Lettres de Direction spirituelle
inédites
À Antoine Blanc et aux Vaudois Du
Piémont.
LE RÉVEIL DES VALLÉES
VAUDOISES.
V. – A
Antoine Blanc.
À PROPOS DE
CERTAINES ÉGLISES ET DE CERTAINS
CONDUCTEURS. – GOÛTEZ COMBIEN LE
SEIGNEUR EST DOUX. – SONDEZ LES
ÉCRITURES. – SURTOUT PRIEZ.
Guillestre, le 9 mai 1895.
MONSIEUR ET BIEN - AIME
FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST,
..... O quand les Vaudois des Vallées,
renonçant à leur mondanité et
surtout à leur orgueilleuse propre justice,
apprendront-ils à connaître et
à aimer Celui dont leurs pères ont
gardé le témoignage, mais qu'ils
déshonorent et qu'ils crucifient chaque jour
(1).
O s'ils pouvaient entrevoir à quelle
effrayante distance ils sont de la connaissance du
salut, quel abîme affreux les sépare
de Dieu, s'ils pouvaient sentir avec quelle aveugle
fureur ils font la guerre à Celui dont ils
prétendent si vainement être les
disciples ; ô comme ils seraient
humiliés, abattus, comme ils rejetteraient
avec horreur les idoles qu'ils encensent avec tant
de folie ; comme ils auraient honte de leur
prétendue piété ; comme
leur rire insensé se changerait en pleurs et
leur joie en tristesse.
Non, cher ami, je ne puis penser sans frémir
au sort déplorable de cette malheureuse
nation, enfants des Martyrs, fiers de leur sainte
et noble origine. La mémoire de leurs
ancêtres dont ils se glorifient,
s'élève en témoignage contre
eux, et les rend les plus inexcusables de tous les
hommes. Malheur à eux ! malheur surtout
aux aveugles conducteurs qui les laissent
périr dans ce dangereux sommeil. Mais
peut-être ne sont-ils pas rejetés pour
toujours. Peut-être le Miséricordieux
s'est-il réservé parmi eux un petit
résidu, selon son élection gratuite.
Peut-être en trouverait-on encore qui
entendraient la douce voix de Jésus. Mais de
qui l'entendraient-ils ? Hélas !
je crains bien que ceux qui prétendent
l'annoncer soient les premiers à la
contredire et à la repousser.
Pour vous,
bien-aimé frère, sauvez-vous de cette
génération perverse, ne suivez pas la multitude pour
faire : le mal, efforcez-vous d'entrer par la porte
étroite et de ravir le royaume de Dieu, car il est
forcé maintenant, regardez toute richesse, toute gloire,
toute vertu, toute justice, comme de la boue et du
fumier, au prix de la connaissance de
Jésus-Christ. Cherches la perle de grand prix,
et quand vous l'aurez
trouvée, votre coeur vendra volontiers tout
le reste pour l'acquérir. Oui, apprenez
à connaître Jésus et l'efficace
de sa mort, goûtez combien le Seigneur est
doux (I Pierre II : 3), regardez, à lui,
allée à lui comme à la source
des eaux vives, au seul chemin, à la seule
porte qui. conduise au salut. Ne consultez ni la
chair ni le sang, ni la folle sagesse de ce monde
qui appelle folie la sagesse de Dieu.
Sondez les
Écritures,
méditez-les
sérieusement, fuyez le train et la joie de
ce monde, mais surtout priez, priez en tout
temps ; demandez à Celui qui nous a
aimés, demandez-lui la parfaite connaissance
de votre propre coeur, puis celle de sa grande
miséricorde. Croyez qu'il ne rejette
personne et qu'il nous reçoit, tels que nous
sommes, croyez que tous nos efforts sont absolument
vains sans son puissant secours, et qu'il ne nous
sanctifie qu'après nous avoir
adoptés, justifiés, sauvés,
tandis que le monde aveugle prétend se
sanctifier (si même il y pense) afin
d'obtenir ensuite la miséricorde de Dieu.
Pour vous, allez
humblement et avec confiance au trône de
grâce afin d'obtenir premièrement
miséricorde, puis après d'être
aidé dans le temps du besoin
(Hébreux IV :
16).
Ne vous étonnez point s'il est beaucoup de
gens, même des docteurs en Israël, qui
ne connaissent point ces choses ; car l'homme
animal ne peut les entendre, elles lui paraissent
une folie, et pour en juger il faut être
conduit et éclairé par l'Esprit qui
les a révélées.
Recevez, Monsieur, les salutations fraternelles de
votre dévoué frère.*
VI. – Visite de Neff et d'André Blanc
en Piémont, Conversion d'Antoine Blanc
(2).
En juillet 1825, Neff put se
rendre à l'invitation qu'Antoine Blanc lui
avait faite en le quittant à
Briançon, l'année
précédente. André Blanc, de
Mens, l'avait précédé à
La Tour. La famille ainsi
réunie reçut Neff comme un ancien
ami. Antoine lui présenta ainsi sa
soeur : « Voyez-vous, cette grosse
Jeanne, c'est ma soeur ; elle vous
écoutera bien volontiers, celle-là,
et suivra bien vos avis. » Marie ne
répondit que par un soupir, et se
détourna aussitôt pour cacher ses
larmes. Blanc ajoute : « Vous
êtes attendu ici comme le messie ; on
languit de vous voir et de vous entendre ; je
ne sais si c'est tout de bon. » Et Il
poursuit : « Il y a ici un jeune
homme de mes ami qui languit bien de vous
voir : c'était un grand mondain comme
moi ; mais la seule lecture de vos lettres Va
totalement changé ; il a
complètement renoncé aux compagnies
mondaines, à la chasse, etc..., et ne
consacre plus ses loisirs qu'à lire la Bible
ou des livres de
piété. »
« Paul Gay,
écrit Neff (c'est le nom de ce jeune
homme) : vint effectivement dès le
lendemain ; il peut avoir vingt-trois
ans ; il paraît doux et modeste, plein
de sens, et il n'a nullement l'air villageois. Nous
allâmes le voir chez lui, où l'on nous
reçut fort bien ; nous trouvâmes
sur sa table une Bible ouverte, marquée en
beaucoup d'endroits, et les murs de sa chambre
garnis de sentences chrétiennes. J'eus
pendant mon séjour plusieurs entretiens avec
lui. Il me parut convaincu de la
nécessité de renoncer au monde pour
chercher les choses d' En - Haut, mais non pas
sentir la corruption de son coeur ; je le
prévins là-dessus et l'engageai
à prier pour obtenir cette indispensable
lumière (3). »
Le séjour de Neff et d'André Blanc en
Piémont fut bien employé. leurs
prédications – signal d'une
levée de bouliers de la part des pasteurs
– firent entendre une note bien nouvelle dans
le pays. Après avoir parlé sur la
régénération,
Neff pouvait dire : « Je fis ouvrir
de, grands yeux à mes auditeurs quand je
leur déclarai que non seulement ils
n'étaient point
régénérés, mais qu'ils
n'avaient peut-être jamais vu quelqu'un qui
l'était. ») ***
On peut s'imaginer ce
que furent les entretiens de Neff et d'Antoine
Blanc en poursuivant la lecture de la lettre de
Blanc, que nous citions en comment :
« C'est depuis lors que, convaincu de ma
misère, j'ai pris la résolution de me
convertir ; quelques amis de St-Jean prirent
aussi la même résolution et nous
continuâmes à nous réunir pour
lire la parole de Dieu, et nous allions souvent
chez M. Meille nous la faire expliquer, ce qu'il
faisait avec plaisir. Le monde se souleva parce que
nous le condamnions... M. Meille refusa de nous
recevoir, la plupart retournèrent dans le
monde. Paul et François Gay, avec moi,
furent les seuls qui continuèrent à
s'occuper de la seule chose nécessaire. Nous
n'avions personne pour nous conseiller, que
quelques lettres que nous recevions de M. Neff et
de mon frère. »
Blanc, après le départ de Neff,
malgré les difficultés inouïes,
les persécutions (4)
même qu'il eut à
supporter de la part des pasteurs, toujours
rationalistes et mondains, et du brigadier des
carabiniers, persévéra à
réunir chez lui ces assemblées
d'édification mutuelle.
VII. – A Antoine
Blanc.
QUE L' HOMME
INTÉRIEUR NE SOIT PAS AFFECTÉ PAR LES
ÉVÉNEMENTS EXTÉRIEURS. –
REGARDONS À LA FORCE DU SEIGNEUR NON
À NOTRE FAIBLESSE.
Molines, le 8 août
1825.
..... Je ne vous parlerai de
rien d'important pour cette fois, je ne vous ferai
pas même d'observations sur les nouvelles que
m'a données M. Meille touchant nos
prédications ; il n'y a rien là
qui m'étonne et je m'y attendais
presque ; loin de vous décourager, cela
doit vous faire sentir plus vivement la grandeur de
vos obligations, car vous serez, humainement
parlant, seul pour
fouler au pressoir (Esaïe LXIII, 3).
Quant aux choses spirituelles, comme que puisse
aller l'extérieur, tâchons que l'homme intérieur
n'en souffre
pas ; ils ne doivent rien avoir de commun,
d'ailleurs si nous sommes en paix et en communion
avec Dieu, peu importe le reste ; c'est donc
à ce but qu'il faut tendre, en regardant
comme ennemies toutes les pensées qui
peuvent nous retarder dans notre course ;
cette course, vous savez comment elle doit
être dirigée en toute
simplicité vers la croix de Jésus,
sans que le sentiment de nos misères nous
fasse obstacle ; la foi consiste par-dessus
toutes choses à espérer, comme
Abraham, contre toute
espérance, n'ayant point d'égard
à ce que nous sommes comme amortis et ne
formant point de doute, mais croyant en celui qui
ressuscite les morts, et appelle les choses qui ne sont point
comme si elles étaient, étant
pleinement persuadé que celui qui a fait les
promesses est fidèle (Rom. IV : 17, 22).
Demandez au Seigneur cette foi regardant
plutôt à sa force qu'à votre
faiblesse et à sa miséricorde
qu'à vos péchés. Ne vous
donnez point de repos que vous n'ayez ainsi
trouvé Jésus et en lui le repos de
votre âme. C'est là le pas important
qui nous met à l'abri de la colère
à venir et nous fortifie contre les maux
présents.
Adieu bien-aimé frère en
Jésus-Christ, saluez toute votre famille, en
particulier votre épouse et votre soeur
Vineon. Que le Seigneur soit avec vous tous et vous
réjouisse par la clarté de sa face.
Votre dévoué frère en
Jésus-Christ. *"
VIII. – À Antoine Blanc.
LES OUVRIERS QUE DIEU
CHOISIT.
Mens, 16 septembre 1825.
MONSIEUR ET
BIEN-AIMÉ FRÈRE EN
JÉSUS-CHRIST,
J'ai été bien
fâché de n'avoir pas su plus tôt
que vous étiez venu à
Briançon, car j'aurais eu tout le loisir de
vous y aller voir. D'abord je dois vous dire que je
n'ai point été surpris de l'ordre
donné à vos églises
après notre départ ; je
connaissais cette loi et j'avais même
été un peu étonné qu'on
nous offrît la chaire sans la permission de
quelque autorité. Au reste, cette
défense est fort inutile, car je ne crois
pas qu'en général vos pasteurs
fussent disposés à nous faire
prêcher une autre fois, et il faudra
nécessairement que l'œuvre de Dieu se
fasse parmi vous d'une autre manière. Vous
savez qu'il est écrit : si ceux-ci se taisent les pierres
même crieront. Et quand les vignerons cessent de
rendre au maître les fruits de sa vigne, il
la leur ôte et la donne à d'autres. Le
Seigneur qui se complaît à
confondre les choses
fortes par les faibles et les sages par les folles,
choisit souvent ses
ouvriers parmi le peuple, les simples et les
petits, tandis qu'il laisse les sacrificateurs et
les docteurs de la loi dans leur morgue
pédante, criailler contre sa doctrine et ses
vrais enfants. C'est ainsi qu'il en a usé
presque toutes les fois qu'il a voulu ranimer le
lumignon prêt à s'éteindre.
Ne soyez point étonné si ceux qui
bâtissent rejettent la pierre qui doit
être la principale de l'angle ; elle
n'en est pas moins choisie et précieuse, et
si vous fondez sur elle vous ne serez jamais
confus. Posez-la donc et bâtissez sur elle,
non comme les docteurs du siècle un vaste et
léger édifice de foin et de chaume,
mais un riche et solide ouvrage d'or et de pierres
précieuses, c'est-à-dire quelques
âmes sincères et vivantes, ignorées ou haïes du
monde, mais bien-aimées de Dieu. Entrez
courageusement dans la lice, ne regardez pas
à votre insuffisance ; la force du
Seigneur s'accomplira dans votre faiblesse et
infirmité : il lui est aussi facile de
vaincre avec un petit nombre qu'avec une
armée, car ce combat est du Seigneur
l'Éternel.
Si vous sentez de quel abîme affreux le
Sauveur vous a retirés (5) à quel prix
il vous a rachetés et quelle gloire il nous
prépare, vous serez vivement pressés
de n'exister plus que par lui ; vous ne
pourrez voir de sang-froid périr un si grand
nombre d'âmes pour lesquelles Jésus
est mort, et par cela même que vous
êtes seuls à connaître la bonne
voie, vous vous sentirez appelés à
l'annoncer, ne disant pas comme
Moïse : envoie celui que tu dois envoyer,
car la colère
de l'Éternel s'enflammerait contre vous
comme contre lui
Je vous dis toutes ces choses parce que je sais
combien Satan est rusé pour mettre des
entraves à nos bonnes résolutions et
nous faire entendre que nous pouvons ou même
devons nous dispenser de mettre la lumière
sur le chandelier, que nous n'y sommes pas
appelés, que nous n'en sommes pas capables
ou dignes, etc. Mais tous ces mensonges ne trouvent
entrée dans nos coeurs que parce que nous
cherchons secrètement notre repos, que nous
redoutons l'opprobre et la croix. Car il est
évident qu'en jugeant des choses comme si on
était déjà devant le tribunal
de Jésus-Christ, toutes ces
prétendues bonnes raisons ne valent rien,
puisque leur dernier résultat sera de nous
rendre inutiles pour le règne de Dieu, et de
laisser les âmes dans les
ténèbres et la mort, tandis qu'en
travaillant de tout notre pouvoir à l'oeuvre
de l'Évangile il en résultera
certainement un bien éternel et qu'au
dernier jour les âmes qui auront
été amenées par nos soins
à la précieuse connaissance du salut
ne nous reprocheront pas certainement, non plus que
le Seigneur, d'avoir couru sans être
appelés. Tous ceux qui savent la crainte
qu'on doit avoir du Seigneur doivent tâcher
d'en convaincre les hommes. Et si nous
croyons,
c'est une raison
suffisante pour parler. Tout le reste est
préjugés ou abus du monde.
Prenez donc courage, bien-aimés
frères en Jésus-Christ,
fortifiez-vous dans le Seigneur. Commencez d'abord
par sonder vos coeurs et cherchez la porte
étroite qui est en Jésus-Christ
lui-même ; allez à lui avec
toutes vos misères, afin qu'il vous pardonne
et vous adopte pour siens, c'est la proprement
la porte.
Puis ensuite
assurés et réjouis par ses promesses
et ses grâces, combattez courageusement
l'ennemi déjà vaincu (le monde),
chargez votre croix et suivez Jésus avec
joie, vous estimant heureux de souffrir l'opprobre
pour l'amour de son nom, et n'étant
nullement épouvantés par les
adversaires.
Vous admirez vos pères qui ont
sacrifié avec joie leur propre vie pour
l'Évangile ; croyez que vous soutenez
la même cause, et sans chercher une vaine
gloire que le monde vous refuserait, cherchez celle
qui vient de Dieu seul ; détestez les
délices et le repos ; regardez et
repoussez comme une tentation toute idée
charnelle qui flatte notre coeur par
l'espérance d'un bonheur terrestre, quel
qu'il soit ; ne mettez votre
félicité qu'en Jésus et son
royaume de gloire. Soyez ainsi étrangers sur
la terre et citoyens des
cieux.
Adieu, cher frère et ami en Jésus
notre unique espérance. Que le Seigneur vous
fortifie et vous console. Qu'il augmente votre foi
et vous rende ferme et inébranlable sur le
fondement du salut. Amen ?
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