Voix Chrétiennes dans la
Tourmente
LE DÉCOURAGEMENT
D'ÉLIE
Pasteur G. VIDAL
24 Octobre 1943
LECTURES BIBLIQUES
Achab apprit à
Jézabel tout ce qu'avait fait Elie, et
comment il avait fait périr par
l'épée tous les prophètes de
Baal. Jézabel envoya un messager à
Elie pour lui dire : « Que les dieux
me traitent avec la rigueur la plus extrême
si demain, à pareille heure, je n'ai pas
fait de ta vie ce que tu as fait de la
leur ! »
Saisi de crainte, Elie se leva et partit
pour sauver sa vie. Arrivé à
Béer-Séba, en Juda, il y laissa son
serviteur. Quant à lui, il fit dans le
désert une journée de chemin ;
puis il alla s'asseoir sous un genêt, et il
demanda la mort en disant : « C'en
est assez, O Éternel ! Reprends mon
âme, car je ne vaux pas mieux que mes
pères. »
Ensuite il se coucha et s'endormit sous le
genêt. Et voici qu'un ange le toucha et lui
dit : « Lève-toi,
mange ! » Il regarda et vit à
soit chevet un gâteau cuit sur la braise et
une cruche d'eau. Il mangea, il but, puis, il se
recoucha. L'ange de l'Éternel vint une
seconde fois, le toucha et lui dit :
« Lève-toi, mange, car le chemin
est trop long pour toi. » Il se leva
donc, il mangea et il but. Puis, avec la force que
lui donna ce repas, il marcha pendant quarante
jours et quarante nuits, jusqu'au mont Horeb, la
montagne de Dieu. Là, il entra dans une
caverne, où il passa la nuit.
I ROIS, CH. XIX, V. 1 A 9.
Un jour, Jésus entra dans une barque
avec ses disciples, et il leur dit :
« Passons de l'autre côté du
lac. » Et ils partirent. Pendant qu'ils
voguaient, Jésus s'endormit. Un tourbillon
de vent s'abattit sur le lac ; la barque se
remplissait d'eau et ils étaient en danger.
Alors ils allèrent à lui, et le
réveillèrent en lui disant :
« Maître, Maître, nous
périssons ! » Mais lui,
s'étant réveillé, imposa
silence au vent et aux flots, qui
s'apaisèrent, et il se fit un grand calme.
Jésus dit alors aux disciples :
« Où est votre
foi ? » Et, saisis de crainte et
d'admiration, ils se disaient entre eux :
« Quel est donc celui-ci ? Il
commande même aux vents et aux flots, et ils
lui obéissent ! »
ÉVANGILE SELON SAINT LUC, CH.
VIII, V. 22 A 25.
-
-
C'est
assez ! maintenant Éternel prends
mon âme, car je ne suis pas meilleur que
mes pères.
-
I.
Rois, XIX, 4.
Courage, mes Frères !
courage !
Nous voudrions, ce matin, faire retentir
cette exhortation dans vos coeurs sur qui,
peut-être, aujourd'hui, pèse plus
lourdement la lassitude. La sentinelle dans la
nuit, celui qui veille au chevet du malade
connaissent bien cette fatigue, plus
déprimante, qui s'appesantit sur eux aux
approches de l'aurore et les laisse accablés
et frissonnants, au moment même où il
faudrait redoubler de vigilance ; car c'est
l'heure où l'ennemi met à profit les
défaillances, l'heure où le mourant,
épuisé, cesse de résister aux
appels de la mort.
Pour le prophète aussi l'aube
était proche, et la cime sacrée de
l'Horeb, bientôt, devait s'illuminer, dans la
gloire d'un matin nouveau. Mais il ne le savait
pas, et nous le voyons ici, dans son accablement,
succomber sous sa charge et se coucher à
terre, comme une pauvre bête fourbue.
Pourtant, à l'appel d'une voix
mystérieuse, le voici redressé !
Et le vaincu reprend sa marche, dans le
désert, pour monter sur les sommets
où, dans l'éblouissement d'une sainte
révélation, il trouvera la force de
retourner vers les hommes pour de nouveaux
combats.
À l'aide de ce grand exemple,
cherchons ensemble, ce matin, comment se perd et
comment se prend ou se reprend le courage, cette
force intérieure qui nous est plus que
jamais indispensable dans le drame de la vie
présente !
On comprend que le brave, en certaines
circonstances et à certaines heures, puisse
agir comme un lâche, car la bravoure
est dans le sang ;
elle
tient au tempérament ; elle se
manifeste sous l'impulsion de l'exemple et le choc
des événements, dans l'aveuglement du
danger et la fureur du combat ; elle est
instinctive, involontaire et d'autant plus
impétueuse qu'elle est moins
réfléchie. Aussi, lorsqu'elle n'est
plus soutenue par l'ardeur du sang et portée
par les circonstances, peut-on voir le même
homme qui s'est imposé à l'admiration
de ses semblables par ses actions d'éclat,
trembler, dans la vie ordinaire, devant quelque
danger imaginaire, se dérober au devoir
quotidien et tomber, parfois, dans le vice et dans
le crime.
Mais le courage, lui, tient à
l'âme et spécialement au coeur
où il prend sa source ; il se manifeste
comme une ardeur ferme et constante, soutenue,
rythmée par les battements de ce
coeur ; il s'exerce dans toutes les
circonstances et dans tous les domaines et ne
s'éteint que lorsque le coeur cesse de
battre. Et pourtant le courage se perd. C'est que
le coeur, hélas ! parfois fonctionne au
ralenti, c'est que le coeur même des vivants,
celui dont les pulsations animent notre vie morale
et spirituelle, souvent cesse de battre et n'est
plus qu'un coeur inerte.
Il y a d'abord, des causes
extérieures de ce découragement dont
il ne faut pas méconnaître
l'importance et le pouvoir. Voici un homme, le
prophète Elie, qui a consacré toute
sa vie au salut de son peuple. Il l'aime ce peuple
d'un ardent amour et, pour le redresser, il a fait
preuve et fera preuve encore d'un courage qui nous
confond. Mais Israël n'est plus Israël.
Sans doute n'est-il pas encore un peuple asservi,
vaincu et occupé ; son roi, Achab, est
un de ses enfants. Toutefois si, politiquement, la
nation échappe encore au joug de
l'étranger, moralement elle est sous sa
domination. Le roi n'est plus qu'un jouet entre des
mains étrangères. Il s'est
séparé de son peuple ; il a
renié son idéal ; bien plus,
sous l'influence de la perfide Jézabel, il
impose à ce peuple une conception de la vie
qui n'est pas la sienne et pervertit son âme,
en accueillant les idolâtries en honneur chez
ses puissants voisins, et en exigeant de ses sujets
qu'ils se conforment aux pratiques de leur culte
brutal.
Sans doute, il y a, dans ce peuple, une
élite « qui n'a pas
fléchi les genoux devant
Baal et dont la bouche ne l'a point
baisé », et les chefs spirituels
de cette élite - sinon ses prêtres,
déjà asservis, du moins ses
prophètes et ceux qui ont à coeur de
servir vraiment leur pays et de sauver son
âme - se sont levés pour faire
entendre leur protestation. Mais Achab a poursuivi
ces révoltés, les a fait mettre
à mort ou jeter dans des prisons,
aiguillonné par Jézabel,
l'étrangère, qui sait, au besoin,
parer aux défaillances de son trop faible
époux, en prenant elle-même la
direction de ces tristes opérations
policières. Et parmi ces prophètes,
un jour, Elie s'est trouvé seul.
Voilà donc un homme qui assiste à la
démoralisation de son peuple, à la
corruption de son âme, voulue,
préméditée, poursuivie avec
une sorte de fureur et de joie satanique, et dont
tous les efforts, pour empêcher ce crime,
sont restés vains. Il y a bien là de
quoi décourager les plus vaillants. Et
voici, maintenant, ce même homme
traqué, à son tour, contraint de
prendre le désert pour sauver sa vie, lui
qu'en d'autres temps le peuple fidèle
eût écouté et suivi comme son
chef. Aujourd'hui, ce sont les chefs mêmes de
ce peuple asservi qui font de lui un
réprouvé. Et le prophète,
épuisé par cette lutte constante,
harassé de fatigue, après la longue
marche, affaibli par les privations, se tourne vers
son Dieu et demande la mort :
« C'est assez ! maintenant prends
mon âme, car je ne suis pas meilleur que mes
pères. »
Quels rapprochements ! Nous la
connaissons bien cette fatigue qui pèse sur
nous du dehors, et sous laquelle le patriote,
l'homme de Dieu lui-même, faiblissent et
chancellent. Elle vient de la longueur de la route,
de ses embûches, de ses dangers ; elle
vient des circonstances, du spectacle du monde, et
de celui de notre peuple, des menaces suspendues
sur ceux que nous aimons, des épreuves qui
déjà les ont frappés. Que de
fois le soupir du prophète, de nos coeurs,
est monté vers Dieu :
« Maintenant c'est
assez ! » Il est vrai que la nuit
est avancée et que le jour est proche, mais,
précisément, l'épuisement qui
vient des longues heures de veille, dans l'angoisse
des ténèbres, nous laisse plus
désarmés et plus faibles. Nous sommes
las de veiller, las de porter ce fardeau de
misère qui écrase le monde et ce
fardeau de souffrances et d'iniquités qui
courbe notre
peuple ; nous
sommes las de supporter et de subir l'oppression,
las d'écouter et de lire, dans un monde
où la parole et l'écriture semblent
n'avoir été données à
l'homme que pour servir la haine et le
mensonge ; nous sommes las de porter ce poids
d'angoisses que font peser sur nos coeurs les
menaces mystérieuses qui rôdent autour
de nous, la longue patience des camps et des
prisons, la vie en alerte de notre jeunesse, la
tragique attente des condamnés ! Nous
sommes las d'attendre et las, peut-être,
d'espérer !
Lassitude, fatigue, oui ! mais cette
lassitude, provoquée par des causes
extérieures, n'est pas encore le
découragement, car le courage est
intérieur et, si les circonstances, les
événements, du dehors peuvent agir
sur lui et contribuer à l'affaiblir, sa
perte ne peut venir que d'une cause
intérieure et plus profonde : d'un
tarissement de sa source. L'âme
découragée est semblable à la
plante flétrie par la sécheresse,
mais l'arbre planté près d'un courant
d'eau - nous dit le psalmiste - demeure toujours
vert. Il se peut qu'à travers les
étés torrides, son feuillage vienne
à perdre sa fraîcheur et son
éclat, mais il y a, au coeur de cet arbre,
une vertu qui, l'épreuve passée, lui
permet de retrouver sa verdeur. La source du
courage est dans le coeur. Aussi longtemps qu'il
garde sa vigueur, même s'il donne des signes
extérieurs de découragement, à
l'heure où surviennent les tempêtes de
la vie et les jours de sécheresse, il suffit
d'un peu de repos pour que revienne sa force ;
ainsi les feuilles de l'arbre puissant qui
s'inclinent, abattues par l'ardeur des midis, se
redressent à la fraîcheur du soir.
Mais, quand les racines ne trouvent plus l'eau
vive, alors la sève s'arrête et la
plante incline sa tige découragée,
bientôt elle n'a plus en elle-même la
force qui assure la remontée de la vie. Et
quand elle se fane et se dessèche jusqu'au
coeur, alors le retour de la fraîcheur et de
la pluie, qui devait là relever, ne peut
plus que la pourrir. Prenons garde aussi que le
retour des jours heureux, s'il survient dans un
monde découragé, ne puisse plus que
précipiter sa
décomposition !
Voilà le danger et la cause profonde
du découragement !
Un coeur découragé. Quelle
contradiction ! c'est un coeur qui n'est plus
un coeur, qui ne peut plus jouer son rôle,
accomplir sa fonction,
c'est un
coeur vidé de son sang et qui, dès
lors, cesse de battre. Perdre courage, c'est donc
aussi perdre coeur. Nous ne sommes pas encore
vidés de notre courage. Notre coeur n'est
pas desséché, mais il y a
peut-être en nous des pertes et des fuites de
courage, parce que nos coeurs sont fissurés
par une trop longue épreuve. Il y a,
surtout, en nous une insuffisance de cette
sève qui rajeunit et renouvelle les forces,
parce qu'aujourd'hui la dépense
dépasse nos réserves et notre
approvisionnement, par défaut de vie
profonde, par insuffisance de ce travail
intérieur qui permet aux racines de
l'âme de plonger jusqu'aux sources, et d'en
tirer la vie qui monte dans le tronc et les
branches.
Pourtant on voit, aujourd'hui, se manifester
dans les âmes une inquiétude, une soif
des sources vives, un tourment de Dieu qu'elles ne
connaissaient pas auparavant avec la même
intensité. Elles ont faim et soif ;
elles sentent qu'il leur faut trouver, à
tout prix, une force qui les rajeunira si elles ne
veulent pas que tout courage les abandonne,
même celui de vivre. Mais, cette recherche et
ce tourment viennent, précisément, de
ce que bien des âmes sont aujourd'hui
troublées, ébranlées dans
leurs certitudes, de ce qu'elles ne retrouvent plus
ce grand courant de vie divine auprès duquel
leur vie était enracinée. Du moins
elles le croyaient. Aux jours de la vie facile,
elles avaient le sentiment, peut-être
l'illusion, de la présence de Dieu, toute
proche. Et voici que maintenant, aux jours
difficiles, comme un fleuve qui se perd, ce courant
semble s'enfoncer en des profondeurs
mystérieuses où les racines de
l'être ne peuvent plus plonger. On ne le voit
plus, on ne le sent plus. Le visage de Dieu nous
est voilé par tant d'horreurs, que nous ne
savons plus le reconnaître, le comprendre et
l'aimer. Alors le fardeau nous accable, l'heure
vient du découragement et nous
soupirons : « A quoi bon !
C'est assez ! Maintenant Seigneur prends mon
âme. »
En somme, le découragement apparaît
comme une sorte d'abandon de soi-même, comme
une démission. Il est le fait
d'un homme qui a perdu la
maîtrise de son coeur et la direction de sa
vie. Tout échappe au
découragé, tout lui tombe des mains,
parce qu'il a perdu la possession de
lui-même. Il n'a plus d'attache qui le fixe,
partant plus de résistance et, dès
lors, il se laisse aller, désemparé,
et devient le jouet des circonstances et des
événements qui l'emportent dans leur
tourbillon, comme le vent d'automne emporte la
feuille détachée de sa branche. Il
semble donc que, pour reprendre courage, il soit
tout d'abord nécessaire de se ressaisir, de
reprendre possession de son coeur. Le courage qui
est fermeté d'âme, force morale
égale et constante, et non pas bravoure
occasionnelle, exige la maîtrise de soi.
Malheureusement, bien des hommes cherchent
cette maîtrise dans un raidissement
stoïque, une tension de leur être
où le coeur durcit et se fige dans une
insensibilité glacée. Pour rester en
possession d'eux-mêmes, ils veulent
s'élever au-dessus de la douleur et de la
joie, des contingences de la vie, et
prétendent ainsi échapper à
leur dépendance. Ils se cantonnent alors
dans une orgueilleuse solitude où leur
coeur, isolé et détaché, perd
tout contact avec la vie et se dessèche. Or
ce coeur qui, dans sa raideur hautaine, se refuse
à plier, se trouve parfois brisé,
comme le chêne de la fable, par la violence
de quelque ouragan.
À première vue, cette attitude
peut donner l'illusion du courage. Cette
énergie farouche tendue dans une lutte
constante, cette volonté bandée dans
un perpétuel effort de résistance,
cette impassibilité altière d'une
âme qui dresse le front au-dessus des
tempêtes, ne semblent-elles pas le fait de
l'homme fort, maître de lui, qui se domine et
domine le monde par un courage surhumain ?
Oui, il y a là une manifestation
d'énergie, de volonté, mais non point
de courage. Quiconque étouffe son coeur,
serait-ce au prix d'un effort héroïque,
ne peut pas être courageux, puisque le
courage vient du coeur, puisque le courage c'est le
coeur lui-même dans son activité, dans
la manifestation extérieure de sa force
calme et tranquille. Cette froide énergie du
stoïque a sa source dans la tête, la
volonté, la conscience peut-être, elle
ne saurait venir d'un coeur dont on a suspendu les
battements ; elle n'est que le courage du
désespoir, une
contrefaçon du vrai courage, d'ailleurs
émouvante, poignante parfois, et pourtant
lamentable, car elle dissimule un
défaitisme, couvre une
lâcheté : celle du coeur qui se
dérobe au combat et refuse d'accepter la vie
qui lui est faite. Et c'est là,
peut-être, qu'éclate le mieux la
misère de l'homme, qui est grande en ce
qu'il ne veut pas se connaître
misérable et se croit maître de lui,
alors qu'il méprise et veut ignorer
l'essentiel et le meilleur de lui-même :
son propre coeur. Le vrai courage, lui, tient de
ses origines je ne sais quoi de chaud, de
généreux et de vivant qui rayonne et
se propage, une ardeur combative qui s'oppose aux
dérobades et aux capitulations, renverse
inlassablement les obstacles, surmonte les
difficultés et se nourrit en le consumant,
comme une flamme, de tout ce qu'on jette sur lui
pour l'abattre.
Pour retrouver ce courage, pour le
reprendre, il faut pourtant que nous reprenions
possession de notre coeur. Or cette maîtrise,
cette possession de leur coeur n'est assurée
qu'à ceux qui le donnent. Étrange et
paradoxale affirmation ! Mais
l'expérience la justifie, car c'est dans ce
don de lui-même que le coeur trouve sa vie,
sa croissance, son épanouissement. Il meurt
de se garder, de se ménager ou de marcher au
ralenti. Or, que nous servirait ? il
d'être les maîtres d'un coeur
mort ? Mais encore faut-il que nous le
donnions à Celui en qui il trouve et
retrouve la vie, car si le courage vient du coeur,
c'est de Dieu Lui-même que le coeur
reçoit la vie. Nous nous comportons comme si
nous étions des êtres
indépendants, autonomes, ayant en
eux-mêmes leur raison d'être, et le
principe de leur vie. De là ces
raidissements, ces replis sur nous-mêmes,
où l'orgueil et l'égoïsme
trouvent leur compte, où s'exalte le
sentiment de la grandeur et de la dignité
humaines, et d'où nous sortons un jour
brisés. Que nous le voulions ou non, que
nous le sentions ou non, nous restons
dépendants de Celui « en qui nous
avons la vie, le mouvement et
l'être ». C'est en Lui qu'est notre
raison d'être, et la vraie maîtrise de
soi, par suite le vrai courage, ce n'est pas
d'affirmer son autonomie, mais d'accepter sa
dépendance et de renoncer à
soi-même, ce n'est pas de pouvoir dire :
« je peux et je veux », mais de
dire ; « ce que Tu veux »
et d'accorder à ce qu'Il
veut notre coeur et notre volonté pour
l'effort. C'est aussi le plus difficile courage.
L'autre, celui du désespoir, nous
ramène à nous-mêmes, et c' est
toujours la route la plus aisée, même
à travers tous ses détours, celle qui
nous ramène à notre misérable
moi. Or ce moi solitaire, détaché de
sa source, ne peut plus être
lui-même.
Notre être ne se trouve et ne se
réalise qu'en Dieu. Il meurt d'être
séparé de lui, comme la plante se
flétrit arrachée de la terre qui la
porte et qui la nourrit. Mais, comme la plante,
lorsqu'à nouveau elle est enracinée
dans le sol qui lui convient, reprend vie, redresse
sa tige courbée et sa feuille abattue,
ainsi, en Dieu, notre personne se retrouve. Elle
reprend en lui le sens de sa vocation. Dieu la rend
à elle-même et en même temps lui
communique cette force qui la renouvelle et la
rajeunit : le courage.
Voyez ce prophète abattu : Le
héros indomptable du Carmel se sent vaincu.
Quel poignant spectacle que celui de ce
géant de l'esprit qui chancelle, atteint
dans sa force vive et, semble-t-il, frappé
à mort ! Tout son courage l'a
abandonné. Il tombe, sans doute pour ne plus
se relever, mais, en tombant, il remet son
âme entre les mains de Dieu.
« C'est assez ! Maintenant Seigneur
prends mon âme. » À l'heure
où tout l'abandonne, il s'abandonne
lui-même, mais à Dieu. Sa lassitude,
son découragement cherchent en Lui leur
suprême refuge. Et tandis que sa peine
s'endort et que sa fatigue repose entre les bras du
Père, ô miracle ! dans la
solitude du désert voici qu'apparaît
une céleste présence. Dans son
aridité voici, offertes à
l'affamé, les fortes nourritures qui
restaurent les âmes accablées.
Bientôt, au toucher d'une invisible main, le
prophète se redresse. À l'appel d'une
voix mystérieuse, il mange et boit, puis
retombe dans son lourd sommeil réparateur.
(Il ne suffit pas d'un seul contact et d'une seule
communion pour réparer des forces, taries
jusqu'à l'épuisement !) Mais
quand, pour la seconde fois, il sentit le divin
toucher et entendit l'invitation angélique,
alors « Elie se leva, mangea et but et
avec la force que lui donna cette nourriture il
marcha quarante jours et quarante nuits dans le
désert, jusqu'à la montagne de Dieu,
à Horeb ». Le chemin n'a pas
été aplani, au
contraire, c'est la rude ascension qui commence,
mais qu'importe, celui qui monte a retrouvé
le courage !
Voilà comment on reprend courage. Point
n'est besoin de se roidir, dans une volonté
farouche, et de tendre ses énergies ;
il suffit de dormir un peu entre les bras de Dieu
et de prendre la nourriture que, durant leur
sommeil, Il prépare pour ses enfants
épuisés. Cette attitude d'abandon,
c'est celle de la foi. Aux jours de lassitude, de
découragement, c'est cet acte de foi qui
nous replace dans le sens de notre vie,
rétablit l'équilibre rompu, nous rend
à nous-mêmes, opère les
redressements, relève le courage abattu,
parce qu'il nous rattache à Celui en qui
notre vie a sa source. Pour rendre courage à
ses disciples désemparés, dans la
tempête, le Christ n'a que cette
parole : « Où est votre
foi ? » Le courage tombe là
où la foi chancelle. Et quand la foi a
rétabli le contact avec Dieu, alors l'amour,
avec ses appels, ses échanges. sa chaleur,
met la sève en mouvement, entretient la
circulation de la vie divine et prépare les
renouveaux.
« Où est votre
foi » ! Que l'appel du Christ
ébranle encore nos coeurs lassés,
pour y réveiller le courage et nous donner
la force de retourner à notre tâche
d'hommes, de français et de
chrétiens, renouvelés et
rajeunis ! Frères travaillés et
chargés, courbés sous le poids des
désastres de notre peuple et de nos propres
défaites, sous les désillusions de
nos rêves brisés, de nos espoirs
déçus ou reculés,
écrasés sous le fardeau d'angoisses
que font peser sur nous les épreuves
d'aujourd'hui et celles qui menacent encore,
courage ! Le coeur de Dieu offre toujours Son
refuge à notre abattement. N'attendons pas
d'être lassés et
découragés à mort pour
chercher ce refuge ; mais sachons que
même aux heures où, dans notre
lassitude, nous ne cherchons plus les bras de Dieu
et la chaleur de son coeur que pour y mourir, il
suffit de cet acte de foi pour trouver la force de
repartir, car, dans les bras du Père, par la
foi et dans l'amour, non seulement le mourant
trouve la force de mourir dans l'acceptation et le
vivant celle de vivre dans la lutte, mais celui qui
cherche la mort trouve le courage de vivre, et
celui qui veut vivre le courage de mourir.
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