LA
CROIX DE JÉSUS-CHRIST
POURQUOI LA CROIX EXERCE-T-ELLE UN
ATTRAIT IRRÉSISTIBLE ?
Car, c'est un fait, la Croix de
Jésus-Christ exerce, depuis dix-neuf
siècles, un attrait sans pareil.
Les disciples Matthieu, Marc, Luc et Jean
ont été tellement frappés par
la mort de leur Maître, qu'ils consacrent
à cet événement la place
principale dans les Évangiles.
Les Épîtres sont rouges du sang
de la Croix.
Saint Paul dit aux habitants de la brillante
Corinthe qu'il ne veut savoir que
« Jésus-Christ et
Jésus-Christ
crucifié. »
Je souffre, je meurs, je suis enseveli, je
ressuscite et je règne avec lui... Tel est
son langage.
Et depuis les temps apostoliques, que de
regards ont été dirigés vers
la Croix !
Il y a, d'abord, ceux qui l'ont
contemplé avec amour, saint François,
d'Assise, saint Bernard, saint Damien, saint
Benoît de Nursie.
Il y a ceux qui, fidèlement l'ont
prêchée, Pierre Valdo, Wicleff,
Savonarole, Farel, Wesley, Spurgeon.
Il y a ceux qui l'ont portée de
l'autre côté des mers, Carey, Moffat,
Hudson Taylor, Coillard, Livingstone.
Il y a encore, ceux qui en ont vécu
après avoir été
transformés par elle, Zinzendorf, Pascal,
George Muller.
Il y a, enfin, ceux qui l'ont saluée
dans leurs hymnes, Fortunatus, Gerhard, Vinet.
Et tant d'autres, connus et inconnus qui,
parce qu'ils l'ont incorporée à leur
vie, font partie, désormais, du peuple des
rachetés qui comprend des
êtres de toute nation, de
toute tribu, de toute langue, chantant la gloire de
l'Agneau immolé !
Un beau poème inachevé de
Goethe, qu'il a intitulé « Le
secret », nous montre l'homme en
pèlerinage à la recherche du Bien
suprême ; pour finir, il découvre
la Croix, et ses yeux voilés de larmes
contemplent le signe d'espérance qui domine
l'histoire, nos passions et nos luttes, et nos
brèves existences d'hommes qui
passent...
Qu'est-ce qui nous attire ainsi dans la
Croix ?
I
Sur la Croix nous voyons
UN ÊTRE QUI SOUFFRE !
L'homme, à moins d'avoir un coeur de
pierre, consent à jeter un regard sur celui
qui souffre. Une sympathie naturelle l'en
rapproche.
Il y a, sur les bords du Rhin, une vieille
cathédrale où est sculptée la
Passion avec les clous, le sceptre de roseau,
l'éponge de vinaigre, la lance, la couronne
d'épines, la Croix. Au-dessous d'un Christ
qui se tourne vers les hommes pour implorer la
pitié, l'inscription :
« Passant, arrête-toi. Vois s'il
est une douleur au monde semblable à ma
douleur ! »
Nous aussi, arrêtons-nous devant la
souffrance de Celui qui a consenti à
être appelé l'Homme de
douleur.
Lorsqu'on parle des souffrances de
Jésus, nous pensons presque toujours aux
dernières heures, à la Passion,
à l'agonie. Certes, ce fut bien là de
la souffrance, la plus horrible
qu'un homme puisse supporter. Mais ce ne fut que le
dernier anneau d'une longue chaîne.
Jésus a souffert constamment, de la
Crèche à la Croix. Il a
été, comme on l'a dit, le grand
Blessé jusqu'à devenir la Sainte
Victime. Pour s'en rendre compte, il ne suffit pas
d'une lecture hâtive des évangiles. Il
faut savoir lire attentivement, entre les lignes,
car Jésus n'a jamais étalé ses
souffrances et fait parade de ses douleurs. Il faut
savoir peser les mots. Ainsi :
« Jésus regarda
Pierre », trois mots. C'est toute
l'angoisse de l'espoir trompé, de l'abandon
d'un ami ! « Pilate le fit battre »,
quatre mots, c'est la douleur physique, l'ignominie
du fouet. « Il fut
crucifié », trois mots encore,
c'est le bruit du marteau enfonçant les
clous dans la chair... et il faut lire ainsi tout
l'Évangile.
Ce qui rend la souffrance du maître
plus poignante, c'est qu'elle a été
volontaire. Il ne fut pas la victime des
événements. Il a voulu souffrir, il a
cherché les lieux où l'on souffre, il
ne s'est jamais dérobé. Il a ouvert
ses yeux, ses oreilles, son coeur, tout grands,
pour y ramasser la douleur (1).
Avez-vous suivi Jésus dans sa vie de
famille ? Oh ! qu'il a dû souffrir
devant l'incompréhension des
siens !
L'avez-vous suivi dans le cercle de ses
disciples. Que de souffrances, de tristesses, de
déceptions, d'ingratitude même !
Suivez-le dans ses rapports avec les pharisiens,
que de mensonges, de calomnies : traité
d'impie, lui l'homme de prière ;
d'ambitieux, lui le seul vrai humble ; de
révolutionnaire, lui le Prince de la
Paix !
Suivons Jésus, suivons-le avec
respect, silencieusement, dans ces heures terribles
où s'accumulent et se résument toutes
ses souffrances. Chaque mot de l'Évangile
prend alors une valeur tragique, chaque nom propre
recouvre une douleur nouvelle :
Gethsémané, Judas, Caïphe, le
Prétoire, Pilate, le Calvaire.
Et maintenant, les exécuteurs se sont
emparés de leurs victimes qui sont
brutalement jetées sur le sol et
clouées au bois. Puis, à grand
renfort de cris et de jurons, les trois croix sont
dressées et offrent au peuple le spectacle
de trois corps palpitants de l'horrible souffrance.
Elle est horrible parce qu'elle est lente à
finir ; elle ronge, au cours de longues
heures, par la fièvre et la tension
nerveuse ; souvent, avant la mort, elle
amène la folie.
Cette souffrance, Jésus la
connaît jusqu'au bout, plus que ses
compagnons de martyre, car il refuse, lui, la
boisson enivrante que, par un reste de
pitié, les bourreaux offraient parfois
à la victime ; elle est aggravée
pour lui par les insultes et les moqueries de son
peuple, par les larmes de sa mère, oh !
quel moment poignant par l'effroi des quelques amis
que son regard voit encore ; elle est
décuplée parce qu'elle tombe sur une
nature pure, sensible, délicate ; elle
est infinie parce qu'elle atteint Jésus dans
tout son être : elle brûle son
corps et le fait crier : « J'ai
soif ! » elle tourmente son coeur
juste, aimant, confiant. Alors une nuit immense,
insondable, incompréhensible s'abattit sur
son âme. Rejeté des hommes, Dieu lui
restait. Il se sentit le rejeté de Dieu, et
poussa dans l'air ce cri terrible :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu
abandonné ? »
Cette fois Jésus a assez souffert. Il
a atteint le fond de la souffrance humaine, le fond
du péché humain,
l'absence de Dieu. Il n'y a pas une douleur, pas
une angoisse qu'il n'ait connues ou
savourées. Quand on l'a percé d'un
coup de lance, c'est de l'eau qui a coulé.
Il n'y avait plus de sang. Il l'avait tout
donné.
Il fallait, dit saint Marc, que le Fils de
l'Homme souffrit beaucoup...
Devant cette nécessité nous
nous courbons et nous préférerions
nous taire.
Il fallait la Croix ; non seulement la
mort, mais la mort ignominieuse, les crachats, les
soufflets, la couronne d'épines, la
flagellation, la mort solitaire, dans l'abandon
complet, sans intervention divine...
Elles sont infiniment grandes les blessures
qui n'ont pu être guéries que par les
plaies dans la chair du Fils de Dieu ! Elle
est terrible la maladie qui a exigé la mort
du divin Médecin ! Le sacrifice a
été effroyable parce que le but
à atteindre était immense :
attirer tous les hommes, tous ceux qui souffrent,
tous ceux qui meurent, tous ceux qui
pèchent, tous ceux qui ne veulent pas ou ne
peuvent pas croire, tous...
Il fallait qu'il souffrît beaucoup
pour que les Chrétiens ne l'oublient jamais
et restent vigilants sans cesse.
Car, elle est dans l'esprit de
l'Évangile, bien qu'elle n'y soit pas
contenue, cette parole de Pascal :
« Jésus sera en agonie
jusqu'à la fin du monde, Il ne faut pas
dormir pendant ce temps-là. »
Toutes les réalités mauvaises
dont la coalition a crucifié le coeur et la
chair du Fils de l'Homme exercent encore dans
l'humanité leur oeuvre néfaste :
l'indifférence, la
légèreté, la haine,
l'incompréhension, l'aveuglement des hommes
qui leur fait « tenir
pour rien » le Don
suprême du Père, se perpétuent
en présence de la Croix éternelle sur
laquelle saigne le saint amour méconnu. Et,
comme il y a dix-neuf siècles, les
lâchetés et les trahisons des
disciples du Maître - nos
lâchetés, nos trahisons, - crucifient
à nouveau le Christ de Dieu.
Il fallait pour qu'unissant nos douleurs aux
siennes nous achevions ses souffrances dans notre
coeur et notre corps. « Christ a
été frappé pour nous, dit
Charles Secrétan, mais s'il a porté
notre fardeau, c'est pour nous communiquer la
forêt de le porter »
Parmi les ruines de l'antique Carthage on
découvre au pied de la colline Byrsa un
petit amphithéâtre. C'est là
qu'ont souffert, en 202, sous Septime
Sévère, des martyrs dont la
mémoire est exceptionnellement pure.
Perpétue, jeune mère de 21 ans,
allaitant son petit enfant et répondant
à tous ceux qui lui demandaient
d'abjurer : « Je suis
chrétienne ! »
Félicité, jeune mère, elle
aussi, qui a prononcé une des plus belles
paroles que la foi ait inspiré. Comme elle
mettait au monde un enfant dans la prison, la
douleur lui arracha des cris. Le geôlier lui
dit : « Tu te plains, maintenant.
Que sera-ce quand tu seras déchirée
par les bêtes fauves ? » Mais
Félicité répliqua :
« Maintenant, c'est moi qui souffre, mais
alors, il y en aura un autre qui souffrira pour moi
parce que je souffrirai pour lui. »
Depuis dix-sept cents ans le sable a bu le
sang de ces vaillantes, les pierres de
l'amphithéâtre sont descellées,
les voûtes sont tombées ; la
seule chose qui subsiste aujourd'hui, haute et
ferme, c'est la petite croix de fer d'une chapelle
élevée à la mémoire des
martyrs, au, centre de l'arène.
Il fallait, enfin, qu'il souffrit beaucoup
pour nous montrer la valeur d'une âme humaine
et jusqu'où il fallait aller pour elle.
O Dieu, devant la Croix où Christ a
souffert, donne-nous de souffrir pour ceux qui se
perdent tout près de nous, pour les jeunes
qui n'ont point d'idéal, et, semble-t-il,
plus d'âme pour les débauchés
et pour les femmes tombées pour les
sceptiques et pour ceux qui ricanent, pour les
chrétiens inconséquents, pour les
disciples qui ont fui, pour Judas qui a trahi, pour
tout ce monde qui s'agite vainement autour de la
Croix ou qui passe dédaigneusement à
côté ! ...
II
La Croix nous attire encore, parce que nous y
voyons
UN ÊTRE QUI AIME !
Ces deux bras étendus appellent.
Or, l'humanité est attirée par
celui qui l'aime véritablement. Sur la Croix
le plus grand amour s'est uni à la plus
grande des douleurs.
Sur cette terre, Jésus accomplissait
les miracles les plus éclatants, il faisait
taire les vents et les tempêtes, il
connaissait les plus secrets replis du coeur de
l'homme, mais avant toutes choses, il aimait. Sa
puissance, comme sa sagesse, étaient
subordonnées à son amour. Mais voici
le caractère le plus puissant de cet
amour : Jésus a aimé tous les
hommes quoiqu'il les connût parfaitement.
D'ordinaire les affections sont
d'autant plus fortes qu'elles sont plus
accompagnées d'illusions. Mais qu'il est
difficile d'aimer les hommes quand on les
connaît et quelle impossibilité de les
aimer quand on les connaît d'une
manière parfaite ! Jésus, lui,
n'avait aucune illusion sur l'homme et voilà
pourquoi son amour est ce qui est le plus divin en
lui.
Jésus qui n'avait pas un lieu
où reposer sa tête, a aimé le
jeune homme riche qui ne voulait pas renoncer
à ses biens pour le suivre.
Jésus, la pureté même, a
aimé Magdeleine la pécheresse et la
femme adultère prosternée à
ses pieds.
Jésus, innocent et
persécuté, a aimé le brigand
crucifié à côté de lui
et lui a ouvert les cieux.
Jésus, descendant de David, a
aimé les péagers et les
païens.
Jésus trois fois saint a aimé
tous les hommes pécheurs, les Zachée,
les Nicodème, les Samaritaines, tant
d'autres encore.
Et ce petit groupe de disciples, ces douze,
qu'il les aima ! Que de fois il a dû
jeter sur eux un regard triste, mais aimant !
Ils devaient le laisser seul dans son agonie. Et
pourtant, comme il aima les siens qui
étaient dans le monde, il les aima
jusqu'à la fin. Y a-t-il une
résistance possible contre un pareil
amour ? Depuis dix-neuf siècles on a pu
blasphémer contre sa doctrine, on a pu rire
des chrétiens, mais on a toujours rendu
hommage à son Amour.
Frères et soeurs, ne sentez-vous pas
votre coeur brûler au-dedans de vous à
cette pensée que Jésus nous a
aimés, nous aussi, non point tels que nous
paraissons, mais tels que nous sommes avec nos
défauts, notre avarice, notre orgueil, notre
méchanceté. Il nous
a aimés, comme il a aimé le jeune
homme riche, la femme pécheresse, le brigand
sur la croix. Qui peut résister à cet
amour ?
Mais, que dis-je ? Il nous a
aimés ! Pourquoi mettre au passé
cette affirmation ? Non, il nous aime, car il
est vivant. En ce moment même il nous voit et
nous aime ! Qui sait s'il ne cherche pas dans
cette assemblée une âme, plusieurs
âmes, ? Y a-t-il une âme
angoissée par le sentiment de son
péché ? Y a-t-il un coeur
troublé qui cherche, depuis longtemps,
peut-être, l'apaisement ? Je lui
dirais : Jésus vous aime !
Croyez-le ! Venez à Lui, car il est
doux et humble de coeur, il ne brise pas le roseau
froissé, et il n'éteint pas le
lumignon qui fume encore...
Doutez-vous peut-être qu'il vous aime
en considérant sa vie, ses actes, en
écoutant ses paroles. Alors, laissez-vous
attirer par la Croix. Vous y verrez la consommation
de cet amour.
À peine, dit saint Paul, se
résigne-t-on à mourir pour un
juste ; quelqu'un, peut-être, mourrait
pour un homme de bien. Mais Christ est mort pour
des impies...
(Rom.
5 : 6, 7). On a vu des
hommes donner leur vie pour des justes ; on en
a vu consentir à mourir pour un ami. Mais ce
qui s'est vu qu'une seule fois en la personne de
Jésus-Christ, c'est qu'un homme mourût
pour ses ennemis.
Mourir pour ses ennemis, voilà le
chef-d'oeuvre de l'amour.
Mourir pour ceux qui crient :
ôte, ôte, crucifie. Que son sang
retombe sur nous et sur nos enfants. Mourir pour
ceux qui condamnent à mort, qui dressent la
Croix, pour ceux qui enfoncent les clous, pour ceux
qui insultent à l'agonie, c'est un prodige
qui n'appartient qu'à un
Dieu. Et tous ceux-là, ce ne sont pas les
Juifs seulement, Caïphe, Hérode, la
multitude ivre de sang, c'est vous, c'est moi,
c'est nous tous.
Oh ! quel amour ! Que pouvait-il
faire, ici-bas, de plus grand, de plus
sublime ?
Il y a plus encore. Non seulement c'est le
comble de l'amour que de mourir pour ses ennemis.
Mais dans la Croix du Sauveur l'amour paraît
pour ainsi dire tout seul.
Si Jésus était un Sauveur
environné de majesté et de foudres,
on le craindrait et la foule le fuirait, les
humbles de ce monde n'oseraient s'approcher de
Lui... Mais où est-il plus humilié et
abaissé que sur la Croix, le gibet des
esclaves ? Si Jésus n'était venu
qu'avec l'éclat de ses miracles ou la
profondeur de ses discours, il aurait
provoqué l'étonnement, une admiration
peut-être stérile... sur la croix, il
penche la tête sous le poids de la douleur et
s'écrie : « J'ai
soif ! » C'est un Sauveur faible,
mais qui console, parfaitement humain et dont les
sympathies répondent aux nôtres. C'est
l'Agneau de Dieu, sans défaut et sans tache,
qui ôte le péché du monde. Mais
c'est cette faiblesse même qui fait la force
de Jésus, et sur la Croix, il peut dire avec
raison : « Et moi, une fois
élevé de la terre, j'attirerai tous
les hommes à moi ! » Sur la
Croix, nous voyons un Être qui
aime !
Et cet amour est visible et universel. La
Croix n'est point basse, elle n'est point
cachée dans quelque repli de terrain, elle
n'est point dissimulée dans un vallon
obscur. Elle domine les temps et les lieux ;
il fallait que le Christ montât sur le
Calvaire pour être visible à toutes
les âmes. Sur ces hauteurs,
personne ne peut
dire : je
ne le vois pas. Le plus humble et le plus simple
parmi nous peut comprendre, en la voyant, que
Jésus l'aime. Le sauvage, le moins
éclairé, l'indigène le plus
arriéré est capable d'ouvrir les yeux
de son âme au grand fait de l'a
rédemption.
Telle est une des puissances attractives de
la Croix, puissance qui peut s'exercer sur tous les
hommes. Obscur, méprisé pendant sa
vie, entouré de quelques disciples qui le
comprennent à peine, Jésus a
été, pour me servir d'une comparaison
admirable de profondeur, comme le grain qui,
tombé en terre, y meurt pour fructifier.
C'est de l'élévation du
Rédempteur sur la Croix que date sa
puissance à travers les âges. Le
voyez-vous, avec ses deux bras étendus qui
saisit le monde !
III
Et cela nous amène à parler de la
troisième puissance qui nous attire au
Calvaire. Sur la Croix, nous voyons
UN ÊTRE QUI SE DONNE !
Sans doute, le don de soi-même est
impliqué dans son amour. Mais il importe,
maintenant d'en signaler les causes. Car on ne
donne pas sa vie sans cause et sans but.
L'humanité sera toujours émue
devant le sacrifice d'une vie.
II y a quelques mois, une effroyable
tempête s'abattit sur les côtes de
l'Océan. Au plus fort de la Tourmente, un
appel de détresse parvient au port
de La Rochelle. Un navire
espagnol est en perdition. Sans cesse la
télégraphie sans fil apporte le cri
des inconnus :
« Sauvez-nous ! » Sans
hésiter, huit matelots se jettent dans une
barque de sauvetage. On les voit une seconde, comme
posés sur la crête d'écume des
vagues, après quoi ils disparaissent dans
les abîmes creusés par le vent.
Tendant leurs muscles arc-boutés, ils rament
de toutes leurs forces, se rapprochant du but
d'où on leur fait signe, déjà,
quand une vague plus formidable que les autres
ensevelit sous sa masse le frêle bateau
qu'elle retourne fond sur fond... Trois hommes
purent regagner la rive à la nage. Quant aux
autres, lorsque les flots eurent poussé sur
le sable la triste épave, on les retrouva
morts sous le bateau devenu cercueil,
attachés à leurs bancs... Certes,
quand ils avaient quitté leur port, ces
hommes savaient ce qu'ils risquaient, car la mer ne
trompe pas les matelots. Mais le métier ne
veut-il pas que l'on offre sa vie ? Et ils
l'avaient offerte, fidèles jusqu'à la
mort, attachés au banc pour mieux s'attacher
au devoir.
Quelque temps après on pouvait lire,
aussi, dans les journaux, le récit
suivant :
À Roubaix, une humble femme avait
été engagée dans une
pouponnière pour balayer et laver les
planchers. Un soir, le feu éclate dans le
bâtiment vétuste. Les parvis flambent
comme de l'amadou. Sans hésiter,
« la femme de peine » - et ce
terme prend ici une singulière grandeur - se
précipite dans les flammes. Ces enfants,
pourtant, ne sont pas à elle.
Qu'importe ! Elle en sauve deux.
Échappant des mains de ceux qui veulent la
retenir, elle défie de nouveau l'incendie,
sauve encore deux frêles vies, puis rentre
dans le brasier qui la garde cette fois.
La reconnaissance et l'admiration n'ont pu
faire qu'une chose, bien petite pour une si grande
action : poser la croix de la Légion
d'honneur sur le cercueil où dormait cette
vaillante.
Nous tressaillons d'émotion devant
des actes semblables et nous inclinons bien bas
devant les victimes qui en furent les héros.
Nous admirons sans réserve ce sentiment du
devoir poussé à un tel degré
d'abnégation. Nous avons raison. Le devoir,
cependant, a des bornes, en ce sens que l'on peut
faire, comme on dit, au delà de ses devoirs,
qu'il n'exige le sacrifice que dans la mesure
où ce sacrifice a une utilité
indiscutable, qu'elle soit personnelle ou
collective. Le devoir, enfin, porte en soi sa
récompense : C'est la satisfaction du
devoir accompli. Solidaire de la famille, solidaire
de la société, de la nation qu'il
défend, mais dont ses intérêts
sont ses propres intérêts, l'homme qui
se refuse à ses devoirs vis-à-vis de
la famille, de la société, de sa
patrie, cet homme-là, on l'appelle, à
juste raison, un égoïste ou un
lâche. Et, cependant, cela s'est vu, on peut
être un homme de devoir sans avoir une
parcelle de véritable amour dans son
coeur.
Or, voici ce qui fait la différence
infinie du sacrifice de Jésus pour les
hommes, c'est que J.-C. n'avait aucune obligation,
aucun devoir d'aucune espèce
vis-à-vis des hommes. Les hommes
n'étaient ni ses associés, ni ses
amis. Il n'en est pas moins venu mourir à
leur place. Il n'était ni de leur race
puisqu'il était Dieu. Il n'était pas
davantage solidaire de nos fautes et de nos
péchés, puisqu'il était sans
tache, absolument pur de tout mal, comme Dieu est
pur. Et, pourtant, il a donné sa vie ; il
est mort pour eux, pour vous, pour moi, afin de
nous sauver d'un châtiment
et d'une mort éternels. Car, ce qui l'a
cloué sur la Croix, c'est le
Péché ! Oui, le
péché, avec son horreur, le
péché dont on ricane, le
péché qui n'en est pas moins la cause
de toutes les injustices et, de toutes les
iniquités de ce pauvre monde...
Il s'est donné afin de nous racheter
de toute iniquité
(Tite
2/14). Comment se fait-il que
cet Être en se donnant sur la Croix efface
ainsi les iniquités ? Ne me le demandez
pas. Je l'ignore. Je constate que c'est vrai, cela
me suffit. Les hommes ont balbutié pendant
des siècles sur ce mystère ; ils
balbutieront longtemps encore. Pour nous,
chrétiens, nous savons que la Croix
déracine les passions, change les coeurs,
transforme les vies, donne l'assurance du pardon de
Dieu, remet dans l'ordre, fait naître
l'espérance, permet de mourir tranquille et
même joyeux.
Les remèdes sont tous
mystérieux ; les officines, de
pharmaciens sont pleines de choses étranges
qui guérissent sans qu'on sache pourquoi. Ce
bois maudit - la Croix de Christ - libère
l'esclave, donne la victoire ; le sang de
Jésus-Christ nous purifie de tout
péché. Voilà le le fait.
Expliquez-le comme vous l'entendrez. Les
rachetés de Jésus diront à
perpétuité : « Lorsque
nous étions encore pécheurs et
ennemis de Dieu, Christ est mort pour
nous ! »
Il s'est donné, encore, pour
créer un peuple qui lui appartienne,
zélé pour les bonnes oeuvres.
Un peuple immense composé de, tous
ceux qui, à travers les âges, sont
venus à la Croix, l'ont contemplée,
l'ont acceptée et se sont donnés
à Celui qui s'était
donné.
Un peuple, dont J.-C. est le Roi.
Un peuple qui comprend des membres de toute
nation, de toute tribu, de toute langue.
Un peuple dont les limites sont le
Pôle Nord et le Pôle Sud, sur la terre
et les extrémités, les cieux.
Un peuple qui a compté dans son sein,
les saint Augustin, les François d'Assise,
les Valdo, les Calvin, les Pascal, les Carey, les
Livingstone, les Coillard.
Un peuple dont chacun des membres
s'écrie :
« Nous l'aimons parce qu'il nous a
aimés le premier. Et en l'aimant, nous avons
trouvé sa loi douce, sa volonté
bonne, son joug aisé, son fardeau
léger ».
Il y aura, toujours un peuple de la Croix
qui dira par sa sainteté, sa charité,
son renoncement, le don joyeux de soi-même,
et par l'effusion de son sang, s'il le faut :
« Je ne veux savoir qu'une
chose :
Jésus-Christ et Jésus-Christ
crucifié »
Il s'est donné, enfin, pour que nous
n'appartenions plus à nous-mêmes, mais
pour que nous vivions, désormais, pour celui
qui s'est donné.
Il s'est donné ! Comment cet
Être qui se donne ainsi ne nous attirerait-il
pas ?
Mais cet Être qui souffre, qui aime,
qui se donne... qui est-il ? Un Être
historique ? Nous n'en doutons pas. Un
saint ? Nous en sommes certains. C'est plus
encore !
LE FILS DE DIEU !
Des centaines de Croix ont été
élevées, des milliers de
bûchers et de gibets ont été
dressés dans le monde. Sur ces instruments
de torture des martyrs ont péri.
Mais si nobles que soient leurs actes, ils
ne sont qu'une pâle image
du sacrifice que le Saint de Dieu offrit à
son Père pour le salut des hommes. Ils ne
peuvent être, comparés à cette
vie d'obéissance et d'amour qui
rachète le monde et que le Sauveur, parce
qu'il était Fils de Dieu, termine par le
cri :
« Tout est
accompli ! »
La coupe de ciguë de Socrate, le
bûcher de Jean Huss, les lances d'Arnold de
Winkelried n'auront jamais le même attrait
qu'exerce seule la Croix de Golgotha.
Et cette Convention restera stérile
et paraîtra même ridicule à tous
ceux qui ne croient pas à la divinité
de Jésus-Christ et qui n'ont aucune
reconnaissance pour l'Agneau de Dieu immolé
pour les péchés du monde.
Mais pour ceux qui sont venus avec cette
humilité, cette foi, cet amour
indispensables pour contempler la victime du
Calvaire. Pour ceux qui voient dans la Croix autre
chose qu'un vague symbole et qui, aux pieds du
Crucifié, se sont sentis humiliés,
relevés, consolés,
régénérés, ces
journées apporteront des
bénédictions certaines.
Arrêtons-nous. Il nous tarde de le
faire pour nous recueillir, pour prier au pied de
la Croix, pour demander à Dieu de
bénir ce que nous avons pu en voir ce
soir.
Et Toi, ô Jésus, nous te
saluons avec transport d'amour. Oui, nous voudrions
que tu sentisses notre amour pour Toi... Nous
t'assurons qu'il est humble, sincère,
profond, vivant.
Nous sommes tout émus
nous-mêmes à la pensée que,
pendant cette semaine, ta Croix sera sans cesse
devant nos yeux et dans nos coeurs.
Ne permets pas qu'une préoccupation
étrangère
atténue en quoi que ce
soit cette vision tragique mais salutaire.
Et, puisque tu l'as promis : Une fois
que j'aurai été élevé,
j'attirerai tous les hommes à moi Que ta
promesse s'accomplisse pour ceux qui ne te
connaissent pas ou te connaissent mal !
Qu'elle s'accomplisse pour nous-mêmes qui
t'avons consacré notre vie et que la Croix
nous révèle ses splendeurs et ses
bénédictions. Amen.
Ed. CHAMPENDAL.
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