Du
Thabor à Golgotha
VI
GOLGOTHA
I. LE CHEMIN DE LA CROIX
L'injuste sentence vient d'être
prononcée. Les soldats attachent la croix
sur les épaules du Seigneur, comme
c'était la coutume à l'égard
des condamnés. La partie supérieure
du bois appuyait sur son dos encore saignant et
l'inférieure traînait à terre.
Ainsi, forcément incliné par sa
lourde croix, le Seigneur avait à la porter
à travers les rues de Jérusalem,
jusque sur la colline de Golgotha.
« Et comme ils l'emmenaient, ils
prirent un certain Simon de Cyrène, qui
revenait des champs, et le chargèrent de la
croix, pour la porter après
Jésus. »
(Luc XXIII, 26.) Pourquoi Simon se
trouva-t-il sur le chemin de Golgotha ?
pourquoi l'obligea-t-on à porter la croix du
Seigneur ? je pense que
Dieu l'a permis dans un but d'amour pour
Jésus premièrement, puis pour Simon
et enfin pour nous.
Le Seigneur n'avait pris aucune nourriture
depuis la veille au soir, lors de son dernier repas
avec ses disciples. Aussi, lorsqu'on lia sur lui la
pesante croix, devait-il être près de
succomber de fatigue. C'est pourquoi son
Père, avant le suprême combat, lui
envoie Simon pour le soulager.
Le second but était Simon. Nous ne
savons rien de lui, sinon qu'il était de
Cyrène, dans la Libye africaine. La besogne
qu'on lui impose était imprévue.
humiliante ; s'il avait pu s'en douter, il
aurait certainement pris un autre chemin. Mais ce
fut une grande grâce pour lui et pour sa
famille d'avoir porté la croix du Sauveur.
Saint Marc, rappelant que Simon était le
père d'Alexandre et de Rufus, fait sans
doute allusion à des membres bien connus de
l'Eglise. Ce même « Rufus,
élu du Seigneur, et sa mère, qui est
aussi la mienne »
(Rom. XVI, 13), sont
mentionnés par saint Paul dans
l'épître aux Romains. La
bénédiction de Dieu avait donc
visiblement reposé sur cette famille.
Il importe peu que Simon eut connu
auparavant le Seigneur. C'est maintenant qu'il voit
et qu'il entend les choses qui saisissent son
coeur. On aime à se le représenter,
au matin de Pâque, lorsque
la nouvelle de la résurrection de Christ se
répandît parmi les disciples,
accourant pour voir le Sauveur dont il avait
porté la croix et rencontrant son regard
affectueux. Et les premiers chrétiens auront
sans doute témoigné une profonde
reconnaissance à celui qui avait rendu ce
dernier service à leur Maître. Simon
ne l'avait ni désiré ni
réclamé ; mais il l'accepte sans
murmure, et, comme il le fait pour le Seigneur, il
moissonne la bénédiction terrestre et
la bénédiction céleste.
Si Dieu, en mettant en parallèle le
malfaiteur Barabbas et Jésus, a voulu nous
faire comprendre le but de la mort de Christ pour
les pécheurs, il nous montre, en la personne
de Simon, quel est le devoir du chrétien -
et en même temps son bonheur et sa gloire.
« Si quelqu'un veut venir après
moi, dit le Seigneur, qu'il renonce à
lui-même, qu'il se charge de sa croix, et me
suive. »
(Matth. XVI, 24.) Le bon plaisir de
Dieu est que tous ceux qui lui appartiennent
passent par le même chemin que son Fils,
c'est-à-dire celui de la croix.
« Celui qui ne prend pas sa croix, et ne
me suit pas, n'est pas digne de moi. »
(Matth. X, 38.)
Pour des milliers de chrétiens, ce
serait une joie de porter la croix du Seigneur,
comme autrefois Simon. Mais ceci n'est plus
possible. Simon est le seul auquel cet honneur ait
été accordé. Nous ne sommes
néanmoins pas privés de croix. Notre
Dieu en possède un grand
arsenal ; il en a pour chacun. Il est des
croix que nous attire notre profession de
chrétiens : « Tous ceux qui
veulent vivre selon la piété en
Jésus-Christ seront
persécutés. »
(II Tim. III, 12.) Mais ce ne sont
pas les seules. Quelle que soit la croix dont Dieu
nous charge, nous devons la porter sans chercher
à lui échapper ou à nous en
délivrer. jusqu'où ? à
Golgotha ! Golgotha est le but et le terme du
pèlerinage des vrais croisés. Celui
qui y porte sa croix accomplit le but pour lequel
Dieu la lui a dispensée ; c'est
là seulement qu'il peut implorer la
délivrance et qu'il reçoit secours et
bénédiction.
Quand le Seigneur nous impose une croix, il
ne s'informe pas si elle nous plaît ; il
vient et il nous la donne souvent quand nous y
sommes le moins préparés ;
parfois il choisit la plus lourde, afin que nous en
sentions tout le poids. Qu'il nous suffise de
savoir que c'est lui qui l'a choisie. Certains
chrétiens ont de la peine à accepter
le caractère humiliant de leur croix - ils
en désireraient une idéale,
élevée, et voici, elle est vulgaire,
grossière - elle vient peut-être de
nos défauts, de notre famille, de nos
affaires - elle n'est pas en rapport avec le
règne de Christ. Oh ! que c'est
fatigant et décourageant !
Consolez-vous, enfants de Dieu ! quelle que
soit la cause qui vous fasse souffrir et vous
oppresse, c'est précisément cette
croix-là qu'il vous faut.
Prenez-la avec courage en regardant à
Jésus - mais surtout portez-la à
Golgotha, vous en recevrez de riches
bénédictions, et, un jour, vous ferez
partie de la multitude « venue de la
grande tribulation, qui ont blanchi leurs robes
dans le sang de l'Agneau et qui sont devant le
trône de Dieu. »
(Apoc. VII. 14, 15.)
« Et une grande multitude de
peuple et de femmes le suivaient, qui se frappaient
la poitrine et se lamentaient. Mais Jésus,
se tournant vers elles, leur dit : Filles de
Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais
pleurez sur vous-mêmes et sur vos
enfants ; car des jours viendront où
l'on dira : Heureuses les stériles, les
seins qui n'ont point enfanté, et les
mamelles qui n'ont point allaité. Alors ils
se mettront à dire aux montagnes :
Tombez sur nous, et aux coteaux :
Couvrez-nous. »
(Luc XXIII, 27. 30.)
Au moment où toutes les souffrances
s'accumulent sur lui, Jésus, bien loin de se
préoccuper de lui-même, s'oublie pour
ne penser qu'au salut des hommes. Tandis que le
présent l'accable de son poids
écrasant, l'avenir lui apparaît clair
et lumineux et il voit d'avance le jour où
couleront d'autres larmes. Pas une parole
d'amertume pour ceux qui l'outragent. Seul, le sort
des enfants l'émeut, des enfants sur
lesquels leurs propres pères ont
appelé la malédiction divine.
« Car si l'on fait ces
choses au bois vert, que
fera-t-on au bois sec ? »
(Luc XXIII, 31.) Cette parole
prononcée en ce moment-là est d'une
grande élévation.
Les femmes qui suivaient Jésus en
pleurant, ne peuvent être ni les deux soeurs
de Béthanie, ni les pieuses femmes dont
parle l'Évangile, « qui
l'assistaient de leurs biens. »
(Luc VIII, 3.) Car l'avertissement du
Seigneur ne leur aurait pas été
approprié. Sans doute elles avaient entendu
parler de Jésus et elles le savaient
condamné injustement. Mais ce qu'elles
ignoraient, ce qu'elles ne pouvaient
prévoir, c'est qu'Israël mettait par ce
meurtre le sceau à sa propre condamnation.
Le Seigneur avait fréquemment averti les
juifs du sort qui les attendait ; il n'avertit
plus, il annonce la ruine comme prochaine.
Il est beau de voir ces humbles femmes
répandre des larmes de compassion et de
sympathie sur les pas du Sauveur, sans prendre
garde au mépris et aux injures de ses
ennemis. Dieu ne les aura certainement pas
laissées sans récompense.
Peut-être même les paroles, dont le
Seigneur les honora, furent-elles, par la
bonté de Dieu, le moyen de leur salut. Une
larme de pitié à la vue des
souffrances du Christ, même si la
connaissance manque, même si le sentiment du
péché n'existe pas encore, cette
larme-là ne sera pas perdue.
L'émotion toutefois n'est ni la vraie
connaissance, ni la foi et la
vie. Elle peut être le noyau dans lequel se
développe le bon fruit ; mais souvent
elle n'est qu'un symptôme
éphémère. Beaucoup de
personnes se glorifient de leur bon coeur ;
elles s'imaginent que Dieu leur tiendra compte de
leurs émotions passagères et prendra
celles-ci pour de la piété. Le
rationalisme, avec ses belles théories et sa
morale élevée, sait aussi
ébranler l'imagination, mais les larmes
sincères de la pénitence, c'est le
Sauveur seul qui peut les faire couler. Il faut
avoir pleuré sur son péché,
comme l'apôtre Pierre, pour recevoir
consolation et pardon.
Malgré toute sa science,
malgré ses émotions
passagères, malgré la bonté de
son coeur, l'homme reste un bois sec, s'il ne
possède ni repentir, ni foi au
Sauveur ; un sort terrible lui est
réservé. Nous sommes de nature
« morts dans nos fautes et dans nos
péchés »
(Eph. Il, 1), étrangers
à la vie en Dieu. La mort et la
résurrection de Christ nous offrent le moyen
de revenir à la vie. Repentance et foi, mort
au péché, résurrection par
Christ, voilà le chemin. Par la foi
« en celui qui justifie le
pécheur »
(Rom IV, 5), nous serons
transplantés dans une vie nouvelle. Nous
deviendrons des sarments « du vrai
cep. »
(Jean XV, I.) « Si donc
quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle
créature. »
(2 Cor. V, 17.)
Il. LA
CRUCIFIXION
Cherchons à bien nous représenter
la scène qui se passe sur Golgotha.
Arrivés au sommet de la colline, les soldats
font en hâte les derniers préparatifs.
(Jean XIX, 18.) La croix est
plantée et solidifiée. Une foule de
gens sont rassemblés. D'autres se pressent,
afin d'assister au sombre drame qui va se
dérouler. Le Seigneur reste calme, paisible,
silencieux. Les Psaumes prophétiques de
David peuvent nous faire pressentir ce qui se passe
dans son coeur : « Je suis un ver,
et non un homme - l'opprobre des hommes et le
méprisé du peuple... Ne
t'éloigne pas de moi, car la détresse
est proche, car il n'y a personne pour me
secourir ! Toi donc, Éternel, ne
t'éloigne pas ! Toi, ma force, accours
à mon aide ! »
(Ps. XXII, 7, 12, 20.) « Et
ils lui présentèrent à boire
du vin mêlé avec de la myrrhe ;
mais il n'en but point, »
(Marc XV, 23.) C'était la
coutume d'offrir, avant l'exécution, une
boisson enivrante aux condamnés. Le
faisait-on par compassion pour les malheureux qui
allaient subir un si cruel supplice ? Je crois
plutôt que c'était afin de faciliter
aux soldats leur odieuse tâche. En effet,
surexcité par le désespoir et la
souffrance, plus d'un malfaiteur aura
cherché à se défendre et
à échapper à ses bourreaux.
Le Seigneur refuse le breuvage. C'est avec
sa connaissance pleine et entière qu'il veut
boire la coupe qui l'attend. Il n'en laissera
échapper aucune goutte amère. Ne
sait-il pas qu'il ne souffrira que ce que son
Père a ordonné pour l'expiation du
monde tombé ?
Ceci est pour nous d'une application
pratique. Souvent le monde engage les
affligés à boire à la coupe
d'étourdissement, afin d'oublier leur
souffrance. Qui ne connaît l'histoire du
grand comédien Stanley ? Se sentant
souffrant, il s'adresse à un docteur de
Londres. Celui-ci, après l'avoir
examiné, l'assure qu'il n'est point malade,
que son mal est essentiellement moral.
« Il faut vous distraire, ajoute-t-il en
finissant. Allez aussi souvent que possible au
théâtre voir jouer le fameux Stanley
qui fait rire tout Londres. Cela vous
guérira. » Le malade eut un
sourire navré. « Le
comédien Stanley, c'est moi ), dit-il.
Stanley apprit plus tard à connaître
le céleste Médecin et il trouva
auprès de lui paix et consolation.
Des milliers d'hommes vivent dans la
tristesse et le découragement et, le plus
souvent, ils ne rencontrent pas de meilleurs
consolateurs que Stanley. Quand Dieu nous envoie
une épreuve, il veut que nous la sentions et
que nous l'acceptions avec soumission et
prière. Alors elle produira « des
fruits paisibles de justice chez ceux qui ont
été ainsi
exercés. »
(Hébr. XII, 11.)
« Ceux qui sèment avec larmes,
moissonneront avec chants de triomphe. »
(Ps. CXXVI, 5.)
Et maintenant s'accomplit l'acte le plus
épouvantable que le soleil ait jamais
éclairé. On se saisit du Saint de
Dieu ; on l'attache avec des cordes ; on
prend de gros clous qu'on enfonce dans ses mains et
ses pieds, de manière à en faire
jaillir le sang. Puis on lâche les cordes et
l'homme de douleur reste suspendu entre ciel et
terre. Son sang coule et se répand sur la
croix et sur la terre maudite.
« Ils le
crucifièrent. »
(Luc XXIII, 33.) Les
évangélistes racontent ce fait
inouï sans ajouter une seule réflexion.
Imitons leur exemple. Prosternons-nous au pied de
la croix, laissons le précieux sang de
Christ se répandre sur nous, et adorons en
silence et avec une sainte révérence
notre Roi souffrant pour nous.
Une grande foule est rassemblée sur
la colline. Tous ne sont pas des ennemis. Quelques
femmes, fidèles disciples du Seigneur, sont
présentes et répandent des
larmes : Salomée, Marie-Madeleine, la
mère du Sauveur dont l'âme est
transpercée d'une épée ;
brisée, elle se tient près de la
croix à côté de Jean, l'ami de
Jésus.
On aurait pu croire que la vue du
Crucifié, restant calme et patient au milieu
des plus vives souffrances,
éveillerait la pitié de tous les
assistants, de ses ennemis mêmes. Il n'en est
rien. Le coeur de l'homme, une fois soumis à
la puissance des ténèbres, est
capable de la plus noire méchanceté.
Des injures, des blasphèmes, des moqueries,
s'élèvent du milieu de la foule
à l'adresse du divin Patient ; les
sacrificateurs, les pharisiens, le peuple,
même l'un des brigands crucifiés,
rivalisent d'outrages. Le sujet de leurs railleries
est d'une importance capitale et vient, sans qu'ils
s'en doutent, ajouter un témoignage nouveau
à la divinité de Jésus.
Que peuvent-ils reprocher à cet
homme, objet de tant de haine : « Il
a sauvé les autres, qu'il se sauve
lui-même, s'il est le Christ, l'élu de
Dieu. »
(Luc XXIII, 35.) Oui, il a
sauvé les autres. Ses guérisons
miraculeuses sont attestées par ses ennemis
les plus acharnés. Et dès lors il ne
cesse de sauver les hommes, de les amener des
ténèbres à la lumière,
de la mort à la vie. « Il s'est
confié en Dieu ; que Dieu le
délivre maintenant, s'il lui est
agréable. »
(Matth. XXVII, 43.) Oui, il se confie
en Dieu. Il demeure ferme comme un roc, tandis que
la méchanceté et la haine surgissent
autour de lui. « Il a dit : Je suis
le Fils de Dieu. »
(Matth. XXVII, 43.) Oui, il l'est et
il le sera éternellement, et ses ennemis
mêmes le verront.
Dans cette scène sans exemple qui se
passe sur Golgotha, où le
ciel et l'enfer, Dieu et le diable,
déploient leur plus haute puissance, on ne
sait ce qui impressionne le plus vivement : le
péché des hommes ou la
miséricordieuse patience du divin
Crucifié. D'un côté, la joie
diabolique et féroce des ennemis, de
l'autre, la sainteté de Christ et son amour
pour les pécheurs. On se sent ici en
présence « du Dieu
miséricordieux et compatissant, lent
à la colère, abondant en grâce
et en fidélité, qui conserve sa
grâce jusqu'à mille
générations, qui pardonne
l'iniquité, le crime et le
péché, mais ne tient point le
coupable pour innocent. »
(Exode XXXIV, 6, 7.) C'est le saint
des saints dans le lieu saint du sanctuaire.
Le jugement de Dieu et sa juste
colère contre le péché
s'appesantissent à Golgotha sur Celui qui a
voulu payer pour les pécheurs.
« Il n'a point épargné son
propre Fils, mais il l'a livré pour nous
tous. »
(Rom. VIII, 32.) Non seulement le
Fils de Dieu est venu vivre sur notre triste et
sombre terre, mais il s'est chargé de notre
malédiction ; il a supporté lui
seul tout le poids de la colère de
Dieu ; il a souffert la condamnation des
condamnés : « Celui qui n'a
point connu le péché, il l'a
traité en pécheur pour nous, afin que
nous, nous devenions justes de la justice de Dieu
en lui. »
(2 Cor. V, 21.) Notre
péché doit être, aux yeux de
Dieu, chose bien affreuse, pour que Dieu ait fait
venir sur son Fils
bien-aimé un si terrible châtiment.
Celui qui, à la vue du Christ sur la croix,
pourrait envisager encore le péché
comme chose légère et sans
conséquence, ne croira à la justice
de Dieu que lorsqu'elle s'appesantira sur lui.
L'amour de Dieu pour le monde tombé
se manifeste à Golgotha dans sa grandeur
infinie et incommensurable. Il est difficile au
premier abord de parler de l'amour de Dieu, quand
on contemple les souffrances de Christ et la rage
de ses ennemis. Cependant Jésus
lui-même avait dit, en faisant allusion
à sa mort : « Dieu a tant
aimé le monde, qu'il a donné son Fils
unique, afin que quiconque croit en lui ne
périsse point, mais qu'il ait la vie
éternelle. »
(Jean III, 16.) De Golgotha se
répand sur la terre un fleuve d'amour - ses
eaux portent le salut à tous les peuples. Le
nègre ignorant répand des larmes de
joie au pied de la croix ; le coeur du froid
Esquimau se réchauffe en contemplant son
Sauveur - le Brahmane et le Chinois, le philosophe
et le cultivateur, répètent tous avec
une profonde émotion :
- C'est Golgotha ! c'est le
Calvaire !
- C'est le jardin des Oliviers,
- Qui sont mes maisons de prière
- Et mes rendez-vous journaliers.
La croix de Christ nous parle de paix :
« Consolez, consolez
mon peuple, dit votre Dieu. »
(Esaïe XL, 1.) Le pardon des
péchés est la plus grande de toutes
les grâces. Le sang de Christ ayant
été répandu pour nos
péchés, le Dieu juste et saint peut
maintenant les pardonner, les couvrir, les jeter
derrière lui. « Ce sang de
l'aspersion prononce de meilleures choses que celui
d'Abel. »
(Hébr. XII, 24.) Il crie
miséricorde et non pas vengeance.
« Nous vous supplions au nom de
Christ : soyez réconciliés avec
Dieu ; car Celui qui n'a point connu le
péché, il l'a traité en
pécheur pour nous, afin que nous, nous
devenions justes de la justice de Dieu en
lui. »
(2 Cor. V, 20, 21.)
La croix est encore un saint avertissement
pour les enfants de Dieu : « Christ
est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne
vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui
qui est mort et ressuscité pour
eux. »
(2 Cor. V, 15.) « Ceux qui
appartiennent à Christ, ont crucifié
la chair avec ses passions et ses
convoitises, »
(Gal. V, 24.) « Je suis
crucifié avec Christ, et si je vis, ce n'est
plus moi, mais c'est Christ qui vit en moi ;
et si je vis encore dans la chair, je vis dans la
foi au Fils de Dieu qui m'a aimé, et qui
s'est donné lui-même pour
moi. »
(Gal. II, 20.) Mourir avec Christ,
vivre avec Christ, voilà la gloire et le
bonheur de la vie chrétienne.
III.
L'ÉCRITEAU
C'était la coutume, dans l'empire romain,
d'afficher près de la croix le motif de la
condamnation du malfaiteur.
Pilate fit placer cet écriteau
au-dessus de la croix. « Et on y avait
écrit : Jésus de Nazareth, roi
des juifs. »
(Jean XIX, 19.) Quel sentiment avait
pu pousser le gouverneur romain à faire
mettre cette inscription ? J'aime à
penser que c'était le cri d'une conscience
accusatrice et indignée. Pilate avait
été frappé de la
dignité et de la noblesse de la personne de
Jésus. Ne pouvant le sauver, il voulait au
moins lui donner ce dernier témoignage. Quoi
qu'il en soit, il fut, sans s'en douter,
guidé par la main de Dieu. Ces mots furent
écrits dans les langues en usage
alors : la langue hébraïque, celle
des juifs ; le grec, que parlaient les gens
instruits ; et le latin, la langue officielle.
(Jean XIX, 20.) Chose
merveilleuse ! de la crèche à la
croix, la royauté de Jésus est sans
cesse proclamée. À sa naissance, les
anges la chantent dans les airs ; ses
disciples la reconnaissent à plusieurs
reprises ; et le juge païen
lui-même vient lui rendre hommage.
Les principaux sacrificateurs sont
indignés ; ils se rendent auprès
du gouverneur et le prient de
faire enlever l'écriteau
« N'écris pas : le roi des
juifs ; mais qu'il a dit je suis le roi des
juifs. Pilate répondit : Ce que j'ai
écrit, je l'ai écrit. »
(Jean XIX, 21, 22.) Quel homme
étrange que Pilate !
Chaque fois qu'il prend la parole, c'est
pour dire quelque chose d'important, d'historique,
qui signifie plus qu'il ne le pense
lui-même.
Oui, Pilate ! ce que tu as écrit
demeurera jusque dans l'éternité.
C'est peut-être la seule chose vraiment bonne
que tu auras faite. Oh ! si l'innombrable
foule des écrivains voulait bien
méditer cette parole !
Qu'éprouveront-ils, au grand jour de
l'éternité, des hommes tels que
Voltaire, Strauss, et bien d'autres, qui ont
employé leur talent et leurs forces à
combattre l'Évangile, quand ils verront que
la révélation de Dieu
manifestée en chair était la
vérité ? Ils seront
forcés de reconnaître qu'ils ont fait
la guerre à Dieu ; non seulement ils
auront à subir le jugement éternel,
mais ils assisteront à la ruine de milliers
de leurs semblables que leurs pernicieux
écrits auront entraînés au mal.
« Celui qui sème pour la chair,
moissonnera de la chair la corruption ; mais
celui qui sème pour l'Esprit, moissonnera de
l'Esprit la vie éternelle. »
(Gal. VI, 8.)
Nous aurons à rendre compte, non
seulement de nos écrits, mais de nos
actions, de nos paroles, de toute notre conduite.
« Les hommes rendront
compte, au jour du jugement, de
toute parole vaine qu'ils auront dite. »
(Matth. XII, 36.) Combien elle sera
grande, incommensurable, la dette d'un grand
nombre ! N'attendons pas que « les
livres soient ouverts. »
(Apoc. XX, 12.) Pendant que nous
sommes en chemin, demandons au Sauveur d'effacer,
par son sang, la page accusatrice qui
témoigne contre nous ; c'est pour cela
qu'il a été répandu.
IV. LE PARTAGE
DES VÊTEMENTS
« Après que les soldats eurent
crucifié Jésus, ils prirent ses
habits, et ils en firent quatre parts, une part
pour chaque soldat ; ils prirent aussi la
robe ; mais la robe était sans couture,
d'un seul tissu, depuis le haut. Ils dirent donc
entre eux : Ne la partageons pas, mais tirons
au sort à qui l'aura ; afin que fut
accomplie cette parole de l'Écriture :
Ils se sont partagé mes vêtements, et
ils ont tiré au sort ma robe. Ainsi firent
les soldats. »
(Jean XIX, 23, 24.)
Le Seigneur est venu pauvre au monde et il
le quitte dépouillé de tout !
Les armées du ciel célèbrent
sa naissance et, sur la terre, il ne possède
pas un berceau. L'enfant royal n'a pour couche
qu'une crèche. Les cieux sont l'ouvrage de
ses mains et quelques vêtements sont le seul
héritage qu'il laisse en
quittant la terre. Encore ce précieux
souvenir n'échoit-il pas même aux
siens. Ce sont des étrangers qui se le
partagent sous la croix sanglante.
C'était le droit des soldats de
s'approprier la dépouille des
condamnés à mort. La manière
dont ils le font à quelque chose de bien
émouvant, non seulement parce qu'ils
accomplissent, sans le savoir, la prophétie
de David, vieille de plus de mille ans :
« Ils partagent entre eux mes
vêtements, ils tirent ma robe au
sort »
(Ps. XXII, 19), mais parce que, dans
un moment d'une importance universelle, où
le Sauveur répand son sang pour le monde
pécheur, ces hommes ne trouvent rien de
mieux à faire que de jouer au sort les
vêtements du Seigneur. Ils ont sans doute
ouï dire des choses merveilleuses de
Jésus, ils ont entendu sa prière
sacerdotale : « Père,
pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils
font. »
(Luc XXIII, 34.) Mais leur coeur
demeure insensible, leur pensée
attachée à de misérables
vêtements. lis jouent !
Ces soldats romains sont les
représentants d'une classe d'hommes
très nombreuse. De dimanche en dimanche, le
grand salut de Dieu est proclamé; les
cloches d'innombrables églises
résonnent à travers monts et vaux,
invitant les pécheurs à venir
entendre la bonne nouvelle du salut. Mais les
foules passent, sans écouter,
préoccupées du désir de
gagner de l'argent ou de se
divertir. La croix de Christ est plantée
dans tous les pays du monde, elle
pénètre chez les peuplades les plus
sauvages, les subjuguant et leur apportant salut,
paix et bonheur. Et les enfants de la maison se
retirent en arrière et ne songent nullement
à réclamer leurs droits et leurs
privilèges !
Arrêtons-nous au pied de la croix -
c'est le lieu de prédilection « de
la grande multitude que personne ne peut
compter »
(Apoc. VII, 9), et qui est
composée de tous « ceux qui sont
fatigués et chargés et qui y ont
trouvé le repos de leurs
âmes. »
(Matth. XI, 28, 29.) Écoutons
les paroles que l'Agneau de Dieu a
prononcées pendant les six heures qu'il est
demeuré sur la croix. C'est
l'héritage le plus précieux qu'il ait
laissé à son Église.
V. LE GRAND
SOUVERAIN SACRIFICATEUR
« Mais Jésus disait :
Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce
qu'ils font. »
(Luc XXIII, 34.) Les circonstances et
le moment où cette parole a
été prononcée, ajoutent encore
à sa beauté divine, à son
élévation céleste. La
crucifixion est terminée. Le sang de Christ
se répand à flots. Pas un mot de
sympathie ou de compassion, pas une protestation ne
s'est élevée du milieu de la foule.
Tout au contraire. Les insultes,
les moqueries, les blasphèmes
éclatent de toute part.
Quelles peuvent bien être les
pensées du Seigneur en présence de
cette rage infernale ? Les
sévères jugements de Dieu lui
viennent-ils à la mémoire ? Se
souvient-il de Corée, qui, s'étant
soulevé contre Moïse et Aaron, fut
englouti tout vivant par la terre s'ouvrant pour le
recevoir ?
(Nombr. XVI.) Il y avait ici plus que
Moïse et Aaron. Pense-t-il au roi impie qui
avait envoyé des capitaines pour se saisir
du prophète Elie et le faire périr et
dont le feu consuma les messagers ?
(2 Rois 1, 9-12.) Il y avait ici plus
qu'Elie.
« Père,
pardonne-leur. » Cette prière
manifeste une fois de plus la grandeur et la
compassion infinie de Christ. Non seulement il
n'appelle pas le courroux de Dieu sur ses ennemis,
mais il l'éloigne, le désarme et il
intercède en leur faveur. On pourrait dire
que cette mansuétude est plus que divine, si
ce n'était pas précisément la
nature divine du Sauveur qui s'y
révélé à nous
« pleine de grâce et de
vérité. »
(Jean I, 14.) Tout, dans la vie du
Seigneur, est glorieux et divin, ses enseignements,
ses miracles ; mais pour le bien
connaître, il faut le contempler sur la
croix. Sa prière n'est pas seulement la
sainte conclusion d'une vie d'amour ; elle est
en même temps un symbole, le commencement de
son office de souverain Sacrificateur. Elle nous
donne un aperçu de son
activité au sein de la gloire, de l'oeuvre
qu'il poursuit en faveur de tous les hommes, de ses
ennemis mêmes. C'est grâce à son
intercession qu'ils vivent, que nous vivons
tous.
Le Seigneur ne pouvait intercéder
pour eux et désarmer le bras de la justice
divine, qu'après avoir pardonné
complètement et parfaitement à ses
ennemis. Sans doute il ressentait
profondément les insultes dont les hommes
accablaient son agonie. Mais nulle ombre
d'amertume, d'irritation, de désir de
vengeance n'effleurait sa pensée. La
compassion, le pardon, la prière
d'intercession, voilà ce que renfermait son
coeur, un coeur véritablement grand et
incomparable. Lui seul pouvait réclamer de
Dieu le pardon pour le plus grand
péché qui ait jamais
été commis, parce que, sur la croix,
il expiait tous les péchés du monde.
Ne semble-t-il pas que l'on entende retentir de
nouveau cette parole venant du ciel :
« C'est ici mon Fils
bien-aimé. » ?
La prière d'intercession d'hommes
pieux, tels que Abraham, Moïse,
Étienne, ne se peuvent comparer à
celle de Jésus. Abraham et Moïse sont
grands devant le Seigneur et nul homme ne les a
égalés ; mais ils n'ont pas eu
à supporter de pareilles épreuves. La
mort d'Étienne est saisissante, mais c'est
l'esprit de Christ, l'espérance de Christ,
qui lui donnent la force de
pardonner. Étienne « voit le ciel
ouvert »
(Act. VII, 56) ; pour
Jésus il est fermé. Étienne
meurt pour son Maître ; le Seigneur
meurt pour les péchés du monde. La
mort d'Étienne est paisible, joyeuse ;
celle de Jésus est ténèbres,
condamnation, jugement. Sans le Sauveur, il n'y
aurait jamais eu d'Étienne. C'est en nous
réconciliant avec Dieu par sa mort, que
Christ nous a acquis la force de lui devenir
semblable dans la mort.
Le jour de la Pentecôte, Pierre et les
autres apôtres, ont recueilli les fruits de
la prière d'intercession du Seigneur,
lorsque des milliers d'Israélites,
« touchés de componction en leur
coeur, s'écrièrent : Hommes
frères, que ferons-nous ? »
(Act. II, 37.) Aujourd'hui encore, il
est plus d'un moqueur de la prédication de
la croix, pour lequel le Seigneur intercède
et réclame un nouveau délai de
grâce. C'est qu'il voit d'avance le moment
où le moqueur, renonçant à son
mauvais train de vie, s'humiliera et se prosternera
devant son Sauveur et son Maître. C'est
l'histoire des hommes les plus remarquables de
l'Eglise chrétienne, à commencer par
l'apôtre Paul. Là prière du
Seigneur pour ses ennemis est sa plus grande
victoire ; sa patience est leur salut.
Le Seigneur appuie sa demande sur ce
motif : « Ils ne savent ce qu'ils
font. »
(Luc XXIII, 34.)
« Je sais que vous avez agi par
ignorance, aussi bien que vos chefs »
(Act. III, 17), dit saint Pierre, et
saint Paul : « S'ils avaient connu
la sagesse de Dieu, ils n'auraient point
crucifié le Seigneur de gloire. »
(I Cor. II, 8.) Il est positif que
l'ignorance est, jusqu'à un certain point,
à la base de toutes nos transgressions. Si
nous nous rendions parfaitement compte de la haine
que le Dieu saint ressent contre le
péché et de la récompense qui
attend le fidèle lutteur, notre conduite
serait certainement tout autre. Nous savons ces
choses, nous en sommes convaincus, puis elles nous
échappent au moment où nous en
aurions le plus urgent besoin.
Le Psalmiste confessait ses fautes
d'ignorance :
« Ne te souviens point des
péchés de ma jeunesse, ni de mes
transgressions. »
(Ps. XXV, 7.)
« Pardonne-moi mes fautes
cachées. »
(Ps. XIX, 12.) « Tu connais
ma folie, et mes fautes ne te sont point
cachées. »
(Ps. LXIX, 6.) Souvent on
traîne avec soi toute sa vie de vieux
défauts, de mauvaises habitudes, sans
réfléchir que, si les hommes ne les
remarquent pas, elles déplaisent à
Dieu. Pour ne citer qu'un exemple, combien de
personnes ont la coupable habitude de prendre le
nom de Dieu en vain, même après leur
conversion.
Cependant l'intercession du Seigneur a ses
limites. « Si nous péchons
volontairement, après avoir reçu la
connaissance de la vérité, il ne
reste plus de sacrifice pour les
péchés, mais une terrible attente du
jugement et un feu ardent, qui doit détruire
les adversaires. »
(Hébr. X, 26, 27.) S'il est
des hommes qui font le mal, tout en sachant
parfaitement ce qu'ils font, il n'y a pas d'espoir
de pardon pour eux ; car ils ne sont plus
capables de repentir. Pour une grande partie des
Juifs, la requête du Seigneur est
demeurée sans effet. Leur opposition fut
tout aussi vive, lors des premières
prédications des apôtres, que pendant
la vie du Seigneur. Il est impossible qu'un homme
soit convaincu de la vérité de
l'Évangile et qu'en même temps, il
fasse opposition au Sauveur et à son
règne.
« Aimez vos ennemis,
bénissez ceux qui vous maudissent ;
faites du bien à ceux qui vous
haïssent, et priez pour ceux qui vous
outragent et qui vous
persécutent »
(Matth. V, 44), dit le Seigneur.
Saint Pierre ajoute : « Christ a
souffert pour vous, VOUS laissant un exemple afin
que vous suiviez ses traces - lui qui,
outragé, ne rendait point d'outrage, et
maltraité, ne faisait point de menaces, mais
s'en remettait à Celui qui juge
justement. »
(I Pier. II, 21, 23.)
Le motif sur lequel le Seigneur appuie sa
prière : « ils ne savent ce
qu'ils font », doit nous rendre le pardon
plus aisé, quand il s'agit de blessures
faites à notre amour-propre ou à
notre personnalité. Cherchons à voir
les circonstances
atténuantes pour ce qui
concerne notre prochain ; si nous nous mettons
à sa place, si nous nous rendons compte de
ses tentations, de ses difficultés, de
l'éducation qu'il a reçue, alors nous
ne le jugerons plus aussi sévèrement
et nous apprendrons à prier pour lui.
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