Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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FRANK THOMAS
SA VIE - SON OEUVRE




CHAPITRE X
VIE DE FAMILLE.

 La vie publique de Frank Thomas ne rend compte que d'un des côtés de sa personnalité ; pour avoir une idée complète de ce qu'il fut, il faut le connaître dans sa vie de famille ; n'était-il pas l'homme de la famille ? Il y voyait le noyau de la société, de l'Eglise, de la Patrie, la cellule vivante d'une nation et c'est dans son foyer paternel qu'il avait puisé cet idéal qui ne se démentit jamais chez lui.

Dès son arrivée à Genève, il s'était installé à Grange-Canal, au chemin des Vergers ; peu d'années après, afin de se rapprocher de la ville, il élut domicile au Clos Belmont, 4, route de Chêne, dans le Chalet Revilliod et, enfin en 1906, il fit construire dans ce même Clos le beau et vaste chalet entouré d'un grand jardin qu'il occupa jusqu'en 1927. (1) À ses trois fils aînés avaient succédé quatre autres enfants : Ellen (1892), Roger (1895), Odette (1900), Olga (1903). On peut se représenter quelle heureuse bande formait tout ce petit monde qui avait le don d'égayer le père de famille, accablé souvent par les lourds soucis de son ministère. Il goûtait beaucoup l'atmosphère joyeuse de son foyer et rien ne lui était plus doux que de pouvoir passer une soirée en famille, ce qui lui arrivait rarement, tant il était occupé au dehors.

À Grange-Canal, les grands-parents Thomas et « Tante Nancy » formaient l'arrière-garde de cette troupe mutine, veillant sur elle, s'intéressant passionnément au développement de chacun des enfants, les entourant de la plus ardente sollicitude. On dînait chez eux le dimanche soir et le jeudi, eux-mêmes à leur tour se rendaient chez leur fils. Toute leur affection se concentrait sur cette « cellule vivante » dont ils attendaient de si bonnes choses. Mme Louis Thomas, toujours préoccupée du développement de ses petits-enfants, faisait avec eux des lectures intéressantes. Souvent aussi, le jeudi, on s'en allait faire ensemble la promenade traditionnelle des Genevois au Salève. Tous les samedis matin, M. Louis Thomas venait rendre visite à son fils, pour apprendre quel serait le texte de son sermon et discuter avec lui les pensées qu'il se proposait d'exposer le lendemain. Ils n'étaient pas toujours d'accord et le père était souvent épouvanté par les idées d'avant-garde de son fils, mais cela ne l'empêchait pas d'être très fier de lui. Il mourut en 1904, à l'âge de soixante-dix-huit ans. Mme Thomas et Mlle Coulin restèrent à Frontenex avec leur belle-soeur, Mme Auguste Thomas. Ce groupe demeura jusqu'à la fin très vivant, avide de nourriture intellectuelle et spirituelle, malgré la dépendance physique qui fut son partage, car Mlle Coulin fut atteinte de cécité et sa belle-soeur de rhumatismes déformants. La première mourut en 1915 et la seconde en 1916. Leur maison se ferma, mais elle laissa dans le coeur de Frank Thomas et de sa famille d'impérissables souvenirs.

Frank Thomas avait suscité une profonde admiration et une grande affection dans le coeur de sa belle-mère, Mme Poulin, qui mourut en avril 1901. La foi simple de son gendre lui fut en grande bénédiction, à elle dont la nature était plus subtile et raisonneuse que la sienne. Celui-ci était en tournée de conférences lorsque Mme Poulin tomba malade. Elle désirait ardemment le revoir et répétait avec angoisse : « Viendra-t-il bientôt ? J'ai si besoin de lui ». Ce voeu suprême paraissait irréalisable, mais telle était l'ardeur de son désir qu'il la maintint en vie et qu'au grand étonnement de son entourage, elle vécut jusqu'au retour de celui qu'elle considérait comme un fils et il put ainsi l'aider à traverser la vallée de l'ombre de la mort. Elle partit rayonnante de paix et de reconnaissance.

Tout le temps dont il pouvait disposer en dehors de ses occupations professionnelles Frank Thomas le réservait à ses enfants, le samedi, quand cela lui était possible, il leur consacrait sa soirée, il les groupait parfois autour du piano et leur jouait quelque morceau allégorique, tel « L'hirondelle blessée » ou le « Désert », qui les transportait en imagination en Orient. Il faisait aussi des jeux d'esprit avec eux ou leur montrait de belles gravures.

Il commençait chaque journée par son culte personnel qu'il estimait être la pierre angulaire de toute vie spirituelle. N'a-t-il pas dit lui-même : « La première et la plus importante habitude est celle du tête-à-tête quotidien par lequel l'âme seule apprend à connaître intimement et personnellement la volonté divine. Chacune de nos journées doit commencer par un entretien silencieux avec Christ dans lequel l'âme doit écouter tout autant qu'elle doit parler » (2). Quant au culte de famille, il changea bien souvent d'heure dans la journée, mais, malgré tous les obstacles qui surgissaient, jamais il ne fut abandonné. Le personnel y assistait aussi avec joie quand les exigences du travail ne l'en empêchaient pas. Frank Thomas aimait, par-dessus tout, cette institution si délaissée de nos jours. Il en parlait comme suit dans un de ses sermons :

Lorsqu'au matin d'une journée de travail, les membres de la famille se réunissent autour de la Parole sainte pour la lire et la méditer ensemble, tous d'un seul coeur doivent répéter avec supplication : Viens ! Seigneur Jésus ! sanctifier nos joies ! (3)

Toujours préoccupé de ses enfants, il eut l'excellente idée de transformer les promenades qu'il faisait avec eux en occasions de les instruire. Ainsi, l'on s'en allait voir les devantures des magasins et l'on se demandait d'où provenaient les objets qui y figuraient et comment ils avaient été fabriqués. Parfois, le jeudi après-midi, on visitait quelque atelier, quelque manufacture ou usine. Le patron, de qui une permission avait été préalablement sollicitée, se montrait généralement très complaisant et donnait lui-même les explications nécessaires. En voyage, on faisait de même et l'horizon des enfants s'élargissait de tout ce qu'ils voyaient et comprenaient.

Mais ce qui fut peut-être le clou de cette vie de famille, ce furent les séjours de montagne que cette ruche bourdonnante faisait chaque année durant les vacances d'été. À part quelques saisons au bord de la mer, c'était presque toujours dans les Alpes que Frank Thomas conduisait ses enfants. Il serait difficile de citer tous les sites qui attirèrent cette famille passionnée de courses et d'ascensions vertigineuses. Mentionnons cependant quelques noms : Les Mayens de Sion, Zinal, Riffelalp, Grindelwald, Zermatt, Saas-Fee, Saint-Moritz, Chandolin, Murren, etc., etc.

Dans plusieurs de ces stations de montagne, Frank Thomas fut engagé comme prédicateur par la Société évangélique de Genève, et alors, chaque dimanche, il prêchait devant des auditoires composés souvent d'étrangers qui étaient infiniment heureux de l'entendre. Il put faire ainsi beaucoup de bien et noua de précieuses amitiés, car il fut un ami exceptionnel. Qui ne se souvient aussi de ses discours du 1er août ? À Saas-Fée, en particulier, lorsque le temps le permettait il prêchait sous les mélèzes. Sa parole si simple et cependant si puissante s'harmonisait admirablement avec la nature qui l'environnait. Nous avons entendu un savant, qui cependant ne partageait pas les idées de Frank Thomas, parler avec enthousiasme de la beauté et de la solennité de ces cultes en plein air dans le décor magnifique de la haute montagne.

Les ascensions, auxquelles il initia peu à peu ses enfants, constituaient un des plus grands plaisirs de son été, elles le délassaient de ses travaux absorbants du reste de l'année et étaient pour lui une source d'inspiration. Nous nous rappelons l'avoir entendu lancer dans son auditoire des accents d'une intense poésie, souvenirs émus de ses ascensions alpestres. En effet toute la poésie qu'il avait dans l'âme jaillissait de son amour de la nature et des sommets en particulier.
Une de ses catéchumènes qui avait gravi le Fletchorn avec lui rappelle ainsi ses souvenirs :

Le frère du curé de Saas-Fee était notre guide. Les seules paroles que nous échangeâmes durant dix heures de montée furent pour constater que notre guide était abstinent et le remercier de nous avoir offert du thé de sa gourde. J'entends encore le bon rire de mon pasteur résonner dans la solitude : « Et moi qui vous ai apporté du kirsch en cas d'accident ! » Il n'y eut pas d'accident, mais un peu plus haut avant d'atteindre 4000 mètres, nous eûmes vingt minutes de panne sur un rocher, entourés de toute part du brouillard. Le guide se demandait s'il faudrait redescendre mais Frank Thomas, avec son optimisme, lui dit « Attendons encore ». C'eut été navrant de ne pas arriver au sommet. Et les nues s'ouvrirent et descendirent laissant libre l'arête de glace qu'il fallait traverser. Une fois en haut, abrités à cause du froid et du vent contre un rocher, d'où la plaine du Pô et les lacs italiens apparaissaient par instant à travers les nues fuyantes, on sentait les grands souffles mystérieux et puissants des cieux passer sur nous comme des voix et des appels... appels à la vie où l'on n'obéit plus qu'à Dieu.

Voici quelques passages extraits des discours de Frank Thomas qui montrent les symboles spirituels qu'il savait trouver dans le spectacle de la nature.

... Vous gravissiez une montagne, vous alliez de ravissement en ravissement à mesure que vous montiez, vous aviez sous les yeux le plus grandiose des spectacles, les Alpes avec leurs glaces étincelantes, les mille sommets qui s'élancent vers le ciel et tout en bas la plaine avec ses rivières, ses forêts, ses coteaux, ses villages... Pourquoi subitement avez-vous été pris d'une tristesse poignante ? Ah ! c'est que vous veniez de penser aux souffrances innombrables qui tourmentent depuis longtemps, qui tourmentent à cette heure même ces hommes que vous devinez répandus partout dans cette nature enchanteresse. De haut, de loin, ce que l'on voit là-bas dans la plaine est enchanteur ; lorsqu'on le regarde de près, les illusions tombent, le charme s'évanouit. (4)

Qui de nous, parcourant nos montagnes, n'a pas vu, perdus au milieu des rochers et des pierres, des petits lacs sans apparence qui ressemblaient plus à des mares qu'à des lacs. Mais voici que le soir venu, sous les rayons dorés du soleil couchant, ils sont tout à coup devenus beaux, si beaux même que nous ne les reconnaissions pas. La lumière d'en haut les avait métamorphosés. Telle la pauvre humanité perdue sur notre planète, profondément déchue par le péché, est transfigurée aux regards de la foi rayonnante de charité. (5)

La joie me fait l'effet de l'une de ces sources de montagne fraîches et limpides qui ne tarissent jamais quelles que soient les ardeurs du soleil, parce qu'elles jaillissent du rocher même, leur solide protecteur. Ou, pour suivre la comparaison, c'est cette même source, devenue ruisseau, qui gazouille gaiement dans la forêt ou à travers la prairie sans se laisser arrêter par rien, murmurant gentiment sa petite chanson sans s'inquiéter de l'orage qui gronde ou du soleil qui brûle. C'est le contentement intérieur, la sérénité du coeur, la paix de l'âme qui rayonnent tout autour d'elle, parce qu'elle se sait aimée de Dieu d'un amour infini, réconciliée avec Lui par Jésus-Christ, n'ayant par conséquent plus rien à craindre ni pour le passé, ni pour le présent, ni pour l'avenir, puisque tous trois sont réglés, ayant été remis entièrement entre les mains du Dieu d'amour. (6)

... En effet ce n'est pas la tempête de l'hiver qui ressuscite la nature, elle ne fait que retarder le printemps, on dirait vraiment que tout ce qui vit sur la terre se cache, se contracte et résiste quand le vent de tempête fait rage. Mais quand, en mars ou en avril, le vent s'adoucit, quand il n'est plus qu'une haleine chaude et parfumée, alors plus rien ne résiste, les oiseaux sortent de leurs cachettes et se mettent à chanter, les arbres se couvrent de feuilles, les prairies deviennent des parterres de fleurs, c'est la vie qui renaît, c'est la fête du printemps qui recommence. La douceur a triomphé sans peine là où la violence avait échoué. (7)

L'océan qui fait entendre sa grande voix, le ruisseau qui murmure sa monotone chanson, la fleur qui répand son parfum, l'oiseau qui remplit les grands bois de ses concerts, tous glorifient à leur manière le Dieu de l'univers. Mais l'être conscient qui glorifie son Créateur dans la liberté et dans l'amour contribue autrement plus à sa gloire. (8)


Table des matières


1 Ce chalet a été acheté par M. Albert Picot, conseiller d'État.

2 Bonne Nouvelle, octobre 1899, p. 90.

3 Bonne Nouvelle, t. I p. 381.

4 Questions vitales, t. I, p. 142-143.

5 En route vers la foi, p. 274-275.

6 Bonne Nouvelle, 19 octobre 1902, p. 233-234.

7 Les Heureux, p. 72.

8 En route vers la Foi, p. 312.

 

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