Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LA CROIX DE JÉSUS-CHRIST




LA CROIX, RÉVÉLATION DU PÉCHÉ

Les trois premiers Évangiles nous donnent un curieux détail dans leur récit de la montée au Calvaire.
Quand Jésus, racontent-ils, tomba pour la troisième fois sous le poids de sa croix trop lourde, les bourreaux qui le conduisaient arrêtèrent un certain Simon de Cyrène, de retour des champs, et chargèrent ses bras solides du fardeau que ne supportait plus le « Fils de l'Homme... »

Qui était ce Simon de Cyrène ? On ne sait. Un homme quelconque d'ans l'immense masse des hommes.
Il revenait des champs, un outil sur l'épaule, une chanson sur les lèvres.
Ce matin-là, comme tous les autres matins, il était allé au travail, et rentrait, un peu avant midi, pour le repas ou la sieste. Certainement les graves événements de Jérusalem ne le troublaient pas et s'il avait aperçu quelquefois le prophète de Galilée, celui-ci du moins ne tenait pas une grande place dans, ses actuelles préoccupations. À l'heure où la foule juive hurlait devant le palais de Pilate : « Mort au Nazaréen ! » il était aux champs, taillant sa vigne et bêchant son jardin...

Et le voici, somme toute, victime d'une bagarre. Intimidé par la colère du peuple et surtout par la présence du centurion romain ; dans l'impossibilité de refuser ce qu'on lui ordonnait, Il s'empara de l'instrument de supplice et bon gré mal gré, suivit le cortège qui, un instant arrêté, reprit sa marche en avant...

Essayons, chers auditeurs, de pénétrer les pensées, les sentiments, les émotions de ce Simon. de Cyrène au cours de sa pénible aventure, et peut-être pourrons-nous avoir, à travers lui, que nous considérons comme « l'homme moyen » de tous les temps, en présence du drame du Calvaire, cette révélation du péché que nous désirons ce matin.

I

Ce que Simon de Cyrène remarque, d'abord, c'est l'agitation insensée de tous ceux qui font escorte au supplicié dont il porte la croix.

« Une populace immense », dit Luc, autour de lui crie, hurle, insulte, rage, trépigne, frappe, titube. Des hommes, des femmes, des enfants sont là, pêle-mêle, de tout âge et de toute condition ; des scribes et des pharisiens même, d'habitude si distants, coudoient la foule et se laissent aller aux insultes, aux vociférations, aux cris des démoniaques.

Certains marchent à reculons, d'autres de côté, d'autres en travers, on avance péniblement. Les cavaliers romains pressent la foule de leurs chevaux.
Au milieu de tous et à travers cette infernale cohue, tranquille et calme, étonnamment maître de lui, acceptant sans colère ni reproche toute l'ordure de ces âmes, avec un regard d'infinie douleur, Jésus va de l'avant.

Simon de Cyrène a rencontré ce regard. Il a été saisi de pitié. Il trouve très grand ce condamné à mort. L'attitude de tout ce peuple lui répugne, il éprouve une sorte de honte devant une telle dignité et un tel silence. Il mesure la méchanceté du coeur de l'homme. Il lui prend l'envie de dire aux enfants : « retournez chez vous malheureux qui riez déjà de la souffrance ! », aux femmes : « où est donc votre pudeur et votre amour, où avez-vous relégué votre native pitié ? », aux hommes de la religion : « où est votre dignité et l'amour des hommes que vous professez dans vos prières ? » et à tous : « par votre haine ou votre joie de voir mourir, à votre tour vous devenez des criminels ! »

Le cortège vient d'arriver sur la place du Crâne. Le centurion, grand maître des cérémonies, donne ses ordres. Simon a posé la croix à terre. Deux soldats s'approchent de Jésus et lui ôtent ses vêtements. On lui passe une corde sous chaque aisselle pour le hisser sûr la croix qu'une équipe d'ouvriers bien exercée vient de dresser.
À la moitié du tronc une cheville forme siège, le corps doit y trouver un précaire et douloureux soutien. Un soldat monte avec son marteau sur l'échelle appuyée à l'un des bras de la traverse, prend la main divine, l'applique à plat sur le bois et perce d'un clou la chair vive, au milieu de la paume. Le sang gicle, l'homme rive le clou.
Un autre soldat s'occupe des pieds. Il rehausse les genoux, si bien que la plante du pied adhère toute au bois. Avec son doigt il cherche le métatarse, y assure la pointe et frappe à son tour.
Et l'on entend le bruit des deux marteaux...

Simon de Cyrène a-t-il jamais assisté à une mise en croix ? C'est peu probable. Cet odieux supplice était réservé, chez les Romains, aux crimes et aux fautes des esclaves. Simon, qu'aucun sentiment de haine ni de colère n'anime, regarde. Tout son être frissonne devant tant de cruauté.

La foule a fait silence, pauvre foule toujours avide de joie cruelle et de spectacles inaccoutumés. Elle attend des hurlements, des cris, des supplications. Non...
Rien du côté de Jésus, sinon cette parole :
« Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».

Simon, alors, est bouleversé jusqu'au plus profond de son âme. Comment ? Est-ce donc là la prière d'un semblable supplice ? Mais qui est donc ce mourant ? Jamais il n'avait supposé jusqu'à ce jour que l'on puisse implorer le pardon de Dieu pour ceux qui vous donnent la mort ! Quel immense amour doit palpiter dans cette grande âme ! Quel peut donc être son crime ? Est-ce possible qu'il ait pu le commettre ? On ne prie pas ainsi quand on a connu la haine ! Les larmes montent aux yeux de Simon... Presque a-t-il envie d'interroger le crucifié lui-même et de lui demander : « Qu'as-tu donc fait pour qu'ainsi l'on te déteste ? Quel est ton secret ? ta faute, cause de cet horrible châtiment ? » Mais Jésus peut-être n'aurait pas répondu.

La prière du mourant n'a produit aucun effet sur la foule. Simon regarde le peuple : une clameur de sarcasmes, de moqueries, de ricanements, d'exclamations s'élève, grandit, s'arrête, renaît, éclate, se tait et recommence...
« Allons, crie-t-on, Fils de Dieu ! appelle à ton secours les armées célestes ! Que les anges qui, paraît-il, sont à ton service, viennent nous disperser de leurs épées de flammes ! Roi des Juifs rassemble ton peuple ! où sont tes acclamateurs, ?
Nous n'entendons pas chanter les pierres du chemin ! Faiseur de miracles, délivre tes mains... elles te seraient si utiles pour essuyer le sang qui coule de tes blessures ! »

Simon écoute cette marée d'injures et commence à comprendre. Cet homme s'est dit « le Fils de Dieu », le Roi des Juifs ; il s'est dit le Messie. C'est pour cette raison que les gens du Temple l'ont tué. Le laboureur ne sait plus que penser mais il est certain du moins de ce qu'il voit : d'un côté cette haine implacable, insatisfaite des souffrances du supplicié et qui éprouve encore le besoin d'ajouter son amertume cruelle à la torture des chairs mutilées et pantelantes ; et de l'autre le silence douloureux du mourant et sa prière : « Père, pardonne-leur ! »

Simon courbe la tête. Tout cela lui fait mal. Au profond de lui-même sa conscience parle et lui dit : « Tu fais partie de cette foule infernale au pied de cette croix sublime ! » Il ne sait pas si vraiment il a devant lui le Messie, le Fils de Dieu promis aux hommes pour leur salut, il lui faudrait connaître mieux ce prophète de Nazareth ; mais il a du moins une vision certaine, celle du péché des hommes et de tout ce dont il est capable...

Tout à coup une voix suppliante s'élève, celle de l'un des deux larrons crucifiés : « Pour moi, dit-il, je reçois le juste prix de mes actions, mais toi tu n'as fait aucun mal ! Jésus, souviens-toi de moi dans ton règne ! »Alors Jésus penche vers lui la tête et répond :
« En vérité, je te le dis, aujourd'hui, avec moi-même, tu seras dans le paradis ! »

L'émotion de Simon de Cyrène est à son comble !
Comment ! silence pour les blasphémateurs, silence et prière « Père, pardonne-leur ! », mais réponse à cette âme tourmentée qui appelle, qui supplie, qui agonise, qui redoute la mort toute proche, le jugement de Dieu, le châtiment éternel !... oh ! ce coeur qui a répondu à un autre coeur, comme pour lui dire : « Tu souffres, ta chair palpite, ton âme est agitée... Prends courage, aie confiance en moi, cette nuit même tu verras ma gloire dans le ciel de Dieu ! »

Simon de Cyrène n'y tient plus, la tête dans ses mains, il pleure.
Une foule de pensées et d'émotions qu'il ne peut contenir se pressent en lui.
Oh ! cet aveu du brigand : « Pour moi, c'est justice si je souffre, mais toi tu n'as fait aucun mal. » Simon rentre en lui-même. Tous les souvenirs intimes de sa vie lui reviennent avec la force impétueuse d'un torrent. Lui aussi a péché. Il serait puni si les tribunaux des hommes connaissaient tous les secrets intimes de sa conscience. Comme tout homme il a transgressé la Loi. Son être intérieur est bourrelé de remords. Tandis que ce crucifié, qu'il aime maintenant, n'a rien fait... Pourquoi a-t-il envie de lui demander pardon pour l'injustice dont il souffre, pourquoi instinctivement fléchit-il les genoux ? Ah ! c'est qu'un autre accent de certitude l'a frappé dans la réponse de Jésus.

Le brigand a dit : « Souviens-toi de moi, quand tu seras dans ton règne ! » Comme si ce roi couronné, d'épines avait réellement, de l'autre côté, un royaume céleste, et comme s'il en avait dès ici-bas les clés pour en ouvrir les portes !

Et le prophète n'a rien démenti. Il n'a pas dit : « Je ne puis rien pour toi, ô compagnon de douleur ! » Au contraire, il a répondu : « Aujourd'hui même tu seras avec moi dans le paradis » Le Nazaréen oserait-il mentir ainsi jusqu'au seuil de la mort ? D'habitude, à cette heure tragique entre toutes, les illusions tombent, l'imposteur abandonne son audace, le comédien son masque, l'hypocrite sa duplicité, et Lui, ce mourant, a dit : « Aujourd'hui même, tu seras, avec moi, auprès de Dieu ! » Alors, il a donc puissance sur la mort et souveraineté, dans l'au-delà ? Simon, envahi de crainte, tend aussi ses deux bras vers la Croix comme pour dire : « Et moi aussi j'ai péché ! Et moi aussi je souffre ! O Jésus, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume ! »

Les grandes souffrances approchent. La croix était la plus atroce des tortures antiques. La soif de la fièvre, la congestion du coeur, le durcissement des veines, les crampes, des muscles, les vertiges, l'angoisse de l'agonie accablent le prophète de Nazareth...
Une dernière fois il laisse errer son regard d'amour sur les pauvres hommes ses frères. Non loin de lui il reconnaît le petit groupe de ses amis qui se rapproche de plus en plus de sa croix. Oh ! quelques femmes - quatre exactement - et Jean son disciple aimé.
Jésus reconnaît sa mère : « Mère, dit-il, voici ton fils », et il fixe Jean : « Fils ! voilà ta mère ! » Ses yeux se ferment et sa tête retombe...

Simon de Cyrène a compris. Il est touché au delà de toute expression de cette dernière pensée du mourant et du tact avec lequel il a confié sa mère à la bienveillance de son ami !
Mais surtout Simon s'est précipité vers le petit groupe ; il a pressé de questions les humbles femmes, il les a suppliées de lui dire, enfin, qui était ce sublime crucifié qui lui arrachait tant de larmes, d'apporter par leur réponse un peu de lumière à sa pauvre âme tourmentée, avide maintenant de certitude, et permettez-moi de faire cette supposition - qui après tout ne fait aucun mal à l'histoire - l'apôtre Jean lui a répondu.
Il lui a dit : « C'était Lui, le Christ de Dieu ! Il nous l'a dit et nous l'avons cru à cause de ses oeuvres. Jamais homme n'a parlé comme cet homme. Il nous a confié, sur les monts de Galilée ou sur les rives du lac, à travers toute la Judée, sous les grands arbres, dans la paix du soir, la fraîcheur des aubes et le silence des nuits, comme dans les rues de Jérusalem, des paroles que nous n'oublierons jamais.

« Il nous a révélé Dieu. Qui l'a vu, a vu vivre Dieu parmi les hommes. Il a dit : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ! Tous les deux nous sommes un ! »

« Il avait autorité sur les démons. Partout où Il passait Il les rejetait loin de lui. Son autorité commandait aux éléments. Il marchait sur les eaux, calmait les tempêtes, multipliait le pain.

« Dieu en Lui pardonnait les péchés. D'un mot il libérait nos âmes !

« Il avait vaincu le mal. « Qui de vous me convaincra de péché ? » disait-il.

« Hanan n'a obtenu aucun témoignage contre lui, Pilate l'a déclaré innocent, Hérode s'en est moqué, mais personne ne l'a convaincu de crime.

« Cependant, il haïssait trop le mal, il le dénonçait trop partout où il le rencontrait, il était pour eux une accusation trop vivante et c'est pour cela qu'ils l'ont condamné !

« Il était la « Parole » de Dieu parmi nous et Il meurt sur la Croix, à cause du péché de nous tous. Nous-mêmes ses disciples qu'il a aimés jusqu'à la fin, nous l'avons abandonné... L'un d'entre nous l'a renié, l'autre l'a trahi pour de l'argent, Il est seul. Il va mourir ! »

Cette fois, Simon de Cyrène a tout compris.
Il s'effondre dans la douleur, à genoux, et sanglote au pied de la Croix !
Il a compris ! ... La lumière de Dieu a visité les hommes et les hommes ne l'ont pas reconnue.

Dieu a envoyé son Christ, ceint de lumière et de vérité, au milieu des pécheurs et les pécheurs l'ont pendu au bois par haine, par vengeance, dureté de coeur et amour de leurs oeuvres mauvaises !
Dieu est crucifié en ce jour. Le Dieu Sauveur !
Son passage sur la terre se termine par l'infamie !

Jésus s'écrie :
« Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi m'as-tu abandonné ? »

Et puis :
« Tout est accompli ! »

Enfin, après un grand cri il déclare :
« Mon Père, je remets mon esprit entre tes mains ! »

Et Simon écrasé à terre pleure... Sa tunique traîne dans la poussière que ses larmes mouillent... tandis que les ténèbres, s'épaississent vers trois heures du soir, que le voile du Temple se déchire et que les morts ressuscités parcourent la ville...

Simon de Cyrène, en face de la Croix vient de réaliser toute la gravité, toute l'horreur du péché des hommes comme du sien propre, car il est atteint du même mal, mais ses pleurs en feront un disciple du crucifié. Il sera même le père de Rufus, cet élu du Seigneur à son tour, dont Paul disait que sa mère était aussi la sienne.
Puisses-tu, à cette heure, mon frère, devant le Calvaire une fois de plus dépeint à tes yeux, comme Simon de Cyrène, avoir une révélation du péché des hommes comme de ton péché et pleurer au pied de la Croix !

II

Pourtant, au pied de la Croix, Simon n'a compris que bien peu de choses encore ! Juste ce qu'il pouvait saisir avec son intelligence, son coeur, sa conscience d'homme « moyen », surpris dans le train de sa vie quotidienne. Tout un côté du drame, et le plus vaste, lui a échappé. Il n'a même pas pu réaliser le sens véritable de ces deux cris de Jésus :
« Mon Dieu ! Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné » et « tout est accompli ! » Certes ! il a eu cette révélation du mal dont parle Fallot dans « l'Action Bonne ». « Jamais encore, nous dit le grand penseur chrétien, il n'y avait eu sur la terre semblable explosion de méchanceté. La croix, on peut bien le dire, est le chef-d'oeuvre du péché. Ce jour-là, celui-ci a montré tout ce dont il était capable, et jamais il n'a paru si laid. En face de ce spectacle, il faudrait être frappé d'imbécillité pour affirmer que le péché est chose sans gravité, ou simple accident, ou bagatelle.

« Je n'admets pas qu'un homme puisse considérer avec quelque attention les scènes qui se déroulent autour de la croix, sans que sa conscience ne commence à s'éveiller. (1) » Mais cette révélation saisie par Simon lui vient « du côté de l'homme » comme on a dit ; il lui manque celle « du côté de Dieu » plus terrible et plus poignante.
S'il nous est utile, en effet, de voir le péché tel qu'il est, il nous est plus important encore de savoir ce que Dieu en pense.

La croix est l'expression visible de cette pensée de Dieu, de son jugement. Elle nous crie, de sa part, son indignation avec sa douleur.
Il ne nous sera plus possible désormais de proclamer que le péché n'est rien... que Dieu est au-dessus de nos misérables peccadilles et qu'Il ne saurait s'y arrêter... que son amour infini les couvre avant même qu'elles aient paru devant sa face !...

Au contraire, en présence de Golgotha il nous faudra reconnaître, écrasé par la justice d'En-Haut, toute la gravité de notre crime. Il n'y a plus de malentendu pour la conscience humaine. Depuis des siècles elle se posait la question : « Qu'est-ce que le mal ? » Il lui fallait une réponse claire et précise qui pût sauvegarder sa dignité et lui assurer la délivrance.
Par la croix, Dieu proclame la vérité sur le péché et les pécheurs : le péché est une révolte, une faute, un outrage et le pécheur est un coupable.

La croix, avec tout l'horrible drame qui l'accompagne, est donc le juste châtiment du péché des hommes.

Et c'est là tout l'enseignement de Jésus. En effet, à en croire le quatrième Évangile, cette mort a été présente à la pensée de Jésus dès le commencement de son ministère. La parole de Jean-Baptiste : « Voilà l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde », ne se comprendrait pas si les entretiens, du Messie et du Précurseur n'avaient porté sur la nécessité de la mort du Fils de Dieu. Dans tous les grands drames de sa vie, Jésus songe à sa fin tragique et la laisse entrevoir dans ses paroles. À ses disciples intimes il déclare : « Qu'il FALLAIT qu'il allât à Jérusalem et qu'il souffrît beaucoup de la part des principaux sacrificateurs et des scribes, et qu'il fût mis à mort et puis le Fils de l'Homme doit donner sa vie en rançon pour plusieurs. »

Jésus précise encore sa pensée : il déclare même que c'est pour cette heure-là qu'il est venu : « Maintenant mon âme est troublée et que dirai-je ? Mon Père délivre-moi de cette heure ; mais c'est pour cette heure que je suis venu ! »

Et pour insister sur la nécessité de sa mort, il emploie les termes grecs «  » «  » il faut (Matth. XVI, 21 ; Luc XXII, 37 ; Luc XXIV, 26). Cette mort nécessaire fondée non seulement sur le péché des hommes mais sur la volonté, de Dieu, c'est la coupe qu'il doit boire : « Ne boirai-je pas la coupe que mon Père m'a donnée à boire ? » Jean XVIII, 11). Et le châtiment est librement accepté par Jésus.
« J'ai le pouvoir de donner ma vie et j'ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me l'ôte, mais je la donne de moi-même ! »

« D'où suit, écrit M. Charles Bois, que lorsque Jésus s'écrie par trois fois : « S'il est possible que cette coupe s'éloigne de moi sans que je la boive » et ajoute : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux », Il n'entend pas qu'il lui serait impossible d'éviter cette coupe quand il le voudrait : Il n'aurait qu'à ne pas vouloir ce que Dieu veut, mais le salut de l'humanité ne serait plus possible. Et, puisqu'Il veut avec son Père sauver l'humanité il lui est impossible de se soustraire à cette mort affreuse. »

Eh ! bien, saisissez-vous maintenant, mes chers auditeurs, toute la gravité du péché ? Seule, la mort du « Fils de Dieu » peut l'anéantir, seule la Croix peut l'effacer. C'est là, du moins, l'enseignement de l'Évangile. Approfondissez le problème comme vous le voudrez, à vous, s'imposera toujours la même conclusion :
- C'est parce que le péché est grave que le Fils de l'Homme a dû quitter la gloire dont Dieu l'avait revêtu bien avant la création du monde, pour descendre en nos terrestres lieux ;
- C'est parce que le péché est grave qu'Il a souffert et qu'Il est mort ;
- C'est parce que le péché est grave que toute l'abomination de la Croix du Calvaire fût indispensable pour l'effacer et le détruire.

Et mesurez maintenant, si vous le pouvez, les deux paroles du grand crucifié que Simon de Cyrène n'a pas pu comprendre !
« Mon Dieu ! Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Cet appel suprême est le point culminant de la Croix. Il donne la mesure du sacrifice de Jésus et de l'horreur de l'expiation. Ce n'est plus de la chair que vient la souffrance du Fils de l'Homme, c'est de Dieu !
« Depuis la sixième heure, jusqu'à la neuvième, des ténèbres se firent sur toute la terre. »

Le Ciel garde le silence...

Oh ! ce silence de Dieu ! Que n'a-t-il pu le comprendre, Simon de Cyrène, à genoux au pied de la Croix. Que n'a-t-il pu saisir qu'à cette minute le Christ est devenu l'agneau, qui porte le péché du monde. Il faut que ce péché soit jugé, condamné, puni. Il faut qu'il soit détruit. Il le sera par toute la réprobation divine concentrée en cet instant sur lui. Et Dieu se détourne du Saint qui veut expier afin qu'Il puisse sonder dans l'intimité de son être la profondeur qu'atteint la malédiction du mal.

Ah ! Simon de Cyrène, si tu pouvais éprouver l'agonie de ce martyr abandonné de Dieu durant l'espace éternel de ces quelques secondes... comme tes pleurs seraient plus amers, comme ta douleur serait plus cruelle ; ta repentance deviendrait un supplice. Pour nous tous, pécheurs instruits par l'Esprit Saint de Dieu, quand nous songeons au cri du Fils : « Pourquoi m'as-tu abandonné ? » la gravité de notre péché nous écrase...
Mais bientôt la face de Jésus se tourne vers le ciel : « Tout est accompli ! » dit-il.

« Tout est accompli », c'est-à-dire justice est faite ! Et quelle justice !

Rien n'est comparable à cette expiation du « Fils de l'Homme », ni les tourments des criminels, ni les souffrances des martyrs, ni les épreuves des saints. Au-dessus de tous est la Croix de Jésus-Christ qui se termine par ce cri de triomphe : Tout est accompli !
Tu peux te relever, Simon de Cyrène, ton péché t'est pardonné !

Enfin, mes frères, avez-vous songé quelquefois aux sacrifices que dût s'imposer à lui-même l'Amour de Dieu pour accepter la Croix du Calvaire ?
Voulez-vous essayer avec moi de vous les représenter maintenant, autant que notre faible intelligence est dans la possibilité de le faire ?

Il y a eu dans le ciel une seconde qui doit marquer pour les anges, comme une date éternelle dans leur éternité même... Quand le Fils del Dieu comprit quelle était la gravité du péché des hommes au point que rien, ni personne ne pouvait l'extirper de leur coeur, ni les eaux du déluge, ni les tonnerres du Sinaï, ni les imprécations des prophètes, Il se présenta devant son Père et Lui dit : « J'irai, moi, parmi les pécheurs, je descendrai sur la terre chercher et sauver ce qui est perdu. J'expierai leur péché ! »
Et le Père... dont l'amour immense trouve ses délices en celui qui lui parle, un instant souffre et hésite ...
Son silence s'étend sur le front des anges en prière ... parcourt les étoiles et suspend la course des infinis.
Et Dieu répond :
Oui !

Sonde, mon frère, dans le sacrifice de cet amour, toute la gravité du péché !

Et Jésus est descendu parmi nous. Prenant une forme de serviteur et semblable aux hommes, il s'humilie lui-même, se rendant obéissant, jusqu'à la mort, même jusqu'à la mort de la Croix.
Mais en Gethsémané le fardeau qu'Il porte est trop lourd... à genoux sous les grands arbres qu'agitent les souffles de cette nuit ardente, il recule par trois fois et supplie : « Père ! que cette coupe passe loin de moi sans que je la boive ! »
Et le Père regarde...
Toute la torture du Fils meurtrit son divin amour.
Cédera-t-Il ? Proclamera-t-Il que l'épreuve est suffisante et qu'Il pardonnera sans une plus décisive et sévère expiation ?
Non.
Il faut que la Croix se dresse ! Relève-toi, Fils de l'Homme ! Il faut mourir ! Monte Judas !

Sonde, mon frère, dans cet autre sacrifice, toute la gravité du péché.

III

La légende raconte que Simon de Cyrène est mort martyr... Aucune preuve historique ne peut le confirmer. Du moins possédons-nous une quasi certitude qu'il est resté un disciple fervent du Crucifié.
Sa femme, mère de Rufus, fut une seconde mère pour l'apôtre Paul qui l'aimait d'une tendre affection filiale.

La vision de la Croix a suffi à ce Jérusalémite de retour des champs pour lui arracher les larmes de la repentance et le convertir au Fils de Dieu ! Du moins permettez-moi de le croire...

Et voici, chers auditeurs, ce qu'il nous faut absolument mettre en lumière : Simon de Cyrène n'a pas eu seulement au pied de la Croix, une vision du mal, une révélation du péché de l'homme, mais la révélation précise, directe, de SON péché, et de SA culpabilité.
Il s'est senti un misérable dans la grande foule misérable, un injuste devant le Juste, un coupable devant le Saint et l'Innocent.
Il a dû, comme le brigand dont l'Évangile nous raconte la repentance, se faire à lui-même cet aveu :
« Pour moi je suis méchant, mais Lui est innocent. »

L'Esprit de Dieu a fait le reste. Il lui a révélé que cette victime sans tâche s'était livrée pour son pardon et sa délivrance. Un des apôtres, ou saint Paul peut-être le lui a enseigné.

Ah ! prenons-y bien garde mes frères. Il serait tout à fait inutile pour nous de reconnaître ce matin que le péché des hommes est une infamie... qu'il a rendu impossible la présence de Dieu sur la terre, et donné en spectacle aux hommes cette monstruosité : la Passion de Jésus ! Il serait inutile même d'accepter ou de comprendre intellectuellement la haine que Dieu lui a vouée, la haine sainte dont il l'a chargé au Calvaire, si nous n'avions pas nous-mêmes une vision personnelle de notre misère, longue théorie de fautes, de hontes, de turpitudes pour laquelle aussi a été dressée la Croix.

Trop de chrétiens ne contemplent jamais la Croix que « de profil » comme disait Fallot ; cette contemplation est stérile - il faut qu'elle entraîne vraiment après elle le sentiment du péché et la repentance.
Telle est la vision de la Croix qu'il nous faut Dieu nous l'accorde ce matin !
Cependant, un mot encore.
C'est au nom de la Croix que vous jouirez du pardon de Dieu. En voici un exemple :

Un jour, un homme m'a raconté qu'après une vie, traversée de mille tourmentes, enfermé dans le cachot d'une prison, chaînes aux pieds et aux mains, il a pleuré sur sa triste existence... Ses larmes ont coulé, lentes, abondantes ; elles ont mouillé le fer des menottes et la terre durcie du cachot... puis quand les sanglots se sont arrêtés, quand les yeux se furent séchés, l'ombre était toujours, aussi grande au fond de l'âme... Un jour les portes de la cellule se sont ouvertes et comme à l'oiseau dont on brise la cage, la liberté lui fut rendue...

À quoi servirent les larmes d'hier ?
À rien ! l'avenir fut aussi mauvais que le passé, la défaite morale terminait tous les combats. Et il fallut encore, à l'homme dont je vous parle, revenir dans les cachots des prisons, reprendre les chaînes et regarder le ciel bleu à travers les barreaux des geôles.

Jusqu'à ce qu'un jour Dieu permit que lui fût présentée la Croix. Alors, quand devant le grand crucifié il reconnut sa misère, ce fut toute la joie du ciel qui entra dans son âme, toute la paix de Dieu dans l'assurance des réconciliations définitives...

Et pourquoi ?
Parce que l'homme ne peut vraiment comprendre qu'en présence du Calvaire et c'est quand il a eu réellement la vision profonde de toute son ignominie que Dieu ouvre toutes grandes les possibilités immenses de son amour !

Puissions-nous ainsi, ce matin, contempler le Calvaire et recevoir d'en-haut une grâce aussi douce à nos âmes que la vertu sanctifiante de la Croix !

Amen.

H. EBERHARD


Table des matières


(1) FALLOT. Action bonne, page 123.

 

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