Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



FRANK THOMAS
SA VIE - SON OEUVRE



CHAPITRE V
L'ASSOCIATION CHRÉTIENNE ÉVANGÉLIQUE.

 Renouvelé par tout ce qu'il a vu en Amérique, Frank Thomas reprend, dès son retour, avec courage son travail à l'Évangélisation populaire ; mais son activité n'y devait plus durer longtemps.
D'autres projets mûrissaient dans son coeur et dans son esprit, projets qui, au travers de beaucoup de difficultés, allaient voir le jour et produire de nouveaux fruits pour l'avancement du règne de Dieu.

Depuis longtemps, en effet, et surtout depuis qu'il avait pris contact avec les couches profondes de la population genevoise Frank Thomas était préoccupé de la question d'Eglise, de celle du Réveil et du renouvellement de la prédication dont l'ancienne forme, selon lui, avait fait son temps. Déjà en 1893, à la suite d'une critique assez vive de deux de ses sermons, parue dans la Semaine religieuse du 12 mai, dans laquelle on lui reprochait de tout « subordonner au désir de remuer la conscience et de conduire l'âme à chercher la guérison de ses maux » et de négliger « les gradations savantes, les transitions habiles », il publia une brochure de seize pages intitulée : Poudre sans fumée. Dans cette brochure, avec un très grand courage et une certaine audace vis-à-vis de ses confrères plus âgés que lui, il fait le procès de l'ancienne forme oratoire du sermon, prouve que si l'on veut ne pas voir les temples se vider, il faut employer un langage plus laïque, plus simple, plus intelligible et surtout viser en toute première ligne à amener les âmes aux pieds de Jésus-Christ.

Cette brochure se termine ainsi :

... On pourra sans doute reprocher à l'auteur de ces lignes une bien grande jeunesse et une non moins grande inexpérience : soit ; il a du moins pour excuse son ardent désir de voir le Règne de Dieu s'avancer dans son pays, aussi bien dans les campagnes qu'à la ville, où, malheureusement, le mal et l'incrédulité font des progrès effrayants. Pour arrêter le courant du mal et lui substituer un courant contraire, il est urgent d'annoncer tout l'Évangile et cela de la manière la plus simple et la plus claire possible. L'éloquence de la chaire y perdra peut-être quelque chose (en ce qui me concerne je suis persuadé du contraire), le Règne de Dieu y gagnera d'autant plus. C'était l'essentiel pour le grand Apôtre des Gentils... ne l'est-ce pas aussi pour vous ?

Or, toute l'activité, tous les buts que Frank Thomas s'est proposés durant son ministère se trouvent résumés dans ces lignes. Au cours des années qui suivirent, les pensées qu'il avait rédigées en 1893 le préoccupent de plus en plus, surtout depuis qu'il commence à réunir de vastes auditoires au Victoria Hall. Il sentait que le genre de prédication qu'il avait adopté était bien celui qui convenait à son époque. D'autre part l'Évangélisation populaire dont il était l'agent n'atteignait qu'une certaine couche de la population et n'agissait pas sur tous les milieux qu'il aurait voulu atteindre. Il y avait là un problème qui dut beaucoup le préoccuper et même le tourmenter. Il sentait impérieusement la nécessité pour lui de se rattacher à un organisme qui lui permît une action plus étendue et, en même temps, lui donnât plus de liberté.
Son ami intime, Gaston Frommel, qui depuis 1892 était devenu son cousin (1), le soutint, l'aida et le conseilla durant cette période difficile. Lui aussi était d'avis qu'une action nouvelle s'imposait.

Aujourd'hui que l'Association Chrétienne est une société religieuse appréciée à Genève et dont l'utilité est reconnue, il est difficile de se représenter toutes les luttes, les sacrifices, les ardentes prières qui précédèrent sa création. Ce fut pour Frank Thomas et sa femme une époque de grandes difficultés mais de non moins grandes bénédictions, car l'obéissance aux ordres de Dieu amène avec elle une paix profonde et une merveilleuse libération de la conscience.

D'autres personnes à Genève se préoccupaient des mêmes problèmes, elles furent consultées et enfin, après mûres réflexions, la création de l'Association Chrétienne Évangélique fut projetée dont Frank Thomas serait l'agent.
Un Comité d'initiative (2) convoqua une séance publique le 15 décembre 1898.

Il est très intéressant et très instructif d'étudier la brochure intitulée : La situation religieuse et ecclésiastique à Genève : Appel en faveur d'une solution pratique, qui contient les discours prononcés lors de cette séance. Ils expliquent de façon très claire, les raisons qui motivèrent l'initiative prise alors par Frank Thomas et ses collaborateurs.
Nous allons tenter d'en donner un bref résumé (3).

Depuis 1846 et surtout 1874, l'Église nationale de Genève n'offre plus le caractère spécifiquement chrétien qu'elle avait auparavant, actuellement elle proclame dans son sein la liberté illimitée de conviction et d'enseignement. Le chrétien y est confondu avec le citoyen, et l'électorat religieux avec l'électorat politique. Dépendant de l'État elle manque de liberté d'action et d'organisation. Ses pasteurs sont surchargés, et surtout elle n'est pas homogène. « Deux factions se la partagent : la faction dite évangélique et la faction dite libérale, qui, divisées par leurs vues, leurs méthodes, leurs buts, s'entravent mutuellement » et produisent un malentendu funeste aux âmes qui suivent les cultes.

Une Église ainsi constituée est-elle prête à affronter la séparation de l'Église et de l'État qui peut survenir d'un moment à l'autre ? Il est à craindre qu'il n'en soit rien.
Ce que nous voulons cependant ce n'est pas « de sortir des cadres établis et de nous constituer en Église », mais de « former un Groupe interecclésiastique, autonome et largement ouvert, composé de chrétiens qui veillent et qui sachent donner, pour la cause du Maître, de leur personne, de leur temps, de leur argent ». « Nous ajoutons : un groupe temporaire, et nous y insistons, afin que sa tâche achevée, quand l'heure sera venue pour lui de disparaître, il puisse s'absorber et se perdre joyeusement dans l'Eglise véritable et nouvelle que, par la grâce de Dieu, il aura contribué à former dans Genève ».

Antérieurement à la réunion convoquée le 8 décembre 1898, la question a été envisagée de savoir si avant de fonder quelque chose de nouveau au point de vue religieux, il ne serait pas possible de s'unir aux forces d'évangélisation déjà existantes à Genève, et dont le zèle doit être loué.
Mais ni l'Eglise libre, ni l'Union nationale évangélique, ni l'Évangélisation populaire ne furent trouvées aptes à remplir les conditions requises ; c'est pourquoi un nouveau centre d'activité est nécessaire.

« Tandis qu'on a su développer et satisfaire d'une manière extraordinaire, exagérée même, le besoin de coopération et d'association de nos concitoyens, à tel point que tous ou presque tous, sont enrôlés dans une ou plusieurs sociétés, les disciples du Christ, ceux qui voudraient une Genève morale et religieuse autant qu'instruite et riche, ceux qui estiment que c'est à l'Évangile qu'elle doit ce qu'elle est devenue, ceux-là, ont à peine tenté ce que d'autres ont accompli et presque partout échoué là où les autres ont réussi » : les temples sont abandonnés et la foule se soustrait à l'influence chrétienne.

« Or, où est la raison d'une telle infériorité, d'une infériorité humiliante et navrante pour tout coeur de patriote chrétien, D'une infériorité désastreuse pour l'avenir spirituel de Genève ? Il faut avoir le courage de le reconnaître : elle est, non pas exclusivement, mais dans une très large mesure, dans le système ecclésiastique qui nous régit actuellement. Il ne répond plus aux besoins nouveaux qu'une transformation générale et rapide de la vie moderne suscite de toutes parts ».

« Le groupement, la solidarité organique en effet, sont aussi nécessaires dans le domaine spirituel que dans le domaine naturel. On ne saurait concevoir que ceux qui partagent les mêmes convictions ne s'unissent point entre eux, pour s'y affermir, les répandre » et pour lutter contre l'adversaire dont les bataillons ennemis s'avancent en rangs serrés contre nous.

« Or, avec le système qui nous régit, la prière de Jésus : « Qu'ils soient tous un » (Jean 17 : 22) ne peut pas être exaucée ». Comment en serait-il autrement, quand, dans l'Église nationale, chacun est libre de croire ce qu'il veut ou de ne pas croire du tout ; quand chacun peut prendre pour devise : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons », ou s'écrier avec une foi joyeuse : « Christ est ma vie et la mort m'est un gain » (Phil. 1: 21). N'est-ce pas une illusion en même temps qu'un péché de vouloir concilier la vérité et l'erreur, Christ et Bélial ? Et c'est pour avoir conservé trop longtemps cette illusion que nous avons éloigné les foules ; elles se sont détournées de cet écoeurant spectacle. Comment pouvaient-elles s'attacher à une religion qui, prêchant une chose et son contraire, leur a nécessairement paru fausse » ?

« Il est temps de réagir contre la conception surannée du ministère, d'après laquelle le pasteur fait tout : prêche, visite, baptise, enterre, distribue les aumônes, s'use en un mot à la tâche. L'association des croyants est bien plutôt semblable à une ruche d'abeilles dans laquelle chacune travaille au bien de la colonie entière. Le pasteur ne doit être qu'un travailleur au milieu de beaucoup d'autres ».

« Le groupement que nous avons en vue, doit donc être une société d'activité chrétienne, comprenant des fidèles de tout âge et de toutes conditions sociales. Tel est le tableau admirable que Paul nous donne de l'Eglise, ou plutôt des nombreuses petites Églises de la Rome antique, au chapitre XVI de son épître aux Romains ».

« Or, cette inspiration ne lui sera accordée et maintenue, cette vie ne grandira que si :

1. Chaque membre demeure dans des relations personnelles et constantes avec le Chef qui est Christ, en évitant avec soin, tout ce qui pourrait intercepter ces relations et si :
2. L'association tout entière s'efforce de développer la solidarité entre ses membres, grâce à la communion de tous avec Christ. Ce résultat sera obtenu au moyen de cultes communs, prédications, cultes mutuels, cultes de Cène, réunions de prières, études bibliques ».

« L'amour des âmes qui se perdent, la fidélité à l'Évangile et la responsabilité d'une situation trop grave pour durer impunément, nous poussent à former en dehors des institutions déjà existantes, sans haine et sans rivalité, et pour le bien de ces institutions mêmes, une association de croyants, à la fois largement ouverte et inébranlablement basée sur les principes et les convictions évangéliques. Cette association sera dans notre pensée multitudiniste, c'est-à-dire accessible à tous les croyants et sans esprit sectaire, et indépendante, c'est-à-dire ne reconnaissant d'autre autorité que celle du Divin Chef de l'Eglise. Elle sera de plus temporaire et ne tendra effectivement qu'à se rendre inutile ; elle préparera l'autonomie de l'Eglise en lui rendant par l'exemple et l'exercice de la liberté, le goût et l'amour de la liberté.

« L'association n'existerait donc pas pour elle-même ; son rôle serait de servir, de s'immoler au profit d'une fin supérieure, celle de constituer le noyau de l'Eglise indépendante future ».

« Nous tendrons une main fraternelle à tous ceux, quels qu'ils soient, qui partageant notre foi, nos convictions et nos craintes voudront travailler au vrai bien de notre peuple, en l'amenant à de fortes convictions religieuses, plus nécessaires que jamais, devant la marée toujours plus montante du scepticisme et du matérialisme pratique ».

« Nous pensons que toutes les personnes qui comprennent l'importance et l'urgence de cette oeuvre, devraient se réunir en une vaste association. Ce ne serait point une Église. Les membres de l'Association pourront continuer à faire partie de l'Eglise à laquelle ils appartiennent, mais ils trouveront dans l'Association telle que nous la comprenons l'entière satisfaction de leurs besoins spirituels et un milieu où leur activité chrétienne sera stimulée et pourra s'exercer largement ».

« L'association qui pourrait prendre le nom d'Association Évangélique devra affirmer nettement les vérités chrétiennes qu'elle reconnaît et pour la profession desquelles elle se fonde ».


À la suite de cette réunion, l'Association Chrétienne Évangélique (A. C. E.) fut fondée (4), elle tint son assemblée constitutive le 19 janvier 1899. Sur le conseil de Gaston Frommel, elle n'adopta pas de confession de foi, mais prit comme devise : Pour Christ et pour son Règne. Son but était de modifier et d'améliorer la situation religieuse ecclésiastique de Genève en prévision de la séparation de l'Eglise et de l'État. Des statuts et un règlement furent élaborés. Il fallait à ce nouveau groupement un centre d'action ; le Victoria Hall était là. L'accord se trouvait être complet entre l'Évangélisation populaire et la jeune Association et pendant quelques mois Frank Thomas partagea son temps entre les, deux sociétés. Cependant les méthodes étaient un peu autres, les milieux où se poursuivait le travail assez différents et, au printemps 1899, Frank Thomas se consacra complètement à l'Association Chrétienne. Tous les membres du Comité d'initiative (M. Frank Thomas excepté puisqu'il en devenait l'agent) firent partie d'un nouveau Comité dont le rôle était de présider aux destinées de l'A. C. E. Il fut réélu d'abord tous les trois ans et plus tard partiellement chaque année.

Le 28 août 1899, l'Association reprenait sous sa seule direction les cultes du Victoria Hall et elle les rendit hebdomadaire (5). Depuis lors, ils n'ont pas cessé ; cependant, chaque année, ils sont suspendus pendant deux mois d'été.

Le Comité de l'Association attachait une grande importance à la forme du culte. Dès le début, Frank Thomas fit une large place à la lecture de la Bible ; l'auditoire fut prié de se lever pour chanter et de rester assis pendant les prières ; ces mesures aussi favorables au chant qu'au recueillement, furent d'abord considérées comme révolutionnaires.
Suivant les traditions de l'Évangélisation populaire, dès le 17 août 1898, un double quatuor, plus tard un choeur, puis un quatuor d'hommes, prirent place derrière le prédicateur et chantent dans un esprit de prière. Des solide chant, de violon, de violoncelle furent aussi introduits dans le culte, et l'orgue accompagne les cantiques de l'assemblée.

Une dizaine de fois dans l'année, Frank Thomas se faisait remplacer par des collègues de diverses églises. Durant sa vie, la moyenne des auditeurs fut d'environ 1500 par dimanche. Dans certaines occasions, l'affluence était telle qu'il fallait refuser du monde et fermer les portes avant le début du sermon.
Une des anciennes catéchumènes de Frank Thomas évoque ainsi le souvenir de ses prédications :

Quand on le voyait s'avancer sur le podium du Victoria Hall, la tête légèrement inclinée, on sentait tout de suite qu'il allait vous communiquer de la force, et son auditoire, qui fut bien unique au monde par sa variété, était vite conquis. Sa voix brisait comme la foudre l'iniquité humaine ; mais jamais on ne l'entendait condamner personne.

... Cette voix qui passait par toutes les gammes des plus puissants crescendos, pouvait avoir des inflexions d'une douceur céleste pour parler du Christ... C'est là qu'il faut chercher la cause première de son succès et l'attrait qu'il exerça sur les foules, qui ont soif d'un Dieu vivant qui les aime. Les Juifs ne pouvaient faire autrement que de respecter sa parole messianique ; les catholiques se rencontraient avec lui dans la foi aux miracles et les athées trouvaient en lui une largeur de vues et une courtoisie qui les désarmaient. Il avait des amis à tous les degrés de la hiérarchie sociale, depuis l'aide-jardinier qui était aussi porteur des affiches de l'Apollo, jusqu'à la tête couronnée, en passant par tous ceux qui ont souffert justement ou injustement et peut-être est-ce pour ces derniers que la perte est le plus irréparable.


Au moment où il quittait définitivement l'Évangélisation populaire, il écrivait à M. Ernest Favre :

Je me permets de formuler un voeu qui est une prière, c'est que le changement qui commence aujourd'hui n'amène pas de séparation entre nous, et que vous me permettiez de vous considérer toujours comme un frère aîné, sur les conseils et l'affection duquel je puis compter. J'ai aujourd'hui plus besoin de vous que jamais, car je tremble à la vue de la tâche qui est devant moi et pour laquelle je suis si peu à la hauteur. Notre petite barque aura des écueils redoutables à éviter, des abîmes profonds à côtoyer ; que ferais-je si je suis seul ou à peu près seul ? Oh ! je sais que je puis compter sur mon Dieu, Il est fidèle et puissant et Il ne nous laissera pas ; mais les conseils, quand ils viennent de frères bien-aimés dans le Seigneur, peuvent être utiles, très utiles. Donnez-nous en, je vous en prie, sans avoir peur de nous froisser et faites-nous la grande joie de considérer notre oeuvre comme votre oeuvre, elle l'est, puisqu'elle est fille de l'Évangélisation populaire...

J'ai passé cette année par des détresses dont je ne suis pas encore remis à fond ; encore maintenant, si tard que je me couche, je suis réveillé vers 4 h. et j'ai alors beaucoup de peine à retrouver le sommeil, tant mon coeur et ma tête sont agités de pensées plus ou moins douloureuses. Oh ! comme j'aurais moins de peine à prendre mon parti de ce qui s'est passé, si je pouvais avoir la certitude que la page n'est pas tournée comme sur un passé fini, mais que nous sommes entrés dans un nouveau chapitre de travail commun, amenant enfin l'affranchissement de notre peuple par le réveil des consciences.


D'après le fragment suivant, on peut se rendre compte de l'idéal que Frank Thomas poursuivait dans son travail.

J'ai comme une vision soudaine de ce que seraient la vie humaine et la terre, si tous les hommes avaient passé par la croix de Golgotha : si la croix était plantée au point de départ de toutes les activités humaines ; si, à l'entrée de tous les chemins que suit le génie de l'homme à la conquête du monde, l'autel du sacrifice était là comme dans le tabernacle israélite, l'autel des holocaustes à la porte du sanctuaire ; si, en d'autres termes, les hommes, tous les hommes sans exception, guéris à fond de l'égoïsme, réellement morts à eux-mêmes et tout débordants d'amour, n'avaient plus qu'une pensée : faire servir leurs talents à la gloire de leur Père dans le bonheur de leurs frères ; si au fond de chaque oeuvre d'art, de chaque découverte scientifique, de chaque progrès de l'industrie, de chaque relation commerciale et sociale, on découvrait une pensée d'amour, c'est-à-dire la présence invisible, quoique réelle de Dieu même ; le ciel alors serait sur la terre, la Jérusalem céleste serait descendue ici-bas ; Dieu étant tout en tous, le bonheur parfait succéderait à la douleur et la vie aurait pour toujours englouti la mort ; voilà ce que peut, voilà ce que doit produire la croix de Jésus-Christ (6).

Ce qui dans toute cette organisation nouvelle coûta le plus à Frank Thomas, ce fut de donner sa démission de l'Eglise nationale. Il y était très attaché, soit personnellement, soit par ses traditions de famille, aussi cette rupture (qui d'ailleurs n'était que toute extérieure) fut-elle pour lui profondément douloureuse. Il souffrit aussi de toutes les critiques dont il fut l'objet de la part de gens qui ne pouvaient, ou ne voulaient pas le comprendre et qui lui attribuaient des mobiles qui étaient bien loin de sa pensée. Il est certain cependant que quelques-unes d'entre elles semblaient justifiées, car un nouveau groupement au sein du protestantisme déjà si fractionné, pouvait paraître regrettable ; mais comme les mobiles invoqués par Frank Thomas lui étaient dictés par sa conscience, on ne peut que s'incliner devant sa décision.

Il est des plus intéressant et instructif de suivre au moyen de la lecture des rapports annuels de l'A. C. E. et de la Feuille mensuelle, le développement de l'Association, et plus particulièrement la prodigieuse activité de son agent général. On trouve dans ces écrits le souvenir de tout ce qui fut entrepris pour l'évangélisation de Genève et, on peut presque dire de l'Europe. On reste confondu devant l'étendue du travail de Frank Thomas, qui semble parfois tenir du miracle. En ce qui concerne l'Association, l'on ne peut tout rappeler, il y aurait trop à dire, mais il importe de noter quelques points essentiels :
Tout d'abord le centre, qui est la prédication du Victoria Hall, dont M. Frédéric Necker pouvait dire en 1902 :

Beaucoup d'auditeurs ne se contentent pas d'écouter le prédicateur, mais témoignent le désir d'entrer en relation avec lui pour s'éclairer et en recevoir les explications dont ils ont besoin.
Il y a là un travail de cure d'âme d'une importance considérable dont les résultats sont très intéressants.


C'est ainsi que beaucoup d'âmes sont amenées à la vérité. Autour de ce centre se créent de nombreux rouages. Tout d'abord celui des groupes bibliques par quartiers, s'étendant même jusque dans la campagne genevoise, celui des familles bibliques, des Activités chrétiennes de jeunesse et de leurs diverses sections, de l'École du dimanche, du Culte de jeunesse, des réunions mensuelles et des cultes de Cène, sans oublier les deux cercles pour ouvriers qui durent l'un après l'autre se fermer au grand regret de Frank Thomas. Plus tard se créèrent des groupes d'éclaireurs et d'éclaireuses.

Il y a aussi la collaboration avec l'Évangélisation populaire et la Croix-Bleue pour la course en bateau de l'Ascension, la réunion de longue veille du 31 décembre, de concert avec l'Évangélisation, sans oublier les courses de jeunesse pour catéchumènes, les fêtes champêtres, les assemblées mensuelles, etc. De tout cela Frank Thomas est l'âme, il est un aimant qui attire jeunes et vieux autour de lui.

À côté de ses cultes au Victoria Hall, il fait de nombreuses prédications et conférences dans les diverses églises et salles de la ville, en particulier des conférences contradictoires à la Salle Centrale, qui parfois sont très houleuses. Il visite les groupes et familles bibliques, s'occupe des Activités chrétiennes et de l'École du dimanche ; il parle aussi très souvent dans la campagne genevoise et est constamment appelé à l'étranger, surtout en France. Il fait jusqu'à 1200 visites par an à Genève et dans les environs. Heureusement que de fidèles et actifs collaborateurs lui viennent en aide, tel M. Paul Appia, qui dirigea pendant douze ans l'École du dimanche et qui fut remplacé par Mlle Marie Lasserre.

Peu après les débuts de l'A. C. E. il fut secondé par un agent adjoint (7). Cet agent a toujours été choisi parmi de jeunes pasteurs qui eurent ainsi l'occasion de s'enrichir au contact de la personnalité rayonnante de Frank Thomas.

Les présidents du Comité de l'A. C. E. furent : MM. Frédéric Necker, Lucien Gautier, Edouard Favre, Henri de Morsier, Paul Appia.

L'A. C. E. eut un premier local, 20, rue de la Cité ; en 1904, elle se transporta 9, rue Calvin, et enfin, en 1914, elle élut domicile 11, rue Général Dufour, où elle a encore son siège aujourd'hui.

Dans la Feuille mensuelle, créée en 1901, on trouve d'excellents petits articles dus surtout à la plume de Frank Thomas et parfois aussi de ses agents adjoints, destinée aux membres de l'A. C. E. Quelle peine il se donne pour les encourager, les édifier, les stimuler à la prière ! On se rend compte de l'intérêt qu'il leur porte, de l'affection dont il les entoure et aussi, faut-il le dire ? du découragement qu'il éprouve parfois de ne pas les trouver plus zélés, plus enflammés pour la cause de Dieu. À chaque ligne on sent vibrer son grand coeur et sa profonde sensibilité.

En 1908, la séparation de l'Eglise et de l'État fut prononcée à Genève. Frank Thomas salua avec enthousiasme le nouvel état de choses dont il avait toujours été partisan et qu'il souhaitait ardemment pour sa ville natale. Nombre de fois il avait crié ses convictions du haut de la chaire. Tel ce passage :

Soyez sûrs, chers lecteurs, que si tant de gens redoutent la séparation de l'Eglise et de l'État, bien qu'ils reconnaissent la justesse des arguments de ceux qui la réclament, c'est qu'ils seraient obligés de s'engager pour Christ par un acte de volonté personnelle. L'institution nationale selon eux, a l'immense avantage (selon nous c'est l'un de ses plus graves dangers), de permettre à quelqu'un d'être d'une Église chrétienne sans le vouloir, par le seul fait de la naissance ; on en fait partie parce que l'on est né protestant, on a été baptisé sans qu'on le veuille, on a suivi ensuite son instruction religieuse, puis on a fait sa première communion, sans qu'on y soit pour rien pour ainsi dire, car on a suivi la masse, on s'est conformé à une coutume qui n'engage à rien, puisque ensuite on peut croire comme tout le monde. Rien n'est plus commode, car, disons le mot, cela permet d'avoir une religion sans être religieux, d'être chrétien de nom sans avoir rien à souffrir, de paraître prendre Jésus pour Maître, tout en restant son propre maître, de garder sa pleine liberté tout, en paraissant avoir abdiqué devant le Seigneur. Cela permet, en un mot, de paraître ce que l'on n'est pas. Et l'on oublie que Dieu ne fait pas acception de personnes, et qu'Il regarde au coeur, et au coeur seul. Je voudrais mettre en garde mes chers lecteurs, contre un pareil danger en leur rappelant l'exemple de Pierre, qui semblait suivre Jésus et qui en réalité ne le suivait pas, parce qu'il le suivait de loin, et qui fut entraîné à le renier par trois fois, précisément parce qu'il s'était donné le change à lui-même en essayant de le donner aux autres. Malheur à qui dit au Seigneur, ou à qui fait comme s'il disait Je te suivrai, mais permets-moi de ne pas te suivre je te suivrai mais pour la forme seulement (8).

Or, à propos de la suppression du budget des cultes, une question grave allait se poser. L'Association Chrétienne Évangélique continuerait-elle à exister, ou se fondrait-elle dans la nouvelle Église ? Si nous nous en référons à la brochure parue peu avant la fondation de l'A. C. E., (9) nous y lisons ceci :

L'Association sera temporaire et ne tendra effectivement qu'à se rendre inutile ; elle préparera l'autonomie de l'Eglise en lui rendant, par l'exemple et l'exercice de la liberté, le goût et l'amour de la liberté.

L'Association n'existerait donc pas pour elle-même : son rôle serait de servir, de s'immoler au profit d'une fin supérieure : celle de constituer le noyau de l'Église indépendante future (10). Cette Association n'aura qu'un caractère temporaire. Elle ne doit pas être un obstacle à la réunion de tous les chrétiens évangéliques de Genève en une seule Église, au moment prochain ou éloigné, n'importe, où la séparation de l'Eglise et de l'État sera enfin prononcée (11).

Rien de plus clair que ces affirmations et cependant le moment venu, l'Association Chrétienne Évangélique ne ferma pas ses portes et continua à exister comme groupement autonome.
En effet l'assemblée extraordinaire convoquée pour le 17 décembre 1908 vota les trois résolutions suivantes :

1° Continuer l'existence de l'A. C. E. tout en lui faisant subir certaines transformations.
2° Adopter les modifications proposées par le Comité, en ajoutant aux Statuts un article 4 ainsi conçu : «l'A. C. E. est indépendante des Églises constituées. Elles reconnaît à tous les membres le droit de se rattacher individuellement à ces Églises ».
3° Participer à la formation de la Commission Centrale Évangélique par l'envoi de trois délégués.


Cependant le règlement de l'Association dans un article 8 contenait ces lignes :

« La séparation une fois prononcée, l'Association devra se dissoudre ou se transformer ».

Ce fut la transformation qui prévalut. Voici l'explication donnée de cette affaire par le président de l'A. C. E., alors M. Lucien Gautier, dans son rapport du 21 février 1909 :

Le règlement de notre Association, dans un article 8, fréquemment rappelé depuis dix-huit mois, renfermait une disposition due à nos fondateurs et stipulant que « la séparation une fois prononcée, l'Association devra se dissoudre ou se transformer ». Grâce à cette sage prévision de nos devanciers, nous avons été préservés d'un écueil auquel nous aurions pu sans cela venir nous heurter ; nous eussions risqué de méconnaître l'étroite solidarité qui doit régner entre notre Association et le protestantisme genevois dans son ensemble. Nous aurions pu être tentés de poursuivre notre marche par nous-mêmes et sans nous préoccuper des conditions nouvelles dans lesquelles notre canton se trouve maintenant placé... Nous avons écarté la solution d'après laquelle notre groupement aurait eu purement et simplement à disparaître. Bien que quelques membres de l'A. C. E. eussent jugé cette décision la plus simple, la plus naturelle et la plus recommandable, la grande majorité s'est prononcée, dans un sens opposé.
Il nous a semblé en effet impossible d'abandonner sans autre l'ensemble des oeuvres que notre Association a fondées et qu'elle a poursuivies au cours de ces dix années d'existence. Nous ne nous sommes pas reconnu le droit de mettre fin à toute cette activité et d'éteindre ce que, sans présomption, nous pouvons bien appeler un foyer de vie spirituelle. Si la réorganisation de l'Eglise nationale se fut effectuée sur des bases telles que nous eussions pu lui remettre la totalité ou du moins la plus grande partie de notre travail, le problème se serait posé d'une façon différente. Mais en l'état des choses, nous nous sommes sentis tenus en conscience de poursuivre notre tâche, et c'est dans ce sens que nous avons, dans l'Assemblée générale extraordinaire du 17 décembre, procédé à la révision de nos Statuts.

Voici, nous semble-t-il, comment on peut définir l'attitude que nous avons prise et les résolutions que nous avons votées. D'après sa constitution, l'A. C. E. poursuivait deux buts, l'un sur le terrain religieux, l'autre sur le terrain ecclésiastique. D'une part elle voulait édifier et évangéliser, d'autre part elle voulait préparer la séparation de l'Eglise et de l'État. Ce dernier résultat ayant été obtenu, l'Association n'a plus à s'occuper de la question ecclésiastique : son activité religieuse, voilà ce qui reste, et certes c'est bien assez pour justifier la décision qu'elle a prise d'aller de l'avant. Du reste, comme nous avons cherché à l'établir clairement, la transformation statutaire est peu de chose. Ce qui importe, ce qui est essentiel et vital, c'est la transformation spirituelle. Ce qu'il faut, c'est que tous, en corps et individuellement, nous sentions que de nombreux devoirs nous incombent. Nous n'avons plus le droit de nous tranquilliser en nous disant tacitement ou ouvertement, qu'il nous fallait attendre, pour agir avec énergie, l'avènement de l'ère nouvelle qu'inaugurerait une fois ou l'autre, le vote de la séparation. Ce vote maintenant est un fait accompli, l'ère nouvelle a commencé. Il s'agit par conséquent, de ne pas perdre de temps, d'examiner les possibilités qu'amène le nouvel état de choses et d'entrer résolument en campagne...

L'heure des illusions est passée ; dans notre Genève, jadis foyer intense de vie religieuse, les disciples de l'Évangile ne forment plus qu'une minorité. D'un côté il y a Rome, toujours plus puissante, toujours habile, toujours envahissante. De l'autre il y a la libre pensée, de plus en plus remuante et agressive, et consciente de l'appui que lui assurent les penchants de l'homme naturel. Dans nos rangs eux-mêmes, que d'indifférence, de tiédeur et de relâchement. Certes le moment n'est pas venu de désarmer, mais bien au contraire de saisir toutes les armes de la foi et de lutter avec persévérance « pour Christ et pour son règne ».


C'est ainsi que l'A. C. E., malgré la séparation, poursuivit son travail. En ce qui nous concerne, nous comprenons, étant donné le latitudinarisme dogmatique toléré dans l'Eglise issue de la séparation, que l'A. C. E. n'ait pas voulu se dissoudre. Mais on a pu regretter que des déclarations catégoriques touchant son avenir eussent été faites dans la brochure qui précéda sa fondation. Ces affirmations pouvaient prêter à équivoque. Quoi qu'il en soit Frank Thomas eut, après la suppression du budget des cultes, la joie de pouvoir rentrer comme pasteur auxiliaire dans I'Eglise nationale


Table des matières


1 Il avait épousé Mlle Madeleine Thomas.

2 Ce Comité était composé do MM. Edouard Barde, professeur, Paul Des Gouttes, avocat, Edouard Favre, Gaston Frommel, professeur, Henri Lasserre, Frédéric Necker, Jules Nicole, professeur, Frank Thomas, pasteur, Théodore Vernet,

3 Les phrases entre guillemets sont citées textuellement.

4 Elle débuta avec 560 membres et en comptait 1775 à la mort de Frank Thomas.

5 Les cultes célébré au Victoria Hall, p. 6.

6 La Croix de Christ, p. 112-113.

7 Ce furent MM. Georges Dunant, Auguste Naville, Charles Durand, Albert Dartigue, Walter Yung, William Thomas, Henri D'Espine, Victor Baroni, Robert Cand, Edouard Mingot, Henri Chavannes, Roger Thomas.

8 En route vers la Foi, p. 171-172.

9 Voir, ci-dessus, p. 86.

10 En route vers la Foi, p. 30.

11 Ibidem., p. 33 et 34.

 

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