Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LETTRES À MON CURÉ






DEUXIÈME LETTRE

 Monsieur le Curé,

 Je vous ai raconté, Monsieur le Curé, ce qu'on pourrait appeler mon premier pèlerinage à la recherche de l'autorité infaillible. Mon succès n'avait pas été grand ; cependant je ne me tins pas pour battu. J'avoue que je ne renonçai pas sans peine à cette autorité faite homme, à cet oracle toujours accessible que les catholiques s'imaginent posséder. J'aimais à me représenter le Saint-Esprit comme résidant au sein de la société chrétienne et s'exprimant, chaque fois que cela devient nécessaire, par un organe officiel. J'avais souvent entendu opposer les avantages de cette infaillibilité présente, parlante et agissante, aux inconvénients d'une lettre morte, telle que la Bible des protestants. Hélas ! le plus beau des rêves n'est qu'un rêve. Le mien s'était évanoui. Il fallait chercher si, à défaut d'un vicaire de Jésus-Christ, les catholiques n'auraient pas une autorité écrite. Je me remis courageusement en campagne. Vous allez voir si je fus plus heureux la seconde fois que la première.

Je ne me suis arrêté qu'un instant à l'idée de chercher l'autorité catholique dans les écrits des grands théologiens de l'Église romaine, Bellarmin, Bossuet, Moehler, Wiseman. Ces théologiens ne sont pas toujours d'accord entre eux, et je ne pouvais entreprendre la tâche de les concilier. D'ailleurs, plus je lisais ces expositions éloquentes et spécieuses, plus je sentais combien il y a loin du catholicisme idéal des docteurs au catholicisme réel, tel qu'il est cru et pratiqué par les masses. Ce n'est pas tout. Les théologiens dont il s'agit sont fort considérés, la lecture de leurs livres est instamment recommandée aux hérétiques ; mais ces livres manquent de la sanction nécessaire pour faire autorité. Rien ne nous autorise à regarder les conceptions d'un Bossuet ou d'un Moehler comme l'expression officielle de la foi catholique. Ce sont des vues individuelles, qui peuvent être plus ou moins fondées, mais que l'Église n'a jamais adoptées. Supposons que, séduit par l'une de ces brillantes peintures, un protestant abandonne Genève pour Rome ; il ne tarde pas à trouver que la réalité répond mal à l'image qu'il avait entrevue ; il se plaint, il accuse l'évêque de Meaux, il s'emporte contre l'auteur de la Symbolique. « Ne vous en prenez qu'à vous-même, pourrait lui répondre son confesseur ; les docteurs que vous nommez sont habiles, sans doute, mais vous deviez savoir que leurs ouvrages n'ont jamais été déclarés infaillibles. »

Toutefois la même objection ne pouvait s'appliquer à l'Écriture sainte, puisque, pour les catholiques, comme pour les protestants, l'Écriture sainte est la parole de Dieu. On pourrait donc supposer que la Bible est l'autorité commune des deux Églises rivales, et que la différence qui les sépare n'est qu'une différence dans l'interprétation du texte sacré. Que de fois, en effet, les catholiques n'en appellent-ils pas aux paroles du Seigneur et des Apôtres. Que de fois ne citent-ils pas. comme dernier argument des passages tels que « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Cependant je n'eus pas besoin de beaucoup de réflexions pour me convaincre que la Bible ne peut être l'autorité suprême du catholicisme. Vous seriez le premier, Monsieur, j'en suis certain, si j'annonçais le dessein de chercher la vérité chrétienne dans le volume inspiré, vous seriez le premier à me rappeler que l'Écriture n'est pas au-dessus de l'Église, puisque c'est l'Église qui a rassemblé, sanctionné, conservé le recueil des Livres saints ; vous auriez surtout bien soin de m'avertir que l'interprétation de l'Écriture est réglée par l'Église, que le sens consacré par la tradition est le seul sens véritable, et que nul n'a le droit de s'en écarter.

Or, évidemment, si la tradition détermine quels sont les Livres saints et de quelle manière il faut entendre ces Livres, la tradition a une autorité supérieure à celle de l'Écriture. Tel fut mon raisonnement, et là-dessus je me mis à examiner si la tradition ne constitue pas cette autorité infaillible et dernière à la recherche de laquelle j'avais déjà consacré tant de temps et de travaux.

La tradition est un enseignement qui, émanant de Jésus-Christ, des Apôtres ou de quelque autre organe du Saint-Esprit, s'est transmis de bouche en bouche à travers les siècles. Ce n'est pas à dire que la tradition n'ait jamais été écrite, mais seulement qu'elle n'a pas été écrite par ceux de la bouche desquels elle est originairement sortie. Il y a des traditions qui ont été rédigées, il en est d'autres qui ne l'ont jamais été. C'est ici que commença mon embarras.

Pour que la tradition non écrite fasse autorité, il faut qu'on puisse la connaître, et, pour la connaître, il faut pouvoir la distinguer de tout ce qui n'est pas elle. Il est vrai qu'on m'offrit une pierre de touche au moyen de laquelle je devais infailliblement la discerner. « Ce qui a été enseigné en tout lieu, de tout temps et par tous, » voilà, me disait-on, la véritable tradition. Et le moyen de savoir ce qui a été enseigné par tout le monde, en tout temps et en tout lieu ? À cette question, point de réponse.

Heureusement, je ne suis pas de ces gens qui jettent le manche après la cognée. La tradition non écrite m'échappait, j'étais résolu à me contenter de celle qui, en différents temps, a été fixée par l'écriture. Dans quels livres la trouve-t-on ? demandai-je à un ecclésiastique de ma connaissance. - Vous êtes bien ignorant, me répondit-il ; vous n'avez qu'à lire les Pères, les papes et les conciles.

Qu'à cela ne tienne, m'écriai-je, et du même pas,je courus chez un bouquiniste pour acheter Pères, bulles et canons. Je déclarai que je voulais les meilleures éditions et que j'en donnerais le prix. Mon homme ouvrit de grands yeux, fouilla longtemps dans ses magasins et finit par aligner sur trois rangs la plus formidable collection de gros livres que j'eusse jamais vue. - Voici ce que Monsieur demande, me dit-il enfin : la grande bibliothèque des Pères, imprimée à Lyon, en vingt-huit volumes in-folio ; le recueil des bulles papales, édition de Cocquelines, également en vingt-huit volumes in-folio ; enfin, la collection des conciles, édition de Mansi, en trente et un volumes in-folio. N'est-ce que cela ? répondis-je. Et je sortis sans prononcer un mot de plus, mais non, je vous l'avoue, sans emporter quelque amertume en mon coeur.

Remarquez, en effet, dans quelle situation je me trouvais. J'avais cherché quelle est, dans l'Église, romaine, l'autorité suprême et infaillible. Mais l'autorité, c'est l'Église romaine elle-même, puisque dans cette Église tout revient à la question de l'autorité, puisque l'infaillibilité est son privilège, son essence, sa raison d'être. Ajoutez que si l'autorité est l'essence de l'Église, l'Église, dans le système romain, est l'essence du catholicisme. De sorte, Monsieur, qu'en voyant fuir devant moi le siège de l'autorité, je voyais se dissoudre l'Église et le catholicisme lui-même. Je m'étais demandé : Où réside l'autorité ? Je demandais maintenant : Qu'est-ce que l'Église ? Qu'est-ce que la religion catholique ? Je ne trouvais pas plus de réponse à l'une de ces questions qu'à l'autre, et j'en suis réduit aujourd'hui à vous conjurer de me dire quelle est votre religion.

Quelle est votre religion ? Tenez, pardonnez-le moi, Monsieur le Curé, mais il y a des moments où je suis tenté de penser que le catholicisme n'est rien qu'un vaste système d'échappatoires au moyen desquelles on élude toutes les questions. Vous cherchez la vérité, on vous renvoie de l'Écriture aux Pères, des Pères aux conciles, des conciles aux papes, on vous ballotte entre des prétentions rivales et des théories diverses, et vous sortez de là avec la conviction qu'au fond, dans l'Église romaine, il ne s'agit pas de croire, mais de croire que l'on croit et de fermer la bouche.

En vérité les protestants sont bien à plaindre. Les catholiques nous exhortent à nous soumettre, mais sans nous dire à quelle autorité il faut nous soumettre. Les catholiques nous invitent à entrer dans le giron de l'Église, mais sans parvenir à déterminer en quoi consiste cette Église. Les catholiques nous enjoignent de croire, mais sans pouvoir seulement nous indiquer ce qu'il s'agit de croire.

Je termine, Monsieur, par un dernier appel à votre charité et à votre loyauté. J'ai besoin de savoir ce que c'est que le catholicisme. Une réponse, de grâce une réponse.



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