Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JEAN NISSOLLE
SON ÉVASION HORS DE FRANCE
À la suite de la Révocation de l'Édit de Nantes


V
L'ÉVASION

Le pauvre Capitaine, voyant qu'on s'en prenait toujours à lui, cela le confirma toujours plus dans le dessein qu'il avait de mettre tout en usage pour rompre sa prison. Nous fîmes tout ce que nous pûmes pour le dissuader de cette entreprise, Nous lui représentâmes toutes les difficultés. Nous lui dîmes qu'il fallait avoir patience, que Dieu nous appelait à souffrir, et que quand le temps de notre délivrance serait venu, il ne manquerait pas de moyens pour nous mettre en liberté. Nous fîmes tant que nous le détournâmes d'exécuter son dessein pendant deux mois. Mais enfin il s'impatienta, et s'étant aperçu un jour qu'on nous apporta du bois, qu'il était lié avec une bonne corde, et qu'il y avait des branches de mûrier de la grosseur du bras, il s'avisa d'attacher la corde à deux gros clous, qui tenaient la serrure de la première porte qu'il fallait forcer, car vous remarquerez qu'il y en avait quatre à passer. Il entortilla de cette corde une branche de mûrier, et se mettant dessous en haussant avec la tête de toute sa force, il eut le bonheur d'enlever peu à peu et sans bruit cette première serrure. Cet heureux succès l'encouragea extrêmement et lui fit espérer qu'avec l'aide de Dieu il viendrait aisément à bout des trois autres. Cela ne manqua pas d'arriver.

Après avoir ouvert deux portes, il remarqua un endroit propre à faire ouverture sans que la sentinelle pût l'entendre. Il vit là un petit trou ; il s'aperçut qu'il avait été plus grand et qu'on avait bâti là de nouveau. Enfin il fit si bien, avec un fer dont on se servait auprès du feu, qu'il ôta deux grandes pierres de taille, lesquelles firent une ouverture à pouvoir passer facilement. Il courut d'abord transporté de joie à la chambre de M. Serres, de Montpellier, lui demander s'il avait envie de se sauver, et lui dire de quelle manière il avait disposé les choses pour cela (1). Nous nous rendîmes dans cet endroit, et nous préparâmes tous à descendre, à la réserve d'un nommé M. Paris, des Vallées de Valons (2), auquel une maladie et une grande faiblesse ne permirent pas d'oser entreprendre un pareil dessein. Nous joignîmes ensemble une paillasse et deux draps qui suffirent pour aller jusqu'à terre. Nous attachâmes le bout à un banc qui appuyait contre les deux côtés de la muraille, en sorte qu'il n'y avait aucun risque que cela manquât.

Après que chacun eût fait son paquet, et que nous eûmes prié Dieu tous ensemble qu'il bénit notre entreprise, ce prisonnier du Vivarais, nommé Vidal, descendit le premier ; je le suivis malgré ma grande faiblesse et une fièvre d'accès que j'avais encore. Sans examiner le danger auquel je m'exposais, j'attachai mon manteau à mon col et le jetai derrière le dos. Sa pesanteur seule suffisait pour me faire tomber. Dans cet équipage, je commençai à me laisser aller en bas. J'entendis ces pauvres gens qui me donnaient mille bénédictions, et qui me parurent tous effrayés du péril auquel ils me voyaient exposé. Je n'eus pas descendu environ une toise que les forces me manquèrent, si bien que je tombai de cinq ou six toises de haut. Si j'avais eu la précaution d'enjamber le drap, peut-être ne serais-je pas tombé, mais Dieu ne le voulut pas ainsi, pour ne me pas laisser sans exercice. Capitaine, croyant que je m'étais tué, descendit tout promptement et fut presque aussitôt à terre que moi. Il me trouva évanoui ; il me donna de l'eau-de-vie qu'il se trouva heureusement et me fit un peu revenir ; cependant j'étais tout brisé et ne pouvais du tout point me soutenir. Les deux autres, qui restaient en haut, effrayés de ma chute, ne voulurent pas se hasarder à descendre. Capitaine me chargea d'abord après sur son dos, aidé par Vidal, et me porta, avec le moindre bruit qu'il put, à deux ou trois cents pas de là. Ce fut pourtant une espèce de miracle de ce que la sentinelle, qui n'était pas fort éloignée, ne nous entendit pas. Il s'en alla chez quelques personnes du voisinage qu'il connaissait me chercher quelque voiture, pour me porter à deux ou trois lieues de là, mais on lui en refusa absolument ; on le querella même et, en lui disant s'il voulait leur mettre la corde au cou, on le menaça de le découvrir s'il ne se retirait au plus vite.

Ce bon et charitable personnage s'en revenait donc tout triste et fort embarrassé, ne sachant comme me tirer d'affaire ; mais le bon Dieu y pourvut d'une manière qu'on peut regarder comme un effet tout particulier et tout extraordinaire de son secours et de sa protection. Sitôt qu'il eut passé le pont qui est près de la porte de la ville, comme il faisait fort obscur et qu'il pleuvait même, il heurta tout d'un coup fort rudement contre un âne qui se trouva au milieu du chemin. Il faillit à se blesser, il eut même un peu de peur et fut assez longtemps sans savoir contre quoi il avait heurté. Il reconnut pourtant enfin ce que c'était, et admira la Providence qui lui avait fait trouver ce qu'il cherchait, dans le temps qu'il y pensait le moins. Cet animal cependant ne voulait pas marcher d'abord, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'en le pressant et en le poussant il l'amena jusques à nous. Il me raconta la chose, et me dit qu'il avait eu toutes les peines du monde de faire marcher cette pauvre bête. Je lui répondis que je ne doutais point qu'elle ne marchât vigoureusement, et sans me causer la moindre fatigue, sitôt que je serais dessus, et qu'assurément la Providence ne l'avait pas fait rencontrer sur ses pas afin qu'elle me fût inutile. Je ne me trompai point dans cet heureux pressentiment. On ne m'eut pas plus tôt mis dessus que cet animal allait d'une force qu'on avait peine à lui tenir pied, et cependant de l'allure du monde la plus douce. Brisé comme je l'étais, je n'aurais pas pu durer dessus, s'il avait tant soit peu trotté.

Nous passâmes tout près du corps de garde, sans être aperçus, et d'abord après avoir passé le pont nous trouvâmes un parc où l'on tenait du bétail, et où était un mâtin qui, malgré les soins du berger, se mit à aboyer si furieusement qu'il nous fit extrêmement craindre d'être découverts. Cela fit que nous nous détournâmes du chemin, et nous obligea de prendre à la gauche. Cela fut cause aussi que nous nous égarâmes et que nous abordâmes à des métairies dont Capitaine connaissait les habitants, et qu'il disait même être de la religion. Dans cette pensée, il les pria de vouloir me cacher chez eux pour quelques jours ; non seulement ils nous refusèrent, mais ils ne voulurent pas même nous montrer le chemin. Tant il est vrai que la charité se rencontre peu avec la crainte.

Enfin, après avoir beaucoup marché, nous avançâmes pourtant si peu que, quoique nous fussions partis à une heure après minuit, nous nous trouvâmes, sur les quatre heures du matin, tout près des murailles de la ville. L'horloge que nous entendîmes sonner nous fit apercevoir de notre égarement. Cela nous affligea et nous mortifia beaucoup. Nous priâmes Dieu de tout notre coeur qu'il voulût être notre conducteur et notre guide. Cependant Capitaine crut d'entendre du bruit dans la ville ; nous rebroussâmes donc, et nous crûmes devoir prendre le chemin opposé à l'endroit où le son de la cloche et le bruit que nous avions entendu nous faisait juger qu'était la ville. Il nous fallait passer à travers champs, tantôt dans des vignes, tantôt dans des marais et dans des joncs hauts et épais qui, à chaque pas, s'entortillaient à mes jambes. Imaginez-vous, Monsieur, la douleur que je souffris dans le pitoyable état où j'étais. Le coeur me manquait à tous moments, et je me trouvai enfin si faible et si abattu que je priai mes charitables conducteurs de me mettre à terre, et de me laisser mourir en repos au pied d'un arbre. Je leurs dis que je serais l'homme du monde le plus heureux de mourir ainsi en priant Dieu, parce que j'avais ma conscience en repos et que Dieu me faisait sentir, dans le fond du coeur, que j'avais fait ma paix avec lui. Je leurs disais encore que je ne faisais que les embarrasser, et qu'infailliblement je serais la cause qu'ils seraient pris. Ils me répondirent qu'ils ne m'abandonneraient pas quand il s'agirait de gagner tous les trésors du monde, et qu'ils ne doutaient pas, puisque Dieu m'avait bien voulu conserver jusque-là et eux aussi, qu'il ne leur fit encore la grâce de me conduire dans un endroit sûr et où je pourrais recouvrer ma première santé. Ce sont là, Monsieur, des exemples d'une charité vraiment chrétienne, et je ne sais s'il s'en trouverait beaucoup de semblables.

Je n'en pouvais déjà plus, lorsque nous arrivâmes au bord d'un grand fossé, où pourtant il n'y avait point d'eau. Il fallait de nécessité le traverser, ne sachant point d'autre chemin, et il était cependant impossible que la bête le passât. Nous dîmes à Vidal d'aller reconnaître l'endroit, et de tâcher d'en trouver quelqu'un par où nous pussions passer. Il y alla, et demeura bien demi-heure à nous rejoindre. Pendant ce temps-là, on m'avait mis à terre. Nous avions heureusement quelque peu de vivres, et même du vin. Capitaine me fit manger un morceau et boire deux petits coups, ce qui me remit et me fortifia un peu. Vidal revint et, après que nous eûmes tous un peu mangé et bu, on me chargea sur les épaules de Capitaine, et nous passâmes ainsi le fossé avec beaucoup de peine et de fatigue. Ils ne m'eurent pas plus tôt remis sur ma monture que le jour parut, et un moment après nous vîmes la tour de la Carbonnière (3), où il nous fallait passer nécessairement. Il y avait toujours là des gardes de sel (4), ce qui fit extrêmement craindre à Capitaine que nous n'y fussions arrêtés, d'autant mieux qu'il avait entendu du bruit dans la ville et qu'il fallait de nécessité passer par là. Je le rassurai et lui dis qu'infailliblement Dieu ne permettrait pas que nous tombassions une seconde fois entre les mains de nos ennemis. J'ajoutai que les marques particulières de la faveur et de l'assistance divines, dont j'avais ressenti les effets jusqu'alors, me faisaient si fortement espérer qu'à l'avenir Dieu ne m'abandonnerait pas, que rien au monde ne pouvait me faire craindre, et qu'enfin la confiance que j'avais en sa bonté était si forte que rien ne pouvait me faire douter tant soit peu de son secours.

L'événement justifia que ce n'est jamais en vain qu'on s'appuie sur Dieu et qu'on espère en lui. Nous trouvâmes un garde de sel à la porte de la tour Carbonnière, qui se peignait. Nous le priâmes de nous faire ouvrir la porte. Il nous dit que le maître était en haut qui s'habillait et qu'il viendrait ouvrir dans un moment ; ce que celui-ci ne manqua pas de faire et de baisser le pont-levis. Nous lui payâmes quelque droit. Il nous laissa passer et ne nous dit autre chose, si ce n'est que nous étions sans doute de ces prisonniers de la tour de Constance, et que Dieu nous conduisît. Mes conducteurs furent fort contents quand nous eûmes passé cet endroit. Ils avaient tant de frayeur qu'il leur semblait que toutes les personnes que nous rencontrions étaient des soldats d'Aiguesmortes, qui étaient venus là pour les prendre et les ramener en prison. Mais je vous assure, Monsieur, que Dieu me fit la grâce de ne jamais rien craindre, tant il m'assurait intérieurement de son secours.


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(1) « Si j'eusse été en santé, dit Serres j'eusse cherché comme eux ma liberté ; mais Dieu, qui m'avait destiné à de plus longues épreuves, permit que je demeurasse dans la prison, lorsqu'ils en sortirent. » (Un Déporté pour la Foi, p. 21).
(2) Du Rocher, seigneur de Paris, de Vallon en Vivarais. Il mourut en 1687, à l'hôpital des forçats à Marseille. Serres dit de lui : « Il m'a toujours merveilleusement édifié par sa piété et par sa fermeté. Il souffrait tous ses maux avec une grande patience, il supportait sa prison sans aucune peine, quoiqu'il y fût toujours malade ; il y était aussi tranquille que s'il eût été dans sa propre maison. » (Un Déporté pour la Foi, p. 47).

(3) La tour Carbonnière à 4 kilomètres d'Aiguesmortes, remonte à Charlemagne. Elle est à cheval sur la route de Nîmes, et la route, aujourd'hui encore, la traverse sous une arcade.

(4) Aiguesmortes est à la tête d'une importante fabrication de sel marin.

 

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