Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LETTRES À MON CURÉ





UNE CONVERSATION

 

 J'ai rencontré mon curé ! Ce fut peu de jours après ma dernière lettre. Un ami commun voulut bien nous réunir chez lui. La conversation, on le croira sans peine, ne tarda pas à tourner en discussion. Je fus charmé de trouver dans mon interlocuteur un homme aimable, sérieux, instruit, disposé à oublier l'autorité du prêtre pour se fier aux seules armes du raisonnement. il serait trop long de rapporter toute notre conversation, je n'en citerai qu'un fragment.

 Si l'on y retrouve quelques considérations déjà présentées dans les pages précédentes, on verra en même temps que ce dialogue forme comme un résumé et un complément des lettres qu'on vient de lire. il me semble en même temps qu'il va plus au fond des choses. La discussion orale a cet avantage qu'elle force de serrer les idées de plus près et qu'elle pousse rapidement les adversaires vers ces questions de principe qui forment la ligne de partage des opinions.
Notre controverse menaçait de traîner en longueur. Je voulus l'abréger :

- Finissons, lui dis-je, par où nous aurions dû commencer. Donnez-moi une définition. Qu'est-ce que le catholicisme ?
- Qu'à cela ne tienne, répondit-il, avec un sourire où je crus discerner un léger embarras. Le catholicisme, c'est à la fois la religion révélée et l'Église instituée par Jésus-Christ ; le catholicisme, c'est le christianisme.
- Prenez garde. Votre définition a le tort de tenir pour accordé ce qui est précisément en question. Elle exprime l'idée que les catholiques se font du catholicisme, voilà tout. Ne serait-il pas possible d'arriver à quelque formule plus impartiale ? Ne pourrait-on pas dire, par exemple, que le catholicisme est une des formes sous lesquelles le christianisme s'est réalisé sur la terre. l'un des grands systèmes entre lesquels se partagent les chrétiens ? De cette manière, nous aurions égard à toutes les prétentions rivales, et nous éviterions de décider entre Rome, Genève et le saint-Synode.


- Eh quoi ! s'écria-t-il, ne voyez-vous pas que, sous prétexte d'être impartial, vous devenez sceptique ? En prenant position en dehors des Églises, vous les placez sur le même rang, comme si elles pouvaient être toutes à la fois dans le vrai. Vous voulez arriver à une définition objective, comme on dit, et, au fond, vous ne faites que substituer votre subjectivité à la mienne, une définition d'indifférent à une définition de croyant. Tenez, laissez-moi vous faire à mon tour une question : croyez-vous à l'existence de la vérité sur la terre ?
- Je ne comprends pas très bien. Voulez-vous dire que la vérité est une personne ou une chose occupant un espace quelconque de notre globe ?
- Vous avez raison. L'expression dont je me suis servi est à la fois trop abstraite et trop métaphorique. Eh bien ! dites-moi si vous croyez à la distinction du vrai et du faux.
- Assurément.

- Et le vrai ne vaut-il pas mieux que le faux ? Le premier n'est-il pas le bien, la vie de l'âme, tandis que le second en est la mort ?
- Sans doute ?
- Et ce bien de l'âme, Dieu n'aura-t-il rien fait pour le procurer aux hommes ?
- Continuez ; je n'ai garde de vous contredire.
- Faisons donc un pas de plus, me dit-il : le christianisme est-il vrai ou faux ?
- Quel christianisme ? vous savez bien qu'il y en a plusieurs.
- Le vôtre, si vous voulez, répliqua-t-il avec humeur. De grâce, laissons de côté pour un moment ce genre d'objections. Je répète ma question : Croyez-vous que le christianisme soit vrai ou faux ?
- Je le tiens pour vrai.
- Et croyez-vous, demanda-t-il, que le christianisme sauve les hommes parce qu'il est vrai, ou qu'il pût être également divin, également saint, également puissant sur les âmes, s'il était faux ?
- Non, certes. J'estime que la vérité ne fait qu'un avec le bien.
- Dieu, qui a donné le christianisme aux hommes, a probablement voulu qu'ils en eussent connaissance ?
- Je vous l'accorde.

- Et non seulement qu'ils en eussent connaissance, continua-t-il, mais qu'ils en eussent une connaissance exempte d'erreur, puisque autrement le christianisme aurait cessé d'être la vérité, c'est-à-dire d'être le christianisme et le salut du monde.

- Je vous entends, répondis-je ; vous croyez que le christianisme n'est pas seulement la vérité en soi, dans la pensée et dans les paroles du Christ, par exemple, mais qu'il est également vrai dans sa manifestation terrestre ; Dieu, selon vous, a fait en sorte que la vérité chrétienne fût maintenue pure de toute erreur ; il a ménagé un moyen pour que tous les hommes pussent en avoir une connaissance exacte. En un mot, vous croyez à la vérité absolue sur la terre, au moins dans l'ordre religieux, et vous croyez que la vérité absolue c'est le catholicisme.
- Précisément.
- Fort bien, et je rends grâce aux hasards de la discussion qui nous conduisent ainsi au coeur de la question débattue entre nous. Il y a longtemps, en effet, que je regarde la prétention à l'absolu comme le fond même du catholicisme. Mais ne nous payons pas de mots et tâchons de saisir les choses derrière les noms qu'elles portent. Permettez-moi donc de vous demander ce que vous entendez par la vérité absolue ?
- J'entends par là, dit-il, la vérité parfaite et sans mélange d'erreur.
- À merveille ; mais la vérité elle-même, comment la définissez-vous ? Nous sommes d'accord, je crois, à reconnaître que ce n'est ni une personne, ni une substance, ni une entité quelconque. Qu'est-ce donc ?
- On la définit, je crois, la conformité d'une notion avec l'objet de cette notion.

- On ne peut mieux, poursuivis-je. La vérité n'est donc pas dans l'objet lui-même, mais dans la notion que je m'en forme. Un corps est ce qu'il est, un fait s'est passé comme il s'est passé ; la connaissance que j'en ai n'y change rien ; mais cette connaissance elle-même peut être exacte ou inexacte. En un mot, ce qui est vrai ou faux, c'est ma notion des faits, c'est ma conception des choses.
- Je vous l'accorde, dit-il.
- Par conséquent, repris-je, quand vous parlez de vérité absolue, vous voulez dire une idée absolument conforme à la nature des choses, et, quand vous dites que le catholicisme est la vérité absolue, vous entendez que le catholicisme est une conception adéquate du christianisme, une religion entièrement conforme à l'enseignement et à l'institution de Jésus-Christ.
Il inclina la tête en signe d'assentiment. Je continuai :

- Encore une fois, prenons garde de ne pas nous payer de mots. Rien n'égare comme les termes abstraits. Nous parlons d'une conception du christianisme, mais cette conception suppose un sujet. Je m'explique. Il faut que la notion catholique du christianisme se soit formée dans des intelligences humaines. Eh bien, où s'est-elle formée, où se trouve-t-elle ? Qui en est le porteur ou le dépositaire ?
- L'Église.
- Encore un terme abstrait ! Qu'est-ce que l'Église ? Voulez-vous parler de l'Église enseignante ?
- Sans doute.
- Mais quoi ? Attribuez-vous l'infaillibilité à tout le clergé ? Tout prêtre est-il à l'abri de l'erreur.
- Non, mais l'Église représentative, le pape et les conciles.
- Allons, je ne veux pas vous presser sur ce point. Je mettrai l'infaillibilité où vous voudrez, dans les conciles présidés par le pape, dans les conciles seuls, dans le pape seul, cela m'est égal. Tenez, plaçons-la dans le pape. La vérité absolue dont se vante le catholicisme consistera donc en ceci que le pape aura du christianisme une connaissance exempte de toute erreur.

- Ajoutez que cette conception du christianisme, comme vous l'appelez, est, en partie du moins, déjà fixée dans les ouvrages des Pères et formulée dans les décrets de l'Église.
- Qu'à cela ne tienne. Mais pourquoi, je vous prie, l'Église catholique attache-t-elle tant d'importance à la possession de la vérité absolue et à l'infaillibilité qui lui garantit cette possession ?
- Vous le demandez, s'écria-t-il avec chaleur. Parce qu'il n'y a que la vérité qui sauve, parce que la vérité c'est la vie, ainsi que vous l'avez reconnu vous-même. Rien n'est moins arbitraire, au fond, que la nécessité de l'orthodoxie pour le salut.

- J'attendais cette réponse. Maintenant, voici quel est mon embarras. Dieu est la vérité substantielle. Jésus-Christ, si j'ose m'exprimer ainsi, a conçu Dieu d'une manière infaillible. Le pape, à son tour, a conçu la conception de Christ d'une manière également infaillible. Mais la conception de cette conception ? Mais l'interprétation de cette interprétation ? Seront-elles infaillibles aussi ?

L'Église enseignante n'a pas reçu le dépôt de la vérité absolue pour elle-même, ou pour elle seule, mais pour en faire part aux fidèles : ces fidèles seront-ils infaillibles aussi ?
S'ils ne le sont pas, la vérité absolue ne deviendra-t-elle pas relative, c'est-à-dire imparfaite et mêlée d'erreurs, en pénétrant dans leur esprit ? Dès lors, pourra-t-elle encore les sauver ? Et si elle les sauve, malgré le caractère relatif qu'elle a revêtu, pourquoi ne sauverait-elle pas aussi bien l'hérétique, le protestant, par exemple, dont les erreurs ne sont pas sans doute sans quelque mélange de vérité ?

Je ne vois pas pourquoi l'infaillibilité est nécessaire au pape si elle ne l'est point aux évêques, aux prêtres, aux simples fidèles ; et, si le fidèle peut s'en passer pour recevoir l'enseignement des docteurs, je ne comprends pas pourquoi les docteurs n'ont pu s'en passer lorsqu'il s'agissait de comprendre l'enseignement du Christ.
Mon interlocuteur ne répondit pas tout d'abord. il avait l'air de soupçonner quelque point faible dans mon raisonnement. Je repris moi-même au bout d'un instant.

- Vous ne sortirez pas de là. L'infaillibilité est nécessaire partout ou elle ne l'est nulle part. L'apôtre a été infaillible en interprétant la doctrine de Jésus-Christ, les Pères de l'Église l'ont été en interprétant les enseignements des apôtres, les conciles l'ont été en déterminant le sentiment des Pères ; mais vous n'avez rien gagné si l'évêque n'est pas infaillible en expliquant les conciles à mon curé, si mon curé ne l'est pas en me transmettant les explications de son évêque, si moi-même enfin je ne le suis pas pour comprendre les paroles de mon curé.

Je vous défie de montrer que la vérité risque moins de s'altérer à un degré de cette transmission qu'à un autre. De deux choses l'une : vous allez trop loin ou vous n'allez pas assez loin. Vous prétendez à la vérité absolue, et il se trouve que, l'eussiez-vous, elle ne vous servirait de rien. À quoi bon commencer par l'absolu pour retomber ensuite dans le relatif ?

Nous marchâmes quelque temps en silence, cherchant de part et d'autre à jeter sur la question un regard plus direct, à en obtenir une intuition plus vive et plus complète. Cela dura deux ou trois minutes. Je continuai :
- L'hypothèse de la vérité absolue est facile à vérifier. L'existence de l'inconditionné, comme disent les philosophes, dans un monde où tout le reste est relatif, borné, conditionnel, doit se reconnaître aussitôt. C'est un miracle, un miracle permanent, un miracle qui ne peut manquer de se détacher avec éclat sur le tissu des faits purement naturels dont se compose l'histoire des hommes. Nous avons éprouvé l'hypothèse catholique en examinant comment elle résout le problème pour la solution duquel elle a été inventée. je voudrais continuer l'épreuve en poussant cette même hypothèse à ses conséquences prochaines et légitimes. Il y a longtemps que le terme de vérité absolue me paraît synonyme de vérité évidente ; je veux dire que l'un de ces attributs implique l'autre, que le second est le corrélatif inséparable du premier. Qu'en pensez vous ?

- Comment l'entendez-vous ? dit-il. Qu'est-ce qui est évident ? La vérité de la doctrine catholique, ou cette vérité particulière que l'Église catholique est infaillible et son enseignement absolument vrai ?
- L'un et l'autre, répondis-je. Les deux choses n'en font qu'une. Vous ne nierez pas que la doctrine catholique ne se résume dans le dogme de l'infaillibilité, c'est-à-dire dans la croyance au caractère absolu de son enseignement. Dites-moi donc ce que vous en pensez : vous semble-t-il que la possession de la vérité, par l'Église catholique soit évidente ?
- Mais non. Expliquez-vous.

- Je dis que, si ce privilège n'est pas évident, il doit l'être, et que cette évidence est un corollaire nécessaire, une conséquence inaperçue peut-être, mais étroite, un élément logique du système, catholique. Vous croyez que l'Église catholique est dépositaire de la vérité absolue ; comment le savez-vous, dites-moi ?
- Par l'Église elle-même, ou, si vous voulez, par Jésus-Christ et les apôtres qui ont fondé l'Église.
- Impossible ! Nous sommes en plein cercle vicieux. Le témoignage de Jésus-Christ, des apôtres, de l'Église, font partie de cette vérité dont nous cherchons le caractère ; la réalité, le sens, la valeur de ce témoignage dépendent de la valeur de l'enseignement de l'Église, c'est-à-dire de cela même qui est en question.
- Reste à savoir si l'on peut éviter le cercle vicieux en pareille matière.
- On le doit dans tous les cas, et on le peut à une condition : c'est que le point de départ soit l'évidence. Nous voici arrivés à la thèse que je voulais établir : le catholicisme n'est rien s'il n'est pas évident. Il faut qu'il s'appuie sur un axiome, et cet axiome ne peut-être que lui-même, ses prétentions ou ses droits, son caractère absolu. Mais je touche ici à une autre considération. Voyons, laissons pour un moment le catholicisme de côté ; connaissez-vous quelque autre vérité absolue dans le monde ?
- Sans doute ; l'axiome par exemple, dans l'ordre mathématique, et, dans l'ordre moral, le devoir.
- Et comment savez-vous que ces vérités sont absolues, si ce n'est par la possibilité de comparer à chaque instant la notion avec l'objet. la définition de la ligne droite avec la ligne droite elle-même, l'acte commandé par la conscience avec le sentiment même de l'obligation morale ? Et comment s'opère cette comparaison, si ce n'est par une intuition plus ou moins directe :

....... per se noto,
A guisa del ver primo che l'uom crede.

 or, la possibilité d'une intuition de ce genre est précisément ce que nous appelons l'évidence. Si donc le catholicisme est la vérité absolue, il ne peut être reconnu comme tel qu'intuitivement et par voie d'évidence, il faut qu'il soit évident.
- Soit, me dit-il, je ne tiens pas à vous contredire. Je suis prêt à admettre que le catholicisme est évident.

- Un instant, repris-je. La thèse mérite qu'on l'établisse avant de l'admettre. Comment dites-vous que l'homme est sauvé ?
- Par la foi.
- Oui, mais par quelle foi ?
- Par la foi orthodoxe.
- C'est-à-dire en croyant ce qu'enseigne l'Église, tout au moins en étant prêt à y croire, c'est-à-dire encore en croyant à l'Église même, à son infaillibilité, à sa qualité de dépositaire de la vérité absolue. La foi à l'Église est donc obligatoire ?
- Assurément.

- Obligatoire pour tous, pour le prêtre et le laïque, le savant et l'ignorant, le missionnaire et le sauvage ?
- Pourquoi donc tant insister ? Cela va sans dire.
- Voyez maintenant si le catholicisme peut se passer de l'évidence ! Il faut y croire, y croire comme à la vérité absolue, y croire sous peine de damnation ; - il faut que le plus ignorant des hommes y croie comme le plus éclairé ; comment cela se pourrait-il si l'objet proposé à notre foi n'était pas évident ? Les artisans et les paysans de nos contrées, les nègres ou les sauvages de nos colonies ne peuvent pas faire des études pour apprécier les preuves alléguées par vos savants et vos prédicateurs ; il leur faut quelque chose de plus universellement accessible. Ou bien peut-être prétendez-vous qu'on croie sans raison de croire ?
- Nullement. Au reste, je vous le répète, je ne vois pas quel intérêt j'aurais à faire des réserves contre vos conclusions.

- Attendez. Je ne vous lâche pas encore. Je veux établir sans réplique que le catholicisme prétend à l'évidence et ne saurait s'en passer. Vous savez qu'il n'est pas tolérant de sa nature.
L'emploi de la contrainte pour convertir, soit les hérétiques, soit les incrédules, est une tradition constante de votre Église.
Augustin invoquait ce moyen, les papes et les rois très chrétiens en ont beaucoup usé, les plus zélés et les plus approuvés de vos organes dans la presse ne veulent pas qu'on en médise, et le fait est que l'autorité catholique officielle ne l'a jamais réprouvé. C'est une satisfaction qu'elle n'accordera point à l'esprit moderne. Je crois qu'en cela elle est guidée par un instinct très sûr. Elle comprend que la vérité absolue doit être une vérité évidente, et que l'évidence d'une religion rend la persécution aussi naturelle, aussi nécessaire, qu'elle serait autrement odieuse et absurde. Je n'ai pas besoin de développer cette proposition.
Si la vérité du catholicisme brille d'une évidence suffisante pour convaincre tous les esprits, il est clair que tout le monde l'embrassera, sauf le méchant ou l'insensé. Dès lors aussi je ne vois pas pourquoi il ne serait pas légitime, disons mieux, utile et convenable de forcer le méchant à s'amender et de le châtier s'il s'y refuse obstinément.

- Bravo ! dit-il en riant, on n'a jamais mieux plaidé que vous la cause de l'intolérance.
- C'est la cause de la logique que je plaide. Mais revenons aux faits. M'accordez-vous ce que je demande ? Comprenez-vous qu'une vérité absolue ne peut être qu'une vérité évidente, et que les deux termes sont, sinon identiques, du moins corrélatifs ?
- Je crois pouvoir vous l'accorder.
- Vous me l'accordez ! m'écriai-je alors avec quelque vivacité. Vous me l'accordez ! le catholicisme évident ! Mais c'est une mauvaise plaisanterie ! Dites plutôt qu'il est paradoxal. En quoi est-il évident ? Sur quel point ? Est-elle évidente, cette tradition qui gît éparse et insaisissable dans les Pères et dans les conciles ?
Évidente, cette autorité dont on n'a jamais pu décider quel en est le siège ?
Évidente, cette infaillibilité qui reste sans rapport avec les lumières, le caractère, la sainteté de ceux qui en sont les organes, si bien qu'un scélérat peut devenir la bouche du Saint-Esprit ?
Évidents, ces sacrements qui, rites extérieurs et matériels, doivent laver le péché et régénérer les âmes ?
Évidente, cette transsubstantiation, miracle anonyme qui n'existe que pour la foi, fait surnaturel qui se cache sous les apparences du naturel ?
Il faut que le catholicisme soit évident, je le vois bien, et, encore une fois, il n'est rien s'il n'est pas cela. Mais, en même temps, il ne l'est point, il ne peut l'être, il ne le sera jamais. Il y a là une contradiction interne et qui le ronge !

- Je ne vois là aucune contradiction, répondit-il. je ne vois pas même comment il pourrait y en avoir une. La prétention à l'évidence, manquât-elle de fondement, serait toujours une excellente fin de non-recevoir. Vous avez beau soulever des objections contre la religion, je déclare que cette religion porte à mes yeux le caractère de l'évidence ; que me répondrez-vous ? Si l'évidence ne se prouve pas, elle ne se discute pas non plus, elle ne se réfute pas. Je vois, je dis que je vois ; vous ne prétendez pas, je pense, me prouver que je ne vois pas.

- Faites donc attention. Vous oubliez votre rôle. Vous maniez une arme qui va vous couper les mains. Ne venez-vous pas de dire je et moi ? N'avez-vous pas déclaré que la religion est évidente à vos yeux ? Vous vous retranchez par là dans votre sentiment intime, dans votre conviction personnelle. Mais c'est l'évidence qu'il fallait invoquer et non votre propre sentiment, l'évidence qui, au reste, n'a pas besoin d'être invoquée, parce qu'elle est la même pour tous, l'évidence que personne ne pense à contester ou à prouver, précisément parce qu'elle est l'évidence, parce que tous la voient. On ne dispute pas sur la lumière du jour, parce qu'on sait que tout le monde y participe également.
- Sauf les aveugles.
- Laissons les aveugles. J'y reviendrai tout à l'heure. Je disais donc que le propre de l'évidence c'est l'universalité, et que le catholicisme n'est pas universel. On pouvait se faire illusion avant le seizième siècle ; depuis que la moitié de l'Europe s'est détachée de l'Église romaine, il n'y a plus moyen. Le catholicisme n'est plus qu'une branche du protestantisme.
- Que voulez-vous dire ?

- Qu'il n'est plus qu'une opinion à côté d'une autre opinion, une secte à côté d'une autre secte. Il maudit l'individualisme, le subjectivisme, et il ne peut s'y soustraire lui-même. Vous affirmez vos dogmes, vous maintenez l'infaillibilité de votre Église, la vérité absolue de son enseignement, l'évidence de ses prétentions, qu'est-ce à dire ? Que telle est votre opinion, voilà tout. Peu importe d'ailleurs que cette opinion soit partagée par un grand nombre de personnes, c'est là une question de plus ou de moins, une affaire de chiffres. La majorité ne fait rien à la vérité.

Voyez-vous, repris-je, l'évidence est évidente ou elle n'est pas. Vous la réclamez, c'est déjà mauvais signe, c'est une preuve qu'on ne la voit point. Or, qu'est-ce qu'une évidence qui ne se voit point ? On peut différer de vous puisqu'on en diffère ; on ne le pourrait fi votre vérité absolue était une vérité manifeste.

Vous dites que le catholicisme est vrai, un autre en dira autant de sa religion ou de son irréligion ; vous dites qu'il est évident, mais si l'évidence devient affaire d'opinion, un autre invoquera aussi l'évidence. Vous aurez beau faire, vous vous trouverez toujours vis-à-vis d'une opinion différente de la vôtre et qui fera valoir absolument les mêmes droits et les mêmes prétentions, sans que le monde entier vous fournisse le moyen de trancher la question à la satisfaction commune.

À tous vos arguments, je pourrai répondre qu'ils ne me convainquent point, que je pense différemment, que les avis sont libres. Que voulez-vous ? Dieu a ainsi fait le monde ; il n'a pas permis que la vérité religieuse fût comme le lustre qui pend au plafond d'une chambre et que chacun aperçoit en entrant.

Vos tentatives pour faire sortir la vérité de cette condition relative où Dieu l'a placée, vos efforts pour constituer l'absolu sur cette terre, méconnaissent les conditions mêmes du problème, je pourrais dire les conditions de l'humanité. Vous êtes comme un homme qui voudrait monter sur ses propres épaules, ou se mettre à la fenêtre pour se voir passer lui-même dans la rue. Pardonnez-moi, mais je ne puis m'empêcher de trouver tout cela passablement puéril.

- Et moi, s'écria-t-il à son tour avec chaleur, je ne puis m'empêcher de dire que vous nagez en plein scepticisme. À vous entendre, il n'y aurait plus ni vrai ni faux.
- Vous vous trompez. il y a le vrai relatif, c'est-à-dire ce que chacun tient pour vrai. Car, remarquez-le bien, je ne prétends pas que vous cessiez de tenir le catholicisme pour vrai, et, si vous voulez, pour évident : il est dans la nature des choses que nous tenions pour tel ce que nous tenons pour vrai ; nous ne pouvons à la fois regarder une proposition comme vraie et comme douteuse, comme certaine et comme incertaine. Tout ce que je demande, c'est que vous réagissiez contre votre impression. Il faut contrôler le fait personnel et intérieur au moyen du fait extérieur et historique.
Vous tenez une thèse pour évidente, c'est-à-dire qu'elle vous paraît telle ; mais d'autres ne sont pas de votre avis ; dès lors cette thèse n'est pas évidente, car l'évidence exclut la différence d'opinions, et vous devriez vous borner à dire que la thèse en question est évidente pour vous, ou, mieux encore, que vous la regardez comme vraie, que vous y croyez.

- Nullement ! Le genre humain ne dit pas « Cela me paraît vrai ; » il dit : « Cela est vrai. » Et pourquoi ? Parce qu'il croit à l'unité de l'intelligence humaine ; il n'admet pas que ce qui est vrai pour l'un puisse ne pas l'être pour l'autre, pour tous. Je le répète, vous tombez dans le scepticisme. Aussi bien, c'est le sort de ceux qui abandonnent la vérité catholique.
- Vous oubliez, répondis-je, que le même homme qui identifie son opinion avec la vérité absolue reconnaîtra peut-être demain qu'il s'est trompé et adoptera avec confiance un nouvel avis que, mieux informé, il sera forcé d'abandonner encore.
Vous vous enfermez dans l'observation du phénomène psychologique, c'est-à-dire dans le fait personnel et subjectif, tandis que la question qui nous occupe est une question capable d'une solution historique. Que dis-je ? Au fond, c'est une question de mots. il s'agit de savoir ce que c'est que l'évidence. Eh bien ! je l'ai déjà dit, l'évidence n'est pas ce qu'un ou plusieurs individus tiennent pour certain, mais ce qui entraîne la certitude pour tous, ce qui la produit bon gré mal gré, ce qui l'impose.

Après cela, continuai-je, je n'ai garde de nier une certaine objectivité de la vérité. il y a autre chose au monde, je le reconnais, que des opinions individuelles, il y a une fusion de ces opinions qui s'opère au milieu de la lutte même et du choc des esprits, il y a une vérité générale qui se dégage des affirmations et des négations particulières, il y a comme une puissance objective du vrai qui plane au-dessus d'elles, qui les modifie, qui les tempère et les harmonise. C'est ainsi que l'humanité résout successivement telle ou telle question pour n'y plus revenir, après quoi elle passe à d'autres et avance toujours, laissant les bords du chemin jonchés de débris. Ces débris sont ceux des doctrines qu'elle a essayées et rejetées, des idées surtout dont, après avoir dégagé la substance, elle a laissé tomber l'expression première, abandonné la forme enfantine et naïve. On a dit et on a pu dire, dans ce sens, que la vérité n'est pas, mais qu'elle se fait. Reste à savoir si le catholicisme est une de ces conquêtes définitives que l'humanité a accomplies, s'il est devenu l'un des axiomes de sa vie intellectuelle et morale, ou s'il n'est pas plutôt l'enveloppe vieillie de quelque vérité substantielle, une forme dont le genre humain sentira de plus en plus l'insuffisance.

- J'aime à croire, répliqua-t-il, que les vérités morales sont au nombre de celles auxquelles vous accordez la puissance objective et l'évidence qui en résulte. Eh bien ! je ne réclame rien de plus pour le catholicisme. Le catholicisme est évident d'une évidence morale ; il est puissant d'une puissance religieuse. Il va sans dire aussi qu'il exige des dispositions correspondantes. L'Évangile s'adresse aux coeurs humbles et pénitents. il n'y a pas de démonstration de la foi pour celui qui craint les exigences de la foi. La lumière brille pour tout le monde, mais il est des hommes qui aiment mieux les ténèbres que la lumière.

- Voilà qui s'appelle rabattre de ses prétentions. Vous avez commencé par soutenir l'évidence du catholicisme ; cette assertion n'allait à rien moins qu'à déclarer tout dissident atteint de folie ou coupable d'endurcissement. Maintenant vous renoncez à l'évidence intellectuelle ; il est clair, en effet, que tous les incrédules ne sont pas aux petites maisons. Mais vous y renoncez pour vous retrancher dans une prétendue évidence morale. La position vaut-elle beaucoup mieux ?

Toutes les Églises, toutes les opinions ne peuvent-elles pas invoquer le même moyen ? Ne le font-elles pas ? Ne serait-il pas convenable d'abandonner de part et d'autre un argument qu'on fait valoir de part et d'autre ?

Peut-il être question d'évidence lorsque chacun réclame cette évidence pour sa propre cause ? Mais ce n'est pas tout. Je vous conteste la vérité de votre assertion ; et j'en appelle de votre apologétique à votre conscience, de votre théorie morale à votre sentiment moral.

Vous parlez des dispositions intérieures nécessaires pour croire ; ces dispositions conduisent-elles nécessairement au catholicisme ? N'y a-t-il de repentance, d'humilité, de charité, de dévouement, que dans votre Église ? L'hérésie n'a-t-elle pas ses saints ?
N'avez-vous jamais senti l'esprit du Christ dans d'autres communions que la vôtre ? N'est-ce pas le malheur, j'allais dire la malédiction de votre système, de ne pouvoir reconnaître la piété chez un dissident, d'être obligé de la nier, sous peine de se nier lui-même ? Croyez-moi, ne soulevez jamais la question à laquelle vous venez de toucher ; il n'en est pas de plus dangereuse pour le catholicisme ; c'est le côté par lequel sa théorie se brise contre les faits, c'est là qu'elle devient ou inconséquente ou odieuse !
- Vos arguments sont spécieux, répartit mon interlocuteur ; peut-être serais-je embarrassé pour y répondre, et cependant, l'avouerai-je ? votre dialectique ne m'ébranle pas beaucoup. Il est si facile de critiquer ! Vous avez beau prouver que le catholicisme est faux, il n'a pas moins été pendant des siècles la vie d'un monde ; et aujourd'hui encore que lui manque-t-il pour sauver la société, si ce n'est d'être cru par cette société émancipée ?

- Le malheur est précisément que la société ne peut plus y croire. Vous vous défiez de la dialectique, dites-vous ; comme si j'avais fait autre chose, dans toute cette discussion, que de montrer le désaccord de la théorie catholique avec la réalité et l'expérience. Il y eut un temps où cette théorie correspondait avec les faits. Le catholicisme était vraiment catholique, car il embrassait sinon le monde, au moins l'Europe ; ses doctrines pouvaient passer pour évidentes, puisqu'elles étaient généralement admises ; les vérités qu'il enseignait pour absolues, car on n'en soupçonnait pas d'autres. Mais les faits qui le soutenaient l'ont abandonné aujourd'hui ; il y a contradiction entre lui et la réalité, entre ses dogmes et les besoins, les tendances, les idées de notre siècle. Il a vieilli, il est devenu impossible.

Et plût au ciel que ce fût le seul reproche à lui adresser ! Le catholicisme, ce n'est pas moi qui le contesterai, le catholicisme a été une des grandes choses de ce monde ; il a veillé au berceau de notre société moderne ; il lui a appris le nom de Dieu et celui de Jésus-Christ ; il lui a inculqué la foi à l'esprit et à l'immortalité ; il a, dans des âges de rudesse et de licence, représenté lui seul la justice et la charité : nous lui devons tout ce que nous sommes.

Hélas ! ce n'est pas nous qui le quittons. c'est lui qui nous a abandonnés. Il n'a pas su rester jeune ; avec la force il a perdu la sincérité, avec la sincérité, la sève et la vie. Pour ceux qui savent s'élever au-dessus des passions sectaires et regarder les choses à la lumière de la vérité éternelle, il n'est pas, soyez-en sûr, de plus douloureux spectacle que le catholicisme moderne avec son impuissance, ses passions, ses paradoxes puérils, la mauvaise foi de sa polémique, l'âpreté de son esprit de parti, son manque de moralité politique, avec son clergé fanatique et ignorant, avec ses journaux voués au dénigrement de toutes choses, avec un pape occupé à décréter l'immaculée conception !

Il porte au front tous les signes de la décadence ; dans notre époque de grandes ruines, c'est, au fond, la ruine la plus étrange et la plus complète.

FIN


 Jésus a dit, en parlant de lui : Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. Jean 14: 6

Jésus lui dit: Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n'est par moi. (TOB)



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