Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LETTRES À MON CURÉ






PREMIÈRE LETTRE

 Monsieur le Curé,

 Je n'ai point l'honneur de vous connaître et j'éprouve le besoin d'excuser la hardiesse que je prends de vous écrire. J'ai longtemps hésité à le faire. Le besoin de m'éclairer sur de graves questions a enfin triomphé de la répugnance que j'éprouvais à vous occuper de ma personne. On m'assure d'ailleurs que vous remplissez avec zèle les fonctions de votre ministère, et que vous regardez comme l'un de vos premiers devoirs le soin de guider les âmes dans la recherche de la vérité. Cette persuasion achève de vaincre mes scrupules.

Je ne vous cacherai point, Monsieur, que je suis né dans une communion différente de la vôtre. Il vous importe peu de savoir à quelle nuance du protestantisme j'appartiens, et il me suffira de dire que je suis protestant dans ce sens où l'est tout chrétien qui n'est pas catholique.

Je me hâte d'ajouter que je ne partage pas les sentiments dont beaucoup de protestants sont animés à l'égard du catholicisme. J'ai horreur de cette polémique mesquine et insultante à laquelle se livrent trop souvent les avocats des deux Églises, mais qui me paraît encore plus déplacée dans la bouche des adversaires de Rome que dans celle de ses défenseurs. À mes yeux, l'un des privilèges du protestant est une position qui lui permet de reconnaître le bien et le vrai partout où il les rencontre, et, par exemple, de proclamer les services que votre Église a rendus à la religion et à la civilisation. Que le catholicisme ramène toutes choses à la règle absolue de sa propre foi, c'est son droit, et, selon moi, c'est sa faiblesse et son malheur ; mais que le protestant en agisse de même, qu'il s'imagine posséder la vérité d'une manière exclusive et complète, que l'Église romaine devienne pour lui la personnification de l'erreur et du mal, je ne puis voir là qu'une déplorable inconséquence.

Veuillez donc ne point me ranger parmi ceux qui considèrent le catholicisme comme un produit de l'enfer, Rome comme la prostituée de l'Apocalypse, le pape comme l'homme de péché dont parle saint Paul. Bien loin de là, le catholicisme me semble l'un des phénomènes religieux les plus dignes d'attention. C'est avec un grand intérêt que je contemple l'histoire de sa formation, de ses développements et de ses luttes. Je comprends les séductions qu'il peut exercer sur les imaginations et même sur les intelligences. Je reconnais combien sont profondes les racines par lesquelles il adhère à la conscience des masses. Je crois que beaucoup de ses saints et de ses docteurs, de ses ordres religieux et de ses pontifes ont bien mérité de l'humanité. Je ne puis prendre sur moi de mépriser ou de haïr l'Église de saint Bernard et de saint Louis, de Pascal et de Fénelon. Le dirai-je ? Quand je vois des âmes sincères passer de nos rangs dans les vôtres, je ne m'en scandalise ni ne m'en étonne outre mesure. Comment les blâmerais-je de chercher parmi vous le repos et l'appui dont elles ont besoin ?

Telles étant mes dispositions, vous ne serez point surpris d'apprendre que j'ai formé le projet d'étudier le catholicisme avec une nouvelle attention. Quand même je n'aurais pas toujours éprouvé du penchant pour cette étude, les préoccupations actuelles de l'Europe auraient suffi pour tourner mes pensées vers les matières de controverse. L'Église romaine a considérablement gagné en puissance depuis la révolution de 1848. Les entraves qui gênaient son action dans plusieurs pays, en France, en Prusse, en Autriche, sont tombées tout d'un coup et lui ont laissé une liberté d'action dont elle a usé avec énergie. À Genève, dans l'antique métropole du calvinisme, le catholicisme a, d'une manière plus remarquable encore, profité des bouleversements politiques. Devenu l'appoint nécessaire des partis, il a acquis une influence décisive, et, s'appuyant sur l'accroissement du chiffre de la population fidèle, il prévoit déjà, à ce que l'on assure, le jour où la messe sera de nouveau chantée sous les voûtes de Saint-Pierre.

En présence de ces faits, l'homme politique est obligé de faire entrer un nouvel élément dans ses calculs et ses combinaisons, l'homme religieux est conduit à examiner plus sérieusement un système qu'il s'était accoutumé peut-être à regarder comme, vieilli et dépassé. La force vitale du catholicisme ne serait-elle pas l'indice certain de sa vérité ? Sa puissance ne serait-elle pas celle de Dieu ? Cette seconde jeunesse après tant de siècles ne dénoterait-elle pas une origine surnaturelle ? Ou bien, au contraire, le catholicisme est-il une des formes inférieures de l'esprit chrétien ? Ses prétentions sont-elles condamnées par l'histoire, par la raison, et, qui plus est, par l'Évangile ? Ses titres à la foi disparaissent-ils devant l'examen ? Les preuves de sa divinité ne peuvent-elles supporter le grand jour de la discussion et l'épreuve de la critique ?

Bref, ne faut-il pas regarder ses succès actuels comme illusoires, ou tout au moins les attribuer à une cause indépendante de la puissance intrinsèque et éternelle de la vérité religieuse ?

Telles sont les questions dont j'ai résolu de chercher la solution avec toute la droiture dont je suis capable, n'apportant à cette recherche aucun parti pris, décidé à suivre jusqu'au bout la conviction à laquelle je serai conduit.

Malheureusement, je dois vous avouer que, à peine avais-je abordé l'étude dont je parle, je me suis vu arrêté tout court par une difficulté inattendue. En vain j'ai lu beaucoup d'auteurs, en vain j'ai consulté quelques amis, je n'ai pas trouvé les éclaircissements nécessaires. C'est alors, Monsieur, qu'on m'a conseillé de m'adresser à vous. On m'a assuré qu'en qualité de curé de ma paroisse vous ne pouviez me refuser le secours de votre ministère et de vos lumières. Je vais donc à vous comme à mon conseiller naturel en un pareil embarras, et j'ai cette confiance que vous ne voudrez pas tromper l'attente d'un homme qui peut être égaré, mais qui ose se croire sincère.

Désirant procéder aussi régulièrement que possible dans mes recherches, je me suis demandé tout d'abord quelle est l'autorité enseignante dans l'Église romaine. Vous comprendrez facilement pourquoi j'ai commencé par ce point. Avant d'aller plus loin il fallait absolument que je susse où je pourrais trouver une exposition authentique des doctrines du catholicisme. D'ailleurs j'avais toujours entendu parler de l'infaillibilité comme du privilège particulier, comme du caractère essentiel de votre Église, et dès lors il m'importait par-dessus tout de découvrir où réside cette vertu surnaturelle. L'infaillibilité une fois établie, toutes les autres questions n'étaient-elles pas tranchées, toutes les difficultés n'étaient-elles pas résolues ?

Je vis bientôt que la question n'est pas aussi simple qu'on pourrait le supposer. À voir avec quelle assurance les catholiques parlent de l'infaillibilité, je m'étais imaginé qu'il suffisait d'interroger le premier venu pour apprendre quel est le dépositaire de cette infaillibilité. Bien loin de là, autant j'ai fait de questions, autant j'ai obtenu de réponses différentes.

L'Église est infaillible. Cela pourrait signifier que tous les fidèles jouissent du privilège de ne pas se tromper en matière de foi. Mais jamais pareille prétention n'a été mise en avant, et d'ailleurs, au sens catholique, l'Église c'est moins les fidèles que le clergé ».

Est-ce à dire que l'infaillibilité appartienne au clergé tout entier ? On pourrait le croire. En considérant avec quelle plénitude de renoncement le fidèle abdique intellectuellement et moralement entre les mains d'un directeur de conscience, la pensée m'était souvent venue que l'infaillibilité du directeur pouvait seule justifier cette conduite. Car enfin, comment soumettre sans réserve mon esprit aux enseignements du prêtre, ma conduite à ses injonctions, si je ne suis pas assuré que le prêtre représente l'Église comme l'Église elle-même représente Jésus-Christ, si Dieu ne me parle pas par la voix de ce prêtre, en un mot si ce prêtre n'est pas infaillible. Aussi est-il évident à mes yeux que, dans la pratique dévote, le fidèle regarde son confesseur comme infaillible, et que le catholicisme a commis une inconséquence en ne réclamant pas ce privilège pour le clergé tout entier. Quoi qu'il en soit, il ne l'a pas fait, ce n'est pas à moi à le chicaner là-dessus, et force m'a bien été de tourner mes regards d'un autre côté pour découvrir la source de la certitude.

J'ai pensé à l'évêque du diocèse. Là aussi je voyais l'exercice d'une autorité qui paraît inexplicable ou exorbitante si elle ne repose sur une inspiration divine. Il est vrai que là aussi je trouvais l'absence de toute prétention personnelle à un pareil privilège. Toutefois, l'idée de l'épiscopat m'avait mis sur la trace et je crus enfin tenir l'oracle. Je savais le rôle considérable qu'ont joué dans l'histoire de L'Église de grandes assemblées d'évêques, convoqués de toutes les parties de la chrétienté pour décider des questions de foi ou de discipline. C'est ce qu'on appelle les conciles oecuméniques. Celui de Nicée a fixé la doctrine orthodoxe sur la Trinité, celui de Chalcédoine a établi la manière dont les deux natures sont unies en Christ, celui de Trente a condamné la plupart des hérésies protestantes. J'en tirai cette conclusion que l'Église catholique est officiellement représentée par ses évêques réunis en concile, que les conciles sont, par conséquent, les dépositaires et les organes de l'infaillibilité, et que, par conséquent aussi, il faut s'adresser aux conciles pour connaître l'enseignement catholique sous sa forme la plus certaine. Hélas ! je reconnus bientôt que je m'étais encore une fois trompé.

En effet, j'avais à faire bien des questions auxquelles les conciles n'ont jamais songé à répondre. il aurait donc fallu convoquer une de ces assemblées tout exprès pour moi, et quel que soit le zèle des évêques du monde catholique pour le salut des âmes, je n'osais me promettre qu'ils voulussent bien se réunir dans le but de m'éclairer. Les conciles peuvent être un tribunal infaillible, mais avouons que ce tribunal n'est pas d'un grand usage pour la chrétienté, puisqu'il ne siège qu'à deux ou trois siècles d'intervalle, et puisque le simple fidèle ne peut lui faire parvenir ses demandes, ne peut lui faire connaître ses incertitudes. Qui ne voit d'ailleurs que les conciles sont désormais un rouage superflu d'une machine qui fonctionne parfaitement sans eux ? Rome décrète aujourd'hui des dogmes sans les réunir. L'immaculée conception a tué le synode universel.

Restait le pape. À ce nom, mes espérances déjà plusieurs fois déçues se relevèrent aussitôt. Le pape est si bien devenu, dans la théorie du catholicisme moderne, le synonyme de l'infaillibilité, l'Église catholique est regardée, de nos jours, comme si complètement centralisée dans la personne du souverain pontife, la doctrine qui tend à élever toujours davantage l'autorité du siège de Rome a fait tant de progrès dans les esprits, que tout, pour ainsi dire, m'engageait à chercher dans Pie IX le secours dont j'avais besoin. Je crois même que j'aurais commencé par là si je n'avais reculé devant la perspective d'un voyage à Rome, et devant la perte de temps, les dépenses, les fatigues qu'une semblable entreprise devait entraîner avec soi. Mais quoi ! du moment qu'il s'agit d'obtenir une décision infaillible en matière de foi, il ne sied pas de marchander sur les conditions. Posséder la vérité, connaître le chemin du salut, savoir à quoi m'en tenir sur les plus grands intérêts de l'homme... j'aurais été jusqu'à Pékin pour me rendre maître d'un si précieux trésor.

J'étais sur le point d'arrêter ma place à la diligence, lorsqu'un reste de prudence m'engagea à examiner les choses de plus près. Bien m'en prit, Monsieur, bien m'en prit. Mais je veux vous faire ingénument part des réflexions qui ébranlèrent ma confiance en Sa Sainteté.

Tout ce que dit et fait un pape n'est pas inspiré sans doute, puisqu'il y a eu parmi les papes, non seulement des scélérats, mais même des hérétiques. il faut donc distinguer entre les décisions que prend le pape dans sa capacité individuelle et celles qu'il prend en vertu de son caractère officiel. Or, pour faire cette distinction, il faut savoir où finit le caractère privé et où commence le caractère sacerdotal du souverain pontife, il faut savoir quand le pape peut être considéré comme parlant en qualité de vicaire de Jésus-Christ. Eh bien, voilà précisément ce qui n'a jamais été déterminé.

Reconnaissons-le donc : s'il est difficile de consulter les conciles oecuméniques, il ne l'est pas moins de savoir quand le pape est pape. Mais ce n'est pas tout. Croirait-on que, pour comble de difficulté, les papes et les conciles ont des prétentions rivales à l'infaillibilité, et que le pauvre fidèle est obligé d'ajuster leurs droits respectifs avant de savoir où réside l'autorité catholique. Il n'est pas de point, en effet, sur lequel les docteurs soient plus divisés. Les uns mettent les conciles au-dessus du pape, les autres mettent le pape au-dessus des conciles, d'autres enfin prétendent que l'infaillibilité réside dans les conciles présidés et approuvés par le pape. Dans l'absence des conciles, la même question se présente au sujet des rapports qui existent entre le saint-père et le collège des cardinaux. Abîme d'incertitude ! Et moi qui m'étais bonnement imaginé que l'infaillibilité romaine allait me rendre toutes choses certaines.

Une dernière considération me fit comprendre à quel point je m'étais abusé. Admettons que le siège de l'infaillibilité soit clairement déterminé et universellement reconnu, en serons-nous plus avancés ? Nullement. Supposons que tous les catholiques s'accordent à faire résider l'autorité suprême dans le pape, sommes-nous au bout des discussions ? Pas le moins du monde. En effet, je ne puis m'empêcher de demander sur quoi repose cette opinion, et puisqu'il s'agit de l'évêque de Rome, quels titres, quelles preuves ce pontife fait valoir en faveur de ses privilèges surnaturels. À cette question, on me répondra de deux choses l'une : on me dira que l'autorité du souverain pontife repose sur les assertions du souverain pontife lui-même, ou bien qu'elle repose sur quelque autre chose. Mais quoi ? Si c'est le pape qui se dit infaillible, nous sommes dans ce qu'on appelle un cercle vicieux, car il faudrait être sûr que le pape est infaillible pour être sûr qu'il ne se trompe pas en se donnant pour infaillible. Si, au contraire, l'infaillibilité papale repose sur une autre autorité que celle des papes, elle ne repose pas sur une autorité infaillible, puisque c'est dans les papes seuls que réside l'infaillibilité, et nous retombons dans le domaine de l'incertain au moment où nous avions le plus besoin de certitude. En vérité, c'est à en perdre l'esprit.

En voici assez, Monsieur, pour une première lettre. Je ne suis pas au bout des difficultés que l'étude du catholicisme a soulevées dans mon esprit, et je compte recourir de nouveau à vos lumières.




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