LE
SALUT DE DIEU
FEUILLE CONSACRÉE À
L'ÉVANGÉLISATION
VOL. V
CINQUIÈME
ANNÉE 1878
TOUT EST SI CLAIR MAINTENANT
« J'ai été bien
troublée à cause de mes
péchés ces douze derniers mois,
disait une femme âgée ; mais
maintenant tout est devenu si clair !
- Comment cela est-il arrivé ? lui
demanda-t-on.
- Oh ! ce précieux sang de Christ,
répliqua-t-elle, ce précieux sang qui
a lavé tous mes péchés !
Maintenant, je puis me coucher et m'endormir en
paix, car je sais que, s'il plaisait à Dieu
que je mourusse cette nuit, je me
réveillerais dans le ciel.
Je ne pouvais plus dormir, tant étaient
grandes ma frayeur et mon anxiété,
mais maintenant tout est paix. Oh ! quel amour
que celui de Jésus, qui est venu ici-bas et
qui est mort pour une pauvre pécheresse
telle que moi, indigne d'aucune grâce et
incapable d'aucun bien. »
Lecteur, jouissez-vous de cette paisible assurance
en Christ ?
UN MANCHOT DANS LA VIE
Jean Menut était né de parents
chrétiens. Une tumeur au genou l'avait
laissé boiteux dès son bas âge.
Sa mère, restée veuve avec huit
enfants, s'efforçait d'accomplir
soigneusement la tâche que Dieu lui avait
confiée. Elle élevait ses enfants
dans la connaissance des « saintes
lettres » qui peuvent rendre
« sage à salut »
(2 Timothée III, 15), et dans
la discipline et sous les avertissements du
Seigneur
(Éphésiens VI, 4).
Aussi Jean, ainsi que ses frères et soeurs,
était soumis, laborieux et assidu aux
réunions religieuses. À cela, il
joignait d'aimables qualités comme fils et
comme frère.
Mais ni sa connaissance intellectuelle des
doctrines de l'Évangile, ni
l'amabilité de son caractère naturel,
ne lui donnaient ce qui est indispensable pour
entrer dans le royaume de Dieu. Il n'était
pas né de nouveau (voyez
Jean III, 1-7) ; il ne
possédait pas cette vie nouvelle qui trouve
ses plaisirs en Dieu. Au contraire, le monde et ses
vanités semblaient prendre de l'ascendant
sur son coeur, et, arrivé à sa
dix-neuvième année, il aurait eu
besoin d'écouter et de suivre l'exhortation
de l'Apôtre à son cher fils
Timothée : « Fuis les
convoitises de la jeunesse »
(2 Timothée II, 23).
Mais comment échapper aux séductions
du péché, si l'on est livré
à ses propres forces ? À
l'âge où était Jean Menut, le
monde se présente sous un aspect si
séduisant ; « la convoitise
de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de
la vie »
(1 Jean II, 16), sont là pour
enlacer le coeur. Le nombre est grand,
hélas ! de ceux qui les poursuivent en
marchant comme leur coeur les mène
(Ecclésiaste. XII, 1), et qui
croient y trouver un bonheur qui les fuit. Dieu eut
compassion du jeune homme, et l'arrêta dans
la voie large qui aboutit à la
perdition.
Vers la fin de juillet 1876, comme il vaquait aux
affaires de la maison, il se fit à un doigt
de la main gauche une blessure qui causa la
rupture d'une artère. Une
violente hémorragie eut lieu ; pendant
plusieurs jours, on s'efforça en vain de
l'arrêter ; Jean souffrait
cruellement ; enfin la gangrène
succéda à l'hémorragie, et,
après une consultation, les médecins
décidèrent que l'amputation du doigt
à la seconde phalange était
nécessaire.
Ce fut le 15 août qu'eut lieu cette
douloureuse opération. Au dehors, la foule
célébrait bruyamment la fête de
ce jour. Sous l'humble toit de la pieuse famille,
on pleurait en souffrant de l'épreuve qui
frappait l'un de ses membres.
Mais le mal n'était pas à son terme.
La gangrène apparut de nouveau, et, six
jours après, une nouvelle amputation fut
jugée indispensable ; il fallut
sacrifier la main tout entière.
Le malade était trop épuisé
par ses souffrances précédentes et
par des saignements de nez
très-fréquents, pour qu'on osât
le chloroformer. Sa pauvre mère lui exposa
la triste nécessité où en
étaient les médecins ; il
écouta avec calme et résignation.
Alors les amis chrétiens qui l'entouraient
implorèrent le secours du Seigneur. Jean
supporta avec courage l'opération, et,
lorsqu'elle fut terminée, il dit
simplement : « Dieu m'a bien
soutenu. »
En effet, Dieu l'avait soutenu, et, en même
temps, s'était servi de cette épreuve
pour le réveiller quant à
l'état de son âme.
La crainte avait saisi son coeur. Il voyait se
dresser devant lui le compte qu'il aurait à
rendre à cause de sa conduite et de sa
négligence
du« si grand
salut »
(Hébreux II, 3) ; la mort
lui apparaissait prête à le saisir, et
il n'avait pas la paix avec Dieu. Il
éprouvait maintenant que ce monde n'a rien
et ne peut, donner rien qui, en de tels moments,
satisfasse aux besoins de l'âme. Oh !
combien il aurait voulu goûter ce que
l'Évangile proclame, ce qu'il avait si
souvent entendu dans les réunions
religieuses et dans les instructions de sa
mère ; combien il aurait voulu saisir
la grâce apportée par un Dieu Sauveur.
Être privé d'une main ne lui semblait
plus rien devant la terrible perspective de la
géhenne du feu
(Marc IX, 43).
O lecteur, qui aimez le monde et les choses de ce
monde, voyez leur néant et la
réalité de ce qui seul est
nécessaire, la connaissance personnelle du
Sauveur pour avoir la vie
éternelle !
Dieu regarde à celui qui est affligé,
qui a l'esprit brisé, et qui tremble
à sa parole
(Ésaïe LXVI, 2), et II ne
voulait pas laisser Jean Menut dans cette angoisse
d'âme. Tant que Jean regardait à
lui-même, au lieu de contempler l'oeuvre
parfaite que Christ a accomplie sur la croix, il ne
pouvait trouver la paix ; mais, après
trois jours d'un travail profond de sa conscience
devant Dieu, il lui fut donné de s'appuyer
pleinement et simplement sur Jésus et le
sang de sa croix, et au trouble dont son âme
était remplie, succéda un calme
parfait. En ce jour, il y eut de la joie pour le
Seigneur
(Luc XV, 6) ; - de la joie dans
le ciel devant les anges de Dieu, joie sur la terre
dans le coeur de la mère et des amis
chrétiens de JeanMenut,
joie profonde et indicible aussi dans le coeur du
pauvre infirme. (Lisez
1 Pierre I, 8.)
Les souffrances qu'il éprouvait au bras
durèrent encore assez longtemps ; mais
« le coeur joyeux vaut une
médecine »
(Proverbes XVII, 22), et si son corps
paraissait défaillir, l'homme
intérieur se renouvelait de jour en jour
(voyez 2 Corinthiens IV, 16), de sorte qu'il
pouvait se réjouir dans la certitude que, si
la mort venait pour lui, elle lui serait un gain,
parce qu'elle l'introduirait auprès de son
Sauveur (voyez
Philippiens I, 21-23).
Quoiqu'il semblât d'abord qu'il n'y avait
pour le jeune homme aucun espoir de
relèvement, le Seigneur, cependant, voulait
qu'il restât encore un peu de temps ici-bas,
comme témoin de sa puissance et de sa
grâce. Quelques semaines
s'écoulèrent et l'on put constater un
mieux sensible dans sa santé. Bientôt
même il put se rendre aux réunions des
chrétiens de la ville qu'il habitait, et
rendre publiquement témoignage qu'il
était entré dans le chemin
étroit qui conduit à la vie.
Boiteux et manchot, il était difficile
à Jean Menut de trouver une occupation.
Pensant qu'un travail de bureau était
désormais le seul qui lui fût
possible, il se mit à étudier pour
acquérir les connaissances indispensables,
et il était sur le point d'entrer dans un
emploi, lorsqu'il plut au Seigneur de l'appeler
dans le repos du ciel.
Au commencement de mai 1877, Jean prit un rhume
opiniâtre qui fut suivi d'une
phtisiegalopante, et au bout de
trois semaines il était aux portes du
tombeau.
Parfois les amis qui le visitaient lui
exprimaient l'espoir de son
rétablissement ; mais lui
répondait : « Si le choix
m'était laissé, j'aimerais mieux
déloger pour être avec le
Seigneur. » II savait qu'il avait
« un édifice de la part de Dieu,
une maison qui n'est pas faite de main,
éternelle, dans les cieux » (voyez
2 Corinthiens, V, 1).
Une de ses soeurs ne connaissait pas le
Seigneur ; l'ardent désir de Jean
était de lui voir choisir la bonne part. Peu
avant sa dernière heure, comme elle
était près de son lit, avec l'un de
ses frères récemment converti, il lui
dit : « Je m'en vais, chère
Julie, ne veux-tu pas venir aussi près du
Seigneur ? » Et tournant ses regards
vers son frère, il ajouta :
« Pour toi, Eugène, tiens ferme ce
que tu as. » Et c'est ainsi que, par
plusieurs paroles, il exhortait et consolait ceux
qui l'entouraient.
À mesure que le mal poursuivait sa course
rapide, la foi du jeune malade s'affermissait. La
sombre vallée de la mort s'ouvrait devant
lui, mais Celui qui est la lumière de la vie
le soutenait et, de sa clarté radieuse,
illuminait son sentier.
À ses derniers moments, il fut en proie aux
plus vives souffrances. Dans la nuit du samedi au
dimanche, vers une heure du matin, il quitta sa
demeure terrestre, qui n'est qu'une tente, pour
entrer dans le paradis de
Dieu.
Le lendemain, ses dépouilles mortelles
furent déposées dans la terre
jusqu'au jour de la première
résurrection, où ce corps corruptible
revêtira l'incorruptibilité, et ce
mortel l'immortalité.
Non, ce n'est pas mourir que
d'aller vers son Dieu,
Que de quitter le lieu
De cette sombre terre,
Pour entrer au séjour de la pure
lumière.
Lecteur, voulez-vous aussi entrer dans la
vie ?
Il y a une porte large, un chemin spacieux que
beaucoup suivent, mais qui mène à la
perdition ; oh !
détournez-vous-en.
Mais il y a aussi une porte étroite et un
chemin resserré ; peu nombreux sont
ceux qui le trouvent, et cependant c'est celui qui
seul conduit à la vie. Dans ce chemin se
trouvent, il est vrai, des difficultés et
l'opprobre de Christ ; il faut, en le suivant,
renoncer à soi-même et fuir les
délices du péché ; aussi
Jésus dit-il : « Luttez pour
entrer par la porte étroite »
(Luc XIII, 24), mais au terme de ce
chemin il y a une couronne de gloire et des
plaisirs à jamais en la présence de
Dieu. Luttez donc pour entrer.
Peut-être êtes-vous jeune, plein de
force et de santé, et vous pensez que vous
avez bien le temps de vous occuper de choses aussi
sérieuses. Mais que dit la parole de
Dieu : « Toute chair est comme
l'herbe, et toute sa gloire comme la fleur de
l'herbe. » « Qu'est-ce que
votre vie ? Car elle n'est qu'une vapeur
paraissant pour un peu de temps et puis
disparaissant »
(1 Pierre I, 24 ;
Jacques IV, 14). La jeunesse n'est
qu'un songetrompeur, la
santé une ombre fugitive. La mort tient
à notre nature ; quelques instants
encore, et pour vous le temps aura fini son cours,
l'éternité aura commencé. Que
deviendra votre âme immortelle, si vous
êtes dehors quand la porte du salut sera
fermée ? (Lisez
Luc XIII, 25-28). « Celui
qui croit au Fils a la vie éternelle ;
celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie,
mais la colère de Dieu demeure sur
lui »
(Jean III, 36).
Aux yeux du monde, la vie et le sort de Jean Menut
furent bien tristes ; devant Dieu et pour
l'éternité, en peut-il être de
plus heureux ? Combien, avec tous les
avantages dont peut-être vous jouissez
ici-bas, votre sort ne serait-il pas terrible, si
vous alliez souffrir
éternellement !
Il vaut mieux pour toi, nous dit le
Seigneur, d'entrer dans la vie boiteux ou
estropié, que d'avoir deux mains ou deux
pieds et d'être jeté dans le feu
éternel !
(Matthieu XVIII, 8.)
CORRESPONDANCE
Question sur
1 Cor. XV, 52. Comment doit-on
comprendre le mot
« dernière » dans
cette expression : « La
dernière trompette » ? On
objecte que si la trompette de
1 Cor. XV, 52, est la
dernière en fait de temps, il ne peut pas y
en avoir d'autre qui sonnerait après, comme
Matth. XXIV, 31, semble pourtant
l'indiquer.
- Pour répondre à cette question,
nous empruntons à une brochure, qui vient de
paraître, les remarques suivantes :
« Une étude biblique sur les
trompettes montrerait typiquement, j'en suis
persuadé, qu'il est question, dans ce
passage, d'un rassemblement paisible pour le
départ du peuple de Dieu ; comparez
Nombres X, 3-7.
« Je crois que la trompette de
1 Cor. XV, 52, n'est point la
dernière de deux ou de sept, ni d'aucune
série quelconque mentionnée dans la
Parole de Dieu. Elle est de Dieu, nullement
confiée à aucune créature,
mais identique à celle de 1 Thess. IV, 16,
ce dont ne doute, que je sache, personne qui
possède quelque intelligence de ce sujet.
Elle est donc suprême dans sa
dignité intrinsèque ; quant
à son but, elle est tout spécialement
distincte, puisque, dans les deux passages qui en
parlent, son objet, unique comme son
résultat, sera la première
résurrection, celle d'entre les morts, selon
qu'il est écrit : « Les morts
ressusciteront incorruptibles, et nous, nous
« serons changés. » Et
dans le second passage : « Et les
morts « en Christ ressusciteront
premièrement ; ensuite nous les
« vivants, les surrestants, nous serons
enlevés ensemble avec « eux dans
les nuées, à la rencontre du
Seigneur, en l'air... » Voilà
notre rassemblement paisible pour le départ
vers le but final.
« Je dis donc que cette trompette est
indépendante ou plutôt
isolée ; qu'elle est suprême
parce qu'elle est « de
Dieu, » non confiée
à aucune créature ;
suprême, en outre, par son seul et
incomparable résultat qui sera la
« meilleure
résurrection, » celle des justes,
c'est-à-dire l'accomplissement des
merveilleuses voies de Dieu en rédemption,
pour introduire les saints dans le ciel.
« L'apôtre Paul parle, dans chacun
de nos deux passages, d'une seule trompette ;
il la mentionne comme introduisant un
événement subit, instantané,
sans degrés de développements
antérieurs ou successifs, tout comme sans
aucune liaison directe avec d'autres trompettes
précédentes ou suivantes, surtout pas
avec les trompettes de l'Apocalypse, puisque ce
livre n'existait point au temps où Paul
écrivait. Il parle d'elle comme d'une
trompette isolée et décisive pour le
rassemblement et le départ des saints ;
or, ce sont là des traits frappants de
relation avec « le cri de
commandement » de
I Thess. IV, 16.
« II n'y a donc qu'un seul
événement indispensable et
suprême, signalé ici par une seule
trompette suprême, qui est celle de
Dieu. »
Jésus a dit :
«Dans la maison de mon Père, il y a
plusieurs demeures ;... je vais vous
préparer une place je reviendrai et je vous
prendrai auprès de moi afin que là
où moi je suis, vous, vous soyez
aussi.»
(Jean XIV, 2-3.)
« SUIS-MOI »
« Après cela Jésus
sortit ; et il vit un publicain nommé
Lévi, assis au bureau de recette, et il lui
dit : Suis-moi. Et quittant tout, il se leva
et le suivit »
(Luc V, 27-28).
Lecteur, cette injonction était
adressée à un homme qui, de
même que vous en ce moment, était
engagé dans les affaires et les occupations
de la vie. Celui qui la faisait avait-il le droit
d'intervenir ainsi dans la vie du péager
Lévi, pour lui faire rompre tout autre lien
et l'attacher à sa personne ?
Oui, tout le droit possible, non-seulement sur
Lévi, mais sur vous.
C'est le Fils de Dieu, descendu tout exprès
de la gloire du ciel, venu sur la terre sous la
forme de serviteur, pour chercher et sauver ce qui
était perdu. Celui qui a fait les mondes,
qui est le resplendissement de la gloire de Dieu,
qui soutient toutes choses par la parole de sa
puissance, et qui, par amour, est venu souffrir et
mourir ici-bas, n'a-t-il pas tout droit d'adresser
à votre coeur cette parole :
« Suis-moi, » et d'attendre que
vous obéissiez à son
invitation ? Puissiez-vous écouter la
voix du Fils de Dieu !
Lévi quitte tout : l'appel que
Jésus vous adresse doit avoir pour premier
effet de vous faire sortir du chemin que vous avez
suivi jusqu'ici. C'est le chemin du
péché et des convoitises ; celui
de la propre volonté ; celui où
vous poursuivez la satisfaction des désirs
et des pensées de votre coeur ; en
même temps, c'est un sentier
d'obscurité, où la paix réelle
fuit le coeur, et qui aboutit à la
mort.
La foule autour de vous y marche en cherchant
à s'étourdir ; Jésus vous
dit : « Suis-moi ; »
oh ! séparez-vous d'elle, quittez tout
pour vous attacher à Lui. S'il vous appelle,
c'est pour vous arracher à
l'inévitable perdition.
Mais Le suivre n'est pas seulement cesser de
marcher dans le chemin que l'on a tenu
jusque-là. C'est entrer dans le sentier
qu'il a tracé Lui-même. Au milieu de
la nuit, II est la LUMIÈRE ; au sein de
la mort, II est la VIE. S'attacher à ses pas
et le connaître, c'est être
éclairé par la lumière qui
révèle Dieu comme un Dieu qui est
« amour » ; c'est
posséder la vie qui permet de jouir de cet
amour. Suivre Jésus, c'est sans doute se
séparer d'un monde qui ne Le connaît
pas et l'a rejeté, et, par
conséquent, partager son opprobre ;
mais aussi, c'est dans une pleine assurance, un
repos parfait du coeur et de la conscience, repos
que Jésus donne, marcher avec joie en la
présence de Dieu, gardé par sa
puissance, objet de ses soins et de son amour,
comme Jésus le fut sur la terre. Heureux
état ! Ne voulez-vous pas y avoir
part ?
Tout chemin conduit à un but. Où se
trouve Jésus qui a foulé sur la terre
le sentier dans lequel II vous invite à Le
suivre ?
Il est dans la gloire, à la droite de la
Majesté dans les hauts lieux. Ici-bas, son
chemin aboutissait à la croix. Il le fallait
pour faire la purification de nos
péchés. Il n'a pas reculé,
dans son amour plus fort que la mort ; II a
enduré la croix, ayant méprisé
la honte, et maintenant, ayant accompli son oeuvre,
glorifié Dieu et obtenu
unerédemption
éternelle, II jouit du repos et de la
gloire. Là aussi, ô mon cher lecteur,
aboutit le sentier de ceux qui suivent
Jésus ; c'est là où II
veut qu'ils soient avec Lui.
« Père, a-t-Il dit, je veux, quant
à ceux que tu m'as donnés, que,
là où moi je suis, ils y soient aussi
avec moi. » Ne voulez-vous pas, comme
Lévi, quitter tout et suivre
Jésus ?
HORS DE L'ABÎME
ou
LA CONVERSION D'UN MARIN
« Madame, il y a là-bas un
matelot malade qui désire vous voir.
Voulez-vous venir, s'il vous plaît ? Je
dois lui rapporter une
réponse. »
Ces paroles étaient prononcées par un
jeune garçon à la mine
éveillée, debout devant moi.
C'était par une belle journée,
après tout une semaine d'orages ; les
vagues bleues dansaient et étincelaient au
soleil comme pour lui souhaiter la bienvenue. Sur
le rivage, la scène était pleine de
vie. Les pêcheurs, obligés à
plusieurs jours de repos, au moment le plus
important de la saison de la pêche,
semblaient redoubler d'activité pour
regagner le temps perdu; et, tandis que je suivais
des yeux les bateaux et les voyais l'un
après l'autre prendre le large, je sentais
un ardent désir d'être le porteur de
cette bonne nouvelle de la vie éternelle par
Christ, auprès de quelques-uns de ceux dont
la vie était, par leur vocation,
particulièrement exposée au danger.
Au momentmême où ce
désir se formulait en prière dans mon
coeur, les paroles du jeune garçon
retentirent à mes oreilles.
- Où est-ce, là-bas ?
demandai-je au jeune messager ; car j'avais
découvert que ce mot avait un sens
très-ambigu dans cette localité, et
pouvait signifier l'autre côté de la
rue aussi bien qu'une distance de quelques
lieues.
- Eh bien, madame, la chaumière est au
delà de cette pointe que vous voyez ;
vous ne pouvez la manquer, car il n'y en a pas
d'autre. Ce ne serait pas bien loin si vous pouviez
suivre le rivage en grimpant sur les rochers comme
moi, mais il y a un bon bout par la route.
Je regardai dans la direction qu'il
m'indiquait ; plusieurs circonstances
semblaient rendre cette course impossible, et
pourtant je ne pouvais me décider à
refuser. L'enfant lut évidemment de
l'hésitation sur mon visage, car il ajouta
d'un ton suppliant : II m'a dit de lui porter
une réponse ; il est bien malade et
tout seul.
Comme il parlait, une voix sembla dire à mon
oreille : « Ne t'ai-je pas
commandé ? Fortifie-toi et aie bon
courage. » L'impression fut si claire et
si distincte que, sans m'arrêter à
considérer les obstacles, je répondis
plutôt à cette voix qu'à celle
de l'enfant :
- Dites-lui que je viendrai.
- Quand, madame ?
- Aujourd'hui.
Le jeune garçon tardait encore.
- Pardon, madame, mais il m'a chargé
devous dire que la route est
mauvaise et peu convenable pour vous, à
moins que vous ne rentriez dans la ville avant la
nuit. Et il regardait le soleil, comme pour me
rappeler que le jour était
déjà bien avancé.
- Je vous suivrai à présent
aussi vite que possible, répondis-je,
à la grande satisfaction de mon petit
compagnon, qui disparut aussitôt avec ma
réponse. Une heure ou deux plus tard,
j'étais auprès du lit d'André.
Le Seigneur avait levé les obstacles un
à un ; bien plus, II m'avait
donné la pleine confiance qu'il agirait et
me donnerait d'assister à son oeuvre de
salut. Je m'étais attendue à trouver
quelque vieux matelot usé par les orages
d'un grand nombre d'hivers ; aussi, grande fut
ma surprise à la vue d'un beau jeune homme
de vingt-deux à vingt-trois ans,
présentant encore les apparences d'une force
physique remarquable, mais réduit à
l'impuissance à la suite d'un accident. Son
agréable figure, ouverte et honnête,
était animée par des yeux bleus
limpides pleins de franchise et de hardiesse.
Le sourire presque joyeux avec lequel il me
souhaita la bienvenue semblait lui être
naturel, tandis que l'expression d'amère
angoisse qui lui succéda presque
instantanément, s'accordait peu avec sa
physionomie. Le jeune garçon que j'avais
déjà vu, était debout
auprès de son lit. Quoique tout ce qui
l'entourait indiquât la pauvreté, on y
voyait tant d'ordre et de propreté, qu'il
était évident que le malade
était soigné par quelqu'un qui
l'aimait. Cependant une chose me frappa
dèsl'abord : il n'y
avait pas un seul livre auprès de lui ;
plus fard, j'en appris la raison.
- Entrez, madame, et soyez la bienvenue, me dit-il
en m'apercevant ; je suis bien content de
votre visite, car je vois peu de visages, et c'est
une ennuyeuse occupation que de rester
étendu à ruminer sur ses
misères. Timothée, tire plus
près le grand fauteuil de ma mère
pour la dame.
C'est bien dur pour moi de n'être pas capable
de vous l'apporter moi-même ; oui, c'est
bien dur ; mais je ne suis plus bon à
rien maintenant ni pour les autres ni pour
moi-même, et, le pire, c'est qu'il n'y a
point de remède.
- Mais on ne s'attend pas à ce que les
malades se lèvent pour recevoir leurs
visiteurs, lui dis-je ; je suis venue voir si
je puis vous être utile en quelque chose,
ainsi il ne faut pas que je vous cause de la
gêne pour commencer.
Il sourit à moitié et dit
simplement :
- Merci ; puis il ajouta sous forme
d'excuse : Henri (c'est un de mes camarades)
m'a dit, il y a déjà plus de huit
jours, que vous auriez quelque parole de
consolation pour moi ; je ne le croyais
guère, mais pourtant ses paroles m'ont
poursuivi jusqu'à ce que, ce matin, je n'aie
pu m'empêcher de vous envoyer le petit
Timothée.
- Ainsi vous avez besoin de consolation ?
répliquai-je, sachant à peine que
dire, car toutes ces circonstances étaient
bien étranges et nouvelles pour moi.
- Ah ! certes, madame, caries médecins
disent que je ne me relèverai jamais.
Oh ! passer sa
vieenchaîné au
même endroit ! c'est assez pour
ôter la raison. Et son front se contracta,
tandis qu'un profond gémissement
s'échappait de sa poitrine.
Après un moment de silence, je lui
demandai :
- Êtes-vous malade depuis
longtemps ?
- Il y a à peu près quatre mois que
j'ai eu mon accident ; j'ai passé plus
de trois mois à l'hôpital.
- Voulez-vous me raconter comment la chose est
arrivée, ou bien vous est-il pénible
d'en parler ?
Non, ce sera un petit soulagement, car, voyez-vous,
quand ma mère revient le soir de son
travail, je ne dois pas me laisser aller à
parler de moi. C'est bien assez dur pour elle
d'avoir à travailler pour
m'entretenir ; quand elle rentre, il ne faut
pas que ce soit pour entendre mes plaintes, pauvre
mère ! Sans elle, je pourrais mieux
supporter mon mal ; mais justement quand je
pensais qu'elle serait à son aise pour le
reste de ses jours et n'aurait plus de travail
pénible à faire...
Il s'arrêta ; un sanglot lui coupait la
parole ; mais, maîtrisant bientôt
son émotion, il me raconta qu'il
était charpentier à bord d'un navire.
La mer faisait ses délices ; il avait
fait plus d'un heureux voyage, essuyé plus
d'une tempête, tellement qu'il était
devenu, à cause de sa grande force et de
« sa chance, » comme il le
disait, tout à fait insouciant du danger.
Mais à son dernier voyage, le vaisseau
touchant presque au port, il était
monté dans le gréement pour
réparer quelque dommage. La journée
était belle et la mer unie comme un miroir,
lorsqu'une brisede terre
fît tout à coup pencher le vaisseau au
moment où il allait descendre. Il perdit
l'équilibre et fut précipité
d'une grande hauteur. Dès que le vaisseau
eut atteint le port, on le porta à
l'hôpital ; mais, après lui avoir
donné leurs soins, les médecins
déclarèrent que l'épine
dorsale avait été lésée
de telle sorte qu'il ne pourrait plus ni marcher ni
même se tenir debout.
- Lorsqu'on ne put plus rien pour moi à
l'hôpital, dit-il, je fus porté
à la maison, où me voici, plus
impuissant qu'un petit enfant, et où je ne
suis qu'une cause de trouble et de souci. Cela me
rend presque fou de voir rentrer ma mère
pâle et fatiguée, tandis que je suis
couché ici, quoiqu'elle ne se plaigne
jamais, mais dise toujours que c'est Dieu qui l'a
permis et que ses voies sont les meilleures. Je
suis content de la voir penser ainsi, si cela la
soulage ; mais il me semble, à moi,
qu'au lieu d'être le Dieu de la veuve et de
l'orphelin, comme elle le dit, II l'a
oubliée, puis qu'il m'empêche
même de l'aider.
- Votre mère n'a-t-elle pas d'autres
enfants ?
- Non ; elle en a eu cinq ; tous les
autres sont morts jeunes, et mon père a
péri sur mer lorsque je n'avais que trois ou
quatre ans. Il avait dit à ma mère,
en partant pour ce dernier voyage : S'il
plaît à Dieu, quand je reviendrai, je
me fixerai à terre ; mais la
Caroline (c'est le nom du vaisseau sur lequel
il était embarqué) partit et on n'en
entendit plus jamais parler. Le Dieu tout-puissant
a été dur pour nous, madame, bien,
bien dur !
Je sentais toute mon impuissance à dire une
parole de consolation et ne pouvais que regarder
à Dieu, afin qu'il
révélât lui-même son vrai
caractère d'amour à ce pauvre coeur
brisé qui avait de si sombres pensées
à son égard. Il me semblait pouvoir
aller à Lui avec d'autant plus de confiance,
que le cas était au-dessus de tout secours
humain, un cas comme il convenait à un Dieu
Sauveur. Le malade fixait sur moi un regard
étrange ; enfin il dit d'un ton
désappointé :
- J'avais bien dit à Henri que personne ne
pouvait me consoler, moi ; mais quand
même, vous avez été bonne de
venir, madame.
- Votre épreuve est grande, André, et
les paroles humaines sont bien faibles pour la
soulager, quelque pleines de sympathie qu'elles
soient.
Il y a un seul qui puisse vous aider et vous
consoler ; mais vous avez laissé entrer
dans votre coeur des pensées amères
sur ses voies envers vous. Vous penserez
peut-être qu'il m'est facile de parler ainsi,
à moi qui ne souffre pas comme vous ;
mais voulez-vous répondre à une
question ?
Selon vous, Dieu a manqué à sa
parole, oublié la veuve qui se confiait en
Lui, et agi durement envers l'orphelin. N'avez-vous
rien à dire de l'autre
côté ? pas de miséricorde
à signaler ?
Il tourna la tête et me regarda fixement,
mais sans dire une parole.
- Vous croyez qu'il y a un Dieu et un démon,
un ciel et un enfer ? lui demandai-je.
- Oui, je crois la Bible, c'est le livre de ma
mère, et c'était aussi celui de mon
père.
- De quelle hauteur m'avez-vous dit que vous
êtes tombé ?
Il parut étonné de ce brusque
changement de question, mais
répondit :
- À peu près de soixante pieds.
- Et une telle chute était-elle suffisante
pour vous tuer ?
- Certainement, madame, bien suffisante. Pour tous
ceux qui m'ont vu, c'est un miracle que j'aie
été relevé vivant. Lorsque
nous étions dans l'Amérique du Sud,
deux de mes compagnons tombèrent d'une
hauteur de trente pieds et furent tués sur
le coup,
- Et si tel avait été votre cas,
où seriez-vous à ce moment
même, dans le ciel ou en enfer ?
Il y eut un silence. Le monde invisible semblait
s'être rapproché tandis qu'il se
rappelait combien il en avait été
près. Après quelques minutes, d'une
voix basse et profonde :
- J'aurais été en enfer, dit-il, car
le diable me tenait fermement alors.
- Oui ; et il essayait de vous pousser tout
droit dans l'abîme en se disant :
« Maintenant que son coeur est bien loin
de Dieu, sans lui donner aucun avertissement ni le
temps de penser à son âme, maintenant
qu'il est mon captif, je veux consommer son
entière destruction, et il sera ma
proie pour toujours. » Mais l'oeil du
Seigneur était sur vous, - l'oeil de Celui
que vous accusez d'oublier la veuve et d'agir
durement envers l'orphelin ; une parole
puissante est sortie de ce coeur d'amour :
« Je veux cette âme ;
sauvez-la, afin qu'elle ne
descende pas dans l'abîme,
- j'ai trouvé une rançon, »
Vous avez dit que c'était un miracle qu'on
vous eût relevé vivant, et que
personne n'avait pu savoir ce qui avait amorti la
violence de la chute. C'était l'amour et la
miséricorde du Seigneur. Il a parlé,
et ces messagers qui font son bon plaisir,
interposèrent leurs mains entre vous et
l'éternelle destruction que le diable avait
préparée pour vous, de sorte que,
bien qu'infirme, cependant vous n'êtes pas
dans l'enfer. La porte du ciel est encore ouverte
devant vous. Jésus attend encore dans sa
grâce et vous présente le salut par
son précieux sang : II vous dit :
« Venez à moi, et je vous donnerai
le repos. » II vous offre la vie
éternelle ; Lui-même veut
être avec vous dans vos souffrances et vous
donner bientôt une éternité de
bonheur avec Lui, à la place de cet enfer
dont son amour vous a seul préservé
il y a quatre mois. Avait-Il oublié la veuve
et son fils quand II a fait cela ?
Je me souviendrai longtemps de l'expression de sa
figure, sur laquelle les sentiments les plus divers
venaient se peindre à mesure que je lui
parlais, quoiqu'il ne fit pas un mouvement. Le
petit Timothée s'était
rapproché et nous regardait tour à
tour d'un air interrogateur, lorsque André
s'écria enfin :
- Je suis le plus grand des insensés et le
plus indigne des misérables qui soient
encore à cette heure hors de l'enfer ;
j'ai laissé échapper toutes les
chances d'aller au ciel, et j'ai calomnié le
Dieu qui me les offrait.
- Il vous les offre encore ; en ce moment
même II vous dit : « Je ne
mettrai point dehors celui qui vient à
moi »
(Jean VI, 37).
- Non, II ne peut dire cela à celui qui n'a
fait que l'injurier en réponse à son
amour. Oh ! mes péchés, avant
mon accident, n'étaient rien en comparaison
de ce qu'ils ont été depuis. Je n'ai
fait que le calomnier, et je suis surpris qu'il ne
m'ait pas frappé de mort au moment où
ces paroles étaient sur mes
lèvres.
- « Le sang de Jésus-Christ son
Fils nous purifie de tout
péché, »
répétai-je.
- Mais mon péché ne peut y être
compris, il a été pire qu'aucun
autre. Oh ! si seulement j'avais vu son amour
auparavant !
- Quand DIEU a dit « tout
péché, » ne savait-Il
pas ce qu'il disait et ce qu'il voulait dire ?
Oui, certes, et II connaît aussi, Lui, la
pleine valeur du sang de son Fils.
Le malade se couvrit la figure de ses mains ;
moi, j'attendis silencieusement.
Après un instant, il me regarda et
dit :
- Il me semble que c'est trop qu'il puisse me
pardonner entièrement ; mais
croyez-vous qu'il m'écouterait si je lui
disais quel misérable j'ai
été, et Lui demandais de me permettre
de l'aimer pour tout ce qu'il a fait pour moi,
quand même ce serait dans
l'enfer ?
L'ardeur avec laquelle ces paroles sortaient de ce
coeur brisé et l'étrangeté de
sa question, d'une part, et, de l'autre, la joie
inexprimable de connaître cet amour qui ne
demandait qu'à donner le
baiser de père à ce prodigue
repentant, me causèrent une telle
émotion, que ce fut d'une voix
entrecoupée que je
répondis :
- Cela ne serait pas digne de Dieu ; II ne
pardonne pas à demi ; le fils prodigue,
dans le pays éloigné, pensait qu'il
demanderait à son père de le traiter
comme l'un de ses mercenaires, mais vous
souvenez-vous comment son père le
reçut ?
- Non, je n'ai jamais lu moi-même la
Bible,
et j'ai oublié ce que ma mère me
disait avant ces longues années
passées sur mer ; mais je crois me
rappeler qu'il y a quelque chose sur ce sujet.
Le jour baissait rapidement, et je n'aurais pas pu
lire à la lumière vacillante du
feu ; mais, à ces oreilles qui
m'écoutaient avec avidité, je
répétai la parabole bien connue
(Luc XV). Il sanglotait à
haute voix comme je finissais de parler.
- C'était de l'amour, bien sûr, mais
même cet homme n'avait pas été
aussi méchant que moi ; le père
ne l'avait pas cherché comme Dieu m'a
cherché.
- André, il ne s'agit pas de savoir à
quel degré vous avez été
méchant, mais si le sang du Fils de Dieu a
la puissance de vous purifier. Dieu ne peut
supporter le péché : le sang de
Jésus seul peut nous rendre propres à
être en sa présence ; mais Dieu
dit que son sang purifie de tout
péché.
Direz-vous qu'il y a certains péchés
qu'il ne peut effacer, ou qu'il y a des prodigues
repentants que le Père n'aime pas assez pour
leur pardonner ? À présent, il
faut que je vous quitte ;
maisje désire vous laisser
ces deux courts passages pour que vous les
méditiez : « Dieu est
amour, » et : « le sang de
Jésus-Christ, son Fils, nous purifie de
tout péché. »
II les répéta lentement après
moi deux ou trois fois, puis, comme je me levais
pour partir, il remarqua l'obscurité
croissante. Craignant de me laisser aller seule, il
voulait absolument que le petit Timothée
vînt avec moi ; mais je l'assurai que
quelqu'un, à qui l'obscurité est
comme la lumière, serait avec moi, et je
partis en promettant de revenir le lendemain, si je
le pouvais.
Malgré tout mon désir, il ne me fut
pas possible de retourner avant le surlendemain.
Aussitôt qu'il m'aperçut, il
s'écria :
- Je l'ai ! je l'ai ! Sa figure
était rayonnante.
- Qu'est-ce que vous avez, André ?
- Presque tout, madame, excepté le
ciel ; mais c'est le port pour lequel je suis
embarqué ; j'ai mon Pilote à
bord ; je lui ai remis le gouvernail, et bien
sûr II connaît le chemin.
- Racontez-moi donc ce qui s'est passé.
- Eh bien, madame, après votre départ
j'étais de nouveau tout misérable, je
ne pouvais penser qu'à mes
péchés et à ma noire
ingratitude. Oh ! quelle nuit je passai !
Toute la journée d'hier aussi, voyant que
vous ne veniez pas, je me disais que Dieu m'avait
abandonné, et je ne pouvais pas en parler
à ma mère, quoique je la visse
soupirer en me regardant. Mais voici que, vers le
milieu de cette nuit, comme j'étais presque
au désespoir, je ne sais comment il se fit
que ce nefut plus à moi et
à mes péchés que je me mis
à penser, mais au père qui va
à la rencontre de son fils dans sa
misère, et qui lui pardonne
entièrement ; et alors, quand mes
péchés se présentèrent
de nouveau devant moi, quelque chose sembla me dire
« André, mon garçon, si tu
es un plus grand pécheur que cet homme, cela
fait seulement qu'il est un plus grand Sauveur pour
être capable de te sauver, » et je
m'écriai à haute voix :
« C'est cela, Seigneur, j'ai compris
maintenant : tu es un assez grand Sauveur pour
sauver même un misérable comme moi,
car « le « sang de
Jésus-Christ purifie de tout
péché. » Et il me sembla
presque que j'étais dans le ciel. Je ne sais
pas comment la nuit s'écoula, je ne
ressentais plus ni douleur, ni rien, mais je
continuai à Lui parler.
- Votre mère connaît-elle votre
joie ?
- Oh ! certainement, je ne pouvais la cacher.
Aussitôt que je l'entendis remuer le matin,
je me mis à chanter à pleins poumons,
et, dès qu'elle m'entendit, elle tomba
à genoux et dit au Seigneur qu'il avait fait
chanter de joie le coeur de la veuve et
répondu à toutes ses prières.
Je ne saurais vous répéter la
moitié de ce qu'elle dit, car nous pleurions
tous deux de joie. Vous voyez, c'est son grand
amour qui ouvre les coeurs.
Il était touchant de l'entendre raconter son
histoire avec la simplicité d'un enfant.
Toutes ses pensées étaient
changées ; au lieu de se croire
durement traité par Dieu et de Le calomnier,
il se jugeait lui-même et justifiait Dieu,
tandis queson coeur
débordait du sentiment de son ineffable
amour.
- Voulez-vous me répéter ce qui est
dit de la délivrance de l'abîme ?
me demanda-t-il.
- Je lui lus le
XXXIIIe chapitre de Job, et, sur sa
demande, je le relus encore.
« J'ai trouvé la
propitiation, » « j'ai
trouvé la propitiation, »
répétait-il, avec la conviction que
ces paroles le concernaient personnellement.
« Garantis-le, afin qu'il ne descende pas
dans la fosse, j'ai trouvé la
propitiation. » Oh ! combien II a
été bon pour moi, qui fus rebelle
toute ma vie, et qui ai été dur aussi
envers ma mère, car elle ne voulait pas que
j'allasse sur mer, et pour cela m'avait fait
apprendre le métier de charpentier.
Mais je ne pouvais demeurer en repos ; tous
ceux de notre famille avaient été
marins, et lorsque je voyais les vagues bleues
s'arrondir autour de ce rocher là-bas, il me
semblait intolérable de rester à
terre ; quand le vent s'élevait avec
furie et chassait les grandes vagues toutes
blanches d'écume contre les récifs,
j'avais encore un plus intense désir de me
mesurer avec elles. À la fin je n'y pus plus
tenir et je dis à ma mère :
« Mère, donne-moi ta
bénédiction, et laisse-moi
aller. »
C'était cruel de ma part, car elle n'avait
que moi ; mais elle me répondit
seulement : « Le Seigneur t'a
gardé jusqu'ici, mon fils, et II me donne de
la force, même pour cela. » Bien
souvent, dans mes veilles de nuit, je repensai
à ces paroles et me demandai ce qu'elle
avait voulu dire ; ces paroles me donnaient
l'impression que j'avais agi
comme un lâche ; mais je comprends tout
à présent.
Je désirais beaucoup voir cette veuve, dont
la foi me semblait si lumineuse, et dont le fils
parlait d'une manière si touchante ;
mais des semaines se passèrent avant que mon
désir se réalisât, car elle ne
rentrait pas assez tôt de son ouvrage.
À la fin, nous nous
rencontrâmes ; un seul regard sur son
visage révélait la paix qui
régnait dans son âme. Son fils lui
ressemblait beaucoup ; elle avait les
mêmes yeux bleus limpides, la même
expression de franchise et le même radieux
sourire que j'avais remarqué tout d'abord
chez lui ; seulement, le regard de la
mère avait une indescriptible douceur et un
calme qui était plus que de la patience et
de la résignation, c'était le regard
de quelqu'un qui avait longtemps marché
paisiblement avec le Seigneur. Je sentis
immédiatement qu'elle avait
été avec Jésus, tellement
qu'auprès d'elle il me semblait Le
connaître mieux. Sa manière de
s'exprimer n'avait rien de recherché ;
elle n'employait pas des phrases toutes faites,
mais lorsqu'elle parlait de Lui, c'était
comme de quelqu'un qu'elle connaissait bien et sur
l'amour duquel elle avait appris depuis longtemps
à se 'reposer. Cependant son ton
était aussi plein de respect que son amour
était profond.
Elle était beaucoup trop humble pour deviner
quel rafraîchissement et quel encouragement
je trouvai dans cette visite, quelle douce saveur
de Christ elle me laissa ; mais lorsqu'elle
remerciale Seigneur d'avoir
exaucé la prière qu'elle lui avait
adressée que nous pussions nous rencontrer,
je sentis bien que tout le gain était de mon
côté.
Pendant quelques semaines, je continuai à
voir son fils chaque jour, car j'avais
découvert qu'il ne savait guère que
ses lettres, ce qui expliquait l'absence de livres
autour de lui. Son désir de pouvoir lire la
parole de Dieu lui-même était si
grand, qu'il accueillit avec bonheur l'offre que je
lui fis de lui aider, et ses progrès furent
très-rapides. Quelquefois il souffrait trop
pour être capable de rien faire ; je me
contentais alors de lui faire une lecture. Il lui
arriva même de n'être pas du tout en
état d'écouter ; mais son
désappointement fut si grand un jour que
j'étais partie doucement sans rien dire,
parce qu'il semblait trop mal pour être
dérangé, que je ne le refis plus.
- Cela ne me fatigue jamais, au contraire, cela me
fait toujours du bien, me dit-il ; quand vous
me lisez toutes ces belles choses, je les comprends
mieux ; il me semble que c'est comme lorsque
je grimpais aux mâts pour apercevoir de loin
la terre vers laquelle nous cinglions.
La parole de Dieu et le chant des cantiques
faisaient ses délices. Son esprit,
naturellement joyeux et plein d'entrain, trouvait
maintenant son élément dans les
chants d'amour et de louanges à Celui qui
l'avait sauvé. Je m'étais attendue
à ce qu'une fois la première joie
passée, il retomberait quelquefois dans son
ancien sentiment de tristesse à cause de son
incapacité ; mais
celan'eut pas lieu ; bien
des fois j'ai été
émerveillée en voyant ce que Dieu
avait fait pour le fort et intrépide marin.
Lui, autrefois si fier de son indépendance,
si heureux d'aider les autres, était
satisfait maintenant d'être
entièrement dépendant, même
pour les plus petites choses. C'était
là une chose plus étrange encore que
des souffrances supportées avec joie. Je lui
demandai une fois si les journées lui
semblaient bien longues.
- Mais non, madame, me répondit-il
simplement, je ne suis jamais seul à
présent ; Jésus est là,
et quoique je sois infirme, Lui est fort ; il
n'est pas dur de dépendre de Lui. Et quant
à ma mère, je lui dis qu'il l'aime
plus que je ne le fais, et je sais que je peux me
fier à Lui pour prendre soin d'elle.
Après tout son amour, comment pourrais-je
jamais me défier de Lui ? Puis, vous ne
pourriez croire la quantité de petites
choses qu'il me donne de faire pour Lui ; je
le Lui demande, et II le fait.
Une fois seulement je vis un nuage assombrir le
visage d'André ; ce fut lorsque
quelques-uns de ses anciens camarades
essayèrent de le plaindre en disant que le
Tout-Puissant l'avait traité bien
durement ; il fit un mouvement comme s'il
avait reçu un coup.
- Ne parlez pas ainsi, camarades, cela me rappelle
ma propre ingratitude envers Lui. Il m'a
retiré de la bouche même du gouffre de
l'enfer.
Oh ! si seulement vous Le connaissiez !
Je ne voudrais pas changer de condition avec aucun
de vous, car II a été plein de
bonté envers moi ;
jene voudrais pas être
votre ancien André, car je ne Le connaissais
pas alors.
Puis il leur parla d'une manière si simple,
si touchante de Jésus, qu'à la fin
plus d'une manche d'habit passa rapidement sur ces
rudes visages pour cacher les larmes involontaires
qui s'échappaient de ces yeux peu
habitués à pleurer. Le Seigneur lui a
donné d'être en
bénédiction auprès de
plusieurs de ses anciens compagnons, et le petit
Timothée a appris de sa bouche l'histoire
bénie de l'amour de Jésus.
Ce fut sa « noire
ingratitude » qui le convainquit
de péché ; ce fut le
« merveilleux amour de Dieu »
qui le convertit. Le diable avait été
à l'oeuvre près de lui, lui
répétant l'ancien mensonge par lequel
il a séduit des milliers d'âmes depuis
Eve, cherchant à lui persuader que Dieu est
un Dieu dur, qui avait voulu son malheur ;
mais il connaissait maintenant le vrai
caractère de ce Dieu, qui nous a tellement
aimés, qu'il a donné son Fils ;
il avait appris à connaître le coeur
de Dieu dans la personne de Jésus, dont il
pouvait dire avec reconnaissance, même avec
allégresse et triomphe : « II
m'a aimé, II s'est donné pour
moi. »
Lecteur, pouvez-vous dire la même
chose ?
FRAGMENT
Dieu conduit et accompagne ceux qu'il appelle
hors du « monde » qui
« gît dans le
méchant » et qui va être
jugé. Il est dit du bon Berger :
« Quand il a mis dehors toutes ses
propres brebis, II va devant elles, et les
brebis le suivent. »
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