JEAN
NISSOLLE
SON ÉVASION
HORS DE FRANCE
À la suite de
la Révocation de l'Édit de
Nantes
III
EN PRISON A NÎMES
Le lendemain, nous nous embarquâmes sur
l'Isère, et l'on nous conduisit au
Saint-Esprit (1),
où nous restâmes quinze jours. Ce ne
fut pas sans être obligés d'essuyer
plusieurs attaques de prêtres et de
jésuites. Nous fûmes de là
traduits à Nîmes, et après nous
avoir ouïs plusieurs fois, on nous condamna
aux galères, avec quatre autres prisonniers
qu'on avait aussi amenés du Saint-Esprit.
C'était Matthieu de Monramé
(2), M.
Daudé, bourgeois d'Alais
(3)
et deux
proposants. Causse fit abjuration. Nous attendions
de jour à autre que la chaîne
passât pour nous conduire à Marseille
aux galères
(4).
Cependant on
nous garda longtemps, et tous les
jours nous avions à soutenir les attaques
d'une foule de prêtres, de jésuites et
de missionnaires. Le fameux père Gaillard,
jésuite, un des plus grands
prédicateurs de l'ordre, y perdit ses soins
comme les autres. Dieu nous fit la grâce de
résister à tous leurs
efforts.
M. Cheiron (5),
ce fameux apostat, y vint
aussi
accompagné de M. de la Fare
(6), du
major et
d'un gentilhomme. M. de la Fare nous demanda si
nous ne voulions pas nous faire bons catholiques,
« selon l'intention, dit-il, de notre bon
prince ». Nous répondîmes
que nous sacrifierions volontiers nos biens, nos
personnes et notre propre vie pour le service de
notre bon prince, mais que pour ce qui était
de notre religion et de notre conscience, Dieu seul
était le maître, et que nous
espérions, avec son secours et son
assistance, de lui être fidèles
jusqu'à la mort. Il nous montra alors M.
Cheiron, lequel, disait-il, avait une conscience et
une âme à perdre aussi bien que
nous. Celui-ci se mit sur
les
rangs à son tour. Il nous fit un long
discours poli et fort étudié, Il
voulait nous jeter de la poudre aux yeux et nous
persuader qu'il n'y avait pas de différence
essentielle entre la religion protestante et la
romaine. Il nous dit que la transsubstantiation, le
mérite des oeuvres, le purgatoire et le
culte des images étaient les seuls articles
qui nous séparaient, et prétendit
nous prouver que sur ces articles ils
étaient mieux fondés que nous. M.
Matthieu de Monramé lui
répondit : « Ce n'est pas
là, Monsieur, ce que vous nous avez
prêché. La parole de Dieu sera
toujours notre règle, et non pas les
chimères des hommes » -
« Allons-nous en, dit alors M. de la
Fare, laissons ces gens, ce sont des
opiniâtres et des obstinés, avec
lesquels il n'y a rien à
faire. »
Cheiron le pria de le laisser
encore
un peu avec nous, si bien qu'il demeura seul. Il
nous représenta l'horreur de notre prison,
la boue, l'eau qui y coulait de tous
côtés et une puanteur qu'on ne pouvait
supporter. Nous lui répondîmes que
nous étions prêts à souffrir
même le dernier supplice, si Dieu nous y
appelait. Il nous dit ensuite que ce ne fut pas
sans beaucoup de peine qu'il se vit obligé
de quitter une religion qu'il avait
prêchée depuis si longtemps, pour en
embrasser une autre qui lui avait toujours fait
tant d'horreur ; que cependant, après
l'avoir bien examinée, il avait
trouvé qu'elle n'était point si
horrible que les ministres le disaient
ordinairement, puisque, de l'aveu des protestants,
elle avait conservé les fondements de la
religion chrétienne. Il ajouta qu'il avouait
franchement que, s'il nous restait un seul temple
en France où l'exercice fût permis,
nous aurions raison de ne vouloir point changer,
mais que, puisque nous n'avions plus ni temples ni
ministres et qu'il était impossible de
sortir du royaume, il fallait nécessairement
obéir au roi, ou s'exposer à de rudes
persécutions, et même à de
rigoureux supplices.
M. Daudé, d'Alais, lui
répondit que c'était par plusieurs
tribulations qu'il nous fallait entrer dans le
royaume des cieux, et que les souffrances
étaient presque toujours une marque de la
véritable Église.
Il dit qu'il fallait se
désabuser, et nous allégua quelques
exemples pour prouver qu'il y avait de certains
temps auxquels il fallait que la bonne religion
persécutât la mauvaise, et d'autres
auxquels la mauvaise persécutât la
bonne. « Ainsi, ajouta-t-il, le plus fort
l'emporte ». Il se servit même du
proverbe patois qui dit : « Au plus
fort la peille ». Cela en fit rire
quelques-uns, et scandalisa beaucoup les autres, de
voir que cet homme se moquait ainsi de la religion,
et la tournait en raillerie. On peut voir en
passant l'estime que doivent faire les papistes de
ces nouveaux convertis, qui font le plus de
grimaces. Après cela, Cheiron sortit fort
confus d'avoir si mal réussi
(7).
Quelques jours après, nous
vîmes arriver sept de nos frères du
Haut-Languedoc, condamnés aux galères
pour s'être trouvés dans des
assemblées. On nous fit souper ensemble.
Notre conversation pendant le repas tourna toute
sur la piété et sur les souffrances
auxquelles nous devions nous attendre de jour en
jour pour la cause de l'Évangile. Tous me
parurent pleins de zèle, et il n'y en eut
aucun qui ne s'estimât fort heureux de ce que
Dieu l'appelait à souffrir pour son nom.
Nous connûmes bien le lendemain que leur
coeur s'exprimait par leur bouche.
Ils entendirent le tambour, et
ils
s'imaginèrent qu'on assemblait des gens de
guerre pour les exécuter. Ils furent
d'autant plus confirmés dans cette
pensée que M.
Daudé, voulant les consoler et les avertir
qu'ils devaient partir dans deux heures pour
être transférés à
Marseille, dit, s'adressant à un d'eux,
nommé M. Arnal (8),
de Lasalle, qu'ils devaient
supporter avec soumission et avec patience tous les
maux que Dieu leur envoyait, et qu'il ne doutait
point, voyant les marques de leur
piété et de leur zèle, que
quand ils devraient être exposés, ce
jour-là, au supplice, ils n'allassent
à la mort avec joie et avec constance, et
qu'il fallait toujours être prêt. M.
Arnal crut qu'il lui annonçait la mort, et
se tournant vers un de ses frères et lui
tendant la main, lui dit en propres termes :
« Courage, mon frère, il faut
aller souper aujourd'hui avec
Jésus-Christ. » L'autre
répondit avec la même fermeté
et sans la moindre émotion « Eh
bien, dit-il, Dieu soit loué, sa
volonté soit faite il nous fait une grande
grâce de nous tirer de la misère et de
la souffrance pour nous élever à la
félicité
éternelle. »
La femme de M. Arnal, qui
était présente, entendit une partie
de cette conversation ; elle dit à son
mari qu'il y avait quelque chose de nouveau, et
qu'il lui semblait d'avoir ouï qu'on lui
annonçait la mort. « Oui,
répondit-il, ma chère femme, il faut
se séparer ». Ils
s'embrassèrent alors tous deux avec des yeux
secs, car les pauvres gens avaient le coeur
serré. Je les détrompai l'un et
l'autre, et dis à M. ArnaI qu'il n'avait pas
bien entendu, qu'on lui avait seulement dit que,
quand il faudrait mourir aujourd'hui, il devrait
aller à la mort avec joie et
résignation. Cela remit un peu cette pauvre
femme, à qui le coeur commençait
à manquer.
Il est sans doute que l'on peut
regarder ces fidèles confesseurs comme de
véritables martyrs, puisqu'ils avaient
reçu avec joie la nouvelle de leur mort. Ils
partirent le même jour, attachés
à la chaîne, au nombre de dix-sept,
avec un visage serein, et qui marquait la joie
qu'ils avaient d'aller souffrir pour les
intérêts de leur Sauveur. Toute la
ville était presque dehors pour les voir
partir, et pour leur faire part de leurs
charités. Cependant M. de la Fare commandait
aux soldats qui les conduisaient de frapper sur ces
pauvres enchaînés, et sur ceux qui
voulaient s'approcher de trop près, si bien
qu'il fallut se contenter de les exhorter de loin
à la patience, et de leur souhaiter la
grâce et la bénédiction
céleste.
Nous attendions tous les jours
d'être conduits en galère avec les
autres ; mais on nous dit qu'il était
venu un ordre de la cour de nous exiler simplement,
parce qu'on n'avait encore envoyé personne
aux galères de ceux qui n'avaient pas fait
abjuration. Il resta encore avec nous beaucoup de
prisonniers. Le plus grand nombre était de
ceux qu'on avait pris au Pont-de-Monvert
(9) pour
s'être assemblés. Après les
avoir ouïs, on en condamna plusieurs à
la question. On donna la géhenne à
cinq hommes en un jour, et, deux jours
après, à trois autres. On voulait
leur faire découvrir ceux qui avaient
assisté à ces assemblées, mais
surtout ceux qui y avaient fait la fonction de
ministres. Quelque maux qu'on leur fît
souffrir, ils ne voulurent jamais déclarer
qui que ce fût. Ils confessèrent
seulement d'y avoir été ; ils
dirent que c'était de
nuit, et que leur esprit, occupé uniquement
à la dévotion, ne leur avait pas
permis de faire attention à
personne.
Il y avait alors dans ces
prisons
plus de cent vingt personnes qu'on y retint fort
longtemps, et parmi ce nombre des femmes de
quatre-vingts ans, qui à peine pouvaient se
soutenir.
On nous changea nous quatre,
savoir
le sieur Hourtet, Finiel, mon fils et moi, de la
chambre où nous couchions, sous
prétexte qu'on avait trouvé quelque
pierre détachée de la muraille. On
nous enfermait tous les soirs, après nous
avoir fouillés fort exactement, dans un
cachot sale et puant, et dans lequel couchaient
ceux qui avaient commis les plus grands crimes. On
y fit couler l'ordure des lieux, pour en rendre la
puanteur plus insupportable. On nous faisait sortir
tous les matins, mais quelquefois le sieur Hourtet
et moi y passions la journée
entière ; nous étions comme
accoutumés à cette puanteur, et elle
ne nous empêchait pas de faire nos
dévotions avec une joie indicible.
C'était particulièrement le dimanche
et le mercredi que nous restions dans le cachot.
Nous passions ces jours-là dans
l'humiliation et dans le jeûne. Nous y
chantions les louanges de Dieu à voix
haute ; nous y faisions nos prières
sans distraction, avec beaucoup de repos. Nous y
lisions la Parole de Dieu et des sermons fort
consolants, que quelques âmes charitables
nous avaient prêtés. Plusieurs de nos
frères nous imitèrent dans ces
exercices pieux, entre autres M. Matthieu, M.
Daudé et les deux proposants dont j'ai
parlé.
Ces derniers écrivaient tous
les jours des lettres d'exhortation à
quantité de bonnes âmes de la ville
qui avaient eu la faiblesse de signer.
C'était pour les exhorter à tout
quitter pour mettre leur conscience en repos,
surtout à n'aller jamais à la messe,
et à tout souffrir plutôt que de faire
des actes de la religion romaine. La
bénédiction de Dieu
se répandit sur ces lettres. Ces bonnes gens
nous venaient voir tous les jours en foule, et nous
protestaient qu'ils s'exposeraient désormais
à tout plutôt que de faire ce qu'on
exigeait d'eux. Dieu leur a fait la grâce de
les conserver dans ces heureuses
dispositions ; il n'a pas permis qu'on les ait
recherchés pour les visites qu'ils nous
avaient rendues, et nous voyons aujourd'hui avec
plaisir qu'un grand nombre sont sortis du royaume
et se sont heureusement relevés de leurs
chutes
(10).
Une de ces lettres
d'exhortation,
que M. Matthieu écrivait aux demoiselles
d'Audemar (11),
prisonnières à
Sommières, tomba entre les mains de M. le
duc de Noailles ; il l'envoya incessamment
à M. le juge criminel de Nîmes, avec
ordre de mettre dans un cachot celui qui l'avait
écrite. M. Matthieu ne désavoua point
cette lettre ; il dit, au contraire que, dans
cette occasion, il avait fait à autrui ce
qu'il voudrait qu'on lui fît ; que non
seulement il avait écrit cette lettre, mais
encore beaucoup d'autres, qu'il ne s'en repentait
point, qu'il en écrirait toujours tant qu'il
aurait la liberté de le faire, et qu'enfin
il croirait enfouir le talent que Dieu lui avait
confié, s'il ne continuait d'écrire
ces sortes de lettres aux pauvres membres de
Jésus-Christ.
Le juge et quelques conseillers
s'excusèrent sur l'ordre exprès de M.
de Noailles, et lui firent des protestations
d'amitié. Il n'y eut pas jusqu'au concierge
qui ne lui fit compliment en
l'enfermant dans le cachot. Nous lui dîmes
qu'apparemment la mauvaise odeur du lieu le faisait
beaucoup souffrir. Il nous répondit qu'en
entrant il l'avait sentie, mais qu'il s'y
était d'abord accoutumé. Il ajouta
qu'on lui ferait plaisir de le laisser là,
qu'il regardait cet endroit comme le lieu de son
repos, puisqu'il y pouvait prier Dieu en
liberté, y chanter ses louanges et lire sa
sainte Parole. Il était ravi surtout, nous
disait-il, de ce qu'il n'entendait point renier le
saint nom de Dieu, ni prononcer des paroles
déshonnêtes, comme il entendait
lorsqu'il avait la liberté d'aller dans
toutes les chambres de la prison. On le fit sortir
de ce cachot, quatre ou cinq jours après. Il
était fort aimé de tous.
C'était un homme d'une droiture de coeur
assurément peu commune, d'une
sincérité admirable, et d'une douceur
que rien n'était capable d'émouvoir.
À son imitation, nous écrivîmes
plusieurs lettres à nos familles : nous
leur mandions des prières que nous avions
composées, selon la circonstance du temps.
Nous les exhortions à donner gloire à
Dieu, à se relever de leurs chutes, et
à s'exposer à tout souffrir pour
mettre leur conscience en repos.
Il ne faut pas oublier de
remarquer
qu'on nous avait un jour enfermés dans un
endroit où l'on dit la messe. Nous
vîmes entrer tout d'un coup un de ces moines
qui demeurent à Saint-Jean, avec M. de
Bagars, ministre révolté de
Saint-Félix
(12).
Ce moine
nous aborda fort doucement, nous
traita de frères, nous dit que nous
étions tous chrétiens, qu'il n'y
avait pas beaucoup de différence de nous
à eux, puisque tous retenaient les points
fondamentaux de la religion chrétienne. Il
ajouta que nous ne devions point nous alarmer,
qu'il ne venait pas pour nous inquiéter,
qu'il nous priait de lui accorder un moment
d'audience, qu'il voulait nous faire un petit
discours, que même il ferait la prière
comme nous le pratiquions, après la
prédication, et qu'ainsi il ne doutait point
que nous ne fussions dans le respect pendant la
prière. Un de nous lui répondit que,
pourvu qu'il ne s'adressât qu'à Dieu
seul, nous ne manquerions pas d'être dans le
respect qui est dû à cet Être
souverain.
Il nous fit un méchant petit
discours, dans lequel il prétendait prouver
que les sentiments de l'Eglise romaine étant
bien compris et ses mystères bien entendus,
il n'y avait ni erreur dans sa doctrine, ni
idolâtrie dans son culte, comme les
protestants l'en accusent. Il s'efforça de
nous montrer la conformité de son
Église avec l'ancienne et fit tout ce qu'il
put pour nous bien persuader sa religion. Il nous
avertit sur la fin de son sermon qu'il allait faire
la prière, comme il nous l'avait promis, et
nous exhorta à être dans le respect.
Nous ôtâmes le chapeau, et nous
demeurâmes debout. Il commença par
remercier Dieu de ce qu'il lui avait fait la
grâce d'annoncer sa Parole, et le pria de la
graver profondément dans nos coeurs. Il
coupa court et dit d'abord l'Oraison dominicale,
qu'il fit suivre de l'Ave Maria. Nous nous
couvrîmes alors. Le fils de M. Nuis,
conseiller, qui se trouva près du sieur
Hourtet et de Finiel, leur
fit
sauter brusquement le chapeau de la tête, et
leur dit d'un ton fort aigre :
« Vous nous scandalisez ». Ils
relevèrent leur chapeau et dirent tout haut
qu'ils n'étaient pas de cette religion qui
invoque les saints et les saintes, qu'ils ne
pouvaient leur adresser aucune prière ;
et que si on n'avait invoqué que Dieu seul,
ils seraient demeurés dans le
respect.
Après que notre moine eut
expédié ses oraisons de la Vierge,
ses litanies et son Credo, il vint à nous,
et nous dit fort doucement que nous avions tort de
les avoir ainsi scandalisés, puisque
nous-mêmes lisions bien dans
l'Évangile la Salutation angélique
qu'il avait dite. Nous lui répondîmes
qu'il était vrai, mais que pour ce qui
était de l'invocation des saints, il n'y en
avait aucune trace dans toute l'Écriture
sainte, et qu'au contraire Dieu l'avait
défendue fort expressément. Il nous
quitta fort mal satisfait, et nous dit, en partant,
que nous étions des entêtés et
des opiniâtres, et que nous ne manquerions
pas de nous faire des affaires.
Le fils de M. Nuis faisait
toujours
grand bruit ; il nous menaçait de dire
à son père le peu de respect que nous
avions témoigné ; mais M.
Matthieu et M. Daudé lui
représentèrent qu'il ne ferait pas
bien, que nous étions gens résolus,
et d'autant mieux que nous avions raison d'en avoir
agi de cette manière. La résolution
que nous témoignâmes produisit un bon
effet ; car au lieu qu'on forçait
à coups de bâton tous les prisonniers
qui avaient fait abjuration d'entendre la messe, on
nous faisait sortir de la chambre pour ne pas les
scandaliser. Il se trouva un prisonnier,
nommé Ricart, de Saint-Bauzille, qui,
quoiqu'il eût fait abjuration, ne voulut
jamais assister à la messe, quelque violence
qu'on sût lui faire ; il soutint
toujours qu'on l'avait surpris, qu'il avait fait
abjuration pendant qu'il était fort malade,
ne sachant ce qu'il faisait et qu'il
prétendait mourir dans la religion
réformée, dans
laquelle il avait eu le
bonheur
de naître. La résolution qu'il
témoigna fit qu'on ne l'obligea pas à
entendre la messe. Je crois qu'il est à
présent en Amérique.
(13)
Quelque temps après, M. le
juge criminel vint nous dire qu'il avait ordre de
nous envoyer à Aiguesmortes, dans la tour de
Constance. Il exhorta fort M. Matthieu à
s'accommoder au temps, et lui dit
qu'assurément nous ne pourrions subsister
dans cette tour, à cause du mauvais air et
de l'infection qui y régnaient. Il lui
répondit que, puisque Dieu l'appelait
à cela, il ne fallait pas résister
à sa volonté ; que ce même
Dieu qui avait créé toutes choses
pourrait bien, s'il le trouvait bon, lui rendre cet
air favorable pour la conservation de sa
santé et de celle de ses frères
compagnons de ses liens ; et qu'enfin si Dieu
voulait l'affliger de maladie, il recevrait ce
châtiment avec patience, sans murmurer et
comme venant de sa part.
|