Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Sur le Roc



LA COUCOULE

 Le vin mis en tonneau, il faut songer à gauler les noix. Tout le long du gros ruisseau s'alignent les arbres ronds plantés par les aïeux. Les noix tombées roulent de galet en galet jusqu'à l'eau qui s'en amuse et les mène doucement à la Byaisse qui, elle, ne rend jamais rien à personne. Mon père dit volontiers : « Qui veut de l'huile douce, attend que la noix soit rousse. » On ne brandit donc la gaule que le plus tard possible. En attendant, pour s'emparer des larcins du torrent, mon père établit un barrage derrière lequel se forme un petit lac où les noix en mal de voyage s'entassent jusqu'à ce qu'on vienne les ramasser.
Or, depuis quelques jours, on a beau l'explorer, ce lac, on n'y trouve que des coquilles d'escargot. C'est encore un tour de la Coucoule qui aime à rôder la nuit, un linge autour de sa lanterne !

Fille de Bohémiens, longtemps promenée en Provence dans une roulotte où l'on vivait de poules et de lapins volés, cette Coucoule épousa sur le tard un vieux qui la rossa, puis l'abandonna sur les chemins. Venue dans le val, certain printemps, avec la moutona, elle ne le quitta plus, terrée dans une masure sans fenêtres, commençant à vivre à l'heure où voltigent les chauves-souris, attrapant ici un choux, déterrant là quelques pommes de terre ; toujours un bâton à la main, une besace au côté, toujours marmottant des paroles, gesticulant au milieu de ses guenilles, secouant sa tête de musaraigne où l'on ne voit que les yeux qui brillent, que le nez qui flaire. La Coucoule !

Un soir, le père nous dit :
- Demain matin, petits, je vous réveille avant le jour. Nous, nous avons à chercher du bois. Vous, vous irez jusqu'au barrage du ruisseau ramasser les noix avant que la Coucoule sorte de sa tanière. Si vous la rencontrez, cette margrière, menacez-la du gendarme !
- Nous aurons peur !
- Peur de qui ? peur de quoi ? Qui fait le bien n'a peur de rien !

Le lendemain, intimidés par la nuit, secouant une lanterne, nous nous glissons vers le barrage. Nos pas retentissent, car nous voulons semer la panique dans le coeur de la Coucoule. La pensée que nous pourrions nous trouver soudain devant ce paquet de guenilles, entendre la voix acide, sentir peut-être l'attouchement de ces doigts maigres aux ongles noirs, nous donne le frisson. Pour me réconforter, imitant la voix paternelle, je dis :
- Qui fait le bien, n'a peur de rien !
- Crois-tu qu'elle y voie la nuit, comme les chats ? demande Xandrou.
- Bien sûr que non !
- Isaïe le raconte. Et que, quand passe la moutona, elle attrape une brebis, l'écorche et se goberge... Qu'elle trait les chèvres derrière les buissons...
- Bast ! On la menacera du gendarme !

Ce mot de gendarme me rend tout mon courage. Nous voici bientôt accroupis sur le bord du barrage. Sous le rayon de la lanterne, l'eau miroite... Une noix, deux noix. C'est tout. Pourtant, le vent a soufflé.
- Regarde

J'approche la lanterne, je tâte avec une main et je comprends ! Les pierres du barrage laissaient filtrer l'eau doucement. Mais enlever une de ces pierres, c'est créer comme un goulot par où l'eau se précipite. Et si l'on assied un panier en dessous de la cascatelle, les noix s'y prennent comme les truites dans une nasse. Il y en a là des centaines ! Déjà, avide, je me penche, quand monte, à dix pas, le cri de la chouette.
- La Coucoule !
- Coucoule ou chouette, je n'ai pas peur.

Et je crie :
- Chouette, on va te prendre et te clouer contre une porte de grange !

Les buissons frémissent ; une lanterne allume son oeil ; des guenilles s'approchent. Alors nous entendons une voix, non pas acide, mais ronde et bonne :
- Que fasé aqui, mes enfants ? La Coucoule vous salue !

Moi, j'attaque :
- Las nouses souii pas vouostros, soun nuostros ! Scia uno vouluso !

La Coucoule est tout près de nous. Dans ma main, je sens trembler la main de Xandrou. Mais tel est le regard de la vieille - Isaïe avait raison ! son oeil brille comme celui du chat - qu'il nous tient, nous possède. Un rire rouillé secoue les guenilles.
- Las nouses soun vouostros et pas mios ? Et lou bouon Diou, à qui es ? A tout lou mounde ! Ço qu'a fatz es à tout lou mounde et lou voulur es aquel que vouor tout per el. Voilà, ma belle !
- On le dira au gendarme !
- Lou dzïndarmo ? Lou dzïndarmo me pouo ren ! Je sais les paroles qui font périr les gendarmes dans les trois jours... Je sais les breuvages qui donnent le languisson aux plus forts ... Combien se prélassent dans les cimetières qui ont voulu me nuire ! Ah ! j'en sais des choses !... La nuit me raconte ses secrets ; je connais toutes les routes, toutes les plantes, toutes les drogues, toutes les bêtes, tous les fruits... Je sais parler aux astres... Je sais l'heure où chacun mourra... Oh ! n'en sabou de tzaousos et de tzaousos et encoro de tzaousos !... Tendez vos menottes, mes papillons, que je dise aises et malheurances de vos années. Zou !

Comment désobéir à qui fait périr un gendarme dans les trois jours ? Contraint par la force étrange qui sort des yeux de la sorcière, Xandrou offre sa petite main sur laquelle se pose la lueur des lanternes rapprochées.
- Vaï ! vaï ! vaï !... Que d'ardzent !... En faré virar la testo à de fillos !... Ici une malheurance, mais si vite emportée. Oh ! comme il sera heureux !... Et toi, petitoune ... Tu habiteras une grande, grande, grande ville ... Tu épouseras un beau blond... Oh ! la bello vito, si bello que vooue empourtar las nouses que lou bouon Diou m'a donnass. Adiou, mous papillouns !

Incroyablement agile, la Coucoule attrape le panier, souffle sa lanterne et disparaît, nous laissant sur place avec les promesses d'ardzent et de bonheur. Étourdis, entourés du vol des feuilles emportées par le vent du premier matin, nous regagnons la maison. Mon père attelle la mule.
- Un panier vide ? Avez-vous vu la Coucoule ?
- Je l'ai menacée du gendarme. Elle a répondu qu'elle le ferait périr en trois jours.
- Elle a dit ça, la coquine ?... Après tout, elle en serait bien capable. Pour une margrière, c'est une margrière, avec cent tours dans son sac. Tant pis ! on abattra les noix plus tôt. Quant à vous, mes enfants, vous êtes des nigauds !

Des nigauds ? Pour me consoler, je regarde les lignes de mes mains où la Coucoule vit de si belles choses.



LE PAIN DE LA MAISON

Les arbres ont mis en rond, autour d'eux, leur manteau d'été. Les pas, sur les routes, sonnent plus clair. Au fond du bois, scies et haches font leur musique. Secouant ses tamburles, enrichie des agneaux de la saison, la moutona regagne la Provence.
Demain, nos deux cochons marcheront au supplice. Les huches à lentilles narguent l'hiver, sans doute, mais il faut encore du pain que l'on cuit pour l'année entière, que l'on coupera à la hache et mettra tremper dans le lait quand il sera dur comme la pierre.

Descendues des Fazys, les tantounes cachent sous des serviettes une chose mystérieuse qu'on appelle levain. Dans l'écurie jonchée de paille fraîche, traversée d'une barrière qui limite les gambades des bestiaux, on installe deux arches à lourd couvercle ; puis l'on obstrue de terre glaise les fissures du four dont on voit, au bas du jardin potager, le toit rond couvert d'ardoises épaisses comme des planches. Encore un effort pour ouvrir la porte rouillée de ce four ! Maintenant qu'onentasse le bois de mélèze sur la dalle, qu'on écoute avec respect le galop des flammes que la poix fondante anime de ses détonations !

Avec quelle tendresse mon père caresse la farine qu'Isaïe verse à pleins sacs dans les huches ! C'est la peine d'une année que l'on touche, que l'on pèse. Penchée sur le pétrin, ma mère verse l'eau ; les tantounes ajoutent le levain à la pâte que mon père et Isaïe, manches relevées, ahanant à qui mieux mieux comme s'ils soulevaient le monde, fatiguent dans la tiédeur des brebis attentives. Quand on se repose, on plaisante, car il faut que le pain soit joyeux. Et Xandrou guigne sous les linges qui recouvrent les « berceaux de nourriture ».
- Tantounes, ça monte, ça monte !

Les bras nus disparaissent dans la masse souple de la pâte, en arrachent des morceaux vivement roulés sur une planche saupoudrée de son. Amusés par ce jeu, les agneaux dansent comme de petits fous.

Déjà, les hommes ont balayé le four, jeté au torrent les braises qui meurent en sifflant. Sur la dalle rose de chaleur, sous la voûte blanche, les boules sont alignées et la porte claque, tandis que se répand une odeur nourrissante que renifle la Coucoule, que flaire Jean Pierrasse dont le goitre se balance autour du four. Entre les derniers choux du jardin, voici le défilé des beaux pains roux.
- Pierrasse, à toi celui-là... Et cet autre à Siméon, cet autre à Ignace. Quant à la Coucoule, les noix lui suffisent !

Il en faut des allées, des venues, entre la maison et le four, avant que soit faite pour toute une maisonnée la provision de pain : pain de travail, seigle et froment mélangés, pain de fête, dit tozelle, de pur froment ; enfin, pour que rien ne se perde, avec la « gratte » du fond des pétrins, le « pain de chien ». Saluant la moisson menée à son terme, des étoiles filantes dessinent au ciel leurs épis de lumière... Encore un voyage de la maison au four pour utiliser la chaleur mourante, on cuit les pougnes, gâteaux aux noix ou aux pommes que nous savourons, couchés dans la paille fraîche, près du souffle des brebis.
Cela dure trois jours. On pétrit, on fabrique les boules de pâte, on les enfourne. Enfin, quand tous les pains sont alignés à la cuisine, on les frappe d'un doigt, l'un après l'autre.
- Voilà, dit l'oncle Étienne, le parfum de notre terre, la nourriture des vaillants !... Moi paresseux, suis-je digne de me nourrir du travail des autres ?

Mon père proteste.
- Toi, tu sèmes à l'école. Pour être moins visible, ta moisson n'en est que plus précieuse.

Alors, ayant garni les échelons des « arbres à pain », on savoure cette heure de plénitude où l'été offre sa récolte à l'hiver.
Bon enfant, le soleil a permis qu'on vole les fruits de ses rayons. Les citrouilles se pavanent sur la galerie, les pommes sont dans les grandes corbeilles et la cuisine s'égaie, car l'on accroche aux clous guirlandes d'oignons et bouquets d'aromate. Que de parfums !

Devant tant de richesse, maman se réjouit :
- Nous aurons de quoi donner un peu d'esprit à nos soupes ! Quant au pain, c'est une bénédiction.


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