Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Sur le Roc



UNE ESCAPADE

 L'oncle Alexandre descend à Glapin, un bourg de la plaine.
- Petite, si tu veux voir un peu le monde constater comment les Glapinards paient leurs tailles, je te prendrai en croupe sur mon cheval blanc.

Si je souhaite visiter le monde ! Jamais je n'ai vu cette vallée qui s'étend, paraît-il, au pied de nos montagnes.

Nous partons à l'aube du chien qui précède d'une heure celle des hommes. J'aime le pas du cheval, le bruit que font les sacoches ballottées. À califourchon derrière votre dos, comme je me cramponne à vous, oncle-grand ! Comme je suis fière et reconnaissante de votre protection ! Avez-vous senti mes lèvres se poser sur le drap de votre redingote marron ?

L'aurore s'éteint, le soleil s'allume. Tout s'anime, tout rit. La maison de Dieu ne peut être plus belle ! Gravement, nous allons parmi cette gloire.
... Nous croisons des gens qui vont au travail, bruns comme des écorces sèches.
- Moussu loti perceptur !
- Bonjour, mes amis !

Les voix sont vives comme la Byaisse qui file entre les mélèzes, mais ne roule pourtant pas plus vivement son flot que mon coeur sa joie.
- Tiens-toi bien !

Voici les pentes malaisées, la route suspendue au-dessus des précipices. Nous descendons parmi des pierriers qu'azure la lavande. À chaque tournant du chemin la plaine s'éveille avec sa Durance dont les colères ont semé partout blocs gris et gravier bleu. Quand on passe sur le pont de bois, elle vous appelle, cette Durance, de tout l'élan de ses eaux où branches et troncs dansent au gré des tourbillons.

Alors vient la plaine, brûlante, plate, viennent les grosses mouches, la poussière, la lumière aplatie sur les choses, les arbres immenses où brillent les fruits. Les gens ne saluent plus. Cela me blesse pour l'oncle. Enfin le bourg bruissant de l'animation de sa foire. Vu de loin, c'est gai tous ces chapeaux qui se déplacent au milieu des ânes, des chèvres et des vaches, toutes ces échoppes couvertes d'un toit de toile bleue, tout ce coin rose où grognent les cochons.

Le cheval s'arrête devant une auberge dont l'hôtesse, Madame Saglun - à chaque instant quelqu'un crie son nom - nous accueille avec beaucoup de paroles. Il semble qu'elle me connaisse depuis toujours. Elle m'appelle mignonnette et je me laisse faire.

L'oncle s'installe dans la chambre où défileront tout à l'heure ceux qui doivent remplir les sacoches de l'Etat... Sur la porte, une affiche - Monsieur le Percepteur des contributions reçoit ici jusqu'à six heures. Madame Saglun me conduit dans la salle où grouille une foule. On boit, on discute, on crie. Ça sent le vin rouge, la fumée, la laine de brebis. Est-ce que ces gens vont se battre ? Il y en a tout un groupe, nez contre nez, le verre en main. Le plus excité proclame : « Ma femme à qui la voudra... Je ne demande qu'à en prendre une autre ! »

Ils disent des drôles de choses, ces gens de la plaine ! Je me serre contre Madame Saglun. Elle me rassure :
- Ce n'est rien ! Ceux-là ont l'esprit un peu perdu.

Je regarde par terre pour voir s'il n'y aurait pas moyen de le retrouver, cet esprit. Puis l'hôtesse m'emmène dans son magasin, car elle tient gargote et boutique. Je n'ai jamais vu autant de pains de sucre, de pelotons de ficelle, de bocaux emplis de bonbons multicolores et cent choses dont j'ignore les noms. Quand un client achète, Madame Saglun rit tout le temps. Quand elle glisse les pièces d'argent dans le trou d'une boîte, elle rit encore. Comme on la salue, avant de quitter la boutique ! Cette popularité m'offusque. Elle fait tort à l'oncle-grand qui seul la mérite. Cependant la verve de Madame Saglun me remplit d'admiration. Ces gens de la plaine sont des gaillards ! Ils savent s'habiller, ils savent gesticuler, ils savent répondre !

La porte de la chambre où siège l'oncle s'ouvre brusquement. On entend une voix qui crie :
- Le gouvernement n'a d'argent que pour les fainéants !
- Voulez-vous répéter çà !

La porte s'est refermée. Je demande alors à Madame Saglun pourquoi quelques-uns de ces gens parlent si fort.
-- Demandez au vin de Remollon. Le diable est dans les bouteilles !

Moi qui croyais le diable en enfer !... J'accompagne Madame Saglun dans la petite salle où elle dresse la table pour l'oncle. Comme lui, j'ai deux assiettes et une serviette en tour de cathédrale. Quelle fierté ! Sur la place, la foule va, vient, vend, achète, roule sans cesse devant les échoppes où l'on offre de quoi faire rêver un enfant de vallon. C'est beau, la plaine ! J'y reviendrai.

Enfin voici l'oncle.
- Il y en a des fortes têtes, par ici, Madame Saglun !
- Que voulez-vous ! Les hommes sont les hommes ! Toujours à discuter. Sur quatre, il y a trois voleurs. Le, quatrième vaut tout juste. Et c'est partout comme ça, partout.
- Vous y allez tout de même un peu fort.
- Ah vaï ! Je respecte chacun. Je n'en pense pas moins !

Qu'est-ce que cela signifie ? Je ne comprends pas. Tant pis ! Ce repas, si bien servi, ces physionomies nouvelles, cette vivacité des gens me remplissent d'aise... L'après-midi, le souper passent comme une mouche dans un rayon de soleil : un point brillant, la voilà disparue.

Trop tôt le cheval est sellé, sacoches et registres mis en place. Il faut quitter la rumeur plaisante, les treilles, les échoppes, le haut clocher de pierre, les gestes sémillants de Madame Saglun. Sur la route la jument s'avance, dominant de la tête les bourricots rentrant de la foire. Pitié pour veaux et cochons sur lesquels s'abattent les coups ! Dans une chaleur moite, mouches et fouets s'acharnent. Alors je ne sais plus que penser de la plaine.
Dès que la cavale a franchi le pont sur la Durance, gravi la première pente, cette journée appartient au rêve. Quel relief la lune donne à notre forteresse retrouvée ! On entend rouler des pierres.

- La montagne nous souhaite la bienvenue !
- Oncle-grand, Madame Saglun dit que le diable est dans les bouteilles. C'est vrai ?
- Il est, petite, dans les bouteilles et dans les hommes.
- C'est vrai qu'il y a des voleurs partout ?
- Partout !
- Pourtant, ceux qui descendent des anciens, ils ne peuvent pas être voleurs ?
- Les anciens ne tiennent pas lieu de conscience. Chacun doit devenir un ancien à son tour.

Après ce que je viens de voir et d'entendre dans la plaine, les choses me paraissent difficiles à comprendre. Bercée par le pas paisible du cheval blanc, les bras serrés autour de la taille de l'oncle-grand, je m'endors.
Des voix me réveillent en sursaut. Les voleurs !
Je regarde autour de moi, vite rassurée. Mais qu'elles me semblent simplettes, dans leur solitude, les demeures de la montagne ! Sur la galerie une main élève le lume tandis que les chiens du village aboient en notre honneur. Mon père me prend dans ses bras :
- Ah ! petite, tu t'en es payé de la paresse !

La jument plonge son museau dans le clair de lune de la fontaine. L'oncle la caresse. De ses naseaux ruisselants d'argent elle hennit un bonsoir. Et ma mère accourt :
- Que je me réjouis de vous entendre conter votre escapade !

Jaloux, Xandrou clame aux échos :
- La prochaine fois, ça sera moi !

Avant de toucher au de toucher au café au lait qui nous attend, l'oncle-grand note dans le livre où jour après jour il inscrit ses déplacements et ses dépenses :
« En ce jour du sept août suis été, accompagné par ma petite-nièce Marie-Julie, à Glapin, pour la recette. Pour deux repas doubles chez Madame Saglun, ai déboursé 5 fr. 20. Fourrage, avoine et logement de ma monture : 1 fr. 60. Deux courroyes pour mon porte-manteau 1 fr. 35. Nous disons donc : frais de bouche 5 fr. 20, divers 2 fr. 95, soit un total de 8 fr. 15. Pas d'incident à signaler. Retour au clair de lune. »



CHANTELOUBE

Septembre offre chaque jour une récolte. Sur la galerie sèchent par tas lentilles, fèves et haricots. On n'en a jamais fini de frapper du talon et du bâton sur les sacs gonflés de gousses. Couverts d'une vigoureuse clarté, les plus rapiécés rentrent les mains pleines des vergers étoilés de pommes rouges. Pleut-il, par hasard ? Dès que les nuages ont fui, les cimes se montrent coiffées d'un bonnet blanc. Au lieu de garder leurs chèvres, les petits bergers cueillent la noisette ; perdus dans les taillis ils exhortent leurs chiens à la vigilance par de vigoureux aouaû ! aouaû ! qui courent dans toute la vallée.

Octobre venant à son tour, il faut dépouiller les chenevières, rouir le chanvre, le livrer à la bragoneuse qui en arrache les fibres. Tous les hommes bragonnent, l'écho bragonne jusqu'à ce qu'apparaisse le fil roux qui s'enroulera, cet hiver, autour des quenouilles des tantounes.

Enfin, la fête des vendanges ! Chanteloube Ce nom sonne comme une musique. Chanteloube C'est là-bas, au delà du vallon, sur les pentes rocheuses qui dominent la Durance. Par quel miracle a-t-on pu acclimater des souches dans ces rocailles ? Comme dit mon père : « Le Seigneur y a mis du sien ! » Les grappes de Chanteloube donnent un petit vin rose, frais, piquant, « gracieux à voir comme à boire ». Dans les années où l'été vient tard, ce vin n'est guère que du verjus qu'on avale en grimaçant. Qu'importe, si c'est du vin de Chanteloube !
On a lavé paniers et cuves. Mon père est allé là-bas. Alors il a dit : C'est pour demain !

On m'éveille au coeur de la nuit, on m'assoit sur une ânesse, entre deux bennes, et l'on va par les chemins où tintent les cailloux, on glisse parmi les étoiles, on longe des trous d'ombre au fond desquels l'eau bouillonne, on se balance, rêvant, jusqu'au moment où le soleil, posé sur une haute roche pour mieux sauter dans le ciel, vous frappe de ses flèches. Chanteloube ! qui trempe tes pieds de granit dans la Durance, qui donne tes grappes aux habitants du val, on marche à ta rencontre comme les Israélites vers la Terre promise !

Sitôt arrivé, on se glisse entre les ceps rampants avant de les dépouiller, on caresse du regard les grains translucides, on les flatte de la main... Travailla ! Suspendu dans l'air bleu, dans la douceur de l'automne où la Durance tend son ruban pâle, on remplit les paniers, on remplit les bennes sur lesquelles Isaïe se penche, armé d'un pilon qui écrase les grappes saignantes. Une odeur sucrée. vous monte à la tête et l'on chante jusqu'à ce que le dernier cep soit nu.

Mon coeur est jaloux quand à, vous je pense,
Mon coeur est jaloux de penser à vous.
De penser à vous toujours je m'ennuie,
De penser à vous je m'ennuie partout...

Et c'est le retour dans la nuit. Sur le fil de leurs pattes, mules et ânes balancent les bennes pleines ; comme ce matin leurs sabots font tinter les pierres, leurs oreilles chatouillent les étoiles.

Fermant le cortège, mon père et l'oncle Étienne, une silhouette trapue, opiniâtre, à côté d'une silhouette contournée. Ils portent chacun un panier plein de grappes choisies que ma mère suspendra aux solives pour conserver jusqu'à la Noël la couleur et le goût de l'été. Songeant à l'hiver qui vient, mon père dit à son frère :
- La vendange est le testament du soleil !

Elle donne à l'homme le courage d'aller jusqu'au printemps. Si le vin noie le fou, il conseille le sage. Ah ! la bello vendegnio et lou bouon vïn ! Étienne, sors ta flûte, joue un air à la gloire de Chanteloube !

Inspiré par le parfum des grappes écrasées, l'oncle Étienne joue un petit air guilleret dont la rivière fait la basse, dont ânes et mulets piaffants marquent la mesure, un petit air pointu qui saute aux étoiles et dit constamment : Chanteloube ! Chanteloube !


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