Du
Thabor à Golgotha
V
VOILA
L'HOMME
VII. LE ROI
HÉRODE
Pilate interrompt brusquement l'interrogatoire
par cette question : « Qu'est-ce que
la vérité ? » Son
entretien avec Jésus l'a convaincu de
l'innocence de celui-ci. « Et quand il
eut dit cela, il sortit de nouveau vers les Juifs
et leur dit : Je ne trouve aucun crime en
lui. »
(Jean XVIII, 38.) C'était
déclarer au sanhédrin et à la
foule que leurs accusations étaient fausses
et injustes. Cette réponse courageuse est
digne d'un Romain.
Les principaux sacrificateurs sont dans une
grande agitation à la vue du danger qui
menace leur plan. Après s'être
concertés, ils s'avancent avec une nouvelle
accusation contre Jésus :
« Il soulève le peuple, enseignant
par toute la Judée, ayant commencé
depuis la Galilée, jusqu'ici. »
(Luc XXIII, 5.) L'affaire devient
sérieuse. Au commencement, les pharisiens
avaient gardé une certaine mesure ;
maintenant la haine les emporte. Pilate,
effrayé, comprend qu'il ne sortira de
là, qu'en s'attirant l'animadversion de ces
fanatiques, ou en commettant une grande
injustice.
Mais on a prononcé le mot de
Galilée ; « il demanda si cet
homme était Galiléen. Et ayant appris
qu'il était de la juridiction
d'Hérode, il le renvoya à
Hérode, qui était aussi à
Jérusalem en ces
jours-là. »
(Luc XXIII, 6, 7.) Pilate
espérait se décharger sur lui de
cette pénible affaire, ou tout au moins
retarder le moment du jugement. Pauvre
Pilate ! il ne réussit qu'à
gagner l'amitié du misérable
Hérode, « En ce même jour,
Pilate et Hérode devinrent amis ; car
auparavant ils étaient ennemis »
(Luc XXIII, 12), et à attirer
sur le Seigneur une ignominie de plus.
Suivi des sacrificateurs, des principaux et
de la multitude, Jésus traverse de nouveau,
comme un malfaiteur, les rues de Jérusalem.
« Quand Hérode vit Jésus,
il en eut une grande joie ; car il y avait
longtemps qu'il souhaitait de le voir, parce qu'il
avait ouï dire beaucoup de choses de
lui ; et il espérait qu'il lui verrait
faire quelque miracle. Il lui fit donc plusieurs
questions. »
(Luc XXIII, 8, 9.)
Hérode était fils de cet autre
Hérode, qui avait fait mettre à mort
les enfants de Bethléhem, dans l'espoir de
faire périr le fils de David.
(Matth. II, 16-18.) Il était
connu par son adultère avec Hérodias,
femme de Philippe, son frère, et par le
meurtre de Jean-Baptiste. Lorsque le bruit des
miracles de Jésus vint à ses
oreilles, l'incrédule et superstitieux
libertin crut que Jean était
ressuscité des morts.
(Matth. XIV, 1-12.) Il avait entendu
raconter des choses grandes et glorieuses de
Jésus, mais il n'avait eu ni le temps ni
l'occasion de le voir.
Maintenant que le Seigneur est amené en sa
présence, il espère lui voir faire
quelques miracles.
« Mais le Seigneur ne lui
répondit rien. »
(Luc XXIII, 9.)
Malgré sa vie de péché,
nous n'oserions porter un jugement sur
Hérode, - car il pouvait se trouver encore
en lui quelque bon sentiment, comme lors de la
décapitation de Jean-Baptiste - si le
silence de Jésus, ce silence absolu ne
contenait en soi une sévère
condamnation. Le Seigneur parle amicalement au
païen Pilate ; à Judas même,
il adresse un touchant et dernier appel ;
mais, pour Hérode, il n'a pas une seule
parole. Le Seigneur traite chaque homme comme il le
mérite. Pour l'un il a des paroles de
consolation et de miséricorde ; pour
l'autre des avertissements ou des
châtiments ; tandis que pour d'autres il
n'a que le silence. Aussi longtemps qu'il n'a pas
prononcé le jugement définitif,
même lorsqu'il reprend, il y a encore de
l'espoir. Quand il garde le silence, il n'en reste
plus.
Le misérable Hérode et ses
courtisans n'imaginent rien de mieux que de se
moquer du Seigneur. « Hérode, avec
les gens de sa garde, le traita avec
mépris ; et pour se moquer de lui, il
le fit vêtir d'un habit éclatant, et
le renvoya à Pilate, »
(Luc XXIII, 11.) Que de fois cette
basse et lâche vengeance
n'a-t-elle pas été exercée par
les descendants spirituels d'Hérode !
VIII.
BARABBAS
La horde sauvage, traînant toujours son
innocente victime, revient devant le palais.
Pilate, n'ayant pu réussir à se
décharger sur Hérode de sa terrible
responsabilité, est obligé d'en venir
à une décision. Quelle
sera-t-elle ? Jusqu'ici son courage et sa
fermeté n'ont pas faibli. Sans doute il
continuera à défendre l'innocent. -
Hélas ! il entre dans la voie des
compromis, il espère. parvenir à
délivrer Jésus, en concédant
quelque chose à la haine de ses ennemis.
Mais il verra bientôt que les chemins
détournés sont dangereux et les
meilleures intentions vaines, quand elles sont
servies par de mauvais moyens.
« Pilate, ayant assemblé
les principaux sacrificateurs, et les magistrats,
et le peuple, leur dit : « Vous
m'avez amené cet homme comme soulevant le
peuple - et cependant, l'ayant interrogé en
votre présence, je ne l'ai trouvé
coupable d'aucun des crimes dont vous
l'accusez ; ni Hérode non plus ;
car je vous ai renvoyés vers lui, et voici
il n'a rien fait qui soit digne de
mort. »
(Luc XXIII, 13-15.) Sans doute Pilate
terminera sa harangue en disant.
« C'est pourquoi, au nom de l'empereur et
de la justice romaine, je le mets en liberté
et mes gardes sauront faire respecter cet
arrêt. » Non, Pilate ne parle point
ainsi : « L'ayant donc fait
châtier, » ajoute-t-il,
« je le relâcherai. »
(Luc XXIII, 16.)
Pourquoi châtier un innocent ?
Pour accorder une satisfaction aux pharisiens, pour
ne point provoquer leur haine, pour plaire au
peuple. Cette première concession est la
perte de Pilate.
Il ne nous arrivera sans doute jamais
d'être placés dans une position aussi
critique que celle du gouverneur romain ;
toutefois nous devons veiller sur nous-mêmes,
afin d'être capable de résister au
moment de la tentation et de demeurer
véridique et consciencieux en toute chose.
La crainte des hommes et la lâche
complaisance pour le mal font de profondes
blessures à la conscience et conduisent
souvent à des compromis, dont l'issue peut
être fatale. C'est par de petites
infidélités que commence la ruine
d'une âme et celui qui, par la grâce de
Dieu, est retenu sur le bord de l'abîme, aura
bien des luttes et des souffrances à
traverser, pour rentrer dans le droit chemin.
Pilate fait un pas de plus. C'était
la coutume des Juifs, à la fête de
Pâque, anniversaire de la sortie
d'Égypte, de rendre la liberté
à un prisonnier, et les Romains leur avaient
laissé ce
privilège. « Il
y avait en prison un nommé Barabbas, qui
avait commis un meurtre dans une
sédition. »
(Marc XV, 7.) Pilate offre au peuple
la mise en liberté d'un prisonnier, lui
laissant le choix entre Jésus et Barabbas.
Mais s'il s'attendait à la libération
de l'innocent, il avait compté sans la haine
des pharisiens. Ceux-ci, qui veulent à tout
prix la mort de Jésus, incitent le peuple
à demander la liberté de Barabbas.
« De sorte qu'ils
s'écrièrent tous ensemble : Fais
mourir celui-ci, et nous relâche
Barabbas. »
(Luc XXIII, 18.) Pilate est
troublé, agité ; il voudrait
bien délivrer Jésus, mais il n'ose
pas ; ses lâches concessions ont fait de
lui une proie facile pour Satan.
Barabbas avait été reconnu
coupable et condamné à mort.
Enfermé dans une sombre cellule, il
attendait, avec un profond désespoir,
l'exécution de la sentence. C'est alors que
le gouverneur le présente au choix du
peuple. Le juste est rejeté, le malfaiteur
est gracié.
Pourquoi Dieu a-t-il permis que le Sauveur
soit mis en balance avec un malfaiteur et
rejeté par le peuple ? Dieu l'a permis,
non seulement par amour pour Barabbas, mais par
amour pour nous. « Celui qui n'a point
connu le péché, il l'a traité
en pécheur pour nous, afin que nous, nous
devenions justes de la justice de Dieu en
lui. »
(2 Cor. V, 21.)
Barabbas est le type de l'humanité et
de chaque homme pris
individuellement. Frappés par le juste
jugement de Dieu, « nous étions
assis dans la région et dans l'ombre de la
mort »
(Matth. IV, 16), sans
espérance et sans perspective de salut. La
justice du Dieu saint demandait satisfaction. Nous
avions mérité la mort et nous
l'aurions subie, si un Saint, si Dieu même ne
s'était mis à notre place.
« Lequel voulez-vous que je vous
relâche ? »
(Matth. XXVII, 17.) Lequel ?
Cette question capitale s'est décidée
dans le conseil secret de Dieu. Quelle en est la
réponse ? Le juste pour le
pécheur. « Le châtiment qui
nous apporte la paix est tombé sur lui, et
par sa meurtrissure nous avons la
guérison. »
(Esaïe LIII, 5.) Mais, pour
avoir part à l'oeuvre de l'expiation, il
faut que nous nous mettions à la place de
Barabbas, il faut que nous nous sentions
pécheurs et condamnés comme lui.
Barabbas n'avait point demandé
l'échange. Celui-ci a lieu sans sa
participation. Une fois accompli, la joyeuse
nouvelle lui en est annoncée. Il en est de
même pour nous. Le salut est un fait
accompli. Le message de grâce est
annoncé à tous : vous êtes
libre. Le jugement qui vous condamnait a
frappé un autre à votre place. La
mort n'a plus de pouvoir sur vous. Le droit de
bourgeoisie dans la patrie céleste,
l'héritage glorieux des enfants de Dieu vous
est acquis. « Toutes ces choses
viennent de Dieu, qui nous a
réconciliés avec lui par
Jésus-Christ. »
(2. Cor. V, 18.)
Barabbas accepte sa grâce.
L'Évangile ne nous dit point de quelle
manière, ni avec quels sentiments. Se
trouvait-il parmi la foule sur la colline de
Golgotha ? A-t-il regardé avec
reconnaissance le Sauveur qui souffrait à sa
place ?
Quoiqu'il en soit, il ne pouvait comprendre
aussi clairement que nous, la haute importance de
la mort du Christ. Et cependant, que nous y
attachons encore peu de prix ! La plupart des
hommes vivent comme si la délivrance du
péché, la libération de la
condamnation ne les concernait aucunement.
L'humiliation, le sentiment du péché,
le repentir font défaut à notre
génération. Les chrétiens
eux-mêmes trouvent tout naturel que Dieu ait
livré son propre fils à la mort pour
eux !
IX. LES
SONGES
Cependant la séance du tribunal est
interrompue par un incident digne de remarque. Un
esclave vient remettre à Pilate un message
de sa femme, Claudia Procula - celle-ci avait eu
durant la nuit un rêve extraordinaire :
Jésus lui était apparu comme un juste
faussement accusé et
persécuté, et elle
s'était réveillée avec une
grande angoisse et une souffrance réelle. La
chose lui avait paru assez importante pour la
communiquer immédiatement à son mari
et, au milieu de l'audience, elle lui fait
dire : « Ne te mêle point de
l'affaire de ce juste ; car j'ai beaucoup
souffert aujourd'hui en songe, à son
sujet. »,
(Matth. XXVII. 19.)
Ce rêve est un merveilleux
témoignage rendu à l'innocence du
Sauveur. Sans nous arrêter à rappeler
aux femmes qu'elles doivent être l'ange
gardien de leur mari et cela d'autant plus que la
responsabilité de ceux-ci est plus grande,
nous voulons nous occuper un instant des
songes.
Le rêve de Claudia était, on
n'en peut douter, un avertissement d'en haut.
Pourquoi lui fut-il envoyé, puisque la
crucifixion du Christ par les Romains était
chose arrêtée dans le conseil de
Dieu ? Nous touchons ici à un
mystère que l'esprit humain est incapable de
sonder : la liberté de l'homme et la
prescience de Dieu.
Non seulement les païens et le peuple
de l'ancienne alliance, mais les chrétiens
de tous les temps, ont souvent attaché
beaucoup d'importance aux songes. Si un grand
nombre de rêves ne sont que la
conséquence des impressions reçues
dans la journée, il en est certainement
d'autres qui sont produits par l'inspiration du
monde spirituel, soit des bons, soit des mauvais
esprits. Dieu ne peut-il pas,
aujourd'hui encore, envoyer à ses enfants un
avertissement ou un encouragement par le moyen d'un
songe, comme autrefois à Joseph, lorsqu'il
commanda à ce dernier de prendre le petit
enfant et sa mère et de fuir en
Égypte ?
(Matth. II, 13.)
Je crois que les mauvais esprits, qui nous
environnent, se font souvent un jeu de l'homme
endormi et lui présentent des images propres
à l'induire au mal. Plus d'un beau
rêve, plein d'images sensuelles, vient, non
des bons, mais des mauvais esprits. Nous sommes
entourés d'un monde invisible.
L'expérience en rend témoignage aussi
bien que les saintes Écritures.
Cette assertion sera sans doute
rejetée par plusieurs. je ne veux pas
discuter avec ceux qui nient le monde spirituel et
qui regardent l'homme comme le plus noble ou,
suivant l'individu, comme le plus ignoble des
animaux. S'il est positif que le monde spirituel
existe, si la patrie de l'homme et le but qu'il
cherche sont en haut, n'est-il par rationnel que le
monde invisible exerce sur lui son
influence ?
La position de Pilate est réellement
digne de pitié. Dans ce moment critique,
où il ne sait comment faire pour
délivrer Jésus, le message de sa
femme vient encore ajouter à son
angoisse.
Il donne essor à ce sentiment
douloureux par une question
désespérée :
« Que voulez-vous donc
que je fasse de celui que vous
appelez le roi des Juifs ? »
(Marc XV, 12.) Pauvre Pilate !
ne vois-tu pas qu'en t'adressant aux ennemis de
Jésus, tu n'obtiendras que la même
réponse :
« Crucifie-le !
crucifie-le ! »
(Marc XV, 13, 14.) Pilate n'aurait
dû consulter que sa conscience. Il n'en
savait pas autant que nous sur le Christ, mais
suffisamment pour se rendre compte de la
sainteté de celui qu'il livrait à la
haine et à la jalousie des méchants.
Sa question est déjà une
défaite.
« Que ferai-je de
Jésus ? »
(Matth. XXVII, 22.) Cette question
doit nécessairement se poser une fois ou
l'autre pour chacun de nous. Celui qui s'en va
demander conseil aux ennemis déclarés
du Seigneur, recevra toujours la même
réponse : crucifie-le !
crucifie-le ! La moquerie, la haine, le ton
d'autorité tiennent lieu de preuves
convaincantes. On ne cherche plus de motifs pour
rejeter le Sauveur ; la chose va de soi.
Mais s'il est quelqu'un qui prenne cette
question au sérieux et qui désire
connaître la vérité, il n'a
qu'à ouvrir l'Évangile et à
écouter sa conscience. Que faut-il faire de
Jésus ? Lui apporter chaque jour tes
péchés, car lui seul peut les
pardonner, parce qu'il les a expiés sur la
croix. Que faut-il faire de Jésus ? Lui
demander l'esprit et la force d'en haut, afin que
tu puisses vivre d'une manière digne de
l'Évangile et t'avancer joyeux, vers la
patrie de la lumière, du
bonheur et de la gloire. Que faut-il faire de
Jésus ? lui dire ta souffrance et tes
soucis, car il possède toute puissance dans
le ciel et sur la terre ; il est Prince dans
la maison de Dieu ; Dispensateur de ses
biens ; sa bénédiction seule
enrichit.
- Je suis à toi ! Gloire
à ton nom suprême
- 0 mon Sauveur ! je fléchis
sous ta loi.
- Je suis à toi ; je t'adore,
je t'aime.
- Je suis à toi, je suis à
toi !
Voilà ce que tu dois faire de
Jésus.
X. L'HOMME DE
DOULEURS
Le peuple a choisi Barabbas. Alors Pilate essaie
- dans l'espoir de sauver Jésus - un moyen,
auquel il avait précédemment fait
allusion. « Il le fait fouetter. »
(Jean XIX, 1.) Il espère que
la vue de son sang assouvira la haine de ses
ennemis.
La flagellation, fréquemment
employée chez les Romains, comme
châtiment des malfaiteurs, était un
supplice épouvantable, qui avait souvent
amené la mort du condamné.
Voilà le traitement que l'on fit subir au
fils de Dieu.
Il n'est pas dit si les soldats
s'acquittèrent de leur
office barbare avec rudesse ou avec compassion. On
ne peut toutefois attendre de grands
ménagements de leur part, quand on les voit,
animés d'une fureur diabolique, se moquer du
Seigneur, lui donner des soufflets et lui cracher
au visage.
« Alors les soldats
l'emmenèrent dans l'intérieur du
palais, c'est-à-dire au prétoire, et
ils y assemblèrent toute la
cohorte. »
(Marc XV, 16.) Placé au milieu
des soldats, le Seigneur est
dépouillé de ses vêtements,
attaché au poteau, battu de verges
(Jean XIX, 1) - son sang coule, il
est près de défaillir. Alors on le
détache et l'on jette sur lui, non ses
vêtements, mais un vieux manteau de pourpre.
Un des soldats, apercevant dans la cour un buisson
d'épines, court en cueillir les branches, il
en fait une couronne qu'il place sur la tête
du Seigneur, la frappant avec un roseau afin de la
faire pénétrer dans les chairs. Puis
les soldats fléchissent les genoux devant
lui, se moquent de sa dignité royale et
« le saluent en disant : Salut roi
des juifs. Et ils lui frappaient la tête avec
une canne, et ils crachaient contre lui, et se
mettant à genoux, ils se prosternaient
devant lui. »
(Marc XV, 16-19.)
Et le Seigneur supporte ces monstrueuses et
inhumaines cruautés sans se révolter
ni se plaindre ! « Il est
maltraité, il est affligé ; et
il n'ouvre point la bouche ; comme un agneau
mené à la boucherie, comme une brebis
muette devant celui qui la tond,
il n'ouvre point la bouche. »
(Esaïe LIII, 7.) Après
qu'ils l'ont ainsi tourmenté et
défiguré, les soldats reconduisent
Jésus dans le prétoire. Pilate,
ému à la vue de cet homme couvert de
sang, qu'il a injustement fait châtier, le
présente au peuple en disant :
« Voici, je vous l'amène dehors,
afin que vous sachiez que je ne trouve aucun crime
en lui. »
(Jean XIX, 4.)
Que pourrions-nous ajouter à ce
récit émouvant ? Contemplons et
adorons en silence le Seigneur qui souffre pour nos
péchés. « Il a
été meurtri pour nos
péchés et frappé pour nos
iniquités ; le châtiment qui nous
apporte la paix est tombé sur lui, et par sa
meurtrissure nous avons la
guérison. »
(Esaïe LIII, 5.)
Que cette image du Sauveur, couvert de sang
et de meurtrissures, se présente à
toi, quand le péché et le monde
chercheront à te tenter et à
t'entraîner sur le chemin de la
désobéissance ! Qu'elle vienne
te consoler quand les maux et les souffrances de la
vie fondront sur toi ! et qu'elle t'apparaisse
à la dernière heure, quand il te
faudra suivre seul un chemin sombre et
mystérieux, quand tous les appuis terrestres
te feront défaut et que la crainte de la
mort, la terreur de l'éternité te
saisiront ! Lui seul, ton Sauveur qui a
souffert pour toi, sera ton bâton et ta
houlette, ta consolation et ton salut.
(Ps. 23, 4.)
Cependant l'odieux moyen ordonné par
Pilate a produit l'effet contraire. Le gouverneur
est forcé de le reconnaître. Le peuple
recommence à crier -
« crucifie-le ! crucifie-le !
Pilate leur dit : Prenez-le vous-même et
le crucifiez ; car je ne trouve aucun crime en
lui. Les Juifs lui répondirent : Nous
avons une loi, et selon notre loi il doit mourir,
parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. »
(Jean XIX, 6, 7.)
Au milieu du tumulte, Pilate distingue un
mot qui vient encore augmenter la crainte qu'il
éprouve en présence du
Seigneur : « Il s'est fait Fils de
Dieu. » Le calme de Jésus, son
caractère élevé, les paroles
simples et sérieuses qu'il lui a
adressées, tout cela, joint au rêve
extraordinaire de sa femme, a déjà
fait comprendre à Pilate qu'il se trouve en
présence d'une individualité
tout-à-fait exceptionnelle, Aussi, lorsqu'il
apprend qu'il s'est donné pour le Fils de
Dieu, il a peur - non des juifs - mais de
Jésus, parce qu'il l'a fait lâchement
maltraiter. Pilate connaissait sans doute les
traditions qui avaient cours dans le monde
païen, d'après lesquelles des fils de
Dieu auraient vécu autrefois sur la terre.
Cet homme extraordinaire serait-il l'un de ces
êtres surnaturels ?
Pilate fait rappeler Jésus et, seul
avec lui, lui demande :
« D'où es-tu ? Mais
Jésus ne lui fit aucune
réponse. »
(Jean XIX, 9.) Pourquoi ?
Était-ce par compassion pour le pauvre et
faible Pilate ? Ou
plutôt une protestation
contre l'injustice dont il venait d'être la
victime ?
Ce silence irrite le gouverneur, car le
coeur de l'homme est changeant, il passe
promptement de la crainte à l'orgueil.
« Alors Pilate lui dit : Tu ne me
dis rien ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir
de te faire crucifier et le pouvoir de te
délivrer ? Jésus lui
répondit : Tu n'aurais aucun pouvoir
sur moi, s'il ne t'avait été
donné d'en haut : c'est pourquoi celui
qui m'a livré à toi est coupable d'un
plus grand péché. »
(Jean XIX, 10, 11.)
Pilate ne le sait que trop, lui seul doit
décider du sort de Jésus. C'est en
vain qu'il a reconnu son innocence - c'est en vain
que, en témoignage de cette conviction, il
se lave les mains publiquement, il ne parvient
point à tranquilliser sa conscience.
Peut-être que, dans la suite, le
souvenir de cet homme extraordinaire lui sera
revenu plus d'une fois à la pensée et
une voix secrète lui aura
répété : « Tu
tenais le pouvoir afin de protéger
l'innocence et de faire respecter la justice, tu as
commis un assassinat juridique. Tu as
lâchement abusé de ton
autorité. »
Les dernières paroles de Jésus
à Pilate sont d'une beauté
saisissante. Comme l'éclair brille dans la
nuit sombre, elles font luire la
vérité dans le coeur de ce
païen : « Ton pouvoir vient
d'en haut. Tu n'es qu'un
misérable instrument dans la main d'un plus
grand. »
Le Seigneur acceptait ses souffrances comme
envoyées par son Père. La certitude
que c'était lui qui décidait
jusqu'aux plus petits détails de sa Passion,
lui donnait la force de la supporter avec patience.
Son exemple est un précieux encouragement
pour nous.
Le poète a dit : « Tu
es allé au ciel, Jésus, par la
souffrance, et tu y conduis les tiens par le
même chemin. » Cette perspective
serait effrayante, si nous n'avions pas les
mêmes consolations que le Seigneur. Les
méchants ne peuvent nous faire de mal
qu'autant que notre Père céleste le
permet. Nos épreuves, la maladie, la
pauvreté, la détresse, nous sont
dispensées par la main d'un Dieu qui nous
aime. « Les cheveux même de notre
tête sont tous comptés. »
(Matt. X, 30.) Puisse cette assurance
devenir de plus en plus notre force et notre
consolation !
Le crime de Pilate est certainement
très grand. Mais un plus grand encore a
été commis par le souverain
sacrificateur, par le conseil et par le peuple
d'Israël. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient
plus de connaissance, parce que c'est leur propre
Messie, celui que tous regardaient comme un saint,
qu'ils ont assassiné. « Il sera
beaucoup redemandé à quiconque il
aura été beaucoup donné ;
et on exigera plus de celui
à qui on a beaucoup
confié. »
(Luc XII, 48.)
Dans l'éternité, il sera fait
une différence entre les récompenses
accordées à la
fidélité, aussi bien que dans les
jugements prononcés contre
l'infidélité. « Une
étoile est différente d'une autre
étoile par son éclat. »
(I Cor XV, 41.) L'un régnera
sur dix villes, un autre sur cinq.
(Luc XIX, 16-20.)
Le plus grand péché, c'est le
rejet conscient du Sauveur, le péché
« contre le Saint-Esprit qui n'obtiendra
le pardon, ni dans ce siècle ni dans celui
qui est à venir. »
(Matth. XII, 32.) Ce n'est pas le
nombre plus ou moins grand de transgressions qui
motiveront la condamnation, mais le degré de
connaissance. Au grand jour du jugement, le
Seigneur n'oubliera aucune circonstance
atténuante, mais il ne négligera pas
les aggravantes. Que chacun fasse son compte !
XI. LE
JUGEMENT
« Depuis lors Pilate cherchait
à le délivrer. »
(Jean XIX, 12.) Chaque fois qu'il
s'entretient seul avec Jésus, le gouverneur
romain, convaincu de son innocence, désire
le sauver; mais, dès qu'il se retrouve en
présence de la foule ameutée et
furieuse, sa crainte et sa faiblesse reprennent le
dessus. La vue de Jésus
ranime son courage, ses bons désirs, sa
fidélité au devoir ; mais
viennent les ennemis du Sauveur, et son
énergie s'évanouit. Les
dernières paroles du Christ, pleines de
sérieux et de compassion, l'ont tellement
impressionné qu'il tente un dernier effort,
Il s'avance vers le peuple et lui propose encore
une fois de mettre Jésus en liberté.
(Marc XV, 9.)
Mais la multitude est lasse de ces
indécisions. On n'accuse plus
Jésus ; que pourrait-on inventer
encore ? C'est Pilate qu'on attaque :
« Si tu délivres cet homme, tu
n'es pas ami de César, car quiconque se fait
roi se déclare contre
César. »
(Jean XIX, 12.)
Certes Pilate ne s'attendait point à
ce revirement. C'est le prendre par son
côté faible. jusqu'à
présent, c'était contre la
méchanceté et la haine des pharisiens
que sa conscience et son sentiment inné de
la justice avaient à lutter. Maintenant
c'est son intérêt personnel qui est en
jeu. Il s'agit de sa place de gouverneur romain, de
sa position, de sa réputation, de sa vie
même ! on l'accuse de protéger un
chef de parti, un révolutionnaire ! Il
frémit à la pensée du
méfiant et capricieux empereur
Tibère, sous le gouvernement duquel plus
d'un noble romain est déjà
tombé, victime de la trahison et de la
calomnie.
Le résultat final est facile à
prévoir. Lorsqu'il ne
courait aucun danger, Pilate
n'avait pas eu le courage de prendre franchement le
parti de Jésus et de lui rendre la
liberté - maintenant que son existence et sa
position sont menacées, il osera moins
encore. « Pilate mène Jésus
dehors, et s'assied sur son tribunal, au lieu
appelé le Pavé, en hébreu
Gabbatha »
(Jean XIX, 13), pour prononcer la
sentence qui va livrer le Saint à la croix,
donner la victoire à la
méchanceté et le couvrir
lui-même de honte. Sa conscience tente un
dernier effort que ce soit l'expression
spontanée de sa pensée ou une parole
prophétique - il s'écrie en montrant
Jésus : « Voilà votre
roi ! Les hurlements recommencent :
Ôte-le, ôte-le, crucifie-le. Pilate
leur dit : Crucifierai-je votre roi ? Les
principaux sacrificateurs répondirent :
Nous n'avons. point d'autre roi que
César. »
(Jean XIX, 14, 15.)
À l'ouïe de ces paroles, Pilate,
terrorisé par la peur, se sent vaincu.
« Il prit de l'eau et se lava les mains
devant le peuple, en disant : je suis innocent
du sang de ce juste, c'est à vous d'y
penser. » Les juifs lui accordent
volontiers cette mince satisfaction, ils en
réclament pour eux-mêmes la terrible
responsabilité et prononcent cette sinistre
parole : « Que son sang retombe sur
nous et nos enfants. »
(Matt. XXVII, 24, 25,) Pilate fait un
signe. La crucifixion va s'accomplir.
(Jean XIX, 16.)
On se représente souvent Pilate comme
un homme du monde blasé, froid,
orgueilleux ; c'est ne tenir compte ni de sa
position épouvantable, ni du terrible combat
qui s'est livré dans sa conscience.
Souvenons-nous qu'il était païen et
fonctionnaire romain, et nous ne pourrons lui
refuser notre sympathie, en voyant son
intérêt pour Jésus et ses
efforts pour le délivrer. Ne le jugeons pas
d'après nos idées modernes. Deux buts
dominaient toute sa vie : garder sa position
et obtenir la faveur de son empereur - pour y
parvenir il se serait vendu lui-même.
Est-il beaucoup d'hommes
chrétiennement élevés qui se
seraient conduits mieux que Pilate ? Il est
facile de chanter :
- Qu'on nous ôte nos biens,
- Qu'on serre nos liens,
- Que nous importe !
- Ta grâce est la plus forte,
- Et ton royaume est pour les tiens.
Mais autre chose est, quand le moment est venu,
de résister à l'épreuve et de
renoncer à tout pour l'amour de Christ.
« Voilà votre
roi ! » dit Pilate ; je ne
pense pas que ce fût par ironie. Je suis
plutôt enclin à répéter
avec Salomon - « La réponse de la
langue appartient à
l'Éternel. »
(Prov. XVI, 1.) Voilà votre
roi ! Oui, Il est notre
Roi. Sa puissance et sa gloire seront
manifestées à toutes les
créatures qui sont au ciel, sur la terre et
sous la terre. Sa majesté, sa
sainteté, sa sagesse, sont au-dessus de
toute pensée ; il commande en
maître aux éléments comme aux
hommes et aux esprits. Il est grand, le seul grand
et sa majesté royale se manifeste avec le
plus d'éclat dans ses souffrances et
à sa mort.
Les Juifs veulent avoir le dernier mot dans
le tragique procès : « Que
son sang retombe sur nous et sur nos
enfants ! »
(Matth. XXVII, 25.) Cette parole fait
frémir. Le jugement va commencer pour leur
nation. Il durera des siècles. Trente-sept
ans après, la sentence de malédiction
s'accomplira par la destruction de
Jérusalem ; les Romains, après
en avoir fait le siège, la saccageront et la
brûleront, ne laissant pierre sur pierre, et
mettant en croix un si grand nombre de prisonniers
que le bois manquera pour les pendre. Dès
lors les juifs demeureront dispersés aux
quatre vents des cieux, jusqu'à ce que le
temps des gentils soit accompli, jusqu'au retour du
Seigneur.
Le sang de Christ a été
répandu. C'est le don le plus
précieux que Dieu pouvait faire au monde.
Mais, de même que « sa parole ne
retourne pas à lui sans effet »
(Esaïe LV, 11), Dieu nous
redemandera ce sang. Il nous apporte la
bénédiction ou la
condamnation. « Il
nous rachète de la vaine manière de
vivre que nous avions héritée de nos
pères. »
(I Pier. I, 18.) « Il est
une source ouverte pour le péché et
pour la souillure. »
(Zach. XIII, 1.) C'est avec son
précieux sang que notre bien-aimé
Seigneur Jésus-Christ a payé notre
dette, qu'il nous a rachetés de la
condamnation et de la mort éternelle. Ce
sang ne cesse d'intercéder pour nous et de
crier : grâce, pardon, Père, afin
que, pour l'amour de son Fils bien-aimé,
Dieu nous fasse grâce, à nous, pauvres
et misérables pécheurs. Dieu ne
recevra dans son sanctuaire que ceux qui seront
marqués du sang de son Fils. Par son sang
seulement, nous sommes rendus agréables
à Dieu et délivrés du pouvoir
de Satan.
Quant à ceux qui, connaissant
l'Évangile, le laissent de côté
et le méprisent, « ils se rendent
coupables envers le corps et le sang du
Seigneur »
(I Cor. XI, 27), ils mettent le sceau
à leur propre condamnation. « De
quel plus grand supplice pensez-vous que sera
jugé digne celui qui foulera aux pieds le
Fils de Dieu, et qui tiendra pour profane le sang
de l'Alliance ? »
(Hébr. X, 29.)
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