Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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FRANK THOMAS
SA VIE - SON OEUVRE



CHAPITRE II
DEUIL. ÉTUDES. FIANÇAILLES. SÉJOURS EN ALLEMAGNE.

 Hélas ! la tempête devait s'abattre sur cet heureux cercle de famille dont l'une des deux branches allait être découronnée. Auguste Thomas, le frère aîné de Frank, on l'a déjà dit, était un jeune homme exceptionnellement doué, tant physiquement que moralement et intellectuellement. Le charme, la beauté extérieure, s'alliaient chez lui à une vive intelligence qui commença par s'exercer dans le domaine des sciences naturelles. Très observateur, il apprit de bonne heure à lire dans le livre de la nature qui lui fournissait ses plus chères récréations. Jardinage, courses dans la campagne ou dans les montagnes, tout lui était matière à expériences et à découvertes.

Malgré un goût si prononcé pour la nature, nous dit la rapide esquisse de sa vie tracée par une main pieuse (1), goût qui l'aurait porté également aux études de zoologie, comme à celles de botanique, il se sentit de bonne heure attiré vers la carrière pastorale et n'hésita jamais à suivre cet appel qu'il croyait venir d'En-Haut. Il rêvait de devenir un « pasteur de réveil ». Quelques épreuves de jeunesse mûrirent sa foi et il fit de bonne heure l'expérience de la joie chrétienne et de la force toute-puissante de la prière. Il fit partie des deux sociétés de la Paedagogia et de Zofingue (2) et fut pendant plus de quatre ans un membre zélé de l'Union chrétienne de jeunes gens dont il reçut de grandes bénédictions.

Auguste venait de traverser avec un ardent intérêt sa, première année de théologie, il s'était plongé dans l'étude de la Bible et des commentaires avec l'avidité d'un chercheur de trésors qui découvre une mine inépuisable ; il avait rendu son premier sermon devant ses professeurs et brûlait d'impatience de prêcher non plus devant des bancs d'école, mais à des âmes immortelles ; déjà il s'était essayé, timidement, mais joyeusement, dans de petits locaux populaires... lorsque la maladie vint, comme un coup de foudre, anéantir tous ses plans.

... Déjà souffrant de la tête et par une chaleur intense, il fit au milieu de juin 1881, ses examens de fin d'année et put encore apprendre qu'il les avait passés brillamment... La fièvre typhoïde ne tarda pas à se déclarer et lorsqu'il se mit au lit, le 1er juillet, le délire qui commençait ne le quitta presque plus pendant le peu de jours qu'il vécut encore.

Auguste était un croyant humble et décidé ; sa vie et sa conduite de jeune homme, ses préoccupations et ses aspirations pendant la santé, l'avaient bien montré, mais rien ne le manifesta plus clairement que ses préoccupations pendant la maladie...

La confiance en son Dieu, la prière, l'exhortation, la sollicitude pour ses parents, la bonté et la reconnaissance pour ceux qui le soignaient, telles étaient les cordes qui vibraient comme d'elles-mêmes pendant les heures de délire où il ne prononça pas un mot qu'on eût voulu retrancher.

Un jour il se mit à prier en anglais ; après quelques expressions fort belles, se trouvant arrêté par la langue, il essaya de continuer en français ; l'incohérence de la pensée l'arrêtant de nouveau : « Mon Dieu, dit-il, tu vois, je ne peux prier ni en anglais ni en français, eh bien ! je peux me confier en toi, mon Père céleste, c'est l'essentiel » et sa figure devint rayonnante.

Pendant la dernière nuit de sa vie, il joignait les mains chaque fois que ses parents s'approchaient pour qu'on priât avec lui, et il articula encore ces mots d'une voix forte : « C'est vrai ! c'est bien vrai ! » en entendant ce passage : « Nous sommes sauvés par grâce, par la loi, c'est un don de Dieu » ( Eph. 2. 8).

Le 12 juillet, à six heures du matin, paisible et sans agonie, son esprit retournait à Dieu.
Il fut inhumé dans le poétique cimetière de Cologny, à quelques pas de la cure qui avait abrité son enfance et qu'il avait tant aimée.
Il est aisé de se représenter l'effondrement que fut pour cette famille le départ d'Auguste, mais aussi la résignation avec laquelle il fut accepté.

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous mette en repos.
(MALHERBE.)

Frank n'assista pas au départ de son frère ayant été envoyé à Saint-Cergues avec ses cousins, par crainte de la contagion, mais il est certain qu'il en reçut une forte impression et personnellement une grande impulsion, tout d'abord au point de vue de sa carrière. Comme enfant, son rêve avait été d'être missionnaire, puis il avait songé à la médecine et aux lettres, mais la mission restait son objectif. À partir de la mort d'Auguste, il se tourna résolument du côté de la théologie, comprenant que son devoir était de rester au pays pour soutenir ses parents. Cependant, comme il était très modeste, et même défiant de lui-même, il demanda conseil à Frank Coulin, lui confiant qu'il se sentait « bon pour les nègres ». Son parrain lui affirma qu'il ne devait pas s'expatrier : « Sois missionnaire autour de toi », lui dit-il. Ce conseil fut suivi, bien au delà de ce qu'on aurait pu prévoir.

En second lieu, malgré le chagrin profond qu'il éprouva de la disparition de son aîné, sa personnalité, qui avait été jusqu'alors un peu étouffée par les brillantes qualités d'Auguste, put se développer plus librement. À partir de ce moment, soit sentiment de sa responsabilité, soit l'idée de n'être plus constamment comparé à plus fort que lui, lui imprimèrent un nouvel élan et lui permirent un plein épanouissement. Enfin, le fait d'avoir côtoyé d'aussi près un départ paisible et lumineux comme celui de son frère, lui fit pressentir les réalités de l'au-delà et de la vie éternelle d'une façon très particulière. Il est frappant, en effet, de constater combien souvent et avec quelle certitude triomphante il y fait allusion dans ses discours. On sent que bien qu'il fût un homme d'action qui aimât la vie et n'aspirât nullement à la mort, il a cependant possédé un sens de l'invisible qui a eu son point de départ dans une profonde expérience. Ces passages, choisis parmi beaucoup d'autres en donneront une idée :

Le ciel, mes frères, sera le pays des revoirs et des réunions que la mort ne pourra plus détruire, alors on pourra s'aimer sans avoir à redouter les adieux déchirants. La communion des saints à laquelle nous croyons, tout imparfaite qu'elle soit ici-bas, sera pleine, entière, de l'autre côté du voile. Dans le ciel, les familles se reconstitueront ; peut-être pas toujours les familles selon la chair, car Dieu respecte la liberté de l'homme et il ne force personne à vivre éternellement, mais du moins les familles selon l'esprit, les familles d'âmes, composées de ceux qui se sont véritablement aimés, parce qu'ils se sont aimés en Dieu (3).

Je ne prétends pas que la pleine lumière doive se faire tout à coup après la mort ; je pense plutôt qu'elle se fera peu à peu, toujours plus grande, toujours plus pleine, comme lorsqu'au matin de l'une de nos belles journées d'automne, le brouillard se dissipant lentement, le soleil apparaît enfin dans toute sa gloire. Rassurons-nous, cette soif de vérité qui est dans l'homme, cette recherche de la pleine lumière qui le tourmente, doivent être satisfaites, il n'est pas possible qu'il en soit autrement. « Voilà pourquoi dans le ciel, la mer ne sera plus » (Apoc. 21:22). « Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu ».
(I Cor. 13: 12.) (4)

Mlle Coulin, qui avait profondément aimé Auguste, reporta, après la mort de ce dernier, sa sollicitude sur Frank. Elle redoubla de prières et d'intérêt pour lui et il est certain qu'elle eut une grande part dans son avancement spirituel et dans tout le bien qu'il lui fut donné de faire durant sa vie ; et c'est ainsi que Frank Thomas, développé par l'extrême sensibilité, la bonté, la droiture de son père, la nature pondérée, avide de connaissances et de justice de sa mère, la flamme d'amour et de dévouement de « tante Nancy », éléments auxquels il faut ajouter la grande ombre mêlée de clarté projetée sur sa vie par la mort de son frère, c'est ainsi que Frank Thomas se lança dans la carrière des études et prépara ses armes pour les combats futurs.

Après une année passée en sciences à l'Université de Genève où il obtint le grade de licencié ès-sciences physiques et naturelles, il entra à la Faculté évangélique où son père était professeur et il y resta d'octobre 1882 à juillet 1885. Cette faculté, fille du Réveil, avait été fondée en 1831 par MM. Galland, Merle d'Aubigné et Gaussen, dans le but de lutter contre l'enseignement rationaliste de la Faculté d'État et du protestantisme en général. Elle avait pour base l'étude de la Parole de Dieu et proclamait comme essentielles les grandes vérités du salut, sans toutefois se soustraire, en principe, aux travaux scientifiques de la critique biblique. Elle a formé plus de cinq cents prédicateurs de l'Évangile et a dû faute de ressources, fermer ses portes, en 1922. Durant cette époque, Frank Thomas fit partie, comme son frère, de la Société de Zofingue et de l'Union chrétienne de jeunes gens dont il resta un fervent admirateur et dont il fut président pendant deux ans.

Pendant ses études, à Genève, il se sentit très attiré par une jeune fille qui partageait ses vues et poursuivait le même idéal que lui : Mlle Louisa Poulin. Son père était un banquier genevois qui faisait, ainsi que sa famille, partie de l'Eglise libre. C'était une jeune fille gaie, intelligente, musicienne, d'un extérieur très agréable. Après avoir quelque peu goûté des plaisirs du monde, elle fut convertie en 1882 par l'Armée du Salut, lors de son apparition à Genève, et elle subit en particulier l'influence de la Maréchale, la fille aînée de William Booth. Son enthousiasme pour les choses de Dieu était tel qu'elle aurait voulu s'enrôler comme officière et partir pour la France. Son père s'opposa formellement à ce projet, que dis-je, à cette vocation, ce qui fut pour elle l'objet d'un grand renoncement, mais Dieu avait son but, car Il la formait en vue d'un autre travail, non moins important. Si elle ne devint pas évangéliste elle-même, comme elle l'avait souhaité, elle fut le bras droit, l'inspiratrice, le soutien d'un grand évangéliste. Rarement ménage fut plus uni et deux volontés mieux orientées vers le même but.

Mlle Nancy Coulin qui s'intéressait beaucoup à son neveu et qui avait discerné en Mlle Poulin la femme qui ferait le bonheur de celui-ci, favorisa les rencontres des deux jeunes gens. Ces rencontres n'eurent pas lieu au bal, puisque ni l'un ni l'autre ne pratiquaient les plaisirs mondains, mais le patinage, les soirées de musique et celles où l'on jouait pantomimes et charades étaient des occasions toutes trouvées d'apprendre à se connaître. Les fiançailles eurent lieu au printemps de 1884, à la grande joie des deux familles. Il est permis de croire que c'est à cet heureux événement que Frank Thomas faisait allusion, lorsqu'il écrivait, parlant des fiancés :

Oh ! ces premiers aveux, oh ! ces premières confidences si intimes qui suivirent et qui toujours restèrent leur commun secret, jamais ils ne les oublieront ! Ils ne me contrediront pas, si j'affirme que c'était déjà le ciel sur la terre. Le ciel sera-t-il beaucoup plus beau ? Leur émotion était telle alors, leur bonheur si grand, qu'ils avaient de la peine à le supporter, leur coeur était près de se rompre. Aussi, bientôt, à genoux, l'un à côté de l'autre, ils sentirent le besoin d'épancher dans le coeur de Dieu, le trop plein de leur coeur ; ce fut au pied de l'Éternel qu'ils se promirent l'un à l'autre, de la manière la plus simple, sans déclaration dramatique, un éternel amour (5).

Les fiançailles durèrent trois ans, qui parurent souvent bien longs à ces deux enfants pleins d'ardeur et de projets d'avenir. Elles furent entrecoupées par diverses absences de Frank Thomas, en particulier, durant les vacances de 1884, par une suffragance de trois mois en Belgique dans le Hainaut, et par deux séjours en Allemagne qui provoquèrent entre lui et sa fiancée une active correspondance. L'intimité de celle-ci ne doit pas être dévoilée au public, mais ce que sans indiscrétion on peut dire cependant, c'est que dans les lettres de Frank Thomas, on trouve en puissance toutes les qualités du coeur et de l'esprit qui se développèrent si magnifiquement chez lui - d'une part profonde sensibilité, ardeur passionnée, soif inextinguible d'affection, de l'autre, remarquable largeur d'idées, un immense intérêt pour tout ce qui touche à l'humanité, un bon sens parfait dans la façon de juger et de présenter les idées, en particulier les problèmes religieux, et tout cela traversé de grands élans de foi, précurseurs de ses dons d'apôtre et de prédicateur. Dans ses lettres, il raconte d'une façon charmante les détails de sa vie journalière, les sermons qu'il entend, les cours qu'il suit, les livres qu'il lit, ses promenades dans la campagne, une visite que l'empereur Guillaume Ier, âgé de quatre-vingt-neuf ans, fait dans l'institution qu'il habite, les paroles que l'empereur lui adresse. Il parle de ses amis Bois, Baumgartner, Sauvin, Frommel, avec lesquels il se rencontre en Allemagne et qui l'aident à supporter l'exil loin de sa patrie, de ses parents, de sa fiancée... il prend des leçons de piano, il assiste à des concerts qui l'enthousiasment, et il jouit profondément de la nature. Grande est sa foi dans la prière et profond son sentiment patriotique. Ses lettres sont pleines d'élan et de fraîcheur et révèlent une âme d'élite et un coeur vibrant.

Nous en extrayons quelques fragments qui donneront une idée au lecteur du développement religieux que Frank Thomas, âgé seulement de vingt-trois ans, avait déjà acquis à cette époque.

Berlin, 8 novembre 1885.

Je ne veux point faire de plans d'avenir, mais m'en remettre entièrement à Lui avec confiance et attendre avec patience qu'Il me montre sa volonté, car Il sait bien mieux que moi ce qui m'est bon. Car je ne suis qu'un soldat enrôlé dans sa grande armée qui doit être au poste où il est appelé et y demeurer Jusqu'à ce qu'on lui en donne l'ordre.

Après avoir distribué pendant une promenade des traités à des jeunes gens, il écrit :

Berlin, dimanche 26 novembre 1885.

Après quoi, j'ai proposé à Sauvin d'aller dans les bois voisins pour prier et répandre devant Dieu tout ce dont nos coeurs étaient pleins : la reconnaissance, le besoin d'une transformation plus complète de nos coeurs, en même temps qu'une prière pour tous nos bien-aimés qui étaient si près de nous par la pensée. Jamais je n'oublierai le moment d'adoration sur cette colline au bord du lac, vis-à-vis de l'île où nous venions de semer la Parole de Dieu, dans le bois où les cerfs paissaient paisiblement auprès de nous, faisant le dimanche à leur manière, à l'heure du coucher du soleil. Vous pouvez nous voir par la pensée au pied d'un sapin, à genoux l'un et l'autre dans l'herbe, la tête découverte, le coeur plein, l'âme auprès du Dieu créateur qui est en même temps notre Père céleste.

Parlant de son exil loin des siens, il s'exprime ainsi :

Berlin, 29 novembre 1885.

Voyez-vous, c'est nécessaire ce séjour en Allemagne, j'en suis toujours plus persuadé ; c'est nécessaire à toutes sortes de points de vue, non pas seulement pour la science qu'on boit ici à satiété, pour les ressources de tous genres que l'on a sous la main, mais aussi pour le caractère qui ne peut pas se former d'une manière virile dans le nid bien chaud et bien doux de la famille... Cette délicieuse vie de famille développe un côté du caractère, la tendresse, mais pour l'énergie, la volonté, la virilité en un mot, je suis persuadé qu'il faut s'envoler pour quelque temps loin du nid et se frotter un peu seul avec les hommes. N'allez pas croire... que ce soit pour mon plaisir que je fais ce sacrifice et que je ne languis pas chaque jour et presque à chaque instant après mon « home », vous et tous mes bien-aimés !

N'allez pas croire que je ne trouve pas, moi aussi, le temps bien long et que les deux mois d'absence, achevés hier 28 novembre, aient été deux mois de fête et de bonheur parfait, non, ... ne vous faites pas de telles illusions sur moi... sachez que je suis une pauvre sensitive qui souffre trop facilement, mais aussi il y a en moi une autre voix, la voix du devoir qui parle aussi fort que l'autre, et même souvent plus fort et qui me crie : Ne te presse pas, sois raisonnable.
Doutant de lui-même, il s'écrie :

Berlin, 24 janvier 1886.

J'ai peur que ma foi soit encore trop une foi d'intelligence. Continuez de demander à Dieu qu'Il me donne la victoire complète et que mes études ne me fassent jamais oublier la chose capitale, le but même de mes études, mon salut et celui des autres âmes. Oh ! que je me réjouis d'avoir ma paroisse et de pouvoir me consacrer complètement à l'avancement du règne de Dieu.

Erlangen, 30 juin 1886.

Mon ardent désir, la soif de mon coeur c'est de me donner tout entier au service de Dieu, à l'évangélisation, à la consécration complète. Je n'ai pas d'autre ambition que celle-là et je suis prêt à aller où Dieu m'appellera, seulement parce que je sais toutes les difficultés qu'on rencontre une fois qu'on est dans la lutte... parce que je sais à quoi on s'expose quand on veut bâtir une tour sans avoir les matériaux nécessaires, je veux profiter du temps que Dieu me laisse encore pour me préparer. Mais sitôt qu'Il m'appellera, je suis prêt à tout lâcher, études, préparation, pour entrer dans le champ de bataille, seulement, par son secours, j'y entrerai armé et je pourrai me servir des armes qu'Il me donne maintenant, mais tout pour sa gloire, pour le salut des âmes, rien pour moi.

Erlangen, 7 juillet 1886.

Dieu c'est la plénitude du ciel. L'amour c'est la plénitude de l'homme,

Erlangen, 18 juillet 1886.

Je voudrais tout expliquer, tout savoir, C'est une maladie de mon âme, j'aimerais arriver au fond, tout au fond des choses, savoir le dernier mot de l'univers, je voudrais, moi, pauvre créature finie, m'envoler vers l'infini, m'enfoncer vers les régions inaccessibles, infinies, que Dieu remplit, ne plus être limité par le corps, l'espace, le temps, je voudrais savoir pourquoi je suis, pourquoi le monde est, et je vois de plus en plus que tout est mystère, mystère impénétrable et que, pour le moment, il faut nous contenter des éclairs de lumière que Dieu nous envoie, en attendant d'arriver à la pleine lumière, à la lumière sans ombre, à la pleine paix, à l'absolue certitude, à la communion parfaite avec Dieu en Jésus-Christ.

Erlangen, 25 juillet 1886.

Gloire à Dieu, je crois à mon Sauveur, je sais qu'Il est mort pour moi, qu'Il a effacé tous mes péchés sur la croix, je sais que tout mon désir est de vivre pour Lui, de me consacrer à Lui, de ne plus vouloir qu'une chose, faire sa volonté... je sais que je me réjouis d'annoncer l'Évangile aux pauvres de la terre.

Après un court passage à Munich :

Adelboden, 8 août 1886.

L'art ! l'art !... a une immense influence sur moi c'est beau de voir l'homme tourmenté, de tout temps et continuellement, du besoin d'atteindre l'idéal que le péché lui a dérobé. C'est pour moi toute la définition de l'art : une immense aspiration de l'humanité vers l'idéal de la beauté : Dieu. Tableaux, sculptures, musique surtout, partout c'est le même besoin impérissable... de s'élever jusqu'à Dieu.

Frontenex, 31 décembre 1886.

Je ne suis pas un type à demi. Il me faut tout ou rien, une moitié, un à peu près ne me suffit pas !

À ces impressions et citations viennent s'ajouter quelques souvenirs très vivants de ces deux séjours en Allemagne dus à la plume du pasteur Sauvin et rédigés à l'occasion de la mort de Frank Thomas :

J'avais déjà rencontré Frank Thomas lors de nos trifolia - réunions des trois Facultés - mais c'est en 1885 que nous nous liâmes d'une amitié étroite lors de nos études à Berlin. Nous nous étions sentis attirés l'un vers l'autre. Dans les salles de cours à l'Université, nous étions assis l'un à côté de l'autre pour entendre les savantes leçons des professeurs Kaftan, B. Weiss on Dillmann. Nous avions ainsi l'occasion de nous voir plusieurs fois par jour. Frank Thomas habitait au « Domkandidatenstift », une institution destinée aux étudiants en théologie mais qui, à titre d'exception, recevait aussi un étudiant étranger. Souvent j'allais le « relancer » dans sa belle et spacieuse chambre de travail. Souvent il venait me voir dans ma chambrette d'étudiant, bien simple et modeste, Unter den Linden 56.

Thomas s'intéressait fort à la vie religieuse de Berlin. Ensemble nous allions entendre les grands prédicateurs de la métropole : les pasteurs du dôme, Koegel, Stoecker, Schrader, le pasteur déjà célèbre de l'église du Gendarmenmarkt ; Dryander, l'excellent Garnisons-Prediger Émile Frommel.

C'était l'époque où Stoecker avait entrepris sa campagne contre l'immoralité. Nous l'entendons encore s'écrier devant un immense auditoire d'hommes : « On a souvent parlé de la Babel au bord de la Seine, il y a une Babel au bord de la Spree qui ne lui cède en rien ». Ces conférences nous faisaient vibrer.

Puis nous assistions assidûment, souvent plusieurs soirs par semaine, aux réunions d'un évangéliste remarquable, le pasteur Schlumbach. Nous aimions sa manière simple, forte, populaire, optimiste, de présenter l'Évangile.
Nous allions aussi chez Mlle von Blücher, descendante du fameux général. Elle avait ouvert une salle d'évangélisation et - ô horreur pour des jeunes étudiants - nous fûmes appelés à y prendre la parole.

Puis c'était les inoubliables soirées du dimanche chez Émile Frommel, ce chrétien d'élite, si remarquable, d'une piété si large, si chaude, si communicative. Il recevait les étudiants étrangers qui lui étaient recommandés, il les accueillait même à souper. Nous y avons été jusqu'à quarante-cinq un soir autour de cette table hospitalière. Quelles bonnes heures passées dans cette chaude atmosphère. Cher Frommel, tu nous as fait beaucoup de bien !

Puis ce fut, l'été suivant, le semestre à Erlangen, semestre tout différent. La vie était tout autre qu'à Berlin. Plus de concerts, plus de réunions religieuses, mais des mois de travail. Sagement nous restions dans nos chambres pour étudier. Nous demeurions Thomas, Gaston Frommel et moi-même, sur le même palier. Nous nous rencontrions pour le repas de midi dans un petit restaurant voisin, puis le soir pour un culte en commun. Nous allions quelquefois pourtant arracher Henri Bois à ses piles de livres et faire avec lui quelque promenade dans les forêts environnantes. Excursions aussi le dimanche à Nuremberg, Bamberg ou, à l'occasion de Pentecôte, visite de trois jours aux établissements de Löhe - un Bielefeld au petit pied - et à Rothenburg.

Déjà à cette époque, Frank Thomas avait dans sa personnalité quelque chose de rayonnant. Joyeux, optimiste, pratiquant l'humour sans méchanceté, il exerçait de l'action sur ceux qui l'approchaient. Il m'a fait beaucoup de bien. Mais nous étions loin de nous douter du rôle de premier plan qu'il jouerait un jour. Nous sentions en lui une âme ardente, désireuse de communiquer sa foi à d'autres, mais nous ne devinions pas encore les grands dons d'éloquence que Dieu lui avait départis (6).


Le séjour de Frank Thomas en Allemagne fut interrompu, de février à mai, par un retour au pays, durant lequel il put communiquer officiellement ses fiançailles, achever sa thèse sur la Cité de Dieu de saint Augustin, et enfin s'en aller la présenter à la Faculté de théologie de Montauban où elle fut attaquée par les professeurs Bois, Pédézert et Monod. Après quoi il s'installa pour quelques semaines à Erlangen.

C'est avec un très vif intérêt que nous avons lu la thèse de Frank Thomas, intitulée - Saint Augustin. La Cité de Dieu. Étude historique et apologétique.

Il nous a paru naturel, étant donné le caractère de l'auteur et ses aspirations, que l'idée lui soit venue de s'attaquer à un pareil sujet. Il y avait dans la personnalité de l'évêque d'Hippone, une envergure et une hauteur de vues, bien dignes d'attirer son attention et de la captiver.

Cette thèse fait preuve de remarquables qualités de clarté, d'un esprit critique sans parti-pris, d'une forte érudition et surtout d'une grande maturité spirituelle.
Elle est rédigée dans un français correct et l'on y retrouve divers points que Frank Thomas développera par la suite dans ses discours.

Ce qui lui fait défaut, c'est l'originalité, les idées neuves, la hardiesse de la pensée ; mais telle qu'elle est, elle se lit encore avec beaucoup de profit. L'étudiant y démêle, avec sagacité, ce qui dans l'oeuvre de saint Augustin est vraiment biblique et évangélique et ce qui lui est personnel comme idées. On s'étonne de trouver tant de raison et de pondération chez un jeune homme de vingt-trois ans. Cela fait toucher du doigt à quel point sa foi était fondée sur une base solide.
Cette thèse valut à son auteur le grade de bachelier en théologie.

De la fin d'août à novembre 1886, Frank Thomas fit un séjour à Londres et un voyage en Écosse ; durant quelques semaines, il eut la joie de retrouver à Londres sa fiancée qui habita l'Institution des diaconesses de Mildmay. Ce fut pour eux une période exquise durant laquelle ils purent visiter ensemble les musées de la grande ville, ses oeuvres sociales et religieuses et, en particulier, une mission chrétienne parmi les Juifs qui les intéressa vivement.

Enfin Frank Thomas fit, en janvier 1887, une suffragance d'une quinzaine de jours à Mâcon, en remplacement du pasteur Émile Lenoir.


Table des matières

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1 Souvenir d'un ami, Fraginents et lettres, Genève, Imprimerie Ch. Schuchardt, 1881.

2 Deux sociétés d'étudiants.

3 Bonne Nouvelle, 1er septembre 1912, p. 218.

4 Bonne Nouvelle, 1er septembre 1912, p. 217.

5 La Famille, p. 50.

6 Extrait du Journal religieux des Églises indépendantes de la Suisse romande, 29 septembre 1928.

 

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