LA VIE DE
JOHN ET DE BETTY STAM
CHAPITRE X
« Un Nard très
précieux »
Les deux mille Communistes entrés dans la
ville reçurent promptement des
renforts ; une armée de six mille
Rouges s'étendit sur Tsingteh et la
contrée, comme un vol de sauterelles,
dévorant tout ce qui se trouvait encore dans
le pays. Ceci était un moindre mal. Mais
lorsque les troupes quittèrent Tsingteh, le
lendemain, elles laissèrent derrière
elles un grand nombre de morts, et
emmenèrent des captifs. L'armée prit
la direction de Miaosheou, la petite ville
située à quelque vingt
kilomètres de distance dans les
montagnes.
Sur cette route qu'il connaissait bien,
John avançait maintenant comme prisonnier,
portant son cher bébé qui n'avait pas
encore trois mois ! Betty fit une partie du
chemin à cheval. Tous deux souriaient aux
rares passants rencontrés. Probablement, ils
songeaient aux chrétiens de Miaosheou et
redoutaient pour eux les cruautés et les
exactions de l'armée victorieuse dans le
paisible village.
C'était miracle que la petite
Hélène Priscille fût encore en
vie. Avant de quitter Tsingteh, il avait
été question de la tuer,
« ce qui simplifierait les
choses », disaient les chefs. Ce fut ici
la plus cruelle torture des
parents, d'entendre les Communistes discuter du
sort de l'enfant devant eux. La mort était
décidée, lorsqu'une protestation
jaillit. C'était l'un des spectateurs qui,
se mettant en avant, osait dire que le
bébé, lui, n'avait rien fait qui
fût digne de mort.
Qui était cet homme ?
D'où venait-il ? Il sortait de la
prison. Lorsqu'ils avaient pillé Tsingteh,
les Communistes avaient relâché ce
prisonnier, qui maintenant plaidait pour
l'enfant.
« Eh bien ! Ce sera ta
vie pour la sienne, lui fut-il
répondu.
- Je veux bien »,
répondit le fermier ; et il fut
tué sur-le-champ.
Ainsi fut sauvé, une
première fois, le cher trésor, que
son père, prisonnier, porta jusqu'à
Miaosheou.
Lorsqu'ils arrivèrent dans la
petite ville, les jeunes missionnaires
pensèrent probablement à leurs amis
Wang, et à leurs précédentes
visites en cet endroit. Maintenant, partout, la
terreur et la panique ; ceux qui ont pu fuir
à la montagne l'ont fait, avant que ne
commencent pillage et carnage. M. et Mme Stam
furent conduits à la maison de la poste
où ils furent laissés sous bonne
garde, reconnaissants de n'être pas les
témoins de ce qui se passait au
dehors.
Quand le receveur des postes eut reconnu
les prisonniers, il leur demanda :
« Où allez-vous ?
- Nous ne savons pas où ils vont,
répondit John Stam. Mais nous, nous allons
au ciel. »
Alors, leur hôte leur offrit des
fruits. La jeune maman en prit quelques-uns,
songeant qu'elle avait son bébé
à nourrir. Mais John Stam voulut profiter de
cet instant pour écrire de nouveau à
Shanghaï puis il remit sa lettre au receveur.
En voici la teneur
« Miaoshéou,
7 décembre 1934,
« China Inland
Mission,
« CHERS
FRÈRES,
« Nous sommes ici,
prisonniers des Communistes, qui nous ont
arrêtés, hier, à Tsingteh,
quand ils ont pris la ville. J'ai essayé de
les persuader de laisser ma femme et
Bébé aller jusqu'à
Shanghaï, porteurs d'une lettre à vous
adressée, mais ils ont refusé.
Aujourd'hui, ils nous ont amenés ici, ma
femme a fait une partie de la route à
cheval.
« Ils exigent 20.000
dollars pour notre rançon ; mais nous
leur avons dit que nous étions certains que
cette somme ne serait pas payée. Le fonds de
secours pour la famine, notre argent personnel, nos
effets, tout est entre leurs mains.
« Que Dieu vous donne
la sagesse pour la décision à
prendre, et qu'Il nous donne sa grâce, et la
force suffisante. Il le peut.
« À vous en
Lui,
« John C.
STAM »
Pas un mot de pitié pour soi-même,
ou de frayeur. Aucun signe de défaillance,
Celui qui les avait envoyés était
avec eux. Ils étaient forts du paisible
courage de Celui qui a dit : « C'est
pour cela que je suis venu à cette
heure ! Père, glorifie ton
Nom. »
- PEUR DE QUOI ?
(1)
- Peur de quoi ? De sentir mon
âme libérée ?
- De posséder la paix
d'éternelle durée,
- L'ineffable repos promis dans
l'au-delà ?
- Peur de cela ?
Peur de quoi ? De te
voir, ô Sauveur, face à
face ?
- De voir s'illuminer des rayons de ta
grâce
- La plaie ouverte d'où, pour moi,
ton sang coula ?
- Peur de cela ?
Peur de quoi ? De subir
un coup mortel, peut-être ?
- D'avoir le coeur percé, comme le
fut, bon Maître,
- Ton coeur, au jour sinistre où le
ciel se voila ?
- Peur de cela ?
Peur de quoi ? Que mon
sang arrose un sol stérile,
- Et que ma mort, ainsi, plus que ma vie,
utile,
- Transforme en coeurs de chair les pierres
que voilà ?
- Peur de cela ?
« ... Arroser de sang un sol
stérile, pour que la mort, plus utile que la
vie, transforme en coeurs de chair les
pierres... » Certes, c'était
là l'unique ambition, la grande ambition,
des jeunes missionnaires : gagner à
Christ bien des âmes précieuses, une
riche moisson d'âmes pour Christ, au sud de
la province d'Anwhei, soit par leur vie, soit par
leur mort...
Quand les Communistes eurent
accompli leur oeuvre de mort et de ruine à
Miaosheou, ils s'occupèrent des prisonniers
qu'ils avaient amenés de Tsingteh. M. et Mme
Stam et bébé furent conduits dans la
maison d'un homme riche qui s'était enfui.
On les mit dans une chambre donnant sur la cour
intérieure où ils furent
laissés sous bonne garde. John Stam avait
été attaché avec des cordes
à la colonne d'un lit très lourd. Il
semble que Betty soit restée libre et qu'on
lui ait accordé la faculté de
s'occuper du bébé.
Qu'elles durent leur sembler longues
les heures de cette nuit d'hiver ! Tous trois
prisonniers, et, pour John, l'impossibilité
de faire un mouvement !
- Oui, je me tiendrai là, mon Dieu
- Mais la brume obscurcit ma vue
- De tous côtés,
jusqu'à la nue,
- Une roche rugueuse et nue
- M'emprisonne en ce lieu...
Oui, je me tiendrai là,
Seigneur !
- Tu m'as dit : « Ce roc,
c'est... moi-même,
- Moi, qui te protège et qui
t'aime ! »
- En t'adorant, Amour suprême,
- Je chante de bonheur !
Que se passa-t-il entre John et Betty au cours
de cette nuit tragique ? Quelles craintes ont
pu assaillir leurs jeunes coeurs
(2). Le silence
plane sur ces instants sacrés passés
avec Celui qui, par amour pour nous, resta pendu au
bois pendant les longues heures
ténébreuses de Golgotha. En tout cas,
Dieu qui n'est jamais plus près de nous
qu'au moment où nous avons besoin de Lui,
fortifia Ses enfants dans leur épreuve.
Betty ne fut pas submergée par la
tristesse ; mais elle trouva la force de
s'occuper de l'avenir de la petite orpheline qu'ils
allaient laisser derrière eux, toute seule
au milieu des dangers. L'enfant
survivrait-elle ! Et si la vie lui
était laissée,
qu'adviendrait-il ? Mais ils avaient
consacré à Dieu leur enfant. Ne
prendrait-Il pas soin d'elle ? Pourrait-Il
l'oublier ?
Jamais la chère petite
Hélène ne sembla plus
précieuse aux parents, que durant les
dernières minutes qu'ils purent la
contempler. Au matin, leur mort était
décidée. Les témoins de cette
tragédie furent étonnés par le
calme extraordinaire des deux missionnaires, alors
que leurs ennemis faisaient leur possible pour
rendre plus pénibles leurs derniers moments.
Pas un instant de faiblesse ! À
cette heure des
ténèbres, alors que se
déchaînaient les forces de l'enfer,
John et Betty Stam triomphèrent moralement
et spirituellement. On a enlevé leurs
vêtements de dessus, on les a liés
étroitement de cordes qui les blessent, les
mains sont attachées derrière le
dos ; John est pieds nus ; il a
donné ses chaussons à Betty. Dans la
rue, maintenant, où John était connu
de bien des gens, leurs persécuteurs crient,
couvrent de ridicule les missionnaires, et convient
le peuple à venir voir
l'exécution.
Comme leur Maître, ils furent
conduits sur une petite colline en dehors de la
ville. Là, dans un bois de pins, les
Communistes haranguèrent les spectateurs
venus par ordre, tous trop terrifiés pour
oser protester. Tous ? - Non ! Un homme
sort des rangs, un chrétien, le docteur de
l'endroit. Il se jette à genoux, et,
exprimant les sentiments de plusieurs, il supplia
qu'on épargnât la vie de ses amis. Les
Rouges le repoussèrent rageusement ;
mais comme il revenait à la charge, on
l'arrêta, et on l'emmena comme prisonnier. Il
fut mis à mort quand on découvrit
qu'il était, lui aussi, un disciple de
Christ.
John Stam, comprenant que la vie du
docteur était menacée, du fait que
celui-ci avait plaidé en leur faveur, se
tourna vers le chef, demandant qu'on le
laissât libre. La réponse fut un
ordre : À genoux ! Aussitôt
le coup de mort fut donné. La joie qui
illumina la figure de Stam et qui y demeura
longtemps après l'exécution,
révéla l'invisible Présence
qui le soutint en cet instant tragique. On vit la
jeune femme du martyr trembler. Ce ne fut qu'un
instant. Toute liée qu'elle était,
elle tomba à genoux à ses
côtés... Un commandement,
l'éclair d'une épée qu'elle ne
vit pas... Et tous deux étaient
réunis dans l'Au-delà.
- « NOUS AIMONS MIEUX
QUITTER CE CORPS POUR ÊTRE AVEC LE
SEIGNEUR. »
- « GRÂCES SOIENT
RENDUES À DIEU
- QUI NOUS DONNE TOUJOURS LA
VICTOIRE PAR NOTRE SEIGNEUR
JÉSUS-CHRIST. »
- « ILS MARCHERONT AVEC MOI
EN VÊTEMENTS BLANCS PARCE QU'ILS EN SONT
DIGNES. »
De nouveau, la nuit s'étendait sur la
terre. À Miaosheou, derrière les
portes fermées, on parlait à voix
basse des événements tragiques de la
matinée. Dans une immense demeure, un tout
petit bébé pleurait et dormait seul.
Toute la nuit, Hélène Priscille fut
laissée absolument seule, comme aussi tout
le long du jour précédent. Et le
lendemain encore, personne n'osait s'approcher de
la maison qui avait servi de prison aux parents.
Sur la colline, ceux qui l'avaient tellement
aimée, reposaient dans la mort. Pouvait-il y
avoir une autre petite vie plus abandonnée,
une situation plus
désespérée ? L'enfant
allait-elle mourir de privation et
d'abandon ?
Les Rouges campaient à une
lieue seulement de Miaosheou et ils pouvaient
revenir à tout instant ; quant à
leurs espions, ils étaient partout !
Leur présence épouvantait les
habitants. Mais « les anges
eux-mêmes prirent soin du
bébé », comme le dit plus
tard, en pleurant, la « femme de la
Bible » de Tsinan.
Dans les collines à l'entour,
tous ceux qui avaient pu fuir à temps
s'étaient réfugiés, souffrant
du froid et de la faim. Parmi les fugitifs se
trouvaient le pasteur Lo et sa femme qui eussent
dû arriver depuis plusieurs semaines
déjà à Miaosheou. Diverses
causes les avaient retardés, de sorte qu'ils
n'arrivèrent dans la ville que quelques
heures avant qu'elle fût prise et
pillée. S'ils
étaient venus plus
tôt et avaient déjà
été installés dans la maison
de la Mission, ils eussent peut-être
été tués. S'ils étaient
venus plus tard, rencontrant des fugitifs sur la
route, ils ne seraient peut-être pas
allés jusqu'à la ville. Or, ils
étaient arrivés de la veille
seulement, et ils habitaient chez Mme Wang quand
l'approche des Rouges fut signalée. Les
jeunes femmes s'enfuirent aussitôt à
la montagne. Mais l'évangéliste Lo,
et le fils de Mme Wang restèrent, pour voir
ce qui allait se passer.
Au matin, l'avant-garde des Rouges
arrivait ; les Communistes essayaient de
mettre la main sur les principaux habitants de la
petite ville, pour les emmener comme prisonniers.
Quelqu'un désigna M. Wang et
l'évangéliste. Le premier s'enfuit
aussitôt, courant pour sauver sa vie. Lo
demeura, et fut fait prisonnier. Mais Chang, le
pharmacien, le reconnut, et dit aux Rouges -
« Cet homme n'est pas d'ici ; c'est
un étranger ; il s'occupe des malades
comme moi, et il donne des traités. Il est
arrivé hier soir. »
Ne sachant pas que les
traités en question étaient des
publications chrétiennes, les Communistes
relâchèrent M. Lo.
Étonné qu'on l'eût
laissé libre, M. Lo se retira ; et
dès qu'il le put, il rejoignit les fugitifs
sur la montagne. Durant deux jours et deux nuits,
les réfugiés souffrirent du froid et
de la faim, redoutant d'allumer du feu, ce qui
aurait pu les trahir. Il y avait heureusement des
châtaignes sauvages, ce qui constitua leur
nourriture ; et un homme qui avait
emporté sa faucille coupa assez d'herbe pour
qu'on pût s'en servir de couverture la nuit,
et se préserver du froid autant que faire se
pouvait.
Le second jour, il y eut dans le
camp une rumeur persistante qui inquiéta
l'évangéliste : on disait que
les Rouges avaient emmené
un prisonnier de Tsingteh, un étranger.
Était-ce le prêtre catholique ?
Les missionnaires que M. Lo était venu pour
seconder, avaient sans doute été
prévenus en temps utile, et ils avaient
probablement quitté leur maison avant
l'arrivée des Rouges ?
Mais les derniers arrivés
assuraient qu'il y avait eu deux prisonniers
étrangers : un homme et sa femme ;
et tous deux avaient été mis à
mort publiquement. On donnait des détails
déchirants ; et, tout angoissé,
Lo résolut de se renseigner exactement sur
ce qui s'était passé. Il descendit
à la ville. C'était un dimanche
matin, le 9 décembre. De l'endroit où
campaient les fugitifs, ils avaient assisté
à un combat entre les troupes
gouvernementales et les Rouges, au fond de la
vallée, bataille peu sérieuse qui,
cependant, avait fait sortir les Communistes de
Miaosheou. Les Wang, Mme Lo et son enfant,
quittèrent, à leur tour, leur refuge.
L'enfant de Mme Lo avait pris froid, et
était tombé gravement
malade.
Le silence pesait sur la petite
ville. Peu de gens osaient sortir. Même
ceux-là ne parlaient pas. On n'osait le
faire, de peur des Communistes, car leurs espions
étaient encore là. Alors qu'il
laissait la rue principale pour faire des
recherches sur la colline, une vieille femme
murmura près de M. Lo : « Il
y a un bébé, un bébé
étranger qui vit encore. »
Pressée d'en dire plus, elle indiqua,
à la dérobée, une maison vide.
Se demandant ce qu'il trouverait, Lo y entra. Dans
les chambres, des traces de brigandage
révélaient le passage des Rouges.
Mais personne ! Il semblait qu'il n'y avait
plus une âme vivante en cet endroit. La
maison était silencieuse,
mystérieuse, et semblait déserte.
Mais qu'était-ce que cela ? Il sembla
au pasteur Lo qu'il venait d'entendre quelque
chose, comme un faible cri. Il se hâta, et
arriva enfin dans la chambre
intérieure. Le bébé !
Alors il prit dans ses bras la petite
Hélène, seule depuis près de
trente heures !
Elle reposait sur le lit, telle que
sa mère l'y avait placée avec amour.
Hélène Priscille était dans
son petit sac de couchage bien fermé avec
des attaches spéciales, de sorte que le
corps était resté chaud, et elle ne
semblait pas avoir autrement souffert du
jeûne prolongé. Emportant le
bébé, Lo partit pour la
colline ; car la tâche la plus
douloureuse était encore devant
lui.
La découverte des deux jeunes
missionnaires assassinés fut pour lui un
coup terrible. À leur vue, son coeur
s'emplit de douleur et d'horreur. « Une
tragédie indicible » !
écrivit-il. Cependant, il fallait agir, et
promptement, car les Rouges pouvaient revenir
à tout instant.
Après avoir confié la
petite Hélène à sa femme, et
s'être procuré deux cercueils avec
l'aide de Mme Wang et de son fils, Lo retourna sur
la colline de l'Aigle, où quelques personnes
d'abord, puis d'autres, et d'autres encore, osaient
maintenant s'aventurer. Les corps furent
enveloppés de cotonnade blanche, la seule
chose qu'on pût se procurer, et placés
dans les cercueils...
« Il n'y eut que
douleur et regrets lorsqu'on apprit la mort de ces
missionnaires d'élite, écrivit plus
tard Mr. Birch. Dans la foule de ceux qui
étaient là, sur la colline,
quelques-uns parmi les assistants, osèrent
maudire les Rouges, à cause de leur crime.
Quand ils eurent fait tout ce qu'ils pouvaient, les
trois chrétiens s'inclinèrent pour
prier. Puis, dominant sa peine, Lo s'adressa aux
assistants et leur dit :
« Vous avez vu ces corps
meurtris ; et dans vos coeurs il y a de la
compassion pour les souffrances et pour la mort des
martyrs. Il faut que vous sachiez QU'ILS sont
enfants de Dieu. Leurs esprits n'ont pas
été atteints ; et en ce moment,
ils sont en la présence de leur Père
céleste. C'est pour vous
qu'ils sont venus en Chine et
à Miaosheou, pas pour eux ; c'est pour
vous annoncer le grand Amour de Dieu afin que vous
croyiez en Jésus-Christ, et que vous soyez
sauvés pour l'éternité. Vous
avez entendu leur message. Souvenez-vous qu'il est
vrai. Repentez-vous, et croyez
l'Évangile. »
« Lo me dit que bien des auditeurs
pleuraient. Personnellement, je n'ai encore jamais
vu de gens pleurer, en Chine, en écoutant le
Message. Pourquoi ces coeurs brisés ? -
À cause de ces jeunes vies, données
jusqu'à la mort. Ils avaient eu ainsi la
preuve de ce que peut faire l'amour de Dieu dans un
coeur, et une démonstration de sa puissance,
ils expérimentaient que l'Évangile
était la vérité. Nous
attendons beaucoup de fruit du fidèle
témoignage et de la mort triomphante de ces
deux glorieux martyrs
(Daniel 12 :
3.). »
Revenons un peu en arrière. M. Lo sentait
qu'il était urgent de s'occuper de l'enfant,
de sauver cette frêle existence. Aussi,
laissant à Mme Wang et à son fils le
soin de l'inhumation des missionnaires, le pasteur
Lo s'empressa de retrouver sa femme et son enfant
malade. En arrivant chez Mme Wang où il
avait laissé son argent et les quelques
objets qu'il apportait avec lui, M. Lo apprit que
les Rouges avaient fait main-basse sur le tout. Pis
encore, son petit garçon de quatre ans, son
fils unique, était gravement malade.
Cependant, il fallait entreprendre au plus
tôt un long voyage de quelque 130
kilomètres, dans une contrée
montagneuse infestée de brigands, pour ne
rien dire des soldats communistes. Enfin, il
s'agissait d'emporter et de cacher le
bébé des étrangers, pour le
remettre aussitôt que possible entre les
mains des missionnaires.
Hélène Stam, le 30
septembre 1935
À pied, en évitant de dire ce
qu'ils avaient résolu, Lo et sa femme
quittèrent Miaosheou. Un brave homme les
accompagnait, qui portait deux grandes corbeilles
à riz à chaque
extrémité du bâton qu'il
maintenait sur son épaule. Dans l'une
d'elles, on avait déposé et
caché autant que possible
Hélène Priscille, dans l'autre se
trouvait l'enfant des Lo qui ne reprenait pas
connaissance... Les voyageurs n'auraient rien eu
pour rétribuer les services du courageux
porteur, s'ils n'avaient trouvé la petite
somme que Mme Stam avait cachée dans le sac
de couchage de sa petite fille. Au cours de sa
dernière nuit, elle avait arrangé
dans le petit lit portatif une chemise de nuit et
un peu de linge, tout ce qu'elle avait pu prendre
avec elle ; et au milieu du linge, elle avait
fixé avec une épingle deux billets de
cinq dollars. Ce fut assez, exactement assez, pour
couvrir les frais du voyage, avec l'aide de jeunes
mamans chinoises qui, à la demande de Mme
Lo, nourrirent la petite Hélène de
leur lait.
Au cours de ce voyage, et malgré
leurs craintes, les parents Lo eurent la grande
joie de voir leur enfant se remettre. Après
plusieurs heures d'inconscience apparente, de
torpeur, le petit garçon se redressa,
s'assit dans la corbeille, et se mit à
chanter un cantique. Dès cet instant, la
convalescence commença.
À Kinghsien, les voyageurs purent
acheter une boîte de lactogène. Mme Lo
avait été à l'hôpital
méthodiste pour la naissance de son fils
Uen-Seng et elle avait appris à soigner les
enfants à la manière des
étrangers. Elle avait même
conservé avec elle le biberon de son enfant.
À partir de ce moment elle put donner des
repas réguliers, chaque trois heures,
à Hélène Priscille.
Était-ce simplement par hasard, que cette
mère qualifiée pour les soins
à donner aux enfants des blancs
s'était trouvée en cette
contrée éloignée de la Chine,
au moment où la petite orpheline avait un si
grand besoin qu'on prît soin d'elle ?
Le 14 décembre, M. Birch
était seul dans la maison
missionnaire ; sa femme et ses enfants
étaient partis pour Wouhou. On venait de
servir le lunch, quand il perçut le bruit
que font les voyageurs qui ne sont pas attendus.
Puis on frappa à la porte. Une femme entra
portant un paquet, et qui venait apparemment de
faire un assez long voyage. Le missionnaire fut
heureux de reconnaître Mme Lo. Mais celle-ci,
lui tendant son fardeau, lui dit, très
émue : « C'est tout ce qui
nous reste ! »
Redoutant que le pasteur Lo n'eût
été tué, et que sa veuve
fût devant lui avec son enfant, le
missionnaire souleva le voile pour voir le visage
du dormeur. Était-ce possible ?
Hélène Priscille !
C'était elle !
Après avoir réglé
les porteurs, M. Lo entrait à son tour et il
dit la douloureuse histoire (qui est aussi une
merveilleuse histoire), celle du sauvetage du
bébé, surnommé depuis :
l'enfant du miracle.
Lorsque parvint en Amérique, par
câblogramme, la nouvelle de la mort de John
Stam et de sa jeune femme, l'angoisse et la douleur
pénétrèrent au coeur de ceux
qui les avaient connus et aimés, plus
particulièrement chez leurs proches. Des
prières montèrent jour et nuit pour
l'orpheline laissée sans secours, au sein de
tant de dangers. Au télégramme de
sympathie envoyé à Paterson par le
Comité de la « China Inland
Mission », M. Stam père
répondit comme suit :
« Sommes
profondément touchés par sympathie.
Le sacrifice est bien grand ; cependant pas
trop grand pour Celui qui s'est donné pour
nous. Faisons l'expérience de la grâce
de Dieu. Croyons de tout coeur
Romains 8 : 28. »
Et aux amis dans la douleur, M. Stam
écrivit :
« Nos chers enfants,
John et Betty, sont maintenant avec le Seigneur.
Ils l'aimaient. Ils le servaient ici-bas. Et
maintenant ils sont avec Lui. Quel sort pourrait
être plus glorieux ? Il est vrai que la
manière dont ils sont morts a
été pour nous un coup terrible ;
mais si effroyables qu'aient pu être leurs
souffrances, elles sont aujourd'hui abolies et pour
toujours, et tous deux sont maintenant infiniment
heureux de toutes les joies du Ciel.
« Pour nous qui restons, nous
avons été soutenus par le
télégramme de l'un des premiers
camarades de classe de John :
« SOUVENEZ-VOUS QUE VOUS AVEZ
DONNÉ JOHN À DIEU, NON À LA
CHINE. » Nos coeurs sont brisés
pour un peu de temps sous la douleur, mais nous
disons : Amen. C'était notre
désir qu'il servît le Seigneur, comme
nous le faisons nous-mêmes. Et puisqu'il
semble que cela doive être fait par sa mort
plus que par sa vie, nous le voulons aussi. Le
sacrifice semble bien grand maintenant, mais aucun
sacrifice n'est trop grand pour Celui qui s'est
donné pour nous.
« Nous prions avec ardeur que cela
soit pour la gloire de Dieu et le salut des
âmes. Comme nous serons heureux si, par leur
martyre, des âmes sont gagnées
à Jésus-Christ. Comme nous serons
heureux, si, par leur exemple, bien des jeunes
chrétiens sont conduits à se livrer
plus que jamais an Seigneur, pour une vie de
sacrifice et de service !
« Nous nous sentions
honorés du fait que nous avons des fils et
des filles engagés au service du Seigneur,
parmi les païens ; mais nous le sommes
plus encore, maintenant, puisque deux d'entre eux
ont reçu la couronne des martyrs.
« Et nous avons la certitude que
nos chers frère et soeur : le
professeur et Mrs. C. E. Scott, se joignent
à nous en disant avec Job :
« Le Seigneur l'avait donné, le
Seigneur l'a ôté, que le saint Nom de
l'Éternel soit béni. »
Pour tous, ce fut un miracle que la petite
Hélène Priscille eût
traversé sans qu'elle en eût
apparemment souffert, en tout cas sans que sa
santé en eût souffert, un si long
jeûne et tant d'épreuves diverses et
prolongées.
Après un sérieux examen,
les docteurs de l'hôpital de Wouhou
déclarèrent qu'elle était en
excellente santé. Même sa mère
n'aurait pu souhaiter de la voir plus heureuse ou
mieux portante, et sa gentillesse lui gagnait tous
les coeurs. M. Wallon, qui s'occupait du
bébé pendant son séjour
à Wouhou, écrivit aux grands-parents
à Tsinan :
« Combien je voudrais
que vous voyiez la chère petite
Hélène ! Car elle est vraiment
parfaite. C'est un superbe bébé bien
portant et robuste, et qui vaut son pesant d'or. Il
est rare qu'elle pleure ! Et elle est une si
délicieuse combinaison de John et de Betty.
Ses yeux sont tout à fait ceux de sa maman.
Elle sourit presque toujours quand elle est
réveillée ; et elle roucoule ou
s'essaye à parler de façon
charmante ! »
Pour le professeur et Mme Scott,
l'arrivée de la chère fillette
à Tsinan fut comme une résurrection
d'entre les morts.
« ... Tous les
détails de sa délivrance,
écrivirent-ils, nous disent l'amour et la
puissance de Dieu. Et nous sentons bien que s'Il a
gardé cette frêle petite chose, cette
enfant sans défense de moins de trois mois,
au travers d'innombrables dangers et en parfaite
santé jusqu'ici, Il aurait certainement pu
aussi préserver la vie des chers parents, si
la chose avait été conforme à
ses desseins à leur
endroit... »
Le sacrifice de ces deux vies est-il une
perte ? Non pas pour les deux jeunes gens qui,
en se donnant pour la Mission, avaient donné
leur vie à Dieu, d'abord. Certainement, ils
ne le considèrent pas ainsi. Non plus les
anges qui furent les témoins du sacrifice,
et qui, eux, n'ont pas le privilège de
pouvoir manifester leur amour par le sacrifice et
la souffrance. Les sentiments de la jeune femme, au
sujet de toute offrande faite par amour pour le
Seigneur, quel qu'en soit le prix, elle les a
exprimés dans une
poésie sur Marie, répandant aux pieds
de Jésus une huile de senteur de nard
pur :
« Dans la maison de
Simon, à Béthanie, le Maître,
à table s'est assis :
« La pureté, la force, la
piété, resplendissent sur son
visage,
« Et les coeurs de tous
brûlaient à l'ouïe des divines
paroles de grâce,
« Lorsqu'une femme survenant, versa
sur ses pieds un parfum de grand prix.
« Et dans l'air se répandit
comme la senteur des jardins de l'Orient,
« Le vase d'un albâtre
très précieux qui contenait le
nard
« Gisait en pièces sur le
sol, ces fragments s'irradiant des teintes de
l'arc-en-ciel,
« Et à genoux, pleurant, une
femme, de ses cheveux, essuyait les pieds du
Seigneur.
« Un murmure de
désapprobation s'éleva parmi les
invités...
« Car le monde ne peut
tolérer qu'une précieuse chose soit
répandue inutilement,
« Quand il s'agit d'un don de
consécration totale au Roi,
« Mais la femme qui, beaucoup
aimait, pleinement heureuse, baisait ses
pieds. »
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