Ton Dieu
règne
La visite du Seigneur
Les enfants d'Israël firent
ce qui déplaît à
l'Éternel ; et l'Éternel les
livra entre les mains de Madian, pendant sept ans.
La main de Madian fut puissante contre Israël.
Par crainte de Madian les enfants d'Israël se
retiraient dans les ravins des montagnes, dans les
cavernes et sur les rochers fortifiés. Quand
Israël avait semé, Madian montait avec
Amaleck et les fils de l'Orient, et ils marchaient
contre lui. Ils campaient en face de lui,
détruisaient les productions du pays jusque
vers Gaza, et ne laissaient en Israël ni
vivres, ni brebis, ni boeufs, ni ânes. Car
ils montaient avec leurs troupeaux et leurs tentes,
ils arrivaient comme une multitude de sauterelles,
ils étaient innombrables, eux et leurs
chameaux, et ils venaient dans le pays pour le
ravager. Israël fut très malheureux
à cause de Madian et les enfants
d'Israël crièrent à
l'Éternel.
Lorsque les enfants d'Israël
crièrent à l'Éternel à
cause de Madian, l'Éternel envoya un
prophète aux enfants d'Israël. Il leur
dit : Ainsi parle l'Éternel, le Dieu
d'Israël : Je vous ai fait monter
d'Egypte, et je vous ai fait sortir de la maison de
servitude. Je vous ai délivrés de la
main des Égyptiens et de la main de tous
ceux qui vous opprimaient ; je les ai
chassés devant vous, et je vous ai
donné leur pays. Je vous ai dit : Je
suis l'Éternel, votre Dieu, vous ne
craindrez point les dieux des Amoréens dans
le pays desquels vous habitez. Mais vous n'avez
point écouté ma voix.
Puis vint l'ange de l'Éternel, et il
s'assit sous le térébinthe d'Ophra,
qui appartenait à Joas, de la famille
d'Abiézer. Gédéon, son fils,
battait du froment au pressoir,
pour le mettre à l'abri de Madian. L'ange de
l'Éternel lui apparut et lui dit :
L'Éternel est avec toi, vaillant
héros ! Gédéon lui
dit : Ah ! mon seigneur, si
l'Éternel est avec nous, pourquoi toutes ces
choses nous sont-elles arrivées ? Et
où sont tous ces prodiges que nos
pères nous racontent quand ils disent
l'Éternel ne nous a-t-il pas fait monter
hors d'Égypte ? Maintenant
l'Éternel nous abandonne et il nous livre
entre les mains de Madian ? L'Éternel
se tourna vers lui et dit : Va avec cette
force que tu as, et délivre Israël de
la main de Madian, n'est-ce pas moi qui
t'envoie ? Gédéon lui dit :
Ah ! mon seigneur, avec quoi
délivrerai-je Israël ? Voici, ma
famille est la plus pauvre en Manassé et je
suis le plus petit dans la maison de mon
père. L'Éternel lui dit : Mais
je serai avec toi, et tu battras Madian comme un
seul homme. Gédéon lui dit : Si
j'ai trouvé grâce à tes yeux
donne-moi un signe pour montrer que c'est toi qui
me parles. Ne t'éloigne point d'ici
jusqu'à ce que je revienne auprès de
toi, que j'apporte mon offrande et que je la
dépose devant toi. Et l'Éternel
dit : Je resterai jusqu'à ce que tu
reviennes.
Gédéon entra, prépara
un chevreau et fit avec un épha de farine
des pains sans levain. Il mit la chair dans un
panier et le jus dans un pot, les lui apporta sous
le térébinthe, et les
présenta. L'ange de Dieu lui dit :
Prends la chair et les pains sans levain, pose-les
sur ce rocher et répands le jus. Et il fit
ainsi. L'ange de l'Éternel avança
l'extrémité du bâton qu'il
avait à la main et toucha les pains sans
levain. Alors il s'éleva du rocher un feu
qui consuma la chair et les pains sans levain. Et
l'ange de l'Éternel disparut à ses
yeux. Gédéon, voyant que
c'était l'ange de l'Éternel
dit : Malheur à moi, Seigneur
Éternel ! Car j'ai vu l'ange de
l'Éternel face à face. Et
l'Éternel lui dit : Sois en paix, ne
crains point, tu ne mourras point.
Gédéon bâtit là un autel
à l'Éternel et lui donna pour
nom : L'Éternel, le Dieu de paix ;
il existe encore aujourd'hui à Ophra qui
appartient à la famille d'Abiézer.
Juges 6. 1-24
La détresse de l'Eglise était
grande au temps de Gédéon.
Malgré les recommandations de Moïse et
de Josué, le peuple de
Dieu avait écouté d'autres voix que
celle de l'Éternel. Au lieu de les combattre
et de les détruire par la Parole de Dieu,
voilà qu'Israël s'était mis
à respecter, puis même à
pratiquer les religions du pays où Dieu
l'avait fait entrer. Cela s'était fait sans
doute insensiblement, sans même qu'on y
prît garde. Peu à peu les dieux du
jour et les cultes à la mode
s'étaient emparés des esprits. On
n'en croyait pas moins demeurer fidèle
à l'Éternel. Nul doute qu'Israël
était persuadé de croire encore en
Dieu, seulement il se disait qu'il fallait
respecter toutes les opinions pourvu qu'elles
fussent sincères. Ainsi l'Eglise quand elle
a perdu la foi en vient à faire de
l'idolâtrie, qui empoisonne le monde une
opinion respectable ; puis elle finit par
épouser elle-même cette
idolâtrie et par mélanger la crainte
de l'Éternel avec la crainte des autres
dieux. Oh ! il est certain qu'on racontait aux
enfants (et les paroles de Gédéon
tout à l'heure le prouveront) la sortie
d'Égypte, la prise de Jéricho,
l'alliance du Sinaï, toutes les merveilles que
Dieu avait déployées pour son peuple.
Mais quoi ? c'était de grandes choses
qui s'étaient passées il y a
plusieurs siècles. De belles histoires
mortes. On se disait : « Maintenant
Dieu n'agit plus de cette façon,
c'était bon pour autrefois. » On
croyait bien encore à ces grands
événements de l'histoire de l'Eglise,
on célébrait, chaque année, le
jour de Pâques, la sortie d'Égypte, on
célébrait le Jubilé de la
Réformation. Mais on ne croyait plus
à la présence du Sauveur. On ne
croyait plus à l'actualité de sa
délivrance. Et l'on était bien
empêché d'y croire, puisque l'on
croyait à d'autres présences,
à d'autres Sauveurs, à d'autres
puissances que celle de l'Éternel. Puisque
l'on réglait sa vie sur l'opinion publique
et non plus sur la loi de Dieu,
puisque l'on attendait quelque chose des Baals et
des Astartés, que pouvait-on attendre encore
de l'Éternel ?
Aussi l'Éternel s'était
retiré et avait livré l'Eglise aux
puissances étrangères qu'elle voulait
servir : elle voulait servir l'État, il
la livre à l'État, elle attendait
quelque chose de Mammon, il la livre à
Mammon. Elle veut se conformer à l'opinion
publique : alors il ne lui laisse dire que ce
que tout le monde sait déjà, elle
n'est plus qu'un écho des besoins du jour.
Ces puissances étrangères peu
à peu s'emparent de l'Eglise et
l'anéantissent. Ainsi les pillards
madianites venaient chaque année
dévaster la Terre Sainte, et réduire
Israël à la dernière
extrémité.
Heureusement, oui heureusement, que les
compromis de l'Eglise ne lui procurent qu'un
succès temporaire et très vite, se
retournent contre elle, et qu'alors sa
détresse lui devient si sensible qu'elle
peut enfin oublier les illusions en qui elle
s'était complu, pour invoquer
l'Éternel à grands cris, pour appeler
l'Éternel seul à son secours.
Et l'Éternel peut alors aussi montrer
qu'il est le même Sauveur de l'Eglise, hier,
aujourd'hui, éternellement. Les Madianites
en réduisant son peuple à la
dernière extrémité ont
préparé ses voies ; sa
colère aplanit le sentier de sa
miséricorde. Il peut agir, intervenir
maintenant par sa grâce souveraine et
descendre visiter son peuple.
Dieu choisit Gédéon pour se faire
connaître à lui et en faire
l'instrument de sa délivrance. Alors
s'accomplit le miracle de la
Révélation, l'incarnation. Un homme
vient s'asseoir sous le térébinthe
d'Ophra près duquel
Gédéon battait son blé. Cet
homme que l'Ancien Testament appelle l'ange de
l'Éternel, c'est celui avec lequel Jacob a
lutté toute la nuit. C'est celui qu'Abraham,
Moïse, Josué, ont rencontré,
c'est celui qui naîtra dans une écurie
et qui mourra sur une croix. Cet homme, c'est Dieu
sur la terre, c'est Jésus-Christ. Et voici
qu'il adresse la parole à
Gédéon et le salue d'une façon
singulière : « Vaillant
guerrier, l'Éternel est avec
toi. » Cet homme a, seul au monde, le
droit de saluer ainsi. Il ne le fait pas parce que
Gédéon a quelques qualités
extraordinaires en lui, ou parce qu'il est un homme
pieux. Il lui dit :
« L'Éternel est avec
toi » parce que lui qui parle à
Gédéon est lui-même
« l'Éternel avec
Gédéon ». C'est par le seul
fait que Jésus-Christ nous parle que
l'Éternel est avec nous. En saluant ainsi
Gédéon cet homme s'annonce. Il ne
constate pas quelque chose qui existait avant son
arrivée, il se présente comme
l'Éternel.
Mais Gédéon ne le comprend pas
tout de suite. Il ne sait pas que l'Éternel
lui-même est en effet avec lui dès
l'instant où cet homme lui adresse la
parole. Il prend cette bonne nouvelle pour une
salutation ordinaire, une formule de politesse et
il réplique amèrement :
« Si l'Éternel est avec nous,
pourquoi ces choses nous sont-elles
arrivées ? » Pourquoi son
Église est-elle dans un état si
pitoyable, pourquoi les puissances du monde
dominent-elles sur elle ? Où sont les
merveilles d'autrefois qu'on nous raconte ?
Où sont les temps héroïques de
la Réforme où la Parole de Dieu
renversait les murailles et bouleversait
l'idolâtrie ? Où donc est la main
puissante de l'Éternel qui nous conduisait,
maintenant que la main des Madianites est sur nous,
maintenant que nous ne sommes plus là qu'une
poignée de protestants à avoir honte
de l'Évangile ? Où sont ces
martyrs, ces témoins de la
présence divine ? Certes,
Gédéon a raison de protester, il a
raison de constater et de confesser que son peuple
est abandonné de l'Éternel, et c'est
même la salutation de l'ange qui l'oblige
à s'en rendre compte.
Alors l'Éternel ne le laisse pas se
lamenter plus longtemps. Il reprend la
Parole : « Où sont les temps
de Moïse et de Calvin ? Où sont
les merveilles d'autrefois ? Elles ne sont
plus derrière toi. Elles sont devant toi. Le
temps de délivrer l'Eglise est là
pour toi, maintenant. Va, avec la force que tu as.
Va tel que tu es. Et délivre
Israël. » Gédéon
attendait sans doute, comme nous tous, une de ces
délivrances qui tombent du ciel, je ne sais
quelle transformation automatique de sa
misère en prospérité. Mais
Dieu lui dit : « Tu attends ma
délivrance. Eh bien va ! Délivre
mon peuple ! N'est-ce pas moi qui
t'envoie ? Je mets dans ta main et dans ta
bouche ma délivrance. » Mais
Gédéon n'a pas encore compris ceci
que depuis que cet homme lui parle l'Éternel
est avec lui. Il ne sait pas encore qu'il a le
Sauveur en personne sous les yeux. Et il
reprend : « Mais avec quoi
délivrerai-je l'Eglise ? Je n'ai rien
pour cela. Je ne suis rien dans mon peuple et dans
ma famille. »
« Parce que je serai avec toi, tu
battras les Madianites comme un seul
homme. »
Nous voudrions toujours autre chose que Dieu
pour triompher, nous répondons que nous
sommes trop faibles, que nous ne pouvons pas, sans
voir qu'avec ces excuses, c'est justement sur
nous-mêmes que nous comptons, et que nos
protestations d'incapacité sont encore un
dernier acte d'orgueil, une dernière
façon de compter avec nous-mêmes.
Jamais Dieu ne nous demande quoi que ce soit sans
nous faire en même temps cette
promesse : « Je serai avec
toi » ; et cette
parole est la seule
possibilité pour qui que ce soit d'accomplir
la volonté de Dieu. Mais c'est une
possibilité suffisante parce que tout est
possible à Dieu, parce que « je
puis, tout par celui qui me fortifie ».
Je suis avec toi, dit l'homme à
Gédéon. Ce même homme dira plus
tard à ses apôtres :
« Je suis avec vous tous les jours
jusqu'à la fin du monde. » Toute
la puissance du monde, des idoles, de
l'Égypte, de Rome et des Madianites, de
l'opinion publique et de Mammon est vaincue par la
réalité de cette seule parole :
Emmanuel ! Dieu avec nous ! Il n'y a donc
plus à chercher d'autres forces. Il n'y a
plus à s'occuper de ce que nous sommes et de
ce que nous pouvons ou non. Va avec la force que tu
as! Il n'y a pas ici pour Gédéon
d'échelon à gravir, de progrès
à faire, de force à prendre. La force
que nous avons, notre force d'homme pécheur
et sans force, est à chaque instant
où Il le veut, le commande et le promet, la
force même du Roi des rois. Nous n'aurons
jamais à nous que notre force, une force
parfaitement inefficace. Mais quand Dieu dit :
« C'est moi qui t'envoie », il
se tient alors avec notre force, il en fait ce
qu'il veut. Il n'est poux nous comme pour
Gédéon, ni progrès, ni stade
préparatoire, ni ascension spirituelle. Il y
a seulement que l'Éternel est ou n'est pas
avec la force que nous avons. « Je serai
avec toi. N'est-ce pas moi qui
t'envoie ? »
Mais Gédéon n'est pas tout
à fait sûr encore. Il entend bien que
« jamais homme n'a parlé comme cet
homme. » Mais il n'est pas sûr que
c'est vraiment l'Éternel qui lui parle.
Comment croire d'emblée, comment croire sans
passer par une singulière angoisse qu'un
homme assis sous un térébinthe soit
l'Éternel, le Créateur
Tout-Puissant ? C'est pourquoi
Gédéon demande un signe, une preuve
que cet homme est bien l'Éternel.
« Donne-moi la preuve que c'est
toi qui me parles. » Parce que la demande
de Gédéon signifie :
« Je crois, Seigneur, viens en aide
à mon incrédulité »
et non pas : « Si tu es le Fils de
Dieu descends de la croix afin que nous voyions et
que nous croyions », l'Éternel
dans sa bonté accorde un signe. Quand
Gédéon lui présente,
l'offrande qu'il est allé préparer,
l'ange touche la viande et le gâteau, le feu
les consume, et à ce moment même
l'ange de l'Éternel disparaît aux yeux
de Gédéon comme il disparaîtra
aux yeux des pèlerins d'Emmaüs au
moment de rompre le pain. Il disparaît
à l'instant où il se fait
reconnaître afin que sa gloire ne nous
réduise pas en poussière. Ainsi dans
le temps d'un éclair, dans le feu qui a
consumé le sacrifice, Gédéon a
vu la gloire du Ressuscité,
l'incompréhensible gloire du Dieu vivant. Il
sait maintenant que cet homme avec lequel il a
causé tout à l'heure, c'est le
Seigneur, le Roi des rois ; il change de ton,
il ne discute plus, mais s'écrie :
« Malheur à moi, Seigneur
Éternel, car j'ai vu l'ange de
l'Éternel face à
face. »
Dans son incertitude, Gédéon
était tranquille. Mais voici qu'au moment
où Dieu lui donne la certitude de sa
présence, il tombe dans l'épouvante,
et la mort vient sur lui. Nous voudrions tous voir
Dieu et nous réclamons des signes sans
savoir ce que nous faisons, et nous ne comprenons
pas que c'est pour nous épargner
l'épouvante et la mort que Dieu vient
à nous sous l'aspect misérable et
quelconque du charpentier de Nazareth, de cet homme
qui s'assied sous un térébinthe et
qui mange à notre table. Nous nous plaignons
du manque d'évidence de la
Révélation, et nous ne voyous pas que
l'obscurité et l'anéantissement du
Crucifié sont la seule possibilité
pour le Dieu saint de parvenir jusqu'à nous
sans faire notre malheur.
Oui, Gédéon s'écroule
maintenant privé d'appui, devant celui que
nul ne peut voir sans mourir. Mais l'Éternel
qui heureusement a suspendu le signe et s'est
effacé à ses regards lui rappelle
qu'il est le Dieu miséricordieux et prononce
les paroles de Noël : « Ne
crains point. Tu ne mourras
point ! »
Alors Gédéon bâtit un
autel et l'appela l'Éternel, le Dieu de
paix ! Le Dieu de paix qui disait à
Gédéon. « Tu battras les
Madianites comme un seul homme. » Oui.
Parce qu'il n'y a de paix que quand toutes les
puissances de la terre sont réduites
à la puissance de Dieu. Il n'y a de paix que
le jour où toutes les pensées sont
captives de Jésus-Christ. C'est bien le Dieu
de paix, le Prince de la paix qui envoie
Gédéon délivrer
l'Eglise, renverser les idoles et battre les
Madianites. C'est aussi le Prince de la paix qui
disait à ses disciples : « Je
ne suis pas venu apporter la paix mais
l'épée. » Car la Parole de
Dieu est une épée à deux
tranchants, et il n'y a point de paix dans le
monde, et il n'y a point de paix dans nos vies, ni
dans notre coeur avant que l'épée du
Dieu de paix nous ait transpercés
nous-mêmes, et avant que l'épée
du Dieu de paix n'ait dépouillé les
dominations et les puissances. Gédéon
sait maintenant que la paix de Dieu qui surpasse
toute intelligence n'existe que dans la victoire
sur le monde et que le Dieu de paix, c'est celui
qui a vaincu le monde, c'est celui qui
délivre Israël de la main des
Madianites et qui dit : « Ne crains
point, tu ne mourras point. Celui qui vit et croit
en moi ne mourra jamais. » Il n'y a pas
de paix pour qui traite avec Baal, avec les
Madianites et avec la mort. La paix de Dieu est sur
les champs de bataille où gisent
anéantis le monde et les religions, le
péché et la mort. Amen.
L'Intercession
Sur les murailles,
Jérusalem, j'ai placé des
sentinelles ; ni le jour, ni la nuit, jamais
elles ne se tairont. 0 vous qui faites appel au
souvenir de l'Éternel, ne prenez aucun
repos. Ne lui laissez point de repos jusqu'à
ce qu'il ait rétabli Jérusalem et
qu'il en ait fait la gloire de toute la terre.
Esaïe 62. 6-7
C'est un rempart que notre Dieu ! Oui
certes, la promesse que Dieu fait à son
Église, que sa lumière et sa justice
un jour éclateront sur toute la terre, cette
promesse est l'invincible muraille qui garde
Jérusalem contre tous les désespoirs,
toutes les tentations et tous les
déchaînements du monde. Nous sommes
membres de l'Eglise du Christ, cela veut dire que
nous habitons la cité à laquelle Dieu
a déclaré : « Je me
souviendrai de toi, je reviendrai vers toi, je te
sauverai moi-même. Comme la fiancée
fait la joie de son époux, tu feras la joie
de ton Dieu. Souviens-toi seulement de ma promesse
et attends-moi. » Pour le peuple qui la
reçoit, cette promesse est un rempart
absolument inébranlable mais non pas,
prenons-y garde, le rempart de sa
sécurité et de son sommeil. Ce n'est
pas un rempart derrière lequel on s'endort
et se repose. Et ceux qui font de la Parole de Dieu
le refuge douillet de leur spiritualité
s'exposent à un mauvais réveil. Ceux
pour qui la Parole de Dieu est vraiment une
muraille, ceux là sont
postés dessus et non dormant
derrière. Ceux-là crient et ne se
taisent point. Ceux-là protestent et ne
consentent pas.
Les hommes auxquels le Dieu trois fois saint
a déclaré : « Je me
souviendrai de toi », sont
entraînés dans une singulière
aventure. Par la puissance de cette promesse, par
cette Parole qui les tient, ils sont postés
aux frontières de l'Histoire, aux
frontières du Monde. Ils sont devenus les
sentinelles de l'Éternité, dans un
monde qui semble bien avoir été
à jamais oublié par l'Éternel.
Ils font appel au souvenir de l'Éternel. Le
Monde dort profondément, le monde souffre,
le monde meurt derrière cette
muraille ; mais les sentinelles guettent,
elles appellent, elles se passent l'une à
l'autre le mot d'ordre, elles se rappellent l'une
à l'autre la promesse. « Ni le
jour, ni la nuit, jamais elles ne se
tairont. »
Ni le jour, ni la nuit, ni pendant la paix,
ni pendant la guerre, ni durant les périodes
de prospérité, ni durant celles de
misères, ni dans le temps de la joie, ni
dans le temps de l'épreuve. Jour et nuit,
les sentinelles crient. Elles ont à crier de
deux côtés, elles ont à
combattre de deux côtés. Elles ont
à se tourner vers les hommes pour leur
parler de Celui qui vient, pour leur dire la Parole
de Dieu : « Fils de l'Homme, dit
Esaïe, je t'ai établi pour servir de
sentinelle à la Maison d'Israël ;
écoute la Parole de ma bouche et avertis les
Israélites de ma part ! » Il
y a ce combat-là pour les sentinelles, ce
combat livré au sommeil des hommes, à
leur sécurité, à leur
injustice, au nom du Soleil de Justice qui va se
lever bientôt. Nous aurons certes l'occasion
de revenir sur ce côté de la bataille.
Mais il n'est pas question de lui dans notre texte.
Il est question de l'autre côté
seulement, de l'autre front. Les sentinelles
crient, mais c'est vers Dieu.
Elles sont tournées vers le jour qui se
lève. Elles combattent, mais c'est avec
celui qui tarde à venir et laisse encore son
peuple dans la détresse.
Certes l'Eglise est là pour
empêcher les hommes de se reposer dans leur
égoïsme, dans leurs turpitudes, dans
leurs armistices. Mais elle est là tout
autant pour empêcher Dieu de se reposer, de
se retirer du monde, et de l'abandonner à
son mensonge, à ses illusions, à ses
violences. L'Eglise est là pour se battre
contre le Monde, certes, mais tout autant pour se
battre contre Dieu. Elle est là pour
arracher les hommes à leur sommeil, mais
tout autant pour arracher Dieu à son
sommeil, et le sommeil de Dieu, c'est sa
colère ; c'est Dieu qui,
dégoûté de nous,
écoeuré de notre infamie, s'est
détourné de nous et a cessé de
s'occuper des affaires de ce monde. Oui, nous avons
continuellement cette bataille à livrer,
nous ne pouvons cesser d'être aux prises avec
la juste colère de Dieu, ou alors nous
sommes morts, nous sommes tombés dans le
repos du monde. Ne prenez aucun repos ; ne
laissez à l'Éternel aucun repos.
Cette bataille porte un nom, elle s'appelle
l'intercession. C'est la bataille par
excellence que Jésus est venu livrer et ne
cesse de livrer pour nous devant la face de son
Père. C'est la bataille qu'en Lui nous ne
pourrons cesser de livrer nous-mêmes. Une
Église qui intercède, c'est une
Église aux prises avec son Seigneur, c'est
une Église qui garde le contact, qui ne
laisse pas Dieu se retirer : « Je ne
te laisserai pas aller que tu ne m'aies
béni », dit Jacob.
Mais que demandent au juste les sentinelles
dans leur intercession ? « Ne lui
laissez pas de repos jusqu'à ce qu'il ait
fait de Jérusalem, la gloire de toute la
terre ! » Qu'est-ce que cela veut
dire Jérusalem, c'est l'Eglise. L'Eglise
doit-elle vraiment demander cela ? N'est-ce
par, d'une singulière
présomption ? Évidemment, si
nous n'avions pas compris d'où vient la
gloire de l'Eglise et dans quel sens Dieu lui
promet d'être la lumière du monde.
Cette prière serait un comble d'orgueil s'il
s'agissait tant soit peu d'une gloire venant de
nous, et d'un rôle que nous aurions à
jouer. Mais Jérusalem n'a pas d'autre
lumière que celle de Jésus-Christ,
pas d'autre justice que celle de
Jésus-Christ, pas d'autre miséricorde
que celle de Jésus-Christ. Demander que
Jérusalem soit faite la Gloire de toute la
Terre, c'est demander que Jésus-Christ soit
glorifié sur toute la Terre, que sa
grâce et sa justice soient connues, que toute
la terre se soumette à sa volonté, et
pas autre chose. L'Eglise n'est que la
messagère, le support de cette
lumière ; aussi une telle demande, loin
d'être présomptueuse, est au contraire
la demande de l'humilité et de la
charité. Car pour intercéder ainsi il
faut que l'Eglise ait compris qu'elle n'est pas
là pour elle-même, mais pour la Terre
entière ; qu'elle n'a droit à
aucun repos avant que la terre entière soit
entrée dans le repos de Dieu et soit soumise
à Jésus-Christ. Cette lumière
s'éteint quand elle veut la garder pour
elle.
Ce sont là des paroles dures pour
nous tous, et terribles, car nous sommes des
paresseux qui ne songeons qu'à nous asseoir
dans notre foi, à nous cantonner dans notre
obéissance, à nous sentir bien
à l'abri dans les murailles de
Jérusalem, à chanter la justice de
Jésus-Christ cependant que l'injustice se
déchaîne au dehors, et à
remercier Dieu de ce que nous ne sommes pas comme
le reste de la Terre. Mais le prophète nous
dit : « Point de repos avant que
tout soit accompli. » Point de repos, ni
pour toi, ni pour ton Dieu avant que
Jésus-Christ ne gouverne toutes les nations.
Point de repos avant que toute larme ne soit
séchée, que toute faim ne soit
apaisée, que toute oppression ne soit
ôtée, que tout orgueil ne soit
détruit. Point de repos avant que la gloire
de Jésus-Christ ne se dresse seule,
incomparable, éternelle sur la
poussière de nos idoles et de nos
succès. Une foi qui consentirait à
l'incrédulité des autres, ne serait
plus la foi chrétienne. Une
obéissance qui consentirait à la
désobéissance des autres ne serait
plus l'obéissance chrétienne. Une
justice qui consentirait à l'injustice ne
serait plus la justice de Jésus-Christ, la
justice des justifiés. Renoncer à
Jésus-Christ pour les autres, c'est y
renoncer pour nous-mêmes.
Dès que nous prenons notre parti d'un
mal qui se commet, dès que nous consentons
à la raison du plus fort et à la
détresse des plus faibles, dès que
nous acceptons une paix fondée sur la
violence ou un ordre social basé sur Mammon,
ou sur l'oppression, ou sur la délation,
nous prenons le repos défendu et nous
laissons à Dieu le repos défendu, le
repos que Satan souhaite, car un condamné ne
souhaite qu'une chose, c'est que le juge prenne des
vacances. Pendant que l'Eglise se repose et pendant
que Dieu se repose, le Malin s'en donne à
coeur joie et ravage la Création. Non, un
croyant, une sentinelle ne peut pas prendre son
parti de l'iniquité du monde et l'abandonner
à la colère de Dieu,
c'est-à-dire l'abandonner à son
propre péché, l'abandonner au Malin.
C'est pourquoi il ne renonce pas à la
grâce de Dieu pour le Monde, il ne renonce
pas à la vérité pour qui que
ce soit et dans aucun domaine. Et pourtant le Malin
le pousse sans cesse à y renoncer. Il tourne
autour de lui en lui répétant :
« Occupe-toi du salut de ton
âme : c'est ton affaire. Quant à
la politique, aux choses de la Terre,
c'est mon affaire. Les journaux
c'est mon affaire. L'honneur du pays, je sais mieux
que toi ce que c'est. Il y a cent feuilles qui
distillent le mensonge et la calomnie et
empoisonnent l'âme de ce peuple, dis-tu.
Qu'est-ce que cela peut te faire ? Cela ne
t'empêchera pas de sauver ton âme,
occupe-toi de tes affaires et laisse-moi la
paix ! Ici la Parole de Dieu, la gloire de
Jérusalem, ici la Vérité et la
Justice de Jésus-Christ ne passent
pas ! » - Mais intercéder,
c'est supplier Dieu que sa lumière passe
partout.
Je pense à cet ecclésiastique
qui, il y a quelques mois, venait de prendre une
décision politique grave et à qui
l'on demandait : « Mais, monsieur,
et la foi chrétienne là
dedans ? » et qui répondait
naïvement : « Eh, mon pauvre
ami, ce n'est pas le moment d'y
penser ! » Le brave homme allait
sans doute le lendemain au culte ou à la
messe pour essayer de sauver son âme, car
c'était alors le moment d'y penser
(1).
Occupe-toi du salut de ton
âme !
C'est un conseil que le Diable nous donne
assez volontiers pour se débarrasser des
chrétiens qui pourraient le gêner.
Trouvez-vous que les prophètes, les
apôtres, les Réformateurs s'occupent
du salut de leur âme ? Pas le moins du
monde. Ils ne s'occupent que d'une chose :
faire de Jésus-Christ la gloire de toute la
terre, la lumière de tous les moments des
hommes. Par leur témoignage et par leur
intercession, ils sont les sentinelles de
Jérusalem, qui crient nuit et jour sur les
remparts de la ville, et il n'y a point de repos
pour eux, ni pour vous, ni pour Dieu, et il n'y a
point de salut pour eux, ni poux nous, tant que la
gloire de la Ville sainte n'a pas
éclairé toutes les
nations et renversé toutes
les frontières que le Diable veut installer.
Il n'y a ni repos ni salut jusqu'à ce que
vienne le Seigneur pour prendre en mains le
gouvernement du monde et faire de Jérusalem
la gloire de toute la Terre. L'exaucement d'une
telle prière et sa fin ne sauraient
être autre chose que le retour de
Jésus-Christ.
La grande tentation pour l'Eglise, c'est de
se replier sur elle-même pour avoir la paix
et prendre du repos, oubliant peu à peu
l'indicible souffrance du monde qui oublie Dieu et
que Dieu oublie. Aussi rien ne nous est plus
salutaire qu'une vibrante intercession. Pour bien
la faire, nous devons vraiment sortir de
nous-mêmes, vouloir le salut du monde et
intervenir en sa faveur auprès de Dieu.
L'intercession, c'est l'acte de résistance
absolue à la forme mauvaise de ce monde, et
l'acte d'amour absolu pour ce monde que l'on veut
arracher à la puissance des
ténèbres, et dont on sait qu'il lui
manque une seule chose, c'est de laisser tout pour
suivre Jésus-Christ.
Oui, la tentation est forte de nous replier
sur nous-mêmes en nous disant que nous n'y
pouvons rien, que nous n'avons qu'à laisser
faire ! Nous pouvons toujours quelque chose.
Nous pouvons toujours intercéder. Nous
pouvons toujours parler de tout à Dieu, et
faire appel à son souvenir, et arracher de
ses mains son secours et son pardon et sa
consolation pour tous ceux qui ne le connaissent
pas. Nous sommes seuls à le pouvoir, et
c'est pour cela que nous sommes dans l'Eglise.
C'est pour cela que nous sommes des sentinelles sur
les remparts de Jérusalem.
Ne prenez aucun repos ! Ne laissez pas
de repos à Dieu jusqu'à ce que votre
lumière soit celle de toute la terre, de
tous les hommes sur la terre et de tous les moments
des hommes sur la terre.
|