LES SEPT
PAROLES
JÉSUS-CHRIST SUR LA
CROIX
QUATRIÈME MÉDITATION.
Et à
la neuvième heure, Jésus jeta un
grand cri en disant : « Eloï ! Eloï !
Lama sabachthani ; »
c'est-à-dire « Mon Dieu ! mon Dieu !
pourquoi m'as-tu
abandonné ? »- Marc XV, 34.
Jusqu'ici les paroles du Sauveur sur la croix,
les trois que nous avons déjà
méditées avec vous, ont
été, si l'on ose ainsi dire, des
élans de charité particulière
pour ses ennemis et pour ses amis, pour ceux qui
l'avaient crucifié, pour celui qui,
cloué à une croix à
côté de la sienne, l'avait
confessé et adoré, pour ceux qu'il
aimait le plus tendrement ici-bas, et qui
gémissaient au pied de sa croix.
Celles qui nous restent encore à
méditer, se rapportent plus directement
à Jésus-Christ lui-même, et
à son oeuvre envers tous.
Celle d'aujourd'hui, en
particulier, nous présente
le Seigneur Jésus au plus fort de ses
douleurs, et par conséquent au plus profond
de son amour pour nous. C'est sans doute pourquoi
les deux Évangélistes qui nous l'ont
transmise, ont conservé pour cette parole
les sons mêmes qui sortirent de la bouche du
Seigneur, dans la langue du pays où
vécurent Jésus et ses Apôtres,
dans cette langue dans laquelle il
annonçait l'Évangile aux pauvres,
commandait aux maladies, aux tempêtes et
aux démons, dans celte langue dans laquelle
Saint-Marc nous a rapporté aussi
l'invitation efficace et vivifiante de Jésus
à la fille de Jaïrus : Talitha
coumi : Jeune fille, lève-toi ; je
te le commande, et le seul mot prononcé
non moins efficacement sur l'oreille du sourd de la
Décapole : Epphatah !
ouvre-toi.
C'est dans cette même langue que
Saint-Matthieu et Saint-Marc nous ont
conservé ces mots : Eli !
Eli ! ou Eloï !
Eloï ! Lamma Sabachthani ;
c'est-à-dire : Mon Dieu ! mon
Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ?
Les ennemis de Jésus crurent ou
feignirent de croire, qu'il appelait
à son secours le prophète
Élie. Nous, chers frères, ces
mystérieuses paroles nous ont
été traduites, et nous en pouvons
comprendre le sens, ou au moins la lettre.
Mais toi seul, Seigneur ! et
nous te le demandons, toi seul qui les as
prononcées, tu peux nous en faire
pénétrer l'esprit, toi seul peux nous
donner de sentir ce qu'elles ont d'instructif, de
terrible à la fois et de consolant pour
nous, et surtout quel était ton amour pour
nous quand tu les prononças, ton amour de
tout temps, ô Christ ! toi qui
es toujours le même hier,
aujourd'hui et éternellement.
Amen !
I.
Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi
m'as-tu abandonné ?
Ces mêmes paroles se lisent au
commencement du Psaume XXII. Souvent David,
en faisant sa complainte à l'Éternel
sur ses propres maux, et parlant comme le
Christ, l'Oint du Seigneur en tant que roi
d'Israël, David parle aussi au nom et à
la place du Christ qui devait sortir de
sa postérité selon la chair.
Dans ce
Psaume XXII, en particulier, il dit
des choses qui ne se sont accomplies qu'en
Jésus, entr'autres : Ils ont
percé mes mains, et mes pieds ; ils ont
jeté le sort sur ma robe.
C'est donc bien en vue du Christ, et à
la place du Christ, que David a écrit aussi
les premières paroles du
Psaume : Mon Dieu ! mon Dieu !
pourquoi m'as-tu abandonné ?
C'est bien David qui les a écrites,
parce que Jésus-Christ devait les prononcer,
et non pas, comme l'ont prétendu quelques
interprètes, Jésus-Christ qui les
prononce parce que David les avait
écrites.
Chez Jésus-Christ, elles sont l'expression
d'un sentiment personnel, qu'il éprouvait
réellement dans son âme d'homme, lui
qui a été tenté comme nous
en toutes choses, mais sans
péché.
Nous tenons aussi à le dire en
commençant ; nous devons
connaître assez Jésus-Christ par
l'Évangile, pour écarter de ces mots
toute idée de révolte ou de murmure
contre la volonté de son Père, comme
aussi toute idée d'ignorance et de doute sur
la volonté de son Père, et sur la
cause de ses propres souffrances, et il faut
entendre ce pourquoi, moins comme une
question que comme une exclamation :
« Hélas ! je suis donc
abandonné de toi, moi ton
bien-aimé ! »
Au reste, ces mots, chers frères, quoi qu'il
en soit, laisseront toujours devant nous un
abîme que l'intelligence humaine ne saurait
sonder jusqu'au fond ; et toutefois, ils
peuvent nous donner de grandes, de sérieuses
leçons et avant tout, nous apprendre
à nous connaître nous-mêmes ou
à nous connaître mieux en tant que
pécheurs.
Ne laissons jamais échapper le fil qui doit
nous diriger et nous conduire à travers
toutes les circonstances de la passion du Sauveur,
et particulièrement ici.
Jésus souffre à notre place, comme
notre représentant, le représentant
des pécheurs.
Il parle aujourd'hui comme pourrait parler un homme
rejeté et maudit de Dieu ; et en effet,
comme le dit Saint-Paul : Christ nous a
rachetés de la malédiction de la loi,
ayant été fait malédiction
pour nous.
La malédiction de la loi,
c'est-à-dire la malédiction
que nous tous, mes chers frères, que
vous et moi et chacun de nous avons
méritée par nos transgressions de
la loi, par nos péchés, ou
plutôt par notre péché.
Car tous nos péchés, toutes nos
transgressions particulières ne sont que des
branches ou des fruits d'un même
arbre mauvais, arbre qui ne peut porter
que de mauvais fruits.
Ce péché unique, c'est
l'abandon de Dieu. C'est là le grand
reproche que Dieu fait à son peuple. Ils
m'ont abandonné... et s'il dit :
Mon peuple a fait deux maux, (deux
péchés) ; ils m'ont
abandonné, moi la source
des eaux vives, et ils se sont creusé des
citernes crevassées qui ne retiennent point
l'eau... on voit bien qu'au fond, ces deux
péchés n'en font qu'un,
abandonner Dieu ; car comme l'homme ne
peut pas tout abandonner, qu'il a toujours
besoin de quelque chose, quand il abandonne
Dieu, c'est toujours pour quelque chose, pour
autre chose que Dieu.
Abandonner Dieu pour autre chose, pour quoi
que ce soit, abandonner la source pour se
creuser des citernes, voilà le
péché, voilà la
malédiction ; car il est
écrit aussi : Maudit est quiconque
de la chair fait son bras.
Le péché, digne de
malédiction, c'est donc
d'abandonner Dieu pour les choses du monde,
de la chair, et par là nous ne devons
pas entendre seulement les oeuvres de la chair
les plus brutales, les plus grossières,
celles qui sont manifestes aux yeux
mêmes et au jugement du monde, mais ce que de
très honnêtes gens selon le monde,
respectables à divers égards, ne
songeraient pas même à se
reprocher.
Abandonner Dieu pour autre chose, ce fut le
péché de nos premiers parents, c'est
le péché de quiconque n'est pas
devenu un homme nouveau. C'est aussi un
reste du vieil homme chez l'homme
nouveau, souche, qui coupée, fût
ce même à ras terre,
mais non extirpée, déracinée,
ne repousse encore que trop de rejetons.
Abandonner Dieu, c'est le
péché de tout homme naturel. Je dis
abandonner Dieu, non ignorer Dieu, car il a
connu Dieu dit Saint-Paul. Tout ce qui se
peut connaître de Dieu lui a
été manifesté... Mais
Dieu n'est pas présent à sa
pensée ; il n'agit pas par amour pour
Dieu. Les choses du monde le préoccupent
tellement, qu'il n'a pas le temps, il vous le dira
naïvement ; ne l'avez-vous jamais
entendu ? ne l'avez-vous point dit
peut-être ? il n'a pas le temps de
penser à Dieu.
Hélas ! quelquefois après
être devenu, ou plutôt avoir
commencé à devenir sérieux,
après avoir commencé à penser
a Dieu, a son âme, à ses
péchés, à son salut, à
l'éternité, après avoir
été effrayé comme
Félix, il dit comme Félix à
Saint-Paul, il dit à sa conscience, il dit
à la Loi de Dieu qui est là, devant
lui, menaçante, et même à
l'Évangile qui se présente à
lui, message du salut, il dit par conséquent
à Dieu lui-même, au Dieu de la Loi et
de l'Évangile : Quand j'aurai le
temps, je te rappellerai.
Il jouit tous les jours des bienfaits de Dieu
comme de son soleil, et il n'a pas le temps
de le remercier, de solliciter la
continuation de ses bienfaits. Il
sent au fond de sa conscience, qu'il a
péché, qu'il pèche contre
Dieu, et il n'a pas le temps de lui demander
le pardon et la sanctification.
Ah ! l'on sait bien trouver le temps
pour ce qu'on aime.
Aussi ce même homme sait bien trouver du
temps non seulement pour les besoins les
plus pressants, pour les affaires indispensables de
la vie, ou ce qu'on appelle ainsi ; mais pour
travailler à s'enrichir, pour se faire un
nom dans le monde, pour devenir savant dans les
sciences humaines, souvent tout simplement pour
s'amuser, pour se livrer à des plaisirs qui
l'étourdissent et l'aveuglent toujours
plus.
II sait bien trouver du temps pour se faire
du mal... et quelquefois aux autres. Il est
à peine besoin d'ajouter, qu'il ne trouve
pas de temps pour glorifier Dieu par
de bonnes oeuvres, par des oeuvres vraiment
chrétiennes, par des oeuvres faites en vue
et pour l'amour de Dieu.
L'homme, s'il n'est converti du coeur à
Dieu, songe-t-il à faire quelque chose pour
Dieu ? Le bien même qu'il fait, bien au
jugement des hommes, et qui peut être un bien
pour les hommes, pour la société, et
digne d'éloges sous ce point de vue, le
fait-il pour glorifier Dieu, ce Dieu auquel
il pense à
peine ?
Et cependant, il est écrit : Tout ce
que vous faites, faites-le comme pour le Seigneur,
parce qu'il est écrit aussi : Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de
toute ton âme et de toute ta
pensée.
L'homme n'est-il donc pas éloigné
de Dieu ? N'a-t-il pas abandonné
Dieu ? Tel est notre état, mes
frères, aussi longtemps que nous n'avons pas
connu Christ, ou que nous ne l'avons connu
que de la mémoire et de l'intelligence, que
nous ne l'avons confessé et honoré
que des lèvres, et après
même que nous l'avons connu, que nous
avons cru en lui du coeur, il ne nous
arrive que trop souvent encore d'avoir des retours,
des rechutes, je ne dirai pas d'abandon de
Dieu, mais d'éloignement de Dieu.
Abandon de Dieu, éloignement de Dieu,
péché commun de tous les
pécheurs. Péché énorme,
non seulement en ce qu'il comprend tous les autres,
en ce qu'il entraîne tous les autres, mais
énorme en lui-même !
Ne pas aimer Dieu qui nous a faits, en qui
nous avons la vie, le mouvement et l'être,
qui nous a aimés le premier ;
abandonner celui qui ne s'est jamais
laissé sans témoignage en nous
faisant du bien, quelle ingratitude, et que
mérite-t-elle, disons mieux,
qu'entraîne-t-elle
naturellement,
nécessairement ?
Oui, il est dans la nature des choses, dans la
nature nécessaire du Dieu saint et juste,
que Dieu t'abandonne, pécheur,
toi qui l'as abandonné, que, si tu
n'es plus à Dieu, Dieu ne soit plus à
toi ; et si tu ne sais pas sentir encore
à cette heure quel malheur c'est pour toi,
à cette heure, où toutes tes
idoles préoccupent et remplissent ton
coeur dans lequel Dieu devait régner, ...
quand ces idoles, comme Dagon, seront
renversées par son bras puissant sur le
seuil de l'éternité ; que te
restera-t-il, qu'auras-tu pour
l'éternité ?
Tu n'as plus Dieu ; tu l'as
abandonné, il t'a
abandonné. Maintenant, toutefois,
qu'il en est temps encore, si tu veux te rejoindre
à Dieu, ravoir Dieu, qui te rendra
Dieu ? Et toi, pécheur, qui te sens
réconcilié avec Dieu, qui invoques
Dieu comme un père, et qui peux dire ainsi
que Jésus : Le Père est avec
moi, qui t'a rendu Dieu ? O si nous
pouvions le dire de chacun de vous, de chacun de
nous ! Qui nous a rendu Dieu ?
II.
Qui donc ? celui qui est là, sur la
croix, sur cette croix, de laquelle nous nous
reprocherions, chers
frères, de vous avoir tenus, quelques
instants, éloignés, si ce
n'était pour faire sentir à nos
consciences ce que devait faire, et ce que fait
maintenant sur cette croix, celui qui
s'écrie : Mon Dieu ! mon
Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ?
Abandonné ! C'est pourtant celui en
qui le Père avait mis son
affection, celui qui, tandis qu'il a
vécu ici-bas, était en communication
continuelle avec le Père, toujours
occupé du Père, ayant pour
nourriture de faire la volonté du
Père, travaillant au milieu de la foule
à l'oeuvre du Père, ou se
retirant à l'écart dans le
désert pour prier le Père,
toujours exaucé du Père.
Les anges du ciel montaient et descendaient sur
le Fils de l'homme ; et voilà que
ces glorieuses communications sont
interrompues.
Ici, en Golgotha, pas même un ange pour le
fortifier comme en Gethsémané, et
l'angoisse est bien plus grande qu'en
Gethsémané. Là, elle ne fait
que commencer.
Jésus dit encore : Père, s'il
est possible ! Ici à cris
redoublés : Mon Dieu ! mon
Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ? Il n'ose plus dire
Père, comme au jardin des Oliviers, ni
même comme dans la première parole de
Golgotha, Père, par donne-leur !
et pas encore comme dans son dernier cri :
Père, je remets mon
esprit entre tes mains !
Mon Dieu ! mon Dieu ! Non ce n'est
pas son père ; c'est son
Dieu, son juge.
C'est qu'il est là à la place de ceux
qui ont abandonné Dieu, et que Dieu
doit aussi abandonner, s'il
n'écoute que sa justice, et pour que son
Dieu ne les abandonne pas à
jamais, il faut que lui souffre cet abandon, cette
colère de son Dieu qui devait tomber sur le
pécheur.
Et ici, ne disons pas : Cette parole est
dure, qui peut l'entendre ? Car c'est la
parole de Dieu. Esaïe avait dit :
L'Éternel a voulu le froisser, le mettant
en langueur.
Quand on dit que Jésus a souffert tout
ce qu'on peut souffrir de mauvais traitements de la
méchanceté des hommes les plus
haineux et les plus pervers, tout ce qu'on peut
souffrir de douleurs physiques dans le supplice le
plus long et le plus cruel, on dit la
vérité, mais on ne dit pas encore
toute la vérité.
Quand on dit qu'il s'est offert en sacrifice
à Dieu pour nos péchés,
et que Dieu a accepté son sacrifice, on
dit la vérité, une grande
vérité ; mais on ne dit pas
encore toute la vérité.
Quand on dit qu'il a donné sa vie pour
nous, on dit la vérité, une
grande vérité ; mais on ne dit
pas encore toute la vérité. Il y a
certainement quelque chose de plus dans
ces paroles :
L'Éternel a voulu le froisser, le mettant
en langueur. L'Éternel le froissait dans
ce moment ; il ne le traitait pas comme son
bien-aimé.
Jésus, s'étant mis à la
brèche pour nous, ayant plaidé la
cause de nos âmes, n'a pu gagner cette
cause qu'en éprouvant à notre
place ce que nous avions mérité,
l'abandon de Dieu, la colère de Dieu due
à nous qui avions abandonné
Dieu.
Dieu, dit aussi Saint-Paul, Dieu a
traité comme un pécheur, comme
le péché même, c'est la
force et le sens du texte original, Dieu a
traité comme un pécheur celui qui
n'avait point connu le péché, afin
que nous fussions justes devant Dieu par
lui.
Voilà, chers et bien-aimés, tout ce
que nous pouvons vous dire et tout ce que la Parole
de Dieu elle-même nous laisse entrevoir de
cette mystérieuse malédiction
qui pèse sur le juste,
mystérieuse et pourtant bien
significative. Il reste toujours du mystère,
de quoi s'écrier avec Saint-Paul : O
profondeur ! et toutefois il y a assez de
lumière, pour voir ce qu'est le
péché, et ce qu'est l'amour de Dieu,
l'amour de Jésus pour les
pécheurs.
Voulons-nous bien savoir ce que c'est que le
péché, ce que c'est que
d'abandonner Dieu. Écoutons le cri de
Jésus ; il nous apprend que c'est
une chose amère,
d'abandonner l'Éternel, puisque le
Dieu qui est riche en miséricordes
n'a pas épargné son propre Fils,
devenu le représentant des
pécheurs, de ceux qui ont
abandonné Dieu, et que pour expier
cet abandon, lui Jésus, le saint et le
juste a dû éprouver l'abandon de
son Père, au point de pousser ce cri
déchirant.
Mais aussi nous voyons bien ici quelles sont les
richesses de la grâce de Dieu, et combien
il est vrai qu'il ne prend point plaisir
à la mort du pécheur, et surtout
nous voyons combien Jésus nous a
aimés, puisque pour nous, si mauvais, si
souillés de péchés, il a
consenti à être privé, ne
fût-ce que pour quelques instants, du
sentiment de l'amour de son Père qui faisait
son bonheur dès les jours
éternels, dès le commencement,
où la Parole était
auprès de Dieu, .où elle
était Dieu.
Ah ! si nous l'avons compris, si nous l'avons
sent i,ne verrons-nous pas le péché
bien plus odieux, bien plus horrible? Ne
craindrons-nous pas d'abandonner encore le
Dieu vivant... et d'abandonner celui qui
nous a tant aimés ?
Ne désirerons-nous pas de suivre l'Agneau
quelque part qu'il aille, de marcher sur
ses traces dans une vie nouvelle, vie
où Dieu soit toujours avec
nous, Jésus toujours avec
nous, notre Emmanuel,
toujours devant nous ou à nos
côtés, présent à notre
pensée, but et modèle à la
fois de toutes nos oeuvres, objet de nos louanges
et de nos actions de grâces, de notre bonheur
et de notre amour ; dans une vie de
charité, de support, de pardon, de patience,
de dévouement, vie cachée avec
Christ en Dieu, mais qui se manifeste par
l'odeur de nos bonnes oeuvres, vie
consacrée à celui qui pour nous
est mort et ressuscité, et qui plus
encore, a dû s'écrier pour nous,
à notre place : Mon Dieu ! mon
Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ?
Ah ! si nous ne nous attachons pas
sérieusement et pour toujours à celui
qui, pour nous, a dû pousser ce cri de
détresse, nous aurons à le pousser
nous-mêmes tôt ou tard. Vous ne vous
étonnerez pas sans doute, mes frères,
si à l'occasion de chacune des paroles de
Jésus-Christ sur la croix, nous nous
transportons à notre lit de mort.
La croix de Jésus-Christ n'a-t-elle pas
été son lit de mort, et puis ne
fut-elle pas dressée pour adoucir, pour
bénir, pour sanctifier nos lits de
mort ?
O si nous avions été
infidèles, qu'il serait, à notre
dernière heure, qu'il serait
déchirant ce cri : Mon Dieu !
mon Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ? Ah ! je ne
le sais que trop,
dirions-nous ; c'est que moi-même je
t'ai abandonné, Dieu Fort, mon Juge,
lorsque tu avais tout fait pour m'appeler, pour
m'attirer à toi par des cordages
d'amour, lorsque pour moi tu avais
donné ton propre Fils, ton Fils
unique ; c'est que je t'ai
abandonné, Seigneur Jésus, qui
t'étais donné toi-même pour
moi.
Mes frères, nous ne nous sentons pas le
courage d'aller plus loin.... ni vous non plus, je
crois, et nous aimons mieux penser au lit de mort
de quiconque s'étant mis à l'abri
sous la croix, ne sera pas abandonné
finalement.
Je dis finalement ; car si le saint et le
juste a dû souffrir l'abandon de son
Père, nous qui l'avions abandonné,
et qui ayant été ramenés
à lui, achevons rarement notre
carrière, sans qu'il y ait eu pour nous des
moments plus ou moins nombreux, plus ou moins longs
de relâchement dans son service, des moments
de rechute et d'infidélité, des
moments où nous le perdons de vue, nous
pouvons rarement aussi achever notre
carrière, sans passer par quelques moments
pénibles, angoissants, où il peut
nous sembler que Dieu cache sa face.
Mais cette face, qui, pour ceux qui
l'ont réellement abandonné, se
cache derrière d'épaisses et
éternelles ténèbres,
elle ne se cache pour les
enfants de Dieu, que derrière un
nuage, qui laissera bientôt percer, puis
reparaître dans tout son éclat le
soleil de justice, et en attendant, ils peuvent
dire avec confiance au nom de Jésus :
Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ? Ne suis-je pas à
toi ? N'ai-je pas auprès de toi
Jésus, qui te prie pour moi ? Rends-moi
tes consolations, ô mon Dieu ! mon
Dieu ! rends-moi la joie de ton
salut. « Rends-moi, Seigneur,
rends-moi ta douce paix. »
Et bientôt exaucés, bientôt,
voyant se dissiper le nuage et reparaître la
lumière, ils peuvent dire avec David :
Quand je passerai par la vallée de
l'ombre de la mort, je ne craindrai pas, ton
bâton et ta houlette sont ceux qui me
consolent.
Oui, appuyés sur le bâton et la
houlette du bon Berger, ils le trouveront, lui,
de l'autre côté de la
vallée, sur la montagne de
Sion, pour ne plus être
abandonnés de lui, pour ne plus
l'abandonner.
Seigneur Jésus ! pardonne, si nous
avons bégayé sur ces paroles de ta
croix plus encore peut-être que sur toutes
les autres. Mais quelle bouche humaine cent fois
plus éloquente, plus savante, surtout plus
pure que la nôtre, mais humaine toutefois,
pourrait, là-dessus, faire
autre chose que bégayer. Fais retentir
toi-même à nos oreilles, ton
Eloï ! Eloï ! lama
sabachthani ?
Que nous n'ayons pas à le dire
nous-mêmes ! ou que s'il nous faut le
dire comme toi, nous entendions bientôt la
voix de ton Père, notre Père,
de ton Dieu, notre Dieu,
répondre à notre coeur : Je
ne t'ai point abandonné. Je ne te
laisserai point, je ne t'abandonnerai point.
Non ; je suis toujours avec toi.
Oui, Seigneur ! « Unis nos
coeurs à toi par de forts et doux
noeud. » Que nous ne t'abandonnions
plus, et toi, ne nous abandonne
jamais !
Amen
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