Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Ton Dieu règne



L'Avertissement

La Parole de l'Éternel me fut adressée en ces termes : Fils de l'homme, parle aux enfants de ton peuple, et dis-leur : Quand j'envoie l'épée pour ravager un pays, les habitants de ce pays choisissent l'un d'entre eux pour le placer comme sentinelle. Celui-ci, voyant venir l'épée sur le pays, sonne de la trompette pour avertir le peuple. Alors, si celui qui entend le son de la trompette ne se tient pas sur ses gardes et si l'ennemi le surprend, le sang de cet homme retombera sur sa tête ; car il a entendu le son de la trompette, et il ne s'est pas tenu sur ses gardes. Son sang retombera sur lui. Mais s'il se tient sur ses gardes, il sauvera sa vie. Si la sentinelle voit venir l'épée et ne sonne pas de la trompette, en sorte que le peuple ne se tienne pas sur ses gardes ; et que l'épée vienne enlever la vie à l'un ou à l'autre, celui-ci aura péri à cause de son iniquité ; mais je demanderai compte de son sang à la sentinelle.

Eh bien, Fils de l'homme, je t'ai établi pour servir de sentinelle à la maison d'Israël ; écoute la parole de ma bouche, et avertis les Israélites de ma part. Lorsque je dis au méchant : « Méchant, tu mourras certainement ! » - si tu ne dis rien pour détourner le méchant de sa mauvaise conduite, ce méchant mourra à cause de son iniquité ; mais je te demanderai compte de son sang. Si au contraire tu avertis le méchant pour le détourner de sa mauvaise conduite et qu'il ne s'en détourne pas, il mourra à cause de son iniquité ; mais toi tu auras sauvé ta vie.

Fils de l'homme, dis à la maison d'Israël : Vous parlez ainsi et vous dites : « Puisque nos forfaits et nos péchés pèsent sur nous et que nous dépérissons à cause d'eux, comment pourrions-nous subsister ? » Dis-leur : Aussi vrai que je suis vivant, dit le Seigneur, l'Éternel, je prends plaisir, non pas à la mort du méchant, mais à sa conversion et à son salut. Détournez-vous, détournez-vous de la mauvaise voie que vous suivez ? Pourquoi mourriez-vous, ô maison d'Israël ?
Ezéchiel 33. 1-11

Les sentinelles qui montent la garde sur les remparts de Jérusalem aux frontières de l'histoire humaine et de l'éternité, ont à combattre sur deux fronts. Tournées vers Dieu, elles lui parlent du monde. Elles ne renoncent pas à Dieu pour le monde. Elles ne laissent pas Dieu se reposer. Elles luttent avec celui qui tarde à venir. En un mot, elles intercèdent.

Mais aussi, tournées vers les hommes, elles leur parlent de Dieu. Elles luttent avec leur repos, avec leur sommeil au nom de celui qui vient. Elles avertissent les hommes de ce qui doit arriver, inéluctablement. Elles sont établies pour mener conjointement ces deux luttes, avec Dieu dans l'intercession, avec les hommes dans le témoignage et la profession de foi. Ce sont les deux fronts de la même lutte, de la lutte de toute Église vivante pour le salut du monde et pour la gloire de Dieu - pour préparer le chemin du Seigneur. Nous nous porterons sur ce front aujourd'hui pour écouter ce que Dieu y attend de nous. « Fils de l'homme, je t'ai établi sentinelle. Écoute la parole de ma bouche et avertis les Israélites de ma part. »

Quel est cet avertissement ? Il est simple et rude et sommaire. C'est un avertissement de vie et de mort ! « Méchant ! tu mourras certainement ! » Est-ce là ce qu'il faut dire ? Est-ce là votre Dieu ? Un tyran qui menace. La sentinelle a plutôt l'air d'un gendarme. Et il y a une manière bien déplorable pour les chrétiens d'annoncer le jugement et de dire aux autres que Dieu les punira, de le faire sans amour et sans une vraie et personnelle connaissance du jugement. Pour annoncer la mort de la part de Dieu à l'incrédule, au pharisien, il faut que cette mort, Dieu nous l'ait révélée, que nous ayons passé par elle, que nous ayons saisi à la lumière de Sa parole et de Sa justice, la correspondance intime, la liaison inéluctable du péché et de la mort. Car le péché est une semence de mort, il contient la mort comme la graine contient le fruit. Le mensonge, la convoitise, la trahison produisent leur moisson. La mort pousse tout doucement dans notre désobéissance, comme un enfant dans le sein de sa mère. Et un beau jour elle est là, le péché a enfanté la mort. Les incrédules que nous sommes tous ne peuvent pas plus échapper à la mort, qu'une femme ne peut échapper à la naissance de l'enfant qu'elle a conçu. Un monde où la parole donnée n'a pas de valeur absolue, ne peut pas plus échapper à la guerre et à la décomposition qu'une graine ne peut échapper à son fruit. Nous avons beau être bien vivants et animés et remuants, Dieu nous voit tels que nous sommes : morts dans nos fautes. Méchant, tu mourras certainement. Voilà ce qu'une sentinelle doit comprendre. Mais il ne suffit pas qu'elle le comprenne pour elle-même, si elle ne l'a pas compris pour les autres. Nous ne sommes pas sauvés de la mort, si nous consentons à celle des autres. Nous n'avons pas écouté vraiment la Parole de l'Éternel, si nous la gardons pour nous. Si tu ne dis rien pour détourner le méchant, il mourra... Mais je te demanderai compte de son sang.

Si tu ne dis rien ! Quel jugement sur nous tous ! Quel jugement sur l'Eglise qui ne reproche rien au méchant et garde pour elle le secret du salut. Combien de fois et dans combien de pays l'Eglise a-t-elle voulu se sauver par son silence, et s'est-elle tue par prudence devant l'injustice. La méchanceté des faibles, les fautes des vaincus, celles-là on les dénonce toujours assez facilement. Mais celles des forts, des puissants, des vainqueurs, on les admet silencieusement quand on ne leur cherche pas même des excuses. Quoi qu'il eu soit, que nous nous taisions par paresse, ou par peur, notre silence est un crime, notre silence remet en question notre propre salut : « Je te demanderai compte de son sang. »

Une telle parole nous fait mesurer combien peu nous avons pris au sérieux notre fonction de sentinelle, et combien il est grave d'être chrétien. Ainsi Dieu pourrait demander compte à son Église de la défaite de la France. Il pourrait lui demander compte de tout ce sang, de toute cette désolation, de toutes ces ruines. Il pourrait demander compte à chacun de nous du malheur de notre prochain, de sa chute, de son désespoir, de sa révolte. Pas forcément : il se peut que nous ayons fait ce qu'il fallait, que nous ayons sonné de la trompette. Mais la question doit bien être posée. Les quelques millions de soi-disant chrétiens qui vivaient dans ce pays, dans les usines, dans les champs, dans les affaires, dans la politique, qu'ont-ils dit poux avertir, pour alarmer ? Et aujourd'hui que disons-nous, chacun de nous à notre place, devant la lâcheté, l'injustice, la mauvaise foi, l'avarice, devant la mort qui pousse partout comme une plante ? Avons-nous la parole de vie et de mort pour les hommes, ou seulement de vagues désapprobations. Torpeur ou peur ? La sentinelle dort-elle ou craint-elle d'être mal reçue en faisant quelque bruit ? Ou pense-t-elle qu'il suffit de s'abriter elle-même ?

« Si tu ne dis rien... je te demanderai compte de son sang. » Voyez qu'au moment même où l'Eglise veut se mettre à l'abri dans son silence, garder pour elle le compromettant secret de la mort et de la vie éternelle, dès qu'elle veut se reposer ou se sauver en se retirant du monde, en renonçant aux hommes, non seulement elle les perd en ne les avertissant pas, mais elle se perd elle-même, elle perd cette vie qu'elle veut garder pour elle, cette justice et cette vérité dont elle ne proclamerait plus l'existence absolue, universelle. Tout silence de l'Eglise devant l'iniquité commise, notre silence à chacun de nous devant l'égarement de notre prochain est une complicité, une contribution à cette iniquité. Tu as laissé cet homme, tu as laissé ce pays se donner la mort devant toi sans ouvrir la bouche, tu as contribué à sa mort ! Tu connaissais la source d'eau vive et tu ne la lui as pas indiquée ! Caïn, qu'as-tu fait de ton frère ? Qu'as-tu fait de ta famille ? Qu'as-tu fait de ton pays ? Tu as craint qu'une parole te coûte la vie, et c'est ton silence qui t'a coûté la vie.

Mais ce n'est pas l'épée, mais ce n'est pas la mort que voient venir les sentinelles. Ou plutôt cette mort certaine, cette nuit qui tombe sur le monde de notre méchanceté, c'est l'envers du jour qui se lève, de la vie qui vient. S'il y a mort et désolation certaines pour l'incrédule et pour la sentinelle qui s'endort, c'est parce qu'il y a vie, lumière et joie certaines pour celui qui témoigne et qui écoute. Ce n'est pas parce que la mort vient qu'il faut avertir les hommes, mais parce que le Seigneur vient et que c'est vraiment la mort de ne pas l'attendre, et que c'est vraiment le désespoir de ne pas compter sur lui, et que c'est vraiment l'injustice que de n'avoir pas soif de sa justice pour tous les hommes. Si nous parlons de mort aux hommes, c'est pour qu'ils ne meurent pas, c'est pour qu'ils prennent courage et qu'ils se lèvent, et non pour qu'ils s'asseoient dans un châtiment stérile et répètent : « Puisque nos forfaits et nos péchés pèsent sur nous et que nous dépérissons à cause d'eux, comment pourrions-nous subsister ? » Assurément il n'est pas possible de subsister, il n'y a pas de salut sur la voie que nous suivons. Mais notre subsistance et notre vie sont là, au dehors, dans le Dieu vivant qui n'annonce la mort que poux la chasser et la nuit que pour la dissiper : « Aussi vrai que je suis vivant, dit le Seigneur, l'Éternel, je prends plaisir, non pas à la mort du méchant, mais à sa conversion et à son salut. Détournez-vous, détournez-vous de la mauvaise voie que vous suivez

Pourquoi mourriez-vous, ô maison d'Israël ? »
C'est là toujours ce qu'on oublie : ce n'est pas Dieu qui nous fait mourir, c'est notre péché qui nous fait mourir. Ce n'est pas Dieu qui donne la mort, c'est le péché qui nous donne la mort. Dieu fait vivre. Dieu donne la vie, il ne donne que la vie. Dieu veut notre vie. Il ne veut que notre vie. C'est là tout son plaisir, c'est là toute sa joie. Cette mort que les sentinelles annoncent, c'est la mort que Dieu ne veut pas pour nous. C'est la mort qui ne lui fait pas plaisir. C'est la mort dont il souffre plus que nous. Nous nous consolons si facilement du malheur des autres, nous prenons si facilement notre parti de leur détresse et de leur mort. Mais Dieu est inconsolable de notre méchanceté. Il ne peut prendre son parti de notre mort. Il ne peut se résoudre à nous perdre, à perdre aucune de ses créatures. C'est ainsi qu'est notre Dieu. La joie de Noël, n'est rien d'autre que la joie qu'il prend à nous sauver. Noël, ce sera la révélation du plaisir de Dieu, de cette joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent, pour une brebis que le berger ramène sur ses épaules.
Connaître Dieu, c'est entrer dans sa joie, c'est devenir celui qu'il sauve, celui qu'il arrache à la mort. Comment il le fera, comment il accomplira ce salut du méchant, ce n'est pas le lieu encore d'en parler. C'est la grande oeuvre qui se prépare. Mais déjà le prophète nous y prépare en nous appelant : « Détournez-vous de la mauvaise voie que vous suivez pour prendre la route que Dieu lui-même va tracer. » Car il va rompre pour nous l'infernal enchaînement du péché et de la mort. Il ne nous sauvera pas dans notre méchanceté, il nous sauvera de notre méchanceté. Il n'est pour nous de salut qu'en dehors de ce que nous sommes, et sur un autre chemin que celui que nous suivons. Ce qui va commencer, ce sera la fin des choses anciennes, la fin de tout ce qui fait pleurer, la fin de tout ce qui fait mourir. Prenez-y garde ! Il n'y a pas de Dieu et pas de vie, point de Noël pour vous hors de cette conversion, de ce changement. Il ne peut y avoir que la mort, l'absence de Dieu, devant notre incrédulité. La lumière du Sauveur qui vient, c'est une lumière qui vraiment dissipe toute obscurité. La joie de Noël ne vient pas couronner notre vie, mais la transformer et la bouleverser. Dieu ne vient pas aplanir notre route, mais nous en faire prendre une tout autre. Noël, c'est le choix de la vie ou de la mort.

Nous réalisons mal ce qu'implique d'attendre Noël et c'est pourquoi nous l'attendons si peu sérieusement. Vraiment sommes-nous prêts à ce que tout change ? Est-ce que nous attendons Jésus-Christ comme le changement, le renouvellement de toutes choses ? Est-ce que nous l'annonçons ainsi, comme un chemin nouveau ? Et les apôtres plus tard en annonçant le Sauveur ressuscité n'ont rien trouvé de plus à dire que ce : « repentez-vous ! » c'est-à-dire : « soyez ceux que Dieu sauve ! » Ceux à qui Dieu donne la vie de son Fils ! Ceux qui savent que Dieu seul veut leur bien et le bien de tout homme.

Sentinelles, il faut empêcher les hommes de mourir. Il faut empêcher le pays de périr dans l'ignorance du plaisir de Dieu, dans l'inconscience de la bonne nouvelle que Dieu prend plaisir à nous sauver et que toute l'histoire du monde, cette pitoyable et lamentable histoire de la méchanceté des hommes n'est que l'attente et la longue patience de Dieu qui ne se résout pas à la mort de ses ennemis, et qui ne peut les sauver sans les détourner de leur injustice. Il faut que cette question nous dévore - « Pourquoi mourriez-vous, ô maison d'Israël ? »

C'est nous qui demandons d'ordinaire pourquoi nous mourons. Aujourd'hui c'est Dieu qui nous le demande, à chacun de nous, à notre Église, à notre pays, à notre monde. Pourquoi mourriez-vous puisque Dieu veut votre vie, puisque Dieu n'a aucun plaisir au mal que vous vous faites, puisqu'il tient votre salut dans sa main ?

Pourquoi seriez-vous tristes quand le Sauveur est proche ? Pourquoi dormiriez-vous quand le soleil se lève ? Pourquoi ne regardez-vous que vous-même quand Jésus va paraître ? Notre mort n'est pas ce que Dieu veut. Elle n'est que l'ignorance du salut que Dieu veut pour nous et qu'il nous prépare.

 



Le cri des Élus

Jésus leur raconta une parabole, pour montrer qu'il faut prier toujours, sans jamais se lasser. Il dit : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait point Dieu, et qui n'avait d'égards pour aucun homme. Il y avait aussi dans cette ville une veuve, qui venait à lui et lui disait : Fais-moi justice de ma partie adverse. Pendant longtemps il ne le voulut pas. Quoique je ne craigne pas Dieu et que je n'aie d'égards pour aucun homme, néanmoins, comme cette veuve m'importune, je lui ferai justice, afin qu'elle ne vienne pas toujours me rompre la tête. Puis le Seigneur ajouta : Vous entendez ce que dit le juge inique ? Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient à lui jour et nuit, et il tarderait à les secourir ! Je vous dis qu'il leur fera prompte justice, mais quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?
Luc 18. 1-8

Plus on écoute cette parabole et plus on est frappé par sa violence extrême. Il est peu de textes bibliques aussi paradoxaux. Toutes nos conceptions chrétiennes sont pulvérisées par cette petite histoire, qui va plus loin que nous ne pensons au premier abord, et qui nous fait toucher aux deux extrémités de la situation de l'Eglise, aux confins opposés de la certitude et de l'angoisse du chrétien.

Il y est en effet question des élus. Cette femme n'est pas chrétienne à demi. « Dieu ne ferait pas justice à ses élus ? » lisons-nous. Qui ne voudrait être un élu ? L'élu du Tout-Puissant, l'élu du Roi des rois ? Que demander de plus ? Quelle paix, quel bonheur, quelle certitude seraient comparables à celle d'une pareille élection ? - « Qui accusera les élus de Dieu ? » Et quel tableau enchanteur ne sommes-nous pas tentés de nous faire de la vie d'un élu ?

Mais voyez plutôt le tableau que nous en fait cette parabole. Les élus y sont comparés à une pauvre femme qui a perdu son mari et qui, en outre, se trouve dépouillée de son bien par la partie adverse, accablée par le deuil et la souffrance, accablée par la persécution et l'injustice des hommes. Oui, mais pensons-nous, les élus ont au moins leur refuge tout préparé dans la main de leur Dieu, ils ont un accès immédiat au trône de sa grâce. Eh bien non, il n'en est pas ainsi, selon cette parabole. Car pour comble de malheur cette malheureuse qui vient implorer le juge, se voit fermer la porte au nez et refuser tout secours de la part d'un homme qui ne craint pas Dieu et n'a d'égard pour personne. Et c'est cela être élu ? Se trouver pris entre un juge inique et une partie adverse, entre un ennemi qui vous accable et un juge qui fait la sourde oreille, pris entre la colère de Dieu et l'iniquité des hommes, sans soutien, sans époux, sans force, sans rien qu'une obstination étrange à rompre la tête du juge, rien qu'une soif inextinguible de justice.
Si vraiment les choses en sont là, qui demande encore à être élu ? Et qui donc parmi nous a donné de pareils signes d'élection ? En face de cette parabole on ne peut s'empêcher de se demander avec une certaine angoisse si parmi tous nos chrétiens, parmi nous tous ici, il y a seulement quelques élus, quelques hommes qui aient conscience d'une situation pareille, dont la religion ne soit pas un confort spirituel mais un cri de détresse, dont la vie chrétienne ne soit pas une richesse, mais la plus grande misère ; non pas une solution mais comme l'absence de toute solution, dont la conversion signifie exactement comme pour les apôtres et les Réformateurs : être mis à la porte des temples, jetés hors de toutes les sécurités religieuses, être mis à la rue avec pour seule issue, pour seul recours, la porte du juge qui reste fermée, et les moqueries de la partie adverse : « Eh ! que fait ton Dieu ? Il n'a pas l'air pressé de te répondre ! »

- On peut bien dire qu'à ce moment, séparé du monde et séparé de Dieu, l'élu porte la croix de son Seigneur. Il n'a plus aucun appui et Dieu paraît lui donner tort, et Dieu se fait prier comme un juge inique qui n'a d'égards pour personne. Et l'élu, contre toute espérance, continue d'espérer, contre toute apparence continue de prier, s'il est vraiment un élu. Car il ne peut donner d'autre signe de son élection que de s'obstiner, envers et contre toute proposition de transaction que lui offre la partie adverse, à rompre la tête du juge pour qu'il lui fasse justice. Je vous le demande encore : parmi tous nos somme ils et tous nos réveils, parmi nos ferveurs et nos indifférences, nos découragements et nos succès, nos richesses et nos pauvretés, y a-t-il une seule prière d'élu, une seule vraie prière qui jaillisse d'une détresse pareille à celle de cette femme ? Cela revient à demander si oui ou non nous sommes l'Eglise de Jésus-Christ, et si, quand Jésus-Christ reviendra, quand l'exaucement viendra, quand la justice viendra, il trouvera la foi sur la terre, c'est-à-dire un seul homme qui crie comme cette femme ; si quand la porte s'ouvrira enfin sur la nouvelle création de Dieu et sur le monde de la justice éternelle, il y aura encore à ce moment-là une Église devant cette porte, ou si, lassée d'attendre et de frapper, elle aura déserté le seuil inconfortable pour s'arranger et faire la paix avec la partie adverse.

Voilà qui ouvre des perspectives et donne une résonance singulière aux paroles si simples de l'Évangile : « Frappez et l'on vous ouvrira ! Demandez et l'on vous donnera ! » C'est l'exigence suprême et la suprême promesse de Dieu. Et nous demandons, et nous frappons. Et nous pensons à tous ceux qui demandent et qui frappent sans recevoir et sans que la porte s'ouvre ; à tous ceux qui continuent à manquer de ce que leur coeur réclame : une guérison, le retour d'un être bien-aimé, un moyen d'existence. Mais ici nous voyons davantage encore. Ici, les élus ne demandent pas seulement le pain quotidien de leur coeur et de leur corps, ils cherchent le royaume de Dieu et sa justice ; ils disent : « Que ton règne vienne ! » Ils demandent bien ce qu'il faut demander avant tout. Ils frappent à la porte du Royaume sans réponse. Et c'est pour nous rappeler ce que nous oublions toujours, que justement la vraie prière, la suprême prière de l'Eglise demeure radicalement inexaucée jusqu'à la fin du monde, que l'Eglise fidèle est nécessairement à la porte du Royaume jusqu'à ce que vienne le Royaume, qu'elle est séparée de son époux jusqu'à ce que vienne Jésus-Christ. Certes nous pouvons souffrir terriblement de voir nos requêtes demeurer sans réponse et notre malheur se prolonger, comme aussi nous réjouir d'exaucements et d'innombrables bénédictions journalières. Mais il ne faudrait pas oublier que derrière toutes nos prières exaucées ou inexaucées, nos malheurs et nos bonheurs, derrière nos maladies et nos guérisons, nos peines et nos joies, il y a la prière suprême, la prière par excellence : « Viens Seigneur Jésus ! » qui reste inexaucée et le restera aussi longtemps que durera le monde, car l'histoire de ce monde et l'histoire de l'Eglise, c'est l'histoire de l'inexaucement de cette prière ; c'est l'histoire d'une Église qui attend et qui prie et d'un juge qui se fait attendre et qui se fait prier. N'allons pas l'oublier et nous endormir et nous croire exaucés. Ce serait la pire catastrophe.

Nous pouvons certes recevoir des exaucements provisoires, et des allégements bienvenus, mais il ne faudra surtout pas s'en contenter et se mettre à demander moins que le Royaume de Dieu, moins que le jugement dernier, moins que le retour de Jésus-Christ. Nous oublions toujours que l'Eglise fidèle, l'Eglise des élus, l'Eglise qui vraiment prie est une Église inexaucée, privée de tout ce qu'elle demande, veuve jusqu'à la fin du monde. À tout ce qu'elle peut recevoir, il faut qu'elle dise : non ce n'est pas cela, ce n'est pas encore Lui. Et il faut qu'elle continue à l'appeler. Car la « prompte justice » que Dieu fera aux élus, c'est la justice du jugement dernier et non pas une autre. Jusque-là, les élus crient jour et nuit, et c'est l'interminable nuit de l'injustice et tout se passe comme si Dieu était un juge inique, comme s'il était de connivence avec la partie adverse, comme s'il était le Dieu de Nébucadnetzar ou de Néron et des autres négriers de l'histoire ; c'est l'interminable nuit où Jacob lutte contre ce juge inique qui ne veut pas le laisser entrer dans la Terre Sainte, et où Job appelle : « Mon Dieu, je crie la nuit et tu ne me réponds pas ! » et David : « Pourquoi restes-tu sourd à ma prière ? » Cela nous semble étrange et bien exagéré peut-être. Mais nous avons lu les béatitudes pourtant, ou bien ne les avons-nous jamais lues vraiment ? N'y est-il pas dit également que les élus, les héritiers du Royaume de Dieu y sont pauvres en esprit, affamés et assoiffés, persécutés pour la justice ? N'est-ce pas ce que nous lisons dans la Bible, n'est-ce pas la terrible réalité de l'Eglise sous la croix ?
Tous les élus, dans la Bible, ont une attitude étrange. On ne sait raisonnablement pas à quoi s'en tenir avec eux. Ils ont Jésus-Christ assurément, et pourtant ils ne l'ont pas. Jésus-Christ est avec eux, mais il n'est qu'avec ceux qui l'attendent. Le Saint-Esprit habite en eux, mais c'est pour leur faire sentir à quel point ils en manquent, à quel point ils vivent dans la chair. Jésus se donne pour présent sur la terre et pourtant ne parle que de sa venue. Il est bien là, mais cela veut dire seulement qu'il reviendra. C'est ainsi pour les apôtres assurément. On ne peut pas nier qu'ils ne soient, eux, des élus. Or, bien que le Seigneur soit avec eux, c'est exactement comme s'il n'était pas là. De la présence du Seigneur, ils n'en tiennent aucun compte, mais tous crient à moitié morts : « Hélas, viens Seigneur Jésus ! » Et c'est sur ce cri que la Bible se ferme et c'est avec ce cri qu'ils se sont tous enfoncés dans la mort.

Ah ! oui, il est bon pour la tranquillité de l'Eglise qu'ils soient loin tous ces crieurs, et qu'on puisse oublier religieusement la venue du Seigneur. Maintenant, Dieu merci, l'Eglise a les jambes un peu plus solides que la pauvre veuve et les apôtres. Maintenant l'Eglise jouit même d'une certaine considération dans le monde. Elle lui a rendu quelques services dont il faut bien la remercier. Et l'on porte avantageusement son christianisme : Dieu par-ci et Dieu par-là, et l'on n'oublie qu'une chose, la vraie prière, le cri des élus jusqu'à la fin du monde.

Il n'est pas étonnant que Jésus termine sa parabole par cette effrayante question : « Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Quand le Fils de l'homme viendra, il trouvera beaucoup d'Églises, beaucoup de pasteurs et beaucoup de protestants. Peut-être même trouvera-t-il des Églises unies, des groupements de jeunesse compacts et le christianisme en progrès dans tous les pays. Mais il n'empêche que cette question de Jésus demeure comme un point d'interrogation formidable sur toutes nos affaires, sur toutes nos Églises, sur tous nos progrès. Quels que soient les triomphes et les succès du christianisme, quel que soit l'optimisme convenu, il n'y a pas moyen de supprimer ces deux lignes dans l'Évangile, pas moyen d'échapper à cette question : « Quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Cette question prouve que le sens de cette parabole n'a pas été exagéré. L'exaucement de la prière de cette pauvre veuve c'est « quand le Fils de l'Homme viendra... » La « prompte justice » que Dieu fera à ses élus ne peut signifier autre chose que le retour glorieux de celui qui viendra pour juger les vivants et les morts. La misère de cette veuve à la porte du juge inique n'est donc pas l'état transitoire de l'Eglise, mais son état fondamental, essentiel jusqu'à la fin du monde.

Est-ce que nous comprenons qu'il n'est pas d'autre façon d'être élu que d'être totalement inexaucé et de crier jour et nuit vers le juge et d'appeler jusqu'à ce qu'il vienne, de frapper pendant des millénaires encore peut-être (car mille ans sont comme un jour) jusqu'à ce que la porte s'ouvre et que le Seigneur paraisse dans sa gloire ?

Mais l'Eglise infidèle se contente de tous les exaucements intermédiaires et s'installe dans une justice humaine ou bien cherche un modus vivendi avec la partie adverse. L'Eglise infidèle ne persiste pas dans la stupide obstination de cette pauvre femme. Comme la porte reste fermée, elle s'arrange autrement. Elle se rend justice à elle-même ou bien elle transige avec la partie adverse, elle lui abandonne une portion de son héritage. Elle baptise justice de Dieu et Royaume de Dieu, les petits arrangements pieux, les compromis avec le monde. Elle n'attend plus son Seigneur. Elle expédie les morts dans l'au-delà comme si Jésus ne revenait pas juger les vivants et les morts, comme si c'était non la Parole de Dieu mais toute chair, mais le monde qui étaient éternels.

L'Eglise fidèle au contraire attend toute sa justice de Dieu seul et n'arrête pas de la lui demander, et ne se détourne pas une minute de cette porte derrière laquelle se tient son juge. Voyez à quelle pureté, à quelle rectitude nous oblige ainsi la prière des élus et l'attente vivante du Royaume. Vous comprenez bien qu'une telle prière s'éteint au moment même où nous adoptons à l'égard de la partie adverse une attitude tant soit peu équivoque, où nous lui laissons entendre qu'il y aurait peut-être un moyen de s'arranger avec elle. Il n'est plus d'espérance possible du Royaume, là où faiblit la résistance de l'Église à la partie adverse, comme non plus là où l'Église entend se rendre elle-même justice et se venger. Dans les deux cas elle perd patience, elle n'attend plus, ne prie plus, ne croit plus. Dans les deux cas elle est perdue, elle a rejeté sa croix. On peut donc bien dire que dans la mesure où nous prions comme cette femme, nous résistons par là même pleinement aux puissances maudites de ce monde, à l'iniquité de la partie adverse, en même temps que nous espérons pleinement le Royaume de Dieu. Mais si nous ne prions pas ainsi et si nous attendons un autre exaucement que la venue de Jésus-Christ, comment échapperons-nous à toutes les équivoques, à tous les compromis, à toutes les lâchetés. Si nous tendons, ne serait-ce que le bout des doigts à la partie adverse, comment pourrions-nous jamais plus nous obstiner à la porte du juge ? Voyez de quelle résistance, de quelle obéissance, de quelle espérance témoigne le cri des élus jour et nuit ! Nous sommes tenus par l'attente obstinée, insensée du Jugement, ou alors nous sommes tenus par le diable ; nous prions comme cette femme ou nous roulons dans le désespoir et dans le déshonneur.
Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus ?
Je vous dis qu'il leur fera prompte justice.
On ouvre à celui qui frappe.

Oui, certes, mais cela ne signifie pas moins que la promesse du Royaume de Dieu et de sa justice. On ouvre, mais non pas tout de suite, mais non pas avant l'heure fixée. On ouvrira tout à coup. La justice sera prompte, totale et parfaite et comblant toute attente. Mais la porte ne s'ouvrira que pour celui qui frappe et qui a frappé jusqu'au bout, jusqu'au dernier moment, jusqu'à ce qu'elle s'ouvre, jusqu'à ce que Jésus-Christ vienne.


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