la terre,
revêtue d'une gloire indicible, Christ
établira son règne au milieu de ceux
qu'il « n'a point eu honte
d'appeler ses
frères »
(Hébr. II, 11), et qui sont
devenus par lui participants de la nature et de la
gloire divines, « héritiers de
Dieu et cohéritiers de Christ. »
(Rom. VIII, 17.) La foi sera
changée en vue et la connaissance en
perfection - l'amour, qui ne périt jamais,
remplira le coeur des bienheureux. Ceux-ci jouiront
du repos de Dieu
(Hébr. IV, 9), d'un repos qui
n'exclut pas l'activité, mais l'agitation et
la fatigue. Tous les trésors de la terre,
toutes les jouissances qu'elle peut offrir, ne sont
que jouets d'enfants et ombre passagère en
comparaison de la gloire, de l'amour, du bonheur,
qui deviendront le partage des élus.
VI. CHRIST EST LA
VÉRITÉ
Lorsque Christ parle à Pilate de son
règne, il en voit en esprit, non seulement
le lent et progressif développement, mais la
gloire à venir.
Le royaume de Dieu est la
vérité ; ceci est son
caractère essentiel. Quoique, dans ce monde
de péché et de mensonge, la
vérité rencontre de nombreux ennemis
et ait de constants combats à livrer, il est
cependant certain que la victoire doit lui
demeurer. La vérité a
été manifestée en
Jésus-Christ. « Je suis venu pour
rendre témoignage à la
vérité. »
(Jean XVIII, 37.)
Les philosophes païens avaient
déjà compris que c'est de la
vérité que procèdent
l'harmonie, la vie et la lumière et que le
mensonge engendre les ténèbres et la
mort. Le mensonge peut séduire une
âme, la retenir longtemps dans l'erreur, mais
il ne lui donnera jamais la paix. C'est pourquoi
les hommes ont toujours recherché la
vérité - elle appartient à
tout leur être, car ils ont été
créés pour elle.
« Pilate lui dit : Qu'est-ce
que la vérité ? »
(Jean XVIII, 38.) Cette question est
aussi vieille que l'humanité. Notre
existence même est une chaîne de
mystères ; car la vie morale ne
provient pas de la boue, - nous le sentons bien -
quoique quelques-uns osent le prétendre.
Pourquoi sommes-nous là ? Qui a
créé le monde, dans lequel nous
sommes placés et où nous avons tant
de peine à nous trouver à
l'aise ? Si le monde à
été fait pour l'homme, par qui
celui-ci a-t-il été
créé ? L'homme se sent le roi de
la création ; il se l'asservit par son
intelligence, et cependant il en dépend
d'une manière servile et il lui doit la
conservation de son existence. D'où vient le
mal dans le monde ? et la souffrance, le
malheur d'un grand nombre, la mort pour tous ?
Nul ne peut échapper à ces questions
et à beaucoup d'autres. Souvent on les
repousse, on cherche à s'en distraire, mais
ce n'est qu'au prix de sa dignité humaine.
L'animal, lui, n'approfondit pas ces
problèmes.
Lorsque Pilate dit à
Jésus : « Qu'est-ce que la
vérité ? » je ne crois
pas que ce fût avec l'accent de la moquerie
ou de l'ironie. C'était la simple expression
de ses sentiments. Il en était
arrivé, par ses études et ses
réflexions, à la conviction qu'il est
impossible de trouver une solution au
mystère de l'existence, une réponse
au soupir de l'humanité. Pilate ne parle pas
en son nom seul - il ne fait qu'exprimer le
désespoir du vieux monde, cherchant sans
cesse la vérité et ne la trouvant
pas.
Le résultat négatif des
recherches de chaque génération
n'empêche pas la suivante de recommencer le
même travail. Car il n'y a pour l'homme ni
paix ni repos, aussi longtemps qu'il n'a pas
trouvé la vérité.
Christ est la réponse à toutes
les questions. Lui seul résout les
énigmes de la vie. Le désir des
païens, l'attente d'Israël se sont
réalisés en lui. Il rend
témoignage à la vérité,
non par un système philosophique ou des
théories humaines, mais en la manifestant
dans sa personne et dans sa vie. Tous ses discours
en rendent témoignage. Il nous fait
connaître la pensée de Dieu ; il
nous révèle son amour, ses
compassions, sa grâce. Il est lui-même
le Médiateur de cette grâce et il la
rend efficace en expiant les péchés
de l'humanité. Il annonce le royaume des
cieux comme étant le but
et la patrie de l'homme. Sans lui, l'histoire des
nations demeure un chaos inextricable, livré
au hasard. Il nous conduit à Dieu et nous
donne la paix. Il fait concourir toutes nos
épreuves et nos difficultés à
son plan d'amour.
L'Eglise universelle a trouvé en
Christ vie, lumière, bonheur. Pourquoi ce
bien suprême n'est-il pas le partage de
tous ? Pourquoi l'Évangile
rencontre-t-il tant d'opposition et de
mépris ? La réponse n'est pas
longue à chercher. C'est la faute, non de la
vérité, mais du coeur de l'homme et
de son péché. La vérité
subit dans ce monde le même sort que celui
qui l'a apportée, savoir
Jésus-Christ. Les juifs n'ont pu le
« convaincre de
péché »
(Jean VIII, 46), et cependant ils
l'ont rejeté. Un petit nombre seulement
l'ont reconnu pour leur Sauveur et leur
Maître ; à ceux-là
« il a donné le droit d'être
faits enfants de Dieu. »
(Jean I, 12.) Le même fait se
renouvelle sans cesse. « Quiconque est de
la vérité écoute ma
voix »
(Jean XVIII, 37), dit le Seigneur.
Celui qui cherche la vérité
reconnaît par là que son état
est désespéré devant Dieu et
qu'il a besoin du salut.
Si la vérité est une
puissance, le mensonge en est aussi une. Ces deux
puissances se rencontrent dans le coeur de l'homme
et s'y livrent bataille. Laquelle remportera la
victoire ? Il faut une volonté bien
arrêtée pour vouloir la
vérité ; car
au commencement celle-ci n'est point
agréable. Elle condamne, elle humilie, elle
fait souffrir, avant de guérir. La
vérité est sainte, car Dieu est
saint. S'il est resté dans l'homme une
étincelle d'amour pour le bien,
« la vérité l'affranchira
et le sanctifiera. »
(Jean VIII, 32.)
Un souvenir de mon ministère fera
mieux comprendre cette pensée. J'ai
reçu dernièrement une lettre d'un
cordonnier, établi actuellement loin de
Lausanne, dans laquelle il me raconte sa
conversion. Quand il habitait Lausanne, cet homme
était affilié aux socialistes, et
même, lors d'une grève, il
s'était mis à la tête des
émeutiers. Étant tombé malade
peu après, il fut soigné quelque
temps à l'hôpital, qui se trouvait
alors à côté de l'église
allemande. Pendant sa convalescence, il s'assit, un
dimanche matin, dans le jardin, sous la
fenêtre ouverte de l'église et il
m'entendit citer ce passage :
« Heureux les débonnaires ;
car ils hériteront de la terre. »
(Matth. V, 5.) Il en fut
frappé et il écouta la
prédication jusqu'à la fin.
Dès lors, pendant plusieurs mois, il suivit
le culte allemand, il rompit complètement
avec sa vie passée et se convertit à
Dieu. Il n'avait pas osé,
écrivait-il, venir me voir avant de quitter
Lausanne; mais maintenant, que sept ans
s'étaient écoulés et qu'il se
sentait dans la pleine paix de l'enfant de Dieu, il
éprouvait le besoin de me remercier pour le
bien que le Seigneur lui avait
fait par mon moyen. Oui, si le mal, si les
ténèbres sont une puissance, la
vérité est capable de les vaincre,
pour peu qu'elle trouve un point d'appui dans le
coeur.
Je suis souvent frappé du peu de
valeur et de l'absurdité des objections que
l'incrédulité oppose à la
vérité. Me trouvant, il y a quelques
années, dans un établissement de
bains, je fus placé à table
d'hôte à côté d'un
cartographe. Une discussion religieuse ne tarda pas
à s'engager entre nous. Cet homme soutenait
qu'il était impossible aux âmes
d'aller au ciel, puisqu'il faudrait
déjà des milliers d'années
pour atteindre les étoiles les plus
rapprochées de la terre. Je lui demandai
alors combien on mettait de jours pour aller en
Amérique et en Australie. Lorsqu'il m'eut
répondu, je lui posai une autre question -
combien de temps mettrait sa pensée pour se
rendre à New-York et en revenir ? Toute
la société se mit à rire - mon
interlocuteur rit aussi, mais d'un air
embarrassé. Je profitai de l'occasion pour
parler du monde invisible, que la Parole de Dieu
nous fait connaître, et pour démontrer
aux assistants que les croyances chrétiennes
ne sont point illogiques, comme le
prétendent ceux qui ne les connaissent pas.
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