FRANK
THOMAS
SA VIE - SON
OEUVRE
CHAPITRE IV
ÉTABLISSEMENT A GENÈVE.
L'ÉVANGÉLISATION
POPULAIRE.
PREMIERS CULTES AU VICTORIA HALL.
VOYAGE EN AMÉRIQUE.
- Les dons que Frank Thomas avait
reçus de la Providence étaient
trop brillants, sa parole trop entraînante
et persuasive pour qu'on le laissât
longtemps à l'ombre d'une cure de
campagne. Il fallait qu'il exerçât
son influence sur un théâtre plus
vaste où il aurait plus de liberté
d'action. C'est ce qui ne tarda pas à se
produire.
En octobre 1891, il quittait
Mézières pour venir travailler
à Genève, comme agent de
l'Évangélisation populaire,
où il était appelé par le
Comité de cette oeuvre.
L'Évangélisation populaire est une
mission populaire, comme l'indique son nom, qui
fut fondée en 1879 par
le regretté Ernest Favre à
l'instigation de deux évangélistes
anglais : MM. Lloyd et Workman. Cette
institution, qui débuta modestement,
avait, avec le temps, pris un assez grand
développement. De nombreuses
personnalités soit laïques, soit
ecclésiastiques lui avaient
apporté leur concours et, depuis 1883,
elle s'était adjoint un agent officiel en
la personne de M. le pasteur Yung ;
celui-ci ayant donné sa démission,
on s'adressa pour le remplacer à Frank
Thomas dont la réputation
commençait déjà à
s'étendre et dont on connaissait le
succès auprès de la classe
laborieuse.
Frank Thomas arrivant à
Genève, ce fut comme une étincelle
projetée sur un bûcher tout
préparé et prêt à
s'enflammer. Non seulement il vivifia toutes les
activités de
l'Évangélisation populaire et en
créa de nouvelles, mais il apporta
à la vie religieuse de Genève un
élément jeune et plein d'ardeur.
Étant pasteur auxiliaire de l'Eglise
nationale de sa ville natale, il lui arrivait
aussi de prêcher dans ses temples et il y
attira une foule nombreuse. Ce fut une
ère nouvelle de la vie religieuse
genevoise qui commença avec lui.
Dès le début de son
ministère il exerça
une grande action qui alla
toujours croissant. Avant de poursuivre le
récit de son activité à
Genève, cherchons à nous rendre
compte de ce qui fit de lui une
personnalité de premier plan, dont le
renom ne tarda pas à s'étendre
bien au delà de son pays.
En premier lieu ses fortes
convictions religieuses. Il était un
croyant, dans toute l'acception du terme, et un
croyant qui n'avait qu'une pensée :
faire partager sa foi à tous ceux
auxquels il s'adressait. En voici un
exemple : une demoiselle qui habitait dans
son enfance la paroisse de
Mézières nous a raconté
qu'ayant croisé à l'âge de
douze ans environ, dans un chemin de campagne,
son pasteur nouvellement arrivé, celui-ci
lui parla avec tant de bonté,
l'interrogeant sur ses sentiments religieux et
en particulier sur l'usage qu'elle faisait de la
prière, elle en fut si touchée,
qu'elle fait remonter l'origine de sa conversion
à ce moment-là. Et ceci n'est
qu'un cas isolé entre mille. Il ne
perdait pas une occasion de faire du bien. En
second lieu il avait une profonde
sensibilité et un coeur débordant
d'amour. Une foule était pour lui
composée d'unités qu'il avait soif
d'amener toutes, sans exception, à
Jésus-Christ.
C'est là le secret des appels
poignants qu'il adressait à son auditoire
à la fin de ses cultes ; ces appels
n'étaient jamais, comme on aurait pu le
croire, une sorte d'habitude, une forme
oratoire, mais une nécessité
impérieuse de son coeur, il avait comme
il le disait lui-même, des
« antennes » qui lui
faisaient percevoir les besoins, les
aspirations, les détresses, de ceux qui
l'écoutaient. Ces appels atteignaient
souvent leur but et suscitaient des conversions
ou des renouveaux de vie spirituelle. Il avait
de la dynamite dans le coeur ! Impossible
de citer tous ces appels, ils sont innombrables.
En voici deux qui nous ont frappée et qui
ont dû certainement atteindre leur
but :
En
terminant, permets-moi de te poser cette
question qui est pour tout homme une question de
vie ou de mort ? Qu'est-ce que Dieu est
pour toi ? Le considères-tu comme un
Être puissant, perdu au fond des cieux et
avec lequel tu n'es pas encore entré en
relations ? Alors Il n'est rien pour toi et
pour avoir perdu Dieu tu t'es perdu
toi-même ; dans ce cas je comprends
que tu trembles à la pensée de le
rencontrer bientôt. Prends-y bien
garde : ta vie va devenir toujours plus
vide, ta vie est déjà une marche
solitaire vers le gouffre noir ; la nuit va
venir, ta solitude va grandir ; à
mesure que tes forces
diminueront tu te sentiras plus abandonné
et l'univers t'apparaîtra plus effrayant,
plus écrasant ; il est si grand et
tu es si petit... Mais il y a pour toi un moyen
infaillible de sortir de là, tu peux
recouvrer un Dieu qui devienne tout pour toi en
devenant ton Père. Suis pour cela le
conseil du grand Augustin « As-tu peur
de Dieu ? Jette-toi dans ses
bras ! »
(1)
Et ailleurs :
Coeurs
endurcis, coeurs affolés, coeurs
passionnés, coeurs souffrants, qui que
vous soyez et quel que soit votre état,
croyez donc au médecin infaillible qui
vous offre la guérison ! Devenez
dignes de votre Roi en lui donnant à lui
la toute première place !
(2)
En troisième lieu, il faut
noter chez Frank Thomas l'intérêt
immense qu'il prenait à tout ce qui
touche à l'humanité. Selon
l'expression d'un de ses
catéchumènes, il était une
« table de résonance de son
époque ». Toutes les questions
qui ont passionné l'opinion publique de
son temps ont trouvé un écho dans
son coeur et dans ses discours : les
Arméniens, l'Affaire Dreyfus, la guerre
des Boers, la guerre russo-japonaise, le
désastre du
« Titanic », le tremblement
de terre de Messine, la grande Guerre, la
Société des
Nations, la Géorgie,
les Juifs, et combien d'autres sujets, ont
été traités par lui en
public. Il a plus d'une fois pris part à
des assemblées de protestation
destinées à défendre les
peuples persécutés et il profitait
souvent des fêtes patriotiques de son pays
pour laisser déborder son coeur ardent de
patriote et réveiller ainsi la conscience
de ses concitoyens. Sa sollicitude à
l'égard des nations opprimées lui
valut d'être décoré par la
Serbie, la Géorgie, la
Grèce.
Ces prédications d'un genre
spécial furent une des causes de son
succès. Il attirait beaucoup d'esprits
curieux ou inquiets par ce
côté-là. Et tous ces
éléments étaient mis en
valeur par une grande facilité de parole,
un don d'élocution qui tranchait avec
l'éloquence oratoire du passé. Il
y avait chez lui un peu du tribun. Ses discours
étaient simples, directs, incisifs,
parfois même réalistes, d'autrefois
s'élevant au sublime, et mis en relief
par une voix vibrante, chaude, sonore. On lui
reprochait ses audaces qui n'étaient
souvent que des, actes de courage. À tous
ces dons, il faut ajouter une robuste
santé qui lui permet ait de travailler
dur sans éprouver de fatigue et un
vigoureux optimisme qu'il puisait non
pas tant dans son
caractère, qui était plutôt
pessimiste, mais dans sa foi inébranlable
en Jésus-Christ. Frank Thomas fut un
homme suscité pour sa patrie, pour son
époque, alors que l'intellectualisme
avait miné l'Eglise protestante et que de
fortes convictions s'imposaient.
Arrivé à Genève,
il s'installe à Grange-Canal, au Chemin
des Vergers, non loin de chez ses parents et il
se met au travail avec un incroyable entrain. La
majeure partie de ses forces est
réservée à
l'Évangélisation populaire ;
il fait entendre sa voix dans les salles
affectées à cette mission,
situées dans divers quartiers de la ville
et, en particulier, à partir de 1892,
dans la Salle du Port qui venait d'être
construite et qui devint son principal centre
d'activité (3).
M. Ernest Favre s'exprime ainsi
à ce sujet
(4) :
La
réunion du dimanche après-midi fut
transformée en une prédication.
Les conférences de M. Thomas sur les
Questions
vitales, le Corps et ses destinées, la
Famille, le Mariage, le Mouvement religieux et
social aux Etats-Unis, attirèrent un public
nombreux et nouveau ; ses instructions
religieuses, les études
bibliques qu'il poursuivit seul ou avec le
concours de ses collègues, étaient
très suivies. Il créa une classe
biblique mixte, destinée aux personnes
s'occupant d'évangélisation et
à laquelle collabora M. Rochedieu. De
nouveau groupes bibliques s'organisèrent.
Pendant trois ans la Salle du Port s'ouvrit
à des séances hebdomadaires,
littéraires et scientifiques,
destinées à l'éducation des
classes populaires (1892-1895).
La
position de M. Thomas comme pasteur auxiliaire
nous ouvrit la porte des temples que le
Consistoire nous accorda
gracieusement.
... Ces
années amenèrent avec elles un
mouvement réjouissant au milieu de la
jeunesse. M. Thomas créa à la
Salle du Port un groupe d'activité
chrétienne (1898). L'intérêt
pour la Mission se développait en
même temps. Il abordait fréquemment
ce sujet dans sa
prédication.
Frank
Thomas s'intéressa aussi beaucoup
à l'oeuvre de la Tempérance
déjà en activité depuis
quelques années au sein de
l'Évangélisation populaire. Il y
fonda en 1894 une section de Croix-Bleue qui
devint par la suite la section de
Rive.
La question de l'abstinence a
été une de celles qui l'ont
puissamment captivé. Il nous souvient de
l'avoir entendu autrefois aborder ce sujet dans
des réunions présidées par
lui et par M. Alexandre Morel
(5). Jamais
nous n'oublierons la flamme d'enthousiasme avec
laquelle il décrivait
l'oeuvre du Saint-Esprit dans le coeur d'un
buveur. On sentait chez lui déjà
une grande expérience de la puissance de
Dieu sur l'âme de l'ivrogne même le
plus invétéré.
Lui-même ne reculait devant aucun
sacrifice lorsqu'il s'agissait d'arracher
à Satan une de ses proies.
Il fit aussi dans la classe
cultivée des réunions pour dames
dans lesquelles il aborda, avec beaucoup de
courage la question de la conversion et celle de
la sanctification. Ces réunions ont
laissé de profondes traces dans la vie de
plusieurs des personnes qui y prirent part. Il
excellait d'ailleurs dans les réunions
intimes qu'il préparait avec autant de
soin que s'il avait dû s'adresser à
un nombreux auditoire.
C'est durant les sept à huit
ans qu'il fut agent de
l'Évangélisation populaire
à Genève que se sont
révélés ses dons
exceptionnels et que s'est
développée sa grande puissance de
travail et sa faculté d'organiser son
travail de façon à ne pas perdre
une minute. D'une exactitude absolue, il
n'était jamais pressé et cependant
il trouvait du temps pour tout, en particulier
pour les visites, qu'il a toujours
considérées comme indispensables
à son ministère. Tout l'enrichit,
une simple lecture lui
suggère un sermon ; une affiche, une
conversation, un beau paysage se spiritualisent
pour lui et deviennent l'occasion d'un appel. Il
semble qu'il possède un fond
inépuisable d'expériences comme de
compréhension d'autrui. Son esprit et son
coeur sont toujours en gestation. C'est
là ce qui explique la somme énorme
de travail qu'il a pu fournir.
Très vite, il commença
à avoir des catéchumènes
qu'il réunissait à la Salle du
Port où il avait aussi des heures de
réception. Puis il fut sollicité
de côtés et d'autres en particulier
pour la Croix-Bleue et pour la jeunesse. Partout
sa parole se révèle puissante,
entraînante, il devient populaire.
Innombrables sont, déjà à
cette époque, les gens de toutes les
classes de la société, depuis les
plus modestes jusqu'aux plus haut placés
qu'il a convertis ou poussés en avant
dans la vie spirituelle.
Voici un exemple qu'il a
raconté lui-même et qui a dû
se répéter bien souvent dans sa
carrière, même sans qu'il en ait eu
connaissance.
Il y a
quelque temps, j'étais appelé
auprès du lit de souffrance d'une pauvre
vieille femme, demeurant dans un des plus
humbles quartiers de notre ville, tout au haut
d'une maison : se sentant
près de sa fin, elle
avait eu l'ardent désir de voir un
pasteur qui, dans la main de Dieu, avait
été, sans le savoir, l'un des
instruments de sa conversion. Quand j'arrivai,
je la trouvai toute débordante de joie,
si joyeuse que c'est à peine si je pus
observer la sombre mansarde qu'elle
habitait ; tout était
transformé par le rayonnement de joie de
la malade. Alors, en termes émus, elle me
raconta comment une dizaine d'années
auparavant, elle était venue
troublée, dans une salle de
réunions populaires ; elle portait
alors un lourd fardeau sur ses épaules,
ce fardeau l'écrasait presque, et voici
que dans la réunion on parla de la croix
qui nous donne gratuitement le pardon de Dieu.
Tout à coup, mon fardeau fut
enlevé, me dit-elle, si
complètement, qu'en sortant je me
retournais, car je croyais avoir perdu quelque
chose ! J'avais le coeur si joyeux qu'en
rentrant chez moi je chantais des cantiques, au
grand étonnement de ma compagne qui ne
pouvait pas comprendre ce que j'avais. Depuis
lors, je n'ai jamais eu un instant de doute,
j'ai eu une certitude qui ne m'a jamais
quittée, je la possède encore et
je sais qu'elle m'accompagnera jusque devant le
trône de Dieu (6).
Il serait aisé de multiplier
ces exemples à l'infini.
On peut, et avec raison, se demander
si tant de succès accumulés sur la
tête d'un homme aussi jeune (il n'avait
que vingt-neuf ans lorsqu'il
s'établit à Genève) ne
risquèrent pas de lui donner le vertige
et de développer l'orgueil dans son
caractère. Il semble que cette tentation
l'ait effleuré et qu'il ait eu à
lutter contre ce penchant, si
profondément humain, mais il en triompha,
et à mesure qu'il avança dans sa
carrière il devint plus humble.
L'humilité fut en définitive un
des traits dominants de sa nature. Il
réalisa profondément cette parole
du Christ : « Hors de moi vous ne
pouvez rien faire ! »
(Jean 15 - 5). La communion avec
l'invisible, tel fut le secret de sa puissance.
Aussi, était-ce de sa propre
expérience qu'il parlait lorsqu'il disait
à ses auditeurs :
Faites
en sorte que sans cesse le ciel reste ouvert
au-dessus de vous, que vous ayez chaque jour un
coin de ciel bleu devant vous ; faites
pénétrer les rayons de la vie
céleste dans votre vie terrestre tout
entière ; qu'ils éclairent
vos travaux et vos peines, vos joies et vos
douleurs. Un ciel toujours ouvert, un ciel
ouvert sur tout, un ciel restant ouvert
malgré tout : c'est là le
secret d'une vie sur la terre joyeuse et
forte (7).
En 1896 eut lieu, à
Genève, l'Exposition nationale et
l'Évangélisation populaire se
préoccupa de ce qu'elle
pourrait faire pour répandre la
connaissance de l'Évangile pendant cette
période. L'occasion était unique,
il fallait la saisir. Des distributions de
traités furent organisées par elle
et elle collabora au fonctionnement du kiosque
biblique, établi dans le sein de
l'exposition par l'ensemble des
sociétés religieuses. Mais il
fallait faire davantage.
Écoutons à ce propos
MM. Edouard et Ernest Favre :
(8)
Un sujet
britannique élevé et établi
à Genève, M. Daniel Barton,
résolut de faire construire un
édifice pour l'Harmonie nautique dont il
était le fondateur. Les travaux
commencèrent en 1890, l'inauguration eut
lieu le 28 novembre 1894.
Tandis
que dans la population l'on discutait
l'édifice et en particulier certains
détails de la décoration - comment
en eût-il été
autrement ? - quelques chrétiens,
Victor Lombard entre autres, prièrent
pour que le jour vint où ce
bâtiment pourrait servir à
l'avancement du règne de Dieu. Si les
conversations du monde étaient sans
résultat comme sans utilité, ce ne
fut pas le cas pour les prières, quelque
improbable qu'en pût paraître
l'exaucement. Avec Dieu rien n'est improbable
par ce que rien ne lui est
impossible. Moins d'un an et demi après
l'inauguration, le Victoria Hall devait s'ouvrir
à la prédication de
l'Évangile. Voici dans quelles
circonstances :
Au
début de l'année 1896 le pasteur
Frank Thomas était
préoccupé d'élargir les
bases de son travail ; plusieurs tentatives
échouèrent. L'exposition nationale
suisse allait s'ouvrir ; dès le 1er
mai, Genevois, confédérés
et étrangers afflueraient. Quelle
occasion pour proclamer la Bonne Nouvelle Il
fallait trouver une salle vaste, voisine de la
plaine de Plainpalais. M. Thomas pensa au
Victoria Hall, un essai d'acoustique fut
satisfaisant. Mme Thomas que d'anciens liens
d'amitié unissaient à Mme Barton,
fit une démarche auprès de
celle-ci ; sa demande fut gracieusement
accueillie, et, le 3 mars, M. Thomas informait
le Comité de
l'Évangélisation populaire qu'il
avait l'autorisation de prêcher au
Victoria Hall.
Ce
Comité obtint facilement de l'Harmonie
nautique que la grande salle lui fut
louée pour tous les dimanches
jusqu'à la fin de l'exposition, il fallut
y faire quelques aménagements
spéciaux ; on ne pouvait placer sur
le podium une chaire et cependant il fallait que
le prédicateur pût déposer
devant lui des livres, des notes... un verre
d'eau. Jules Lenoir (9)
inventa le meuble mobile qui
rappelle vaguement une corbeille d'agent de
change, derrière lequel, aujourd'hui
encore, se place le
prédicateur.
Le
dimanche 3 mai 1896, à neuf heures et
demie du matin, la
première prédication était
donnée au Victoria Hall,
« Foule immense qui envahit
tout », écrit M. Thomas dans
ses notes quotidiennes, même bien des gens
debout. Extrêmement encourageant, quoique
bien lourde et bien écrasante
responsabilité. Gens tout à fait
nouveaux. Je suis très soutenu. Je
prêche sur les impressions de Jésus
à l'égard des foules.
« Voyant la foule, Il fut ému
de compassion pour elle, parce qu'elle
était languissante et abattue, comme des
brebis qui n'ont point de berger. Alors Il dit
à ses disciples : La moisson est
grande mais il y a peu d'ouvriers. Priez donc le
Maître de la moisson d'envoyer des
ouvriers dans sa moisson »
(Matthieu 9. 36-38). Ce texte était
un programme.
Un témoin de ces débuts
nous a raconté qu'avant cette
première prédication, Frank Thomas
se promenait avec angoisse dans le Foyer des
Artistes, se demandant s'il n'avait pas commis
une erreur en assumant une aussi lourde
tâche et si le public répondrait
à son appel. Puis pénétrant
dans la salle et voyant la foule qui la
remplissait, il en fut comme
électrisé, et prêcha d'une
façon admirable.
Les cultes furent
célébrés chaque dimanche
jusqu'au 18 octobre ; la foule ne cessa
d'affluer. M. Thomas se fit remplacer une fois
par M. Alexandre Morel et une fois par
M. Edouard Barde
(10) ;
il sentait douloureusement sa
responsabilité ; un jour il
note : « M. Ernest Favre vient
prier avec moi, avant le culte, ce qui me
remonte ».
M. Ernest Favre a
résumé ainsi ce premier
effort :
Cette
vaste salle de concert, avec ses 1800 à
2000 places, mise gracieusement à notre
disposition par son propriétaire,
à des conditions très
avantageuses, s'est trouvée parfaitement
adaptée à notre but.
Proximité de l'exposition, acoustique,
confort, disposition excellente des places,
rappelant sous bien des rapports le Tabernacle
de Spurgeon, caractère laïque de la
salle permettant à tous d'y venir sans
être retenus par des considérations
ecclésiastiques, tous les avantages s'y
trouvaient réunis. À peu
d'exceptions près, elle a toujours
été si pleine qu'il a fallu chaque
fois refuser l'entrée à des
auditeurs.
Deux
excellents organistes, des choeurs, une
trentaine de personnes de service aidant
à placer les arrivants ont fourni
à ces cultes un précieux
concours.
Après la clôture de
l'Exposition, les cultes furent continués
pour un temps, à 4 h., à la Salle
de la Réformation, puis au Victoria Hall
tous les quinze jours le matin. Ils
attirèrent de nouveau beaucoup de monde
entre autres des catholiques et des
étrangers.
M. Ernest Favre ajoute :
Nous
savons que ce culte a suscité quelque
opposition d'une partie du corps pastoral, qui
l'accuse de vider les temples. Une
expérience faite au printemps au moyen de
bulletins distribués aux auditeurs, a
amené les réponses de 800
personnes donnant leurs noms et leurs adresses
et exprimant le désir que les cultes
fussent continués ; or, à
part quelques exceptions, les noms indiquaient
un public nouveau et qui, pour autant que nous
le savons, ne fait pas partie de ce qu'on
appelle le public religieux.
C'est de cette époque et de
ces premiers cultes que date la grande
popularité de Frank Thomas. Enfin il
pouvait donner toute sa mesure n'atteindre de
vastes auditoires, en dehors des habitués
des cultes. Il se révélait grand
orateur, une foule d'auditeurs loin de le
paralyser, le galvanisait, décuplait ses
forces. Il avait besoin pour être
véritablement lui-même et
développer toutes ses possibilités
d'avoir devant lui un public considérable
dont il pouvait façonner l'âme
à son gré.
En 1887, Frank Thomas se
décida à accepter l'invitation qui
lui était faite déjà depuis
plusieurs années par un Américain,
bienfaiteur des Unions chrétiennes, M.
James Scokes, invitation à faire un
voyage aux Etats-Unis et au
Canada. Ce voyage dura trois mois, du
début de juin aux premiers jours de
septembre, et provoqua chez celui qui le
faisait, un très vif
intérêt. Des conférences
faites au retour et publiées en un volume
sous le nom de Nouveau Monde et la
correspondance du voyageur, nous ont
initiée à ses faits et gestes et
à ses impressions. Il visite New-York,
Boston, Washington, Chicago, plusieurs villes du
Canada, les chutes du Niagara, s'arrête
deux fois à Northfield, résidence
du grand évangéliste Moody et
centre de réunions religieuses,
particulièrement destinées
à la jeunesse, Rien de très
original dans les descriptions des sites qu'il
parcourt. Son livre est un ouvrage de
vulgarisation qui ne contient pas
d'aperçus nouveaux ni très
personnels en ce qui concerne ses récits
de voyage. Selon nous, son admiration pour
l'Amérique est excessive et manque de
vues profondes. Il se laisse un peu trop
éblouir par la civilisation du nouveau
monde. Mais par contre, tout ce qui touche
à la vie religieuse et aux oeuvres
sociales de l'Amérique est captivant, le
récit de ses séjours à
Northfield, en particulier. On y retrouve Frank
Thomas avec ses élans de foi, son
humilité, sa ferveur pour tout ce
qui touche au Royaume de Dieu.
On sent qu'il a puisé des idées
nouvelles à cet égard dont il fera
largement profiter ses activités futures.
Il est enthousiasmé par les grands
meetings auxquels il a assisté où
il a eu la joie de rencontrer Moody et John
Mott. Il se montre, déjà à
cette époque, féministe convaincu,
et, à cet égard comme à
celui de l'évangélisation,
très en avance sur son temps.
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