LA VIE DE
JOHN ET DE BETTY STAM
CHAPITRE VII
Fidèles dans les petites choses
Jusqu'au moment de leur mariage, un an plus
tard, les jeunes gens ne se revirent plus. Lui,
avait remonté le fleuve Yangtsé, par
vapeur, jusqu'à Anking, où il
était entré à l'école
de Langue pour apprendre le chinois. Il s'y
trouvait une trentaine d'étudiants.
De son côté, la jeune fille
avait enfin gagné Fowyang, en compagnie de
M. et Mme Glittenberg, nommés à ce
poste. Le voyage, depuis Shanghaï,
s'était accompli en chemin de fer, d'abord,
puis en autobus. Il avait duré plusieurs
jours. M. et Mme Hamilton, les seuls
étrangers demeurant dans la ville,
donnèrent aux voyageurs la plus cordiale des
bienvenues. Quelques jours plus tard, Betty
écrivait :
« ... John est au
sud-est d'Anhwei, et moi, au nord-ouest. L'immense
fleuve Yangtsé coule entre nos deux
districts, qui offrent comme terrain et
végétation des oppositions
très marquées. Là-bas, on
mange du riz ; ici, on nous sert des nouilles.
Au sud, ce sont des champs de riz verdoyants ;
ici, des champs de blé brûlés
et desséchés. Et, tandis que nos
plateaux sont tout ce qu'il y a de plus uniforme,
la contrée méridionale est
agréablement coupée de collines et de
vallées. »
Cependant, dans ce pays du Nord, d'apparence si
desséché, Dieu répandait
d'abondantes bénédictions
spirituelles. L'oeuvre missionnaire qui, depuis
assez longtemps, semblait végéter,
avait commencé de s'étendre
après 1925, au cours des années
troublées qui suivirent. En 1927,
après l'expulsion des étrangers,
l'oeuvre d'évangélisation avait
été poursuivie uniquement par des
Chinois. Ceux-ci montrèrent beaucoup de
zèle ; et, malgré les dangers
que faisait courir le parti Communiste, et son
opposition aux chrétiens, ils rendirent un
très courageux témoignage, sur lequel
reposa la bénédiction divine. Aussi,
quand les missionnaires Costerus et Hamilton purent
retourner dans leur champ d'activité,
s'attendant à n'y trouver que des ruines,
des chrétiens découragés et
dispersés, quel ne fut pas leur
étonnement en constatant que Dieu avait fait
son oeuvre merveilleuse dans tout le district de
Fowyang.
Dans la ville même, il y avait une
congrégation de deux cent cinquante membres,
et, chaque dimanche, le service habituel
était suivi d'une réunion
d'Activité Chrétienne pour les
jeunes. Après quoi [le dimanche qui suivit
le retour des missionnaires], il y eut un service
de baptêmes : onze hommes et quinze
femmes rendirent publiquement témoignage
à Christ. Puis ce fut le service de Sainte
Cène auquel quelque quatre-vingts personnes
prirent part avec une joie débordante.
C'étaient des gens qui tous avaient
passé par de grandes tribulations.
Dans un autre centre d'activité
missionnaire, plus au Nord-Ouest, où la
persécution avait également
sévi, les chrétiens étaient
devenus comme de flamme, et leur témoignage
avait été béni pour la
conversion des indifférents et celle des
incrédules. Là, soixante et onze
personnes des deux sexes, avaient été
instruites des vérités
chrétiennes. Après
examen, les missionnaires les admirent au
baptême.
« La manière dont elles
répondirent aux questions que je leur posai,
écrivit M. Costerus, me révéla
leur connaissance merveilleuse des Écritures
et du chemin du salut. »
L'esprit du Réveil soufflait sur tout
le district ; les chrétiens se
réunissaient entre eux, chaque semaine, pour
l'adoration et la louange. Une veuve fidèle
avait été un instrument de
bénédiction pour les convertis de son
milieu ; elle les avait réunis chez
elle, régulièrement, et quelques-uns
dirigeaient déjà des services le
dimanche. Cependant, un grand nombre de jeunes
avaient besoin d'être instruits, et les
missionnaires étaient débordés
par la tâche. Au sujet de deux villages et
des groupements de chrétiens qui s'y
trouvaient, M. Costerus écrivait :
« Ceux qui, dans ces
villages, se sont tournés vers le
christianisme, ne savent en définitive que
peu de chose, hors chanter et prier... Mais le
Seigneur agit au milieu d'eux. On parle d'eux, en
les qualifiant de brebis sauvages, mais s'il en est
ainsi, c'est parce qu'il n'y a personne qui
s'occupe de les instruire... »
Il est facile de s'imaginer la reconnaissance et
la joie des missionnaires qui avaient pu, enfin,
retourner dans leur champ d'activité. Les
Glittenberg remplacèrent les Hamilton dont
le temps de congé était
arrivé. Betty Scott et sa compagne Katie
Dodd furent désignées pour
l'École de filles, où la directrice,
Miss Nancy Rodgers, leur donna la plus chaude des
bienvenues.
Cette année-là, des centaines
de chrétiens se réunirent à
Fowyang pour la Conférence d'automne,
espérant d'y recevoir de grandes
bénédictions. Miss Rodgers,
après un temps d'absence, revint aussi
à cette occasion.
« Nous avons
été heureuses de la revoir,
écrit Betty, et la joie des Chinoises
étaient sans bornes. Elle ramenait avec elle
de Süancheng une Miss Chiang, qui prit la
parole dans plusieurs réunions. Beaucoup de
chrétiens étaient venus de la
campagne, et il devait y avoir au moins huit cents
auditeurs, car l'église était
absolument bondée... »
À l'occasion de cette Conférence,
quatre-vingt-deux baptêmes furent
célébrés, et parmi ceux-ci, il
y eut le baptême d'un vieillard de plus de
quatre-vingts ans. C'est au sujet de ce vieillard
que Mme Glittenberg écrivit ce qui
suit :
Quand, après le baptême, il
retourna à la maison, le fils dont
l'inconduite l'avait fait beaucoup souffrir, vint
lui dire :
« Maintenant, il n'est
plus possible que nous vivions tous deux dans la
même maison ! » Il se
considérait comme trop profondément
enlisé dans le péché pour
pouvoir espérer d'être sauvé.
Mais le père le persuada d'accepter qu'on
priât pour lui. Des anciens de
l'église se rendirent alors chez ce
vieillard, à sa requête et à
celle de son fils. Ils lui parlèrent, ils
prièrent avec lui, et le fils trouva la paix
et la joie du pardon en Jésus ; il
saisit le salut. »
Comment continuer à s'occuper de
leçons quand il y avait tant d'occasions
précieuses d'annoncer le Sauveur !
D'ailleurs, Betty et sa compagne, Miss Dodd,
n'avaient pas attendu la Conférence pour
commencer des visites dans la ville
elle-même, et pour entreprendre, aux
alentours, une tournée
d'évangélisation. Pour Betty,
c'était là une expérience
toute nouvelle ; et voici l'extrait d'une
lettre qu'elle écrivit à son
frère à cette occasion :
« Anwhei est la
région la plus plate qu'on puisse imaginer.
C'est presque comme l'Océan quand il est
tout à fait calme. Ici et là, un
bouquet d'arbres et quelques maisons qu'on ne peut
voir de loin, car les maisons sont faites de boue,
et les arbres sont tellement couverts de
poussière - comme le reste
- que tout se confond. Parfois, ce qui nous signale
une maison, ce sont les paquets de piments rouges
suspendus aux murs pour y sécher. Cela, et
les persimmons, arbres dont les feuilles changent
de couleur, de sorte que chacune d'elles a une
teinte différente : orange, rouge,
verte, voilà les seules taches
coloriées du paysage. Partout, les gens
étaient occupés à la
récolte des patates (sortes de pommes de
terre sucrées, aux teintes rose-gris),
qu'ils retiraient de ce qui paraissait être
un amas de poussière. Un petit âne
passe-t-il sur la route en trottant ? Il
soulève des nuages de poussière qu'on
aperçoit à plusieurs
kilomètres de distance. Parfois, nous
longions le fleuve qui semblait presque bleu, et
qui, en cet endroit, s'est ouvert un lit au milieu
de rochers abrupts.
« Les hommes de notre ricksha
(1) allaient
lentement. La route était très
mauvaise, et les pneus des roues n'étaient
pas neufs, ni à air comprimé. On les
avait entourés de bandages, et les hommes
s'arrêtaient de temps à autre pour les
examiner et les nettoyer, craignant de nouvelles
déchirures.
« Vers 2 h. 30 nous nous
arrêtâmes pour le dîner Ce
n'était pas un endroit pour
villégiatures, mais un village où se
tenaient les marchés : on y venait de
tous les environs, et parfois de très loin.
Hommes, femmes, enfants étaient là
avec leurs denrées, marchands et
marchandises couverts de mouches. Quand celles-ci
nous aperçurent, elles virent rouge
probablement ! et se
précipitèrent sur nous. Ainsi firent
les gens. Nous nous retirâmes dans la petite
cour intérieure d'une auberge, construite en
boue. Là, nous fûmes suivis par la
foule qui se précipitait sur nous, comme si
nous avions été des balles de rugby.
Notre hôtesse essaya de chasser les curieux,
disant à haute et forte voix que nous
n'étions que des êtres humains comme
eux. Mais eux, continuaient de se faufiler dans
tous les recoins imaginables formant plusieurs
rangées tout autour de nous. »
« Cependant, l'hôtesse, bien
décidée à préserver ses
clientes des empiétements de la
curiosité, dans la mesure du possible,
s'excusa d'avoir à les conduire dans une
cour intérieure d'où elle les fit
passer dans une autre chambre de pisé.
« Là, fermant la porte sur
nous, elle nous laissa avec notre repas et nos
baguettes dans une obscurité presque
complète, si bien que nous ne pouvions
savoir si nous mangions aussi des mouches.
Cependant, ceux qui avaient pu
pénétrer à notre suite
étaient aussi enfermés ; nous
apercevions leurs yeux brillants ; sans doute
nous étions pour eux le plus passionnant des
spectacles ! Tout le temps, nous n'avions
cessé de distribuer des traités, et
la femme de la Bible qui nous accompagnait donnait
elle-même toutes les explications
nécessaires.
« Le soir venu, nous nous
arrêtâmes dans un autre village
où se trouvaient quelques chrétiens,
et un lieu de culte. Ces braves gens
n'étaient pas plus propres que les autres,
mais ils se montrèrent si affectueux, si
aimables ! Ils nous apportèrent de
l'eau chaude, des cacahuètes bouillies, et
bien d'autres choses. Pour la nuit, nous nous
installâmes dans la mansarde, au-dessus de la
petite chapelle. Katie, ennuyée par les
rats, descendit sa literie par l'échelle, et
s'installa sur des bancs dans la chapelle. Quant
à moi, je me débattis avec de plus
petites choses que les rats,
aïe ! »
« Le lendemain, nous arrivions
à Yingshan, ville plus importante, et dont
nous aperçûmes les remparts de
très loin. Aucun missionnaire n'a jamais
vécu ici, que je sache. La maison de la
mission n'est pas située dans les rues
principales ; une ravissante porte en forme de
lune donne accès sur la cour
intérieure. La propriété est
habitée par un évangéliste
chinois et sa famille. Partout, séchant au
soleil, des navets et des chevrettes (sorte de
grosse crevette d'eau douce). Sur chacune d'elles,
des collections de mouches... »
Cet avant-poste n'était pas situé
dans la région où s'étaient
produites de nombreuses conversions ; et on
espérait qu'avant longtemps, Betty et sa
compagne pourraient s'y installer pour s'occuper
des femmes et des enfants. Betty Scott se
réjouissait beaucoup à cette
perspective.
« Cette ville me semble
extrêmement bien choisie pour notre future
activité, écrivit la jeune
missionnaire. Jusqu'ici, presque
rien n'a été fait parmi les femmes,
et le petit nombre de celles qui ont entendu
quelque chose de l'Évangile désirent
ardemment apprendre à lire pour
étudier la Bible. De façon ou
d'autre, leurs coeurs ont été
préparés. Il en va de même des
enfants. Garçons et filles de
l'école, et même ceux qui ne savent
pas lire, rayonnent de joie à la
pensée que nous devons revenir pour les
instruire. Ils sont venus en foule, tout le temps
que nous avons été là, et nous
leur avons enseigné tous les versets de tous
les cantiques chinois que nous connaissions
nous-mêmes. Ils les répétaient
des centaines de fois, pour s'assurer de les bien
savoir...
« Quelques-uns des tout petits
étaient vraiment délicieux ils
étaient si candides, si affectueux, pas
encore contaminés par le mal... Comme leurs
yeux brillaient ! Ici, personne en retard pour
l'École du Dimanche ; personne non plus
qui, l'école terminée, se
précipite pour aller à la maison. Ils
allaient chez eux pour manger, mais pas tous
à la fois. L'évangéliste eut
trois services, et l'après-midi une
réunion spéciale pour enfants, de
sorte qu'il y eut foule toute la journée.
Les enfants n'avaient rien d'impertinent ni
d'effronté. Ils étaient
intéressés et enthousiasmés.
Nous avons fait une abondante distribution de
traités. Quant à Miss Liu, elle se
multipliait pour évangéliser les
femmes, allant de groupe en groupe. Il y avait de
quoi perdre la tête. Tous désirent que
nous revenions vivre avec eux, afin de leur
enseigner la Bible. »
C'était là un voyage
épuisant pour les jeunes missionnaires qui
n'étaient pas encore accoutumées au
milieu : langage, nourriture, grandes
foules ; tout cela était nouveau pour
elles. Mais elles se trouvaient si heureuses
d'être enfin en pleine activité,
même momentanée !
À son fiancé, la jeune
fille écrit :
« Oh John, si vous
aviez vu cette affluence de gens, hier,
après notre arrivée ! Ils
pénétraient dans la chapelle, dans,
la cour, dans notre chambre, partout ! Et,
dans cette foule, il y avait les plus
délicieuses jeunes filles qu'on puisse voir,
de très nombreuses femmes, des
étudiants, des enfants. Nous avons
donné notre provision de traités, et
notre « femme de la
Bible » ne cessait de parler aux uns ou
aux autres. Katie et moi nous nous sommes aussi
essayées à dire quelques mots.
À un moment nous avions un auditoire de
cinquante à soixante personnes, et les gens
ne cessaient pas d'aller et venir, Nous les avons
tous invités à venir aux services du
dimanche.. Comme il nous tarde de pouvoir commencer
des cours bibliques pour les jeunes filles qui ont
une certaine instruction, et d'autres
réunions pour les femmes et les
enfants !
« Ce matin,
l'évangéliste nous a conduites dans
les maisons où se trouvent des
chrétiens, et chez ceux qui désirent
se faire instruire. Oh que de travail à
faire ! Pensez à cela Il n'y a jamais
eu de missionnaire à demeure, en cette
ville : ni homme, ni femme ! Et je crois
bien qu'à l'exception de Mrs. Ferguson, on
n'y avait point vu de femme de race blanche
jusqu'à notre visite. Or, c'est une grande
ville, tout entourée de
remparts. »
Ce n'est pas sans quelque inquiétude que
John Stam suivait en pensée sa
fiancée, dans un district que parcouraient
encore quelques bandes de brigands.
Inquiétude que justifia, peu après ce
voyage, un pénible incident.
La plus jeune enfant des Glittenberg, un
délicieux bébé, tomba
gravement malade. C'était la dysenterie. La
seule chance de salut semblait être de gagner
l'hôpital le plus proche. Mme Glittenberg
entreprit donc le long voyage en autobus, avec la
petite Loïs ; voyage qui, normalement,
dure un jour. Malheureusement, une bande de soldats
déserteurs arrêta la voiture ;
tous les voyageurs reçurent l'ordre de
descendre sans prendre leurs bagages. En vain, Mme
Glittenberg supplia qu'on voulût bien lui
laisser le petit sac contenant la médecine
pour l'enfant et quelques objets
nécessaires. On le lui refusa. Sans doute
était-ce quelque chose de précieux
puisqu'elle insistait pour le garder. Puis il
fallut beaucoup de temps pour trouver un
« ricksha » afin de pouvoir
continuer le voyage. Mme
Glittenberg avait heureusement un peu d'argent
cousu dans sa robe, et elle put payer la
dépense supplémentaire. Mais les
délais, la fatigue, le froid,
dépassèrent l'endurance du
bébé, qui mourut à
l'hôpital. Au sujet de ce deuil, survenu au
mois de novembre, et de l'esprit de soumission
chrétienne des parents, Betty
écrivait quelques jours plus tard :
« Ici, dans cette
Oeuvre il faut tout remettre à Dieu, les
enfants y compris, et avoir l'intime conviction
qu'Il dirige toutes choses pour le mieux et selon
sa volonté. »
Quelques semaines plus tard, le 11
décembre, nouvelle alerte. C'était
à la station missionnaire, cette fois. Voici
ce que Betty écrivit alors à son
fiancé, à propos de cette
affaire :
« 11
décembre 1932.
« Aujourd'hui, je ne suis pas
allée à l'église et, vers
midi, je me rendis chez les Glittenberg pour le
déjeuner. Milton est malade depuis la mort
du bébé. Il semble que ce soit la
rougeole. Mrs. Glittenberg était
restée près de lui, et les autres
étaient au temple, excepté le
cuisinier, revenu un peu plus tôt pour
libérer notre vieux concierge.
« À 2 heures de
l'après-midi, le service n'était pas
encore terminé, deux soldats se
présentèrent et commencèrent
à s'installer. Le cuisinier leur fit
probablement quelques observations ; ils le
battirent. Celui-ci courut alors jusqu'à
l'église pour appeler le concierge, et Mr.
Wang qui enseigne à l'école des
filles. Entre temps, j'étais allée
parler aux soldats, leur expliquant que les locaux
étaient occupés par une pension de
jeunes filles, par des missionnaires et quelques
autres personnes, voulant leur faire entendre par
là qu'il n'y avait point de chambres libres
pour eux. Malgré cela, il était
évident qu'ils n'entendaient pas se retirer,
et j'avais déjà averti Mrs.
Glittenberg quand le cuisinier revint avec notre
concierge et Mr. Wang. Le service se terminait et
nos jeunes filles
rentrèrent à leur tour. Peu
après, survenaient deux compagnies de
soldats (environ 60 hommes) qui
s'installèrent dans les classes après
en avoir enlevé tables et pupitres qu'ils
empilèrent dans la cour. Vous pouvez
imaginer la situation.
« Naturellement, il n'est pas
convenable que des soldats s'emparent ainsi de
locaux ; même si Nancy Rodgers et les
élèves restaient au second, il
était à craindre que les uns ou les
autres se permissent quelque incursion aux
étages supérieurs. Que faire ?
Mr. Glittenberg était allé chercher
les enfants à Shanghaï, pour les
fêtes de Noël ; le pasteur faisait
une tournée de prédications, et Mr.
Ho venait de rentrer avec la tente, après
une série de réunions
d'évangélisation. Poliment, mais avec
fermeté, Mr. Ho expliqua la situation,
essayant d'obtenir le retrait de la troupe.
« Je me rendis alors
jusqu'à notre petit logement, près du
temple, pour voir s'il n'avait pas aussi
été envahi par les soldats. Tout
était calme de ce
côté-là. Comme je revenais, je
dépassai Mr. Ho qui arrivait près du
Yamen, la demeure du résident chargé
du district. Il allait s'adresser au grand chef,
qu'il rencontra près de sa porte. Celui-ci
se montra très aimable ; il
écouta Mr. Ho, et promit qu'avant la nuit
les hommes auraient quitté des locaux qui,
manifestement, ne leur convenaient point.
« À ce moment-là,
les soldats avaient commencé de se promener
un peu partout : dans la cuisine, au second,
etc... Aussi, avec quelle joie nous
entendîmes Mr. Ho nous dire les
résultats de sa démarche. Cependant,
nous continuâmes à prier. Les gens
peuvent revenir sur leurs promesses, et trouver des
excuses s'ils le désirent. Tandis que nous
priions, un coup de sifflet strident
retentit ; aussitôt, les soldats
sortirent et s'alignèrent sur deux rangs qui
allaient presque de notre porte jusqu'au portail
extérieur sur la rue. Et, en bon ordre, tous
quittèrent les bâtiments de la
Mission.
« Alors, Mr. Ho, Mr. Wang,
l'instituteur, le concierge, le charpentier, le
petit chevrier, le cuisinier, les pensionnaires et
nous aussi, tous, ébahis, joyeux et
reconnaissants, nous remerciâmes Dieu
à plusieurs reprises, comme vous pouvez le
comprendre... »
En commentant ces incidents, John Stam
écrivait à ses parents :
« Je suis tout
particulièrement heureux que Betty prenne
ces choses si calmement. Mais ces détails
vous aideront à comprendre la situation et
à prier pour elle et pour nous deux quand
nous aurons notre poste missionnaire. On ne sait
jamais ce qui peut arriver ; mais nous savons
que l'Éternel Dieu règne. Sur toutes
choses, ne vous faites point de souci à
notre endroit. »
Puis il transcrit un poème qu'il vient de
recevoir, et que lui a envoyé le professeur
Scott ; poème inspiré par la
mort d'un missionnaire, assassiné par des
soldats irréguliers, lesquels se livraient
au brigandage ; il s'agit du missionnaire
J.-W. Winson. Comme les brigands le
menaçaient de leurs armes, lui demandant
s'il avait peur, il répondit :
« Non ! Si vous me tuez, je vais
droit au ciel ! » Aussitôt,
les brigands le mirent à mort
(2). Et en
terminant sa lettre, John Stam
écrivait :
« Nous pouvons
bénir Dieu qui jusqu'ici nous a
gardés. Si nous devions aussi mourir pour
lui, nous jouirions ainsi beaucoup plus tôt
des joies de la Présence du Sauveur, et nous
aurions moins longtemps à combattre contre
le péché et Satan. Aujourd'hui
continuons à louer Celui duquel
découlent toutes les
bénédictions. »
À Anking, où il étudie le
chinois, le jeune missionnaire fait
l'expérience des secours de Dieu en
réponse à la prière. La langue
lui semble difficile ; cependant ses lettres
expriment la joie et la confiance en Dieu. La
fidélité dans les petites choses, qui
l'avait déjà
caractérisée en son jeune âge,
est encore plus évidente maintenant, par
la manière dont il
s'acquitte de son emploi du temps, et la
façon dont il fait chaque chose. Il remarque
que sa santé s'améliore, du fait
qu'il se lève de très bonne heure et
qu'il prend de l'exercice physique. Les
étudiants pouvaient difficilement sortir. On
craignait que ce groupement de jeunes
n'attirât l'attention, qu'il n'excitât
la méfiance et ne provoquât quelques
rumeurs dans la ville. Aussi fallait-il y
remédier par de nombreux exercices à
l'intérieur du collège... John eut la
joie de passer ses examens de langue chinoise
après quelques mois d'étude :
« Hourrah !
écrivit-il le 18 mars 1932. Ce matin, j'ai
terminé le dernier de mes trois examens...
Que le Seigneur soit béni, car il m'a
aidé, ce dont j'ai en le très vif
sentiment... Mercredi, je passe l'oral qui consiste
en une lecture de passages donnés, et une
conversation avec le pasteur, lequel n'est pas l'un
de nos professeurs habituels. Dimanche, c'est moi
qui ferai le culte en chinois ; le texte
choisi est Jean 5: 15-23. Je suis heureux que le
sujet proposé ne soit pas plus
abstrait... »
« 25 mars 1932.
« Quand, à notre
arrivée ici, nous avons lu ce que disait
Hudson Taylor, à propos de jeunes gens qui
avaient pu prêcher en chinois au bout de six
mois, nous avons souri. Eh bien ! exactement
cinq mois et un jour après mon
arrivée, j'ai pu donner une première
méditation ! Que Dieu en soit
loué !
« J'imagine que les
réunions d'évangélisation
à Paterson m'ont rendu un très grand
service, et j'en recueille aujourd'hui les fruits.
Quelle joie d'avoir pu parler et présenter
en langue chinoise quelques idées que,
manifestement, les auditeurs ont comprises. Comme
je ne me sentais pas encore capable de prier, j'ai
demandé au pasteur de le faire à ma
place. Or, celui-ci dans ses requêtes, a
touché aux divers points de mon message.
Donc, il l'avait compris, même s'il l'a
répété pour ceux qui,
peut-être, n'avaient pas tout
saisi. »
On attendait à Anking la visite du
directeur général de la Mission pour
examiner avec lui les besoins de l'Oeuvre
missionnaire, et attribuer aux jeunes leurs champs
d'activité respectifs. Comme la C.I.M.
travaille dans quinze provinces de la Chine
proprement dite et dans les pays vassaux, et que
les besoins ici et là sont très
divers, il y a bien des questions a examiner en
corrélation avec la désignation des
postes qui doivent recevoir du renfort sans
délai. Pour les jeunes missionnaires, ce
sont des heures solennelles. Tout l'hiver, ils ont
prié, pour les sphères respectives
d'activité qui leur seront dévolues.
Déjà, ils savent quelque chose de
l'oeuvre missionnaire et de ses
difficultés ; et le Directeur a pris
soin d'avoir une conversation particulière
avec chacun d'eux. M. Hoste arriva un lundi, et il
commença aussitôt ses entretiens avec
les élèves.
« C'est le mardi
seulement que j'ai été appelé,
écrit John Stam. Mr. Hoste, un peu
enrhumé, gardait le lit. Je ne crois pas que
j'oublierai jamais les instants que j'ai eus en
tête à tête avec lui. Quand on
aperçoit Mr. Hoste dans les circonstances
ordinaires, sa tête massive, sa
manière de se tenir parfaitement droit, sa
barbe en pointe, tout indique qu'il a
été officier. Lorsqu'il est au lit,
soutenu par des coussins, l'impression qu'il donne
est différente. Alors, il ressemble
plutôt à un patriarche fatigué,
prêt à déposer le fardeau,
qu'à un soldat. En le voyant, j'ai
songé à Jacob appuyé sur son
bâton, et donnant sa
bénédiction à ses fils.
« À peine étais-je
là depuis quelques minutes qu'il se mit
à prier pour moi, pour Betty (cela, entre
parenthèses, à ma grande joie), pour
la Mission en général, pour l'Eglise
indigène, pour d'autres oeuvres
missionnaires, cela dura un quart d'heure, vingt
minutes. Je ne puis m'empêcher de penser que
ce n'était plus là une simple
requête pour que Dieu bénisse nos
délibérations. Probablement, oubliant
ma présence, et que j'étais là
pour l'attribution d'un champ
d'activité, il
s'était laissé aller à la
chose la plus importante l'intercession.
« Ensuite, il me donna des
conseils extrêmement utiles sur tous les
points essentiels, ne le faisant pas du tout d'un
ton directorial, mais de la façon la plus
humble. Enfin, après une heure de
prière et d'entretien, la question de ma
nomination fut abordée, et je fus
désigné pour le poste missionnaire de
Süancheng, où se trouvent
déjà Mr. et Mrs. Birch, de
l'Amérique du Nord. Là, je les
aiderai, tout en continuant à
étudier. Ensuite, peut-être
ouvrira-t-on une nouvelle station missionnaire
à T'singteh. Si je ne vais pas dans le
Sinkiang, j'aurai donc, probablement, le
privilège d'ouvrir un nouveau pays à
l'évangélisation...
« Je ne connais pas
Süancheng, je ne puis donc pas vous en parler.
Il s'y trouve, je crois, une église
importante. Ce poste est situé au sud-ouest
de la province, dans la région montagneuse
qui est, paraît-il, fort
belle. »
Le moment des adieux arriva. Les jeunes
missionnaires se séparèrent, chacun
allant dans la direction qui lui avait
été assignée.
L'un d'eux écrivit au sujet de
John Stam :
« Je ne cesserai pas de
bénir Dieu de l'avoir connu. Son
développement spirituel était
certainement supérieur à celui des
autres élèves à Anking.
C'était une joie que de parler avec lui ou
de travailler avec lui. Il semblait toujours
au-dessus des difficultés et des ennuis
parce qu'il les remettait à Dieu. Et son
exemple amena plusieurs d'entre nous à
être plus fidèles dans la
prière. En tout cas, c'est ce qui eut lieu
pour moi. »
Un autre étudiant qui, depuis
l'Amérique, avait voyagé avec Stam,
écrivit aussi :
« Humainement parlant, John a
été comme l'épine dorsale de
la vie spirituelle à Anking, cet hiver. Il
semblait connaître Christ de façon
plus intime et plus pratique que nous autres.
Lorsque je me sentais découragé, il
m'aidait à retrouver la
joie du Seigneur. Quelques mois après que
nous nous fûmes séparés
à Anking, il m'écrivit une lettre
affectueuse, où il me signalait et me
reprochait certaines choses. Cette lettre, je la
garde comme un trésor, et je la relis
souvent avec profit. Ni avant, ni depuis, je n'ai
reçu de reproches qui fussent plus
véritablement selon l'esprit de
Galates 6 : 1 ; pour cette
lettre, je loue le Seigneur. La vie spirituelle de
John était rayonnante et contagieuse. Il
semblait qu'il fût toujours en contact avec
la source de la puissance :
Jésus-Christ Lui-même. » |