Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LETTRES À MON CURÉ






ONZIÈME LETTRE

 Monsieur le Curé,

 L'étude à laquelle je me suis livré ne serait point complète, si je n'y ajoutais quelques mots sur l'avenir du catholicisme. L'avenir du catholicisme ! Grave question, qui en renferme une autre en son sein : l'avenir de l'humanité.
La réponse des catholiques est toute prête. Leur religion étant la vérité de Dieu, durera jusqu'à la fin des siècles. Rome est immuable, et l'humanité doit rester immobile. Les sociétés ont secoué la tutelle du sacerdoce, mais elles devront, tôt ou tard, confesser leur erreur et chercher de nouveau leur salut dans une soumission sans réserve à l'autorité de l'Église.

D'un autre côté, il ne manque pas de gens qui prévoient la ruine du catholicisme dans un avenir assez rapproché. Ils appuient leur opinion sur ce qu'ils appellent des signes manifestes et croissants de décadence. Avouons, Monsieur le Curé, que ces fâcheux prophètes ont bien pour eux les apparences.

Ils rappellent la Réformation. À les en croire, cet événement a porté au catholicisme un coup dont il ne s'est point remis, dont il ne se remettra jamais. Il a détruit son caractère universel, c'est-à-dire son caractère catholique. Il lui a enlevé la moitié de l'Europe. Il a donné à l'hérésie une existence permanente, et au monde le spectacle d'une société, d'une civilisation et d'une religion indépendantes de l'Église romaine. Des princes, des peuples, ont osé secouer le joug, et la foudre n'est pas tombée sur leurs têtes, et la terre ne s'est pas ouverte pour les engloutir. Au contraire, ils n'ont pas trop mal prospéré.

Les partisans de l'opinion que j'expose ne s'en tiennent pas là. Le catholicisme, à les entendre, n'a pas seulement perdu tous les peuples que la Réformation a séduits, il a perdu avec eux la souveraineté du monde. Le sceptre de la civilisation a passé des nations catholiques aux nations protestantes. Le centre de gravité de l'Europe s'est déplacé et se trouve aujourd'hui dans les sociétés séparées de Rome. Il semble, le dirai-je ? que la dégénération nationale et morale soit en proportion de la place que l'Église romaine tient encore dans les pays qui reconnaissent sa loi, à tel point que cette loi pourrait passer pour une condition d'impuissance et de décadence. L'Espagne, l'Italie, le Mexique, périssent, attachés au cadavre de leur religion, et si la France tient encore sa place dans le monde, c'est moins parce qu'elle est catholique que parce qu'elle l'est si mal ou si peu.

Cette réflexion petit mener à une autre. Le catholicisme n'a pas seulement conduit à la décadence les peuples que j'ai nommés, il les a en même temps enfantés à l'incrédulité. Ils sont catholiques de nom, de profession, mais, grand Dieu ! quels enfants de l'Église ! Où la religion a-t-elle moins de puissance qu'au milieu d'eux ? Où compte-t-elle plus d'ennemis ? Que vaut un désir du pape auprès du plus catholique des gouvernements ? Pourquoi le souverain pontife ne lance-t-il plus ses foudres ? Pourquoi est-il devenu si sobre d'interdits ? C'est, apparemment, que l'opinion ne le soutiendrait plus, l'opinion, c'est-à-dire la foi. Hélas ! bien loin d'avoir assez de crédit pour excommunier des rebelles, l'évêque de Rome n'en a pas assez pour tenir en respect ses propres sujets.

L'indépendance des États à l'égard du pape, et, comme on dit, la séparation du temporel et du spirituel, est devenue le trait le plus saillant du caractère politique de l'Europe. Les rois honorent encore le souverain pontife, ils ont des ambassadeurs auprès de lui, ils sollicitent pour leurs évêques des chapeaux de cardinaux, ils lui envoient, au besoin, des soldats pour le soutenir ; mais, au fond, il n'est pas un prince dont on fasse plus complètement abstraction dans les conseils. Le roi Othon a plus d'importance, le grand Turc est plus influent.

Ce n'est pas tout. La sécularisation menace jusqu'aux États du pape lui-même. Voici comment la question se pose à cet égard. La théorie ultramontaine maintient que le chef de la chrétienté ne saurait exercer son ministère avec la liberté et la dignité nécessaires, à moins d'être également indépendant de tous les souverains de l'Europe. Or, il ne peut jouir de cette indépendance qu'à une condition, c'est d'être lui-même souverain. D'un autre côté, il se trouve que la tendance des peuples modernes est de revendiquer, sinon une part dans le maniement des affaires, au moins un certain contrôle sur le gouvernement. C'est ce qu'on appelle le régime constitutionnel. Mais le pape ne saurait faire aucune concession à cette tendance.

La papauté consiste dans un mélange si étroit du temporel et du spirituel, qu'on ne peut toucher à l'un de ces éléments sans toucher à l'autre. La conséquence en est que la moindre concession faite par le souverain pontife, je ne dis pas au principe démocratique, mais au principe laïque, équivaudrait à une sécularisation de la papauté. Une sécularisation de la papauté, c'est-à-dire le sacerdoce abdiquant en faveur des fidèles, et l'infaillibilité contrôlée par vous et moi ! Nous en avons vu l'essai. Pie IX a voulu devenir souverain constitutionnel, et l'on peut dire que la révolution romaine a sauvé la papauté de la ruine en la sauvant de ce suicide. Quoi qu'il en soit, l'évêque de Rome se trouve aujourd'hui enfermé dans le dilemme suivant : régner selon les conditions de la monarchie moderne et cesser d'être pape, ou rester pape et régner, au moyen des baïonnettes étrangères, sur une population qui maudit à la fois son prince et son pontife.
Mais il y a pour la papauté quelque chose de plus fatal encore que cette fausse position du pouvoir pontifical, que cet affranchissement croissant des États, que le schisme séculaire de la moitié de l'Europe, ce sont les progrès de l'esprit humain.

On fait souvent abus de ce mot, mais le mot n'en exprime pas moins un fait. De même, on exagère souvent la valeur des progrès dont il s'agit, et il importe, en effet, de reconnaître que ces progrès ne supposent nullement un avancement égal dans la vie morale qui est la vraie vie des peuples. il n'en est pas moins certain que le niveau général de l'intelligence s'élève peu à peu. Les résultats de la science se popularisent. Les connaissances qui avaient longtemps été l'apanage exclusif de quelques savants, tendent de plus en plus à entrer dans le domaine public.

Et ce n'est pas seulement la masse des connaissances qui augmente, c'est l'instrument intellectuel même qui s'aiguise, la pensée qui gagne en expérience, le sentiment critique qui se développe en s'exerçant. Or, il est de fait que le catholicisme, né dans des siècles où l'on n'examinait guère, supporte mal l'examen auquel il est aujourd'hui soumis.

Ici l'interprétation des Livres saints renverse le sens prêté à tel ou tel passage, ailleurs la critique met à nu le caractère frauduleux de tel ou tel document, les sciences naturelles modifient l'ensemble de nos données cosmologiques, l'histoire montre l'Église soumise, comme tout le reste, à l'imperfection et à l'erreur. Il semble que la pensée moderne fasse éclater le catholicisme par tous les côtés à la fois, comme un habit qui gêne ses mouvements. Les prétentions romaines sont toutes percées à jour. Que dis-je ?

Les défenseurs de la papauté capitulent ; ils font des concessions tacites et forcées, mais significatives ; ils ont déjà abandonné la donation de Constantin, les fausses décrétales, le droit théocratique des papes. Ils n'osent plus alléguer les deux épées de saint Pierre, pour établir le pouvoir des évêques de Rome ; le moment viendra où ils n'oseront pas d'avantage citer le Tu es Petrus en faveur de la primauté, le Hoc est corpus meum en faveur de la transsubstantiation. Le bon sens populaire suffit, de nos jours, pour trancher les questions que l'érudition des docteurs parvenait autrefois à rendre douteuses. Vous plaidez encore, vous argumentez, vous subtilisez, eh ! de grâce, à quoi bon ? on ne vous écoute plus.

Tels sont, Monsieur le Curé, les arguments au moyen desquels beaucoup de personnes s'imaginent prouver que le catholicisme approche de sa fin. Vous connaissez le mot brutal de l'un de ces prophètes : « Tirons-lui le chapeau quand nous le rencontrerons, il a encore cinquante ans à vivre. »
Pour mon compte, je ne saurais partager cette manière de voir.

Qu'est-ce que le catholicisme ? Si les recherches que je vous ai soumises ne m'ont pas trompé, le catholicisme est une institution de tutelle religieuse, appropriée à l'incompétence spirituelle des masses, institution qui, sans être le christianisme, pourrait être regardée comme une préparation au christianisme, si elle ne se considérait, au contraire, comme la forme parfaite de cette religion. Le catholicisme est un système conséquent et complet d'autorité religieuse. Sa puissance repose sur le besoin qu'éprouvent la plupart des hommes de renoncer à toute individualité spirituelle, à toute piété personnelle, pour se laisser enseigner, diriger et sanctifier par le prêtre.

La question de la durée du catholicisme revient donc à chercher, non pas quelle est la valeur de celui-ci, mais bien quelle est la permanence des besoins qu'il satisfait. Ainsi posée, la question est vite résolue. Oui, les prétentions du catholicisme à la vérité absolue fondent devant l'histoire, comme la neige devant le soleil.

Oui, le développement critique des intelligences ruine les preuves et les arguments du catholicisme, comme le changement du droit publie, ruine sa constitution politique.

Oui, le catholicisme, dans sa forme séculaire, dans sa forme consacrée, dans sa forme romaine, est sans doute menacé. Je dis plus, la décadence a commencé, et la ruine entière ne dépend plus peut-être que d'une dernière secousse. Il serait, d'ailleurs, impossible de se dissimuler l'importance de cette révolution. Le moindre changement doit être fatal à une Église qui se dit immuable. Et cependant, ils se font une singulière illusion ceux qui croient que le catholicisme peut succomber définitivement sous les efforts de la critique, sous les bouleversements de la société, sous les progrès même de l'humanité.

L'homme restera toujours l'homme. Le penseur restera toujours rare ; le chrétien spirituel, et indépendant par cela même qu'il est spirituel, sera toujours plus rare encore. Il y aura à jamais des ignorants, des faibles, qui réclameront un christianisme proportionné à leur état, des indifférents surtout, gagnés d'avance à la religion qui les troublera le moins. À ce point de vue, le catholicisme est immortel. Qu'il disparaisse sous une forme, il reparaîtra sous une autre. Que dis-je ? Si, par impossible, il cessait de constituer une communauté distincte, si son nom même disparaissait de la surface de la terre, il ne serait pas anéanti pour cela ; il renaîtrait, comme en vertu d'une métempsycose, dans les Églises, dans les esprits qui s'en croient le plus à l'abri. Le catholicisme est à la fois périssable comme tout ce qui est de l'homme, éternel comme tout ce qui est de l'humanité.

En terminant ces lettres, j'éprouve de nouveau, Monsieur le Curé, le besoin de m'excuser auprès de vous. Je crains de vous avoir paru, çà et là, trop confiant dans ma manière de voir, trop tranchant dans mes assertions. Peut-être même vous a-t-il semblé parfois que mon langage trahissait un adversaire du catholicisme, plutôt qu'il n'indiquait un homme à la recherche de la vérité.

Souvent, en effet, je me suis surpris moi-même en flagrant délit d'indignation. C'est que souvent j'ai été amèrement déçu dans mon attente. J'ai voulu appuyer ma faiblesse sur l'Église, et, pour me servir de l'expression de l'Écriture, j'ai trouvé l'Église semblable au roseau qui se brise et perce la main. Quoi qu'il en soit, vous avez maintenant connaissance de toutes mes difficultés, et j'espère encore que vous parviendrez à les dissiper. Soyez sûr qu'il n'est point trop tard pour me ramener. Je me sens plus éclairé qu'en commençant mes recherches, je ne me sens pas plus prévenu ou plus hostile. Vous pouvez avoir eu des disciples moins importuns que moi, j'ose dire que vous n'en avez jamais eu de moins entêtés. Je suis de ces hommes qui s'estiment heureux d'être convaincus de leurs erreurs ; renversez mes arguments dans la poudre, et j'irai vous serrer la main comme à un bienfaiteur et à un ami.



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