Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LA CROIX DE JÉSUS-CHRIST




POURQUOI LA CROIX EXERCE-T-ELLE UN ATTRAIT IRRÉSISTIBLE ?

Car, c'est un fait, la Croix de Jésus-Christ exerce, depuis dix-neuf siècles, un attrait sans pareil.

Les disciples Matthieu, Marc, Luc et Jean ont été tellement frappés par la mort de leur Maître, qu'ils consacrent à cet événement la place principale dans les Évangiles.
Les Épîtres sont rouges du sang de la Croix.

Saint Paul dit aux habitants de la brillante Corinthe qu'il ne veut savoir que « Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. »
Je souffre, je meurs, je suis enseveli, je ressuscite et je règne avec lui... Tel est son langage.

Et depuis les temps apostoliques, que de regards ont été dirigés vers la Croix !
Il y a, d'abord, ceux qui l'ont contemplé avec amour, saint François, d'Assise, saint Bernard, saint Damien, saint Benoît de Nursie.
Il y a ceux qui, fidèlement l'ont prêchée, Pierre Valdo, Wicleff, Savonarole, Farel, Wesley, Spurgeon.
Il y a ceux qui l'ont portée de l'autre côté des mers, Carey, Moffat, Hudson Taylor, Coillard, Livingstone.
Il y a encore, ceux qui en ont vécu après avoir été transformés par elle, Zinzendorf, Pascal, George Muller.
Il y a, enfin, ceux qui l'ont saluée dans leurs hymnes, Fortunatus, Gerhard, Vinet.

Et tant d'autres, connus et inconnus qui, parce qu'ils l'ont incorporée à leur vie, font partie, désormais, du peuple des rachetés qui comprend des êtres de toute nation, de toute tribu, de toute langue, chantant la gloire de l'Agneau immolé !

Un beau poème inachevé de Goethe, qu'il a intitulé « Le secret », nous montre l'homme en pèlerinage à la recherche du Bien suprême ; pour finir, il découvre la Croix, et ses yeux voilés de larmes contemplent le signe d'espérance qui domine l'histoire, nos passions et nos luttes, et nos brèves existences d'hommes qui passent...

Qu'est-ce qui nous attire ainsi dans la Croix ?

I

Sur la Croix nous voyons

UN ÊTRE QUI SOUFFRE !

L'homme, à moins d'avoir un coeur de pierre, consent à jeter un regard sur celui qui souffre. Une sympathie naturelle l'en rapproche.

Il y a, sur les bords du Rhin, une vieille cathédrale où est sculptée la Passion avec les clous, le sceptre de roseau, l'éponge de vinaigre, la lance, la couronne d'épines, la Croix. Au-dessous d'un Christ qui se tourne vers les hommes pour implorer la pitié, l'inscription : « Passant, arrête-toi. Vois s'il est une douleur au monde semblable à ma douleur ! »

Nous aussi, arrêtons-nous devant la souffrance de Celui qui a consenti à être appelé l'Homme de douleur.

Lorsqu'on parle des souffrances de Jésus, nous pensons presque toujours aux dernières heures, à la Passion, à l'agonie. Certes, ce fut bien là de la souffrance, la plus horrible qu'un homme puisse supporter. Mais ce ne fut que le dernier anneau d'une longue chaîne. Jésus a souffert constamment, de la Crèche à la Croix. Il a été, comme on l'a dit, le grand Blessé jusqu'à devenir la Sainte Victime. Pour s'en rendre compte, il ne suffit pas d'une lecture hâtive des évangiles. Il faut savoir lire attentivement, entre les lignes, car Jésus n'a jamais étalé ses souffrances et fait parade de ses douleurs. Il faut savoir peser les mots. Ainsi : « Jésus regarda Pierre », trois mots. C'est toute l'angoisse de l'espoir trompé, de l'abandon d'un ami ! « Pilate le fit battre », quatre mots, c'est la douleur physique, l'ignominie du fouet. « Il fut crucifié », trois mots encore, c'est le bruit du marteau enfonçant les clous dans la chair... et il faut lire ainsi tout l'Évangile.

Ce qui rend la souffrance du maître plus poignante, c'est qu'elle a été volontaire. Il ne fut pas la victime des événements. Il a voulu souffrir, il a cherché les lieux où l'on souffre, il ne s'est jamais dérobé. Il a ouvert ses yeux, ses oreilles, son coeur, tout grands, pour y ramasser la douleur (1).

Avez-vous suivi Jésus dans sa vie de famille ? Oh ! qu'il a dû souffrir devant l'incompréhension des siens !

L'avez-vous suivi dans le cercle de ses disciples. Que de souffrances, de tristesses, de déceptions, d'ingratitude même ! Suivez-le dans ses rapports avec les pharisiens, que de mensonges, de calomnies : traité d'impie, lui l'homme de prière ; d'ambitieux, lui le seul vrai humble ; de révolutionnaire, lui le Prince de la Paix !

Suivons Jésus, suivons-le avec respect, silencieusement, dans ces heures terribles où s'accumulent et se résument toutes ses souffrances. Chaque mot de l'Évangile prend alors une valeur tragique, chaque nom propre recouvre une douleur nouvelle : Gethsémané, Judas, Caïphe, le Prétoire, Pilate, le Calvaire.

Et maintenant, les exécuteurs se sont emparés de leurs victimes qui sont brutalement jetées sur le sol et clouées au bois. Puis, à grand renfort de cris et de jurons, les trois croix sont dressées et offrent au peuple le spectacle de trois corps palpitants de l'horrible souffrance. Elle est horrible parce qu'elle est lente à finir ; elle ronge, au cours de longues heures, par la fièvre et la tension nerveuse ; souvent, avant la mort, elle amène la folie.

Cette souffrance, Jésus la connaît jusqu'au bout, plus que ses compagnons de martyre, car il refuse, lui, la boisson enivrante que, par un reste de pitié, les bourreaux offraient parfois à la victime ; elle est aggravée pour lui par les insultes et les moqueries de son peuple, par les larmes de sa mère, oh ! quel moment poignant par l'effroi des quelques amis que son regard voit encore ; elle est décuplée parce qu'elle tombe sur une nature pure, sensible, délicate ; elle est infinie parce qu'elle atteint Jésus dans tout son être : elle brûle son corps et le fait crier : « J'ai soif ! » elle tourmente son coeur juste, aimant, confiant. Alors une nuit immense, insondable, incompréhensible s'abattit sur son âme. Rejeté des hommes, Dieu lui restait. Il se sentit le rejeté de Dieu, et poussa dans l'air ce cri terrible : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »

Cette fois Jésus a assez souffert. Il a atteint le fond de la souffrance humaine, le fond du péché humain, l'absence de Dieu. Il n'y a pas une douleur, pas une angoisse qu'il n'ait connues ou savourées. Quand on l'a percé d'un coup de lance, c'est de l'eau qui a coulé. Il n'y avait plus de sang. Il l'avait tout donné.

Il fallait, dit saint Marc, que le Fils de l'Homme souffrit beaucoup...
Devant cette nécessité nous nous courbons et nous préférerions nous taire.

Il fallait la Croix ; non seulement la mort, mais la mort ignominieuse, les crachats, les soufflets, la couronne d'épines, la flagellation, la mort solitaire, dans l'abandon complet, sans intervention divine...

Elles sont infiniment grandes les blessures qui n'ont pu être guéries que par les plaies dans la chair du Fils de Dieu ! Elle est terrible la maladie qui a exigé la mort du divin Médecin ! Le sacrifice a été effroyable parce que le but à atteindre était immense : attirer tous les hommes, tous ceux qui souffrent, tous ceux qui meurent, tous ceux qui pèchent, tous ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas croire, tous...

Il fallait qu'il souffrît beaucoup pour que les Chrétiens ne l'oublient jamais et restent vigilants sans cesse.
Car, elle est dans l'esprit de l'Évangile, bien qu'elle n'y soit pas contenue, cette parole de Pascal : « Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde, Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. »

Toutes les réalités mauvaises dont la coalition a crucifié le coeur et la chair du Fils de l'Homme exercent encore dans l'humanité leur oeuvre néfaste : l'indifférence, la légèreté, la haine, l'incompréhension, l'aveuglement des hommes qui leur fait « tenir pour rien » le Don suprême du Père, se perpétuent en présence de la Croix éternelle sur laquelle saigne le saint amour méconnu. Et, comme il y a dix-neuf siècles, les lâchetés et les trahisons des disciples du Maître - nos lâchetés, nos trahisons, - crucifient à nouveau le Christ de Dieu.

Il fallait pour qu'unissant nos douleurs aux siennes nous achevions ses souffrances dans notre coeur et notre corps. « Christ a été frappé pour nous, dit Charles Secrétan, mais s'il a porté notre fardeau, c'est pour nous communiquer la forêt de le porter »

Parmi les ruines de l'antique Carthage on découvre au pied de la colline Byrsa un petit amphithéâtre. C'est là qu'ont souffert, en 202, sous Septime Sévère, des martyrs dont la mémoire est exceptionnellement pure. Perpétue, jeune mère de 21 ans, allaitant son petit enfant et répondant à tous ceux qui lui demandaient d'abjurer : « Je suis chrétienne ! » Félicité, jeune mère, elle aussi, qui a prononcé une des plus belles paroles que la foi ait inspiré. Comme elle mettait au monde un enfant dans la prison, la douleur lui arracha des cris. Le geôlier lui dit : « Tu te plains, maintenant. Que sera-ce quand tu seras déchirée par les bêtes fauves ? » Mais Félicité répliqua : « Maintenant, c'est moi qui souffre, mais alors, il y en aura un autre qui souffrira pour moi parce que je souffrirai pour lui. »

Depuis dix-sept cents ans le sable a bu le sang de ces vaillantes, les pierres de l'amphithéâtre sont descellées, les voûtes sont tombées ; la seule chose qui subsiste aujourd'hui, haute et ferme, c'est la petite croix de fer d'une chapelle élevée à la mémoire des martyrs, au, centre de l'arène.

Il fallait, enfin, qu'il souffrit beaucoup pour nous montrer la valeur d'une âme humaine et jusqu'où il fallait aller pour elle.

O Dieu, devant la Croix où Christ a souffert, donne-nous de souffrir pour ceux qui se perdent tout près de nous, pour les jeunes qui n'ont point d'idéal, et, semble-t-il, plus d'âme pour les débauchés et pour les femmes tombées pour les sceptiques et pour ceux qui ricanent, pour les chrétiens inconséquents, pour les disciples qui ont fui, pour Judas qui a trahi, pour tout ce monde qui s'agite vainement autour de la Croix ou qui passe dédaigneusement à côté ! ...

II

La Croix nous attire encore, parce que nous y voyons

UN ÊTRE QUI AIME !

Ces deux bras étendus appellent.
Or, l'humanité est attirée par celui qui l'aime véritablement. Sur la Croix le plus grand amour s'est uni à la plus grande des douleurs.

Sur cette terre, Jésus accomplissait les miracles les plus éclatants, il faisait taire les vents et les tempêtes, il connaissait les plus secrets replis du coeur de l'homme, mais avant toutes choses, il aimait. Sa puissance, comme sa sagesse, étaient subordonnées à son amour. Mais voici le caractère le plus puissant de cet amour : Jésus a aimé tous les hommes quoiqu'il les connût parfaitement. D'ordinaire les affections sont d'autant plus fortes qu'elles sont plus accompagnées d'illusions. Mais qu'il est difficile d'aimer les hommes quand on les connaît et quelle impossibilité de les aimer quand on les connaît d'une manière parfaite ! Jésus, lui, n'avait aucune illusion sur l'homme et voilà pourquoi son amour est ce qui est le plus divin en lui.

Jésus qui n'avait pas un lieu où reposer sa tête, a aimé le jeune homme riche qui ne voulait pas renoncer à ses biens pour le suivre.
Jésus, la pureté même, a aimé Magdeleine la pécheresse et la femme adultère prosternée à ses pieds.
Jésus, innocent et persécuté, a aimé le brigand crucifié à côté de lui et lui a ouvert les cieux.
Jésus, descendant de David, a aimé les péagers et les païens.
Jésus trois fois saint a aimé tous les hommes pécheurs, les Zachée, les Nicodème, les Samaritaines, tant d'autres encore.

Et ce petit groupe de disciples, ces douze, qu'il les aima ! Que de fois il a dû jeter sur eux un regard triste, mais aimant ! Ils devaient le laisser seul dans son agonie. Et pourtant, comme il aima les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin. Y a-t-il une résistance possible contre un pareil amour ? Depuis dix-neuf siècles on a pu blasphémer contre sa doctrine, on a pu rire des chrétiens, mais on a toujours rendu hommage à son Amour.

Frères et soeurs, ne sentez-vous pas votre coeur brûler au-dedans de vous à cette pensée que Jésus nous a aimés, nous aussi, non point tels que nous paraissons, mais tels que nous sommes avec nos défauts, notre avarice, notre orgueil, notre méchanceté. Il nous a aimés, comme il a aimé le jeune homme riche, la femme pécheresse, le brigand sur la croix. Qui peut résister à cet amour ?

Mais, que dis-je ? Il nous a aimés ! Pourquoi mettre au passé cette affirmation ? Non, il nous aime, car il est vivant. En ce moment même il nous voit et nous aime ! Qui sait s'il ne cherche pas dans cette assemblée une âme, plusieurs âmes, ? Y a-t-il une âme angoissée par le sentiment de son péché ? Y a-t-il un coeur troublé qui cherche, depuis longtemps, peut-être, l'apaisement ? Je lui dirais : Jésus vous aime ! Croyez-le ! Venez à Lui, car il est doux et humble de coeur, il ne brise pas le roseau froissé, et il n'éteint pas le lumignon qui fume encore...

Doutez-vous peut-être qu'il vous aime en considérant sa vie, ses actes, en écoutant ses paroles. Alors, laissez-vous attirer par la Croix. Vous y verrez la consommation de cet amour.

À peine, dit saint Paul, se résigne-t-on à mourir pour un juste ; quelqu'un, peut-être, mourrait pour un homme de bien. Mais Christ est mort pour des impies... (Rom. 5 : 6, 7). On a vu des hommes donner leur vie pour des justes ; on en a vu consentir à mourir pour un ami. Mais ce qui s'est vu qu'une seule fois en la personne de Jésus-Christ, c'est qu'un homme mourût pour ses ennemis.

Mourir pour ses ennemis, voilà le chef-d'oeuvre de l'amour.

Mourir pour ceux qui crient : ôte, ôte, crucifie. Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. Mourir pour ceux qui condamnent à mort, qui dressent la Croix, pour ceux qui enfoncent les clous, pour ceux qui insultent à l'agonie, c'est un prodige qui n'appartient qu'à un Dieu. Et tous ceux-là, ce ne sont pas les Juifs seulement, Caïphe, Hérode, la multitude ivre de sang, c'est vous, c'est moi, c'est nous tous.

Oh ! quel amour ! Que pouvait-il faire, ici-bas, de plus grand, de plus sublime ?

Il y a plus encore. Non seulement c'est le comble de l'amour que de mourir pour ses ennemis. Mais dans la Croix du Sauveur l'amour paraît pour ainsi dire tout seul.

Si Jésus était un Sauveur environné de majesté et de foudres, on le craindrait et la foule le fuirait, les humbles de ce monde n'oseraient s'approcher de Lui... Mais où est-il plus humilié et abaissé que sur la Croix, le gibet des esclaves ? Si Jésus n'était venu qu'avec l'éclat de ses miracles ou la profondeur de ses discours, il aurait provoqué l'étonnement, une admiration peut-être stérile... sur la croix, il penche la tête sous le poids de la douleur et s'écrie : « J'ai soif ! » C'est un Sauveur faible, mais qui console, parfaitement humain et dont les sympathies répondent aux nôtres. C'est l'Agneau de Dieu, sans défaut et sans tache, qui ôte le péché du monde. Mais c'est cette faiblesse même qui fait la force de Jésus, et sur la Croix, il peut dire avec raison : « Et moi, une fois élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi ! » Sur la Croix, nous voyons un Être qui aime !

Et cet amour est visible et universel. La Croix n'est point basse, elle n'est point cachée dans quelque repli de terrain, elle n'est point dissimulée dans un vallon obscur. Elle domine les temps et les lieux ; il fallait que le Christ montât sur le Calvaire pour être visible à toutes les âmes. Sur ces hauteurs, personne ne peut dire : je ne le vois pas. Le plus humble et le plus simple parmi nous peut comprendre, en la voyant, que Jésus l'aime. Le sauvage, le moins éclairé, l'indigène le plus arriéré est capable d'ouvrir les yeux de son âme au grand fait de l'a rédemption.

Telle est une des puissances attractives de la Croix, puissance qui peut s'exercer sur tous les hommes. Obscur, méprisé pendant sa vie, entouré de quelques disciples qui le comprennent à peine, Jésus a été, pour me servir d'une comparaison admirable de profondeur, comme le grain qui, tombé en terre, y meurt pour fructifier. C'est de l'élévation du Rédempteur sur la Croix que date sa puissance à travers les âges. Le voyez-vous, avec ses deux bras étendus qui saisit le monde !

III

Et cela nous amène à parler de la troisième puissance qui nous attire au Calvaire. Sur la Croix, nous voyons

UN ÊTRE QUI SE DONNE !

Sans doute, le don de soi-même est impliqué dans son amour. Mais il importe, maintenant d'en signaler les causes. Car on ne donne pas sa vie sans cause et sans but.
L'humanité sera toujours émue devant le sacrifice d'une vie.

II y a quelques mois, une effroyable tempête s'abattit sur les côtes de l'Océan. Au plus fort de la Tourmente, un appel de détresse parvient au port de La Rochelle. Un navire espagnol est en perdition. Sans cesse la télégraphie sans fil apporte le cri des inconnus : « Sauvez-nous ! » Sans hésiter, huit matelots se jettent dans une barque de sauvetage. On les voit une seconde, comme posés sur la crête d'écume des vagues, après quoi ils disparaissent dans les abîmes creusés par le vent. Tendant leurs muscles arc-boutés, ils rament de toutes leurs forces, se rapprochant du but d'où on leur fait signe, déjà, quand une vague plus formidable que les autres ensevelit sous sa masse le frêle bateau qu'elle retourne fond sur fond... Trois hommes purent regagner la rive à la nage. Quant aux autres, lorsque les flots eurent poussé sur le sable la triste épave, on les retrouva morts sous le bateau devenu cercueil, attachés à leurs bancs... Certes, quand ils avaient quitté leur port, ces hommes savaient ce qu'ils risquaient, car la mer ne trompe pas les matelots. Mais le métier ne veut-il pas que l'on offre sa vie ? Et ils l'avaient offerte, fidèles jusqu'à la mort, attachés au banc pour mieux s'attacher au devoir.

Quelque temps après on pouvait lire, aussi, dans les journaux, le récit suivant :
À Roubaix, une humble femme avait été engagée dans une pouponnière pour balayer et laver les planchers. Un soir, le feu éclate dans le bâtiment vétuste. Les parvis flambent comme de l'amadou. Sans hésiter, « la femme de peine » - et ce terme prend ici une singulière grandeur - se précipite dans les flammes. Ces enfants, pourtant, ne sont pas à elle. Qu'importe ! Elle en sauve deux. Échappant des mains de ceux qui veulent la retenir, elle défie de nouveau l'incendie, sauve encore deux frêles vies, puis rentre dans le brasier qui la garde cette fois.

La reconnaissance et l'admiration n'ont pu faire qu'une chose, bien petite pour une si grande action : poser la croix de la Légion d'honneur sur le cercueil où dormait cette vaillante.

Nous tressaillons d'émotion devant des actes semblables et nous inclinons bien bas devant les victimes qui en furent les héros. Nous admirons sans réserve ce sentiment du devoir poussé à un tel degré d'abnégation. Nous avons raison. Le devoir, cependant, a des bornes, en ce sens que l'on peut faire, comme on dit, au delà de ses devoirs, qu'il n'exige le sacrifice que dans la mesure où ce sacrifice a une utilité indiscutable, qu'elle soit personnelle ou collective. Le devoir, enfin, porte en soi sa récompense : C'est la satisfaction du devoir accompli. Solidaire de la famille, solidaire de la société, de la nation qu'il défend, mais dont ses intérêts sont ses propres intérêts, l'homme qui se refuse à ses devoirs vis-à-vis de la famille, de la société, de sa patrie, cet homme-là, on l'appelle, à juste raison, un égoïste ou un lâche. Et, cependant, cela s'est vu, on peut être un homme de devoir sans avoir une parcelle de véritable amour dans son coeur.

Or, voici ce qui fait la différence infinie du sacrifice de Jésus pour les hommes, c'est que J.-C. n'avait aucune obligation, aucun devoir d'aucune espèce vis-à-vis des hommes. Les hommes n'étaient ni ses associés, ni ses amis. Il n'en est pas moins venu mourir à leur place. Il n'était ni de leur race puisqu'il était Dieu. Il n'était pas davantage solidaire de nos fautes et de nos péchés, puisqu'il était sans tache, absolument pur de tout mal, comme Dieu est pur. Et, pourtant, il a donné sa vie ; il est mort pour eux, pour vous, pour moi, afin de nous sauver d'un châtiment et d'une mort éternels. Car, ce qui l'a cloué sur la Croix, c'est le Péché ! Oui, le péché, avec son horreur, le péché dont on ricane, le péché qui n'en est pas moins la cause de toutes les injustices et, de toutes les iniquités de ce pauvre monde...

Il s'est donné afin de nous racheter de toute iniquité (Tite 2/14). Comment se fait-il que cet Être en se donnant sur la Croix efface ainsi les iniquités ? Ne me le demandez pas. Je l'ignore. Je constate que c'est vrai, cela me suffit. Les hommes ont balbutié pendant des siècles sur ce mystère ; ils balbutieront longtemps encore. Pour nous, chrétiens, nous savons que la Croix déracine les passions, change les coeurs, transforme les vies, donne l'assurance du pardon de Dieu, remet dans l'ordre, fait naître l'espérance, permet de mourir tranquille et même joyeux.

Les remèdes sont tous mystérieux ; les officines, de pharmaciens sont pleines de choses étranges qui guérissent sans qu'on sache pourquoi. Ce bois maudit - la Croix de Christ - libère l'esclave, donne la victoire ; le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché. Voilà le le fait. Expliquez-le comme vous l'entendrez. Les rachetés de Jésus diront à perpétuité : « Lorsque nous étions encore pécheurs et ennemis de Dieu, Christ est mort pour nous ! »

Il s'est donné, encore, pour créer un peuple qui lui appartienne, zélé pour les bonnes oeuvres.

Un peuple immense composé de, tous ceux qui, à travers les âges, sont venus à la Croix, l'ont contemplée, l'ont acceptée et se sont donnés à Celui qui s'était donné.
Un peuple, dont J.-C. est le Roi.
Un peuple qui comprend des membres de toute nation, de toute tribu, de toute langue.
Un peuple dont les limites sont le Pôle Nord et le Pôle Sud, sur la terre et les extrémités, les cieux.
Un peuple qui a compté dans son sein, les saint Augustin, les François d'Assise, les Valdo, les Calvin, les Pascal, les Carey, les Livingstone, les Coillard.
Un peuple dont chacun des membres s'écrie :
« Nous l'aimons parce qu'il nous a aimés le premier. Et en l'aimant, nous avons trouvé sa loi douce, sa volonté bonne, son joug aisé, son fardeau léger ».

Il y aura, toujours un peuple de la Croix qui dira par sa sainteté, sa charité, son renoncement, le don joyeux de soi-même, et par l'effusion de son sang, s'il le faut : « Je ne veux savoir qu'une chose :
Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié »

Il s'est donné, enfin, pour que nous n'appartenions plus à nous-mêmes, mais pour que nous vivions, désormais, pour celui qui s'est donné.

Il s'est donné ! Comment cet Être qui se donne ainsi ne nous attirerait-il pas ?

Mais cet Être qui souffre, qui aime, qui se donne... qui est-il ? Un Être historique ? Nous n'en doutons pas. Un saint ? Nous en sommes certains. C'est plus encore !

LE FILS DE DIEU !

Des centaines de Croix ont été élevées, des milliers de bûchers et de gibets ont été dressés dans le monde. Sur ces instruments de torture des martyrs ont péri.
Mais si nobles que soient leurs actes, ils ne sont qu'une pâle image du sacrifice que le Saint de Dieu offrit à son Père pour le salut des hommes. Ils ne peuvent être, comparés à cette vie d'obéissance et d'amour qui rachète le monde et que le Sauveur, parce qu'il était Fils de Dieu, termine par le cri :
« Tout est accompli ! »

La coupe de ciguë de Socrate, le bûcher de Jean Huss, les lances d'Arnold de Winkelried n'auront jamais le même attrait qu'exerce seule la Croix de Golgotha.
Et cette Convention restera stérile et paraîtra même ridicule à tous ceux qui ne croient pas à la divinité de Jésus-Christ et qui n'ont aucune reconnaissance pour l'Agneau de Dieu immolé pour les péchés du monde.

Mais pour ceux qui sont venus avec cette humilité, cette foi, cet amour indispensables pour contempler la victime du Calvaire. Pour ceux qui voient dans la Croix autre chose qu'un vague symbole et qui, aux pieds du Crucifié, se sont sentis humiliés, relevés, consolés, régénérés, ces journées apporteront des bénédictions certaines.

Arrêtons-nous. Il nous tarde de le faire pour nous recueillir, pour prier au pied de la Croix, pour demander à Dieu de bénir ce que nous avons pu en voir ce soir.

Et Toi, ô Jésus, nous te saluons avec transport d'amour. Oui, nous voudrions que tu sentisses notre amour pour Toi... Nous t'assurons qu'il est humble, sincère, profond, vivant.
Nous sommes tout émus nous-mêmes à la pensée que, pendant cette semaine, ta Croix sera sans cesse devant nos yeux et dans nos coeurs.
Ne permets pas qu'une préoccupation étrangère atténue en quoi que ce soit cette vision tragique mais salutaire.

Et, puisque tu l'as promis : Une fois que j'aurai été élevé, j'attirerai tous les hommes à moi Que ta promesse s'accomplisse pour ceux qui ne te connaissent pas ou te connaissent mal ! Qu'elle s'accomplisse pour nous-mêmes qui t'avons consacré notre vie et que la Croix nous révèle ses splendeurs et ses bénédictions. Amen.

Ed. CHAMPENDAL.


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(1) PAUL VITTOZ, Le Grand Blessé, Vaumarcus 1915.

 

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