Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JEAN NISSOLLE
SON ÉVASION HORS DE FRANCE
À la suite de la Révocation de l'Édit de Nantes


VII
SÉJOUR A GANGES

Nous prîmes donc d'abord le chemin de Ganges ; peu de temps après, nous vîmes venir un prêtre. Le garçon qui me conduisait en eut tant de peur qu'il se crut perdu et qu'il voulait absolument me laisser là. Je lui dis que tous ceux qui m'avaient rendu service, dans des occasions beaucoup plus dangereuses, ne s'en étaient point mal trouvés, et qu'il ne leur était jamais arrivé aucun mal. Il fallut cependant mettre pied à terre et me cacher dans un fossé qui était tout proche. Le garçon marchait toujours et allait fort lentement pour laisser passer le prêtre. Sitôt qu'il fut un peu loin, le garçon revint me prendre, comme il me l'avait promis, et je remontai à cheval. Il ne voulut pourtant pas me conduire tout à fait jusqu'à Ganges. Il me laissa dans une petite métairie de mon beau-père, à deux mousquetades de la ville. Je le priai d'aller avertir ma femme de ma venue, afin qu'elle n'en fût pas surprise, et de lui dire qu'elle m'envoyât un de ses cousins, nommé Massias, pour savoir de lui de quelle manière je devrais me ménager. Il vint quelques heures après et me conseilla de partir lorsqu'il serait nuit, pour me rendre, par un chemin assez caché, dans le logis de ma nièce Tartairon.
Je me mis donc en chemin tout seul et à pied. Je n'eus pas passé la fontaine de Ganges que je rencontrai un garçon, que ma femme et ma soeur m'envoyaient pour me dire qu'elles ne me conseillaient point d'entrer ce soir-là dans la ville, mais que je devais m'en aller pour cette nuit à la Baraque de Figon, ou dans un autre endroit qu'il me nomma assez éloigné. Je dis à ce messager de leur dire qu'elles cherchassent quelque autre expédient, que je ne pouvais absolument point aller où il me disait, parce que j'étais d'une lassitude extrême, n'ayant encore point tant marché ni fait un si grand effort depuis ma chute - Je l'attendis derrière une muraille. Il ne tarda pas à revenir, et me dit que je pouvais me rendre tout doucement dans une petite maison que nous avions, et où l'on ne tenait que du bois et quelques pourceaux. Je m'y rendis et je m'assis d'abord sur l'auge où mangeaient les pourceaux. Je n'y fus pas plus tôt que ma grande lassitude fit que je m'endormis aussi profondément que si j'avais été dans un bon lit.
Ma femme me vint voir sitôt que ses dragons furent couchés, et me mena dans un magasin que nous avons chez nous, au-dessus des degrés, qui est un endroit assez caché et où l'on avait mis un lit. Je demeurai là dix ou douze jours ; mais, comme cet endroit-là était fort humide, je crus devoir n'y pas rester davantage, de peur d'y prendre quelque maladie.

Je changeai donc de lieu et m'allai mettre dans un autre endroit de la maison assez grand, mais dont le plancher était fort bas, et dans lequel je ne pouvais être à mon aise que couché. J'entendais de là tout ce qui se passait, non seulement dans la rue, mais aussi dans la maison. Je vous laisse à penser Monsieur, le chagrin que j'avais d'entendre à tous moments pester et renier ces dragons. Je n'étais pas moins scandalisé d'ouïr la conversation de quantité de femmes, à leur retour du sermon. Les unes se moquaient de toutes les impertinences qu'elles avaient ouï dire au prédicateur, et en riaient à gorge déployée. Les autres racontaient ce qu'elles avaient dit au prêtre en confession, la pénitence qu'il leur avait ordonnée et toutes les questions impudiques qu'il leur avait faites. Je vous assure, Monsieur, que j'entendais quelquefois des choses si infâmes qu'elles me faisaient dresser les cheveux. Cependant la plupart de celles qui les racontaient ne faisaient qu'en rire. Des autres, dont la conscience n'était pas plus délicate, nous disaient d'une manière froide et indifférente la disposition où elles étaient lorsqu'elles allaient communier. « Ce n'a été au moins, disait l'une, qu'après avoir bien dîné ». - « J'ai pris l'hostie consacrée, disait l'autre, que le prêtre m'a donnée, de la même manière que je prendrais un morceau de pomme, et sans y ajouter plus de foi ; » et de tout cela elles ne témoignaient pas plus de douleur et de remords que si ç'avait été les choses du monde les plus indifférentes. Elles assistaient, disaient-elles, à la messe comme elles auraient fait à une comédie ; mais ces malheureuses ne prenaient pas garde que ce qui, avant leur chute, n'avait été qu'un simple effet de curiosité, ou tout au moins qu'une chose indifférente, devenait, après ce funeste changement, un acte formel d'idolâtrie et une profession entière d'antichristianisme. Je vous assure, Monsieur, fort sincèrement, que cette indifférence et ce peu de marrissement, pour ainsi dire, que ces misérables perverties témoignaient de leur crime, m'a causé plus de chagrin et de tristesse que tout ce que j'avais souffert dans les prisons. Joignez à quand ces dragons étaient ivres, ils ne pouvaient s'aller coucher, et c'était alors pendant toute la nuit des jurements effroyables, des danses, des chansons impudiques et scandaleuses, en un mot un bruit et un tintamarre horrible.

Je ne demeurai que dix à douze jours dans cet endroit, parce que le moins du monde que j'eusse craché ou toussé un peu fort, on m'aurait infailliblement découvert. Je résolus donc d'aller coucher dans mon lit ordinaire, quoi qu'il en dût arriver, me remettant absolument entre les mains de la Providence. Elle me fit bien aussi éprouver, dans cette occasion, que ce que Dieu garde est bien gardé, comme l'on dit ordinairement. Je couchai dans mon lit environ un mois, sans que personne s'aperçût de la moindre chose, à la réserve que m'habillant un jour dans la ruelle du lit, où était ma fille aînée qui en berçait une autre de quinze à seize mois, j'entendis monter quelqu'un fort lentement et sans faire de bruit. Je me jetai d'abord sur le lit et tirai le rideau, mais je ne pus point le faire si promptement que le chirurgien d'une de ces compagnies de dragons, qui entra dans ce moment, ne s'en aperçût. Il s'approche du lit, ouvre le rideau, me vit là couché, et me regardant fixement pour voir s'il me connaîtrait, il dit à ma fille d'un air fort sérieux : « C'est sans doute quelqu'un de vos galants ; voilà qui est fort honnête ! » Elle répondit que c'était un de nos parents de Sumène qui, se trouvant attaqué d'une grande douleur de tête, s'était jeté sur le lit. Je dis alors au dragon qu'il n'en devait pas douter, et que je ne ferais pas difficulté de me faire voir à lui. Il ne dit mot, mais il monta promptement au second étage du logis, où était un autre dragon malade depuis un mois. Il lui dit qu'il avait surpris un homme dans le lit de l'hôtesse, qu'on avait voulu lui persuader que c'était quelque parent, mais qu'il voulait perdre la vie si ce n'était son fils qui s'était sauvé des prisons du château, ou quelque ministre, qui se cachait.

Le dragon malade désabusa l'autre et lui dit que, quoi qu'il en fût, il devait bien prendre garde de n'en pas souffler pour ne pas faire des affaires à leur hôtesse. Il ajouta que ce serait avoir entièrement éteint la charité d'en agir autrement, qu'il voyait bien de quelle manière ils étaient dans ce logis, que l'hôtesse ne négligeait rien pour les bien servir, et que d'ailleurs elle avait de si grands sujets d'affliction, ayant son aîné dans les galères et son mari errant, n'osant paraître en aucun lieu et peut-être dans la misère et dans la souffrance. L'autre lui promit de n'en dire jamais rien à personne. C'est ainsi, Monsieur, que la Providence veillait à ma conservation, par des moyens que je ne saurais jamais assez admirer. Peu de temps après, ma femme eut envie d'aller voir notre fils aîné, qui était à Marseille aux galères. J'avais oublié, Monsieur, de vous en marquer la raison... (1)


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(1) Il y à, à cet endroit, une lacune dans le manuscrit de Jean Nissolle. Il avait eu l'intention évidemment de raconter les circonstances dans lesquelles son fils aîné fut arrêté et envoyé aux galères. S'il ne le fit pas, ce fut peut-être pour n'avoir, pas à raconter comment il fut libéré. Ce vieux huguenot n'approuvait pas les capitulations de conscience, pas plus chez les siens que chez les autres, comme on l'a vu plus haut. - Voici sur le galérien Nissolle la note que nous communique M. Fonbrune-Berbineau : Ce fils aîné de Jean Nissolle - qui se nommait Jean comme son père - fut condamné aux galères par l'intendant de Lyon, le 20 janvier 1687, sous le nom de Jean Gervais. Il avait été arrêté en essayant de sortir du royaume. Il abjura aux galères et fut libéré par ordre du 18 avril 1688. - Il dut réussir dans une seconde tentative de fuite, car il est question d'un Jean Nissolle, assisté à Nyon, au pays de Vaud avec sa femme et deux enfants, en octobre 1693.

 

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