Les principales méthodes de Réveil
employées par Félix Neff consistent
dans la distribution des Traités religieux,
l'établissement de réunions
d'édification mutuelle, les visites ou la
cure d'âme et la prédication.
1. - Les Traités religieux
Félix Neff fonda à Mens
une Société de Traités
religieux. Fils du Réveil, il était
convaincu que c'était un des moyens pour
produire le Réveil. Dans une lettre
adressée à « ses
frères de Genève », et
datée du 1er janvier 1823, il parlait du but
de la Société naissante et des
collecteurs ou collectrices qu'il avait
formés pour recueillir les fonds :
« Nous avons dans le bourg,
écrit-il cinq collectrices. Ce sont les
dames les mieux disposées qui se sont
chargées de cela. Elles ont fait leur
première tournée aux environs de
Noël : le résultat a
été plus grand que nous ne
l'attendions pour un pays pauvre et où il y
a tant de tièdes et d'ennemis..., mais outre
l'avantage des souscriptions, cette manière
de les solliciter a encore fourni à nos
soeurs de belles occasions de prêcher
l'Évangile, et de sonder les dispositions du
peuple ».
Cette Société se
proposait, non de donner des Traités (sauf
dans certaines occasions) mais de les vendre ou de
les prêter, Elle devint, dans la suite, une
petite bibliothèque religieuse plus
bienfaisante que les romans qui, avant le
Réveil, arrivaient
régulièrement de Grenoble.
Un grand nombre d'habitants de Mens
furent édifiés et même
réveillés par ces excellentes
lectures.
Dans les Hautes-Alpes, les
traités ont contribué aussi à
produire le Réveil.
Mais il faut que ces brochures soient
bien écrites, intéressantes, bien
choisies et toujours lues d'avance par celui qui
les distribue.
Il serait bon, urgent même, que
tous ceux qui peuvent faire du colportage dans nos
Églises - laïques ou pasteurs - le
fassent. Qu'ils ensemencent de Bibles, de
Nouveaux-Testaments, de Traités religieux,
la région qu'ils habitent ! Des
milliers et des milliers d'âmes meurent de
faim, moralement, dans notre patrie.
Dégoûtées de Rome et du
matérialisme athée, elles soupirent
après la consolation et la
vérité. Or c'est l'Évangile
seul qui leur donnera l'une et l'autre.
Nous croyons que les traités
religieux ont fait et font tous les jours du bien
à un grand nombre de personnes. Beaucoup
d'entre elles se sont converties à
Jésus-Christ par leur moyen.
Travaillons « tandis qu'il
fait jour » et que nous sommes à
un moment particulièrement favorable pour
évangéliser la
France.
2. - Les réunions
d'édification mutuelle
Félix Neff avait essayé,
déjà à Grenoble,
d'établir des réunions
d'édification mutuelle, mais elles n'eurent
pas beaucoup de succès dans ce
« cimetière » :
« Je tiens le soir, écrivait-il,
de misérables petites réunions
où souvent il ne vient que deux personnes,
qui encore sont de Mens, où elles
retourneront bientôt... » Aussi
regrettait-il la réunion vivante qui avait
lieu le vendredi soir à l'Église du
Bourg-de-Four : « Si je regrette
quelque chose à Genève, disait-il,
c'est, en particulier, notre petite réunion
du vendredi soir ». Il faisait allusion
à l'un de ces entretiens fraternels que l'on
considère avec raison chez les Frères
Moraves et chez les Wesleyens, comme une des
principales sources de la vie de
l'Église.
Les mêmes résultats
bénis se produisirent dans l'Église
de Mens où Neff établit ces
réunions pour la première fois. Elles
avaient lieu le soir, dans une maison
particulière, durant les premiers temps de
son séjour. Plus tard, elles furent tenues
au Temple et dans d'autres habitations. Neff y
attachait une importance capitale et ne cessait de
les recommander : « Je ne sais pas
de meilleur moyen, de moyen plus sûr,
écrivait-il à une
« soeur » de Mens, de moyen
plus durable que cette surveillance, cette
confiance mutuelle, qui, en quelque façon,
nous tient sans cesse éveillés, et,
bon gré malgré nous, dissipe nos
illusions et nous rappelle notre véritable
état, nos obligations, nos
devoirs, et les secours qui nous sont offerts. Vous
reconnaissez que ces réunions ont fait
beaucoup de bien : d'abord à celles
d'entre vous qui étaient déjà
vivantes, en les affermissant dans la pratique de
la piété, comme on se l'était
proposé en les établissant. De plus,
il en est résulté un bien qu'on n'en
attendait pas : savoir que des âmes
encore plongées dans la
sécurité et dans l'ignorance
d'elles-mêmes, se trouvant, dans ces
assemblées, « ont vu les secrets
de leur coeur manifestés, se sont senties
jugées et condamnées, se sont
humiliées et ont reconnu que Dieu
était vraiment au milieu de nous »
(1
Corinthiens XIV : 24-25)
(1).
Et dans une autre lettre, Neff
écrivait - « Comment donc les
chrétiens, les citoyens du ciel, les
rachetés de Jésus-Christ, les
héritiers du royaume de Gloire, ne
trouveraient-ils pas un vrai plaisir, une douce
joie à se réunir, au nom du Sauveur,
pour s'entretenir de la seule chose
nécessaire, pour parler de ce bon Sauveur,
qui les a tant aimés et qui s'est
donné pour eux... pour se féliciter
du bonheur dont ils jouissent et de la gloire qui
les attend, pour se faire mutuellement part des
grâces qu'ils reçoivent de leur
Père Céleste ? »
(2).
Ces assemblées où le
sacerdoce universel était mis en pratique et
« qui sont recommandées par le
Seigneur lui-même dans toute
l'Écriture » et par
Saint Paul, répondaient
à un besoin réel des âmes.
Aussi se multiplièrent-elles beaucoup. Tous
désiraient s'édifier et prier
ensemble. Il régnait dans ces
réunions une grande liberté. Tous les
chrétiens pouvaient rendre leur
témoignage, lire quelques versets indiquer
un cantique. On y parlait plus souvent patois que
français.
Tout se passait avec une
simplicité charmante.
« C'était simple, cordial, vivant,
raconte un témoin oculaire ; il y avait
de l'entente, de la charité, du support et
un véritable amour fraternel. Les personnes
des classes les plus humbles étaient
reçues, traitées par celles des
classes les plus élevées avec une
touchante bienveillance et la plus sympathique
ouverture. On était confondu, on se
mêlait sans méconnaître jamais
les égards que l'on se devait les uns aux
autres » (3). Très
souvent, personne ne
présidait, sinon l'Esprit de Christ.
Félix Neff établit aussi
dans les Hautes-Alpes des réunions
d'édification, d'exhortations mutuelles.
Elles furent très bienfaisantes et
contribuèrent au Réveil de cette
région.
Aussi comprenons-nous le très vif
intérêt que Neff a toujours
porté à ces réunions.
Même sur son lit de mort, il les recommandait
encore instamment à ses anciens
paroissiens : « Ne fussiez-vous que
quelques bergers ou quelques servantes
réunies dans une pauvre étable, leur
écrivait il en mars 1829,
si chacun de vous y apporte un esprit de foi et de
recueillement, le Seigneur sera au milieu de vous,
et votre assemblée pourra être
bénie aussi abondamment que celle des
premiers disciples assemblés dans une
chambre haute, le jour de l'effusion du
Saint-Esprit ».
Sans doute, ces réunions
développaient entre les chrétiens le
zèle religieux et l'amour des choses
religieuses. Simplement, sans fausse honte, dans un
sentiment de mutuelle confiance, les
chrétiens réunis méditaient la
Parole de Dieu, chantaient des cantiques, priaient
humblement. La pensée que chacun pouvait
prendre la parole et exhorter ses frères
constituait bien pour eux un stimulant
puissant.
Mais il ne faut pas se dissimuler les
abus que ces réunions pouvaient
entraîner, si elles devenaient par trop
fréquentes. Sans doute, il y fait bon,
spirituellement parlant ; mais vivre toujours
dans cette atmosphère
imprégnée de prières et
d'adoration, n'est pas bon pour le
chrétien ; à côté
de lui, nombreux sont ceux qui se perdent et qui
peuvent être sauvés par une parole
dite avec amour et à-propos. Après la
prière, l'action. Le chrétien ne doit
pas être infidèle à la
pensée de son Maître qui, parlant de
ses disciples, disait à Dieu :
« je ne te prie pas de les retirer du
monde, mais de les préserver du
mal »
(Jean
XVII,
15).
Félix Neff lui-même signale
un autre danger de ces réunions :
l'ignorance de ceux qui les dirigent. Il raconte
qu'après le Réveil dans les
Hautes-Alpes, plusieurs jeunes
gens avaient organisé des réunions
dans leurs villages ou hameaux. Leur coeur
brûlait d'amour pour le Christ et les
âmes, mais l'ignorance arrêtait leur
zèle et l'oeuvre de Dieu en
souffrait.
« Il arrive parfois,
écrivait-il, que l'on confie sans
réflexion les diverses branches de l'oeuvre
de Dieu, même les plus délicates,
à des hommes qui n'ont que leur foi et leurs
espérances spirituelles ; on ne tarde
pas alors à reconnaître l'insuffisance
de ces prédicateurs improvisés. On
sent la nécessité d'un certain
degré d'instruction pour travailler
efficacement à l'oeuvre de
Dieu. »
Enfin, il ne faut pas que les
réunions particulières où le
sacerdoce universel est pratiqué nuisent au
ministère du pasteur. Félix Neff a
proclamé bien haut l'utilité du
pastorat. Nous en avons une preuve dans le fait
qu'il a envoyé lui-même à
Montauban quelques-uns de ses élèves
pour y faire des études
théologiques.
Il va même jusqu'à dire que
les chrétiens ne doivent, en aucune
façon, abandonner leur Église :
« Si quelqu'un venait à vous
prêcher une autre doctrine que celle que je
vous ai annoncée, disait-il dans un de ses
derniers entretiens, ne quittez pas pour cela
l'assemblée des jours de dimanche ;
mais cherchez plutôt à éclairer
le pasteur lui-même et à lui faire
comprendre la voie du salut ».
Comprenant la grande influence des
cantiques comme moyen de Réveil, Neff
établit à Mens et dans les
Hautes-Alpes des réunions de chant
qui contribuèrent, en
effet, pour leur part, à y produire le
Réveil. Le mouvement religieux se fortifia
et se propagea par ces chants mêmes :
« Il est évident,
écrivait-il, que la musique harmonieuse de
nos cantiques a été bien utile pour
réunir les dormants autour de la croix de
Jésus-Christ »
(4).
Personne n'ignore le rôle
considérable qu'a joué le chant dans
le Réveil du siècle dernier et, plus
récemment, dans le Réveil du
Pays-de-Galles. Les cantiques pleins
d'espérance, de fraîcheur et de joie
ont touché à salut des milliers
d'âmes.
En France, on commence à
comprendre l'influence bienfaisante du chant dans
l'oeuvre de l'évangélisation. Cette
influence - qui est immense - contribuera au salut
de notre patrie.
3. - Les visites. La cure d'âme
Comme tout pasteur fidèle,
Félix Neff faisait des visites. Il en
faisait même beaucoup, car il était
passionné pour le salut des âmes dont
il se sentait responsable. L'une d'elles
était-elle heureuse ? Neff
l'était aussi ; une autre
était-elle triste ou souffrait-elle ?
il était triste aussi, souffrait, et n'avait
de repos intérieur que lorsqu'il
était sûr que les consolations de
l'Évangile avaient raffermi cette âme.
Il aimait tellement ses paroissiens qu'en hiver,
dit le pasteur André Blanc, son
collègue à Mens, il
allait quelquefois les visiter,
avec des temps affreux, ayant de la neige jusqu'aux
genoux ». Il ne craignait rien :
« On veut vous donner des coups à
tel endroit », lui dit-on un jour. Il
sourit : « On se propose de me
battre, sans savoir si le Seigneur le veut ;
je les plains, prions pour eux »
(5).
Après
avoir prononcé ces paroles, il se remit en
route.
Si les personnes auxquelles il voulait
faire connaître l'Évangile ne savaient
pas lire, il entreprenait aussitôt la
pénible tâche de leur apprendre
à lire ; et c'était avec une
douceur et une patience inaltérables qu'il
leur montrait les lettres et leur faisait
épeler les syllabes.
Nous pouvons avoir une idée des
visites de Neff par les lettres de direction ou
d'exhortation qu'il écrivait, des
Hautes-Alpes, par exemple, à ses amis de
Mens, arrivés par son moyen, à la
connaissance de l'Évangile. C'était
de la cure d'âme : « Voyons un
peu en ordre, ce qui s'est passé dans votre
âme depuis que vous avez connu la Parole de
vérité, écrivait-il à
un « frère » de Mens,
qui lui avait donné des nouvelles de son
« déplorable état
spirituel ». « D'abord, vous
avez, comme tous les autres, été
longtemps sans vous connaître
vous-mêmes ; vous étiez content
de votre conduite et de vos sentiments ; et,
voyant beaucoup de gens qui faisaient plus mal que
vous, vous auriez volontiers remercié, Dieu
comme le Pharisien, de ce que vous
n'étiez pas comme ces
péagers... Vous vous croyez passable et vous
n'aviez pas grande crainte du jugement de
Dieu.
« Quand vous avez entendu la
prédication du pur Évangile, vous
avez été porté à vous
examiner plus sérieusement
vous-même ; et vous n'avez pas
trouvé que vous ressemblassiez au portrait
que la Sainte Écriture fait du vrai
fidèle. Vous avez vu la sainteté de
la loi de Dieu, qui est spirituelle, pure,
parfaite, qui juge des intentions et des affections
de notre coeur ; et en comparant vos
sentiments et vos actions à cette sainte
loi, vous avez vu que vous en étiez bien
éloigné ; vous avez vu qu'au
lieu d'aimer Dieu de tout votre coeur et votre
prochain comme vous-même, vous n'aimiez que
vous seul... Vous avez appris à
connaître en votre coeur mille
péchés d'orgueil, de souillure, de
malice, enfin une grande racine de corruption que
vous ne connaissiez pas... »
(6).
Cet ami de Neff se sent maintenant
justement condamné par Dieu : il est
convaincu que le plus grand malheur qui puisse lui
arriver, c'est de mourir si mal
préparé, mourir dans ses
péchés.
Il tremble en pensant au danger de sa
situation : Il faut qu'Il
(Jésus-Christ) vous reçoive tel que
vous êtes, continue Neff. N'attendez pas un
jour de plus ; allez à ce bon Sauveur
tel que vous êtes... Priez toujours sans vous
tourmenter de ce que vos
prières sont encore très
imparfaites ; n'offrez rien au Sauveur ;
ne lui promettez rien, pas même de l'aimer,
ni de le servir mieux ; mais demandez-lui
tout, absolument tout ; il donne tout
gratuitement à tous ceux qui ne croient pas
pouvoir le payer... »
(7).
De telles exhortations qui reposaient
sur la Parole de Dieu et sur la propre
expérience de Félix Neff, partaient
de son coeur brûlant d'amour et allaient
droit au coeur contrit, souffrant. Elles lui
faisaient sentir sa profonde misère et le
guérissaient en même temps.
Les visites de Neff aux malades
étaient très fréquentes et
très appréciées. Il
écoutait patiemment le long récit de
leurs souffrances et les aidait de ses
connaissances en botanique pour préparer les
remèdes ordonnés par le
médecin. Il allait même quelquefois
chercher les plantes ou arracher les racines
indiquées, et poussait le dévouement
jusqu'à veiller ses paroissiens souffrants.
Il écrivait souvent, des Hautes-Alpes,
à quelque
« frère » ou
« soeur » malade à
Mens : « Bien aimée soeur en
Jésus-Christ, j'ai eu plusieurs fois des
nouvelles par nos amis qui m'ont appris que le
Seigneur vous avait éprouvée par la
souffrance je puis vous dire que j'en ai
été bien affecté, mais bien
moins que si c'eût été pour
quelqu'un qui n'eût pas connu le
Consolateur ». Ensuite, il compare
l'état spirituel de cette personne à
la situation du « mondain » aux
prises avec la maladie : « Comparez,
chère soeur, cette triste position avec la
vôtre, et vous
bénirez le Seigneur. Vous souffrez, il est
vrai ; mais vous savez que cette souffrance ne
durera pas longtemps. Vous voyez devant vous la
délivrance et le repos... La mort ne vous
épouvante pas ; elle est, pour vous la
porte de la vie. Dans ce dépouillement du
corps de péché, la pensée du
jugement ne vous trouble point ; car
« il n'y a pas de condamnation pour ceux
qui sont en Jésus-Christ ». Ils
sont passés de la mort à la vie et ne
viendront point en jugement... Bannissez donc de
votre coeur tout doute et toute crainte. Le
Seigneur vous connaît et vous aime ... Ayez
ainsi la paix et la joie, elles sont à VOUS
... » (8). La malade
dût être
consolée.
La cure d'âme est peut-être
plus difficile que la prédication. Dans la
prédication, il y a très souvent des
malentendus et des
généralités : aussi
a-t-elle un effet beaucoup plus passager que la
cure d'âme. Ici, en effet, le pasteur se
trouve en présence d'une âme
isolée. Il peut s'adresser à elle
personnellement. Mais pour lui parler avec justesse
et franchise. comme il a besoin de tact et
d'amour !
La cure d'âme est la partie du
ministère la plus négligée.
C'est cependant la plus importante :
voilà pourquoi tant de pasteurs n'ont pas un
ministère béni.
Plus que jamais, le pasteur s'il est
vraiment fidèle - fera de la cure
d'âme l'objet de ses soins les plus
persévérants. Il se convaincra de
l'importance capitale du soin individuel des
âmes qui composent son
troupeau. Beaucoup réclament ses soins, il
ira droit au but. Son temps est précieux, il
ne le perdra pas à écouter et
à répéter les histoires qui
circulent dans le voisinage, mais il ne se lassera
pas de raconter l'histoire de l'amour de
Jésus. Si cet amour le
« presse », il saura
bientôt trouver l'occasion d'aborder la
grande question du salut.
Il faut le reconnaître avec
tristesse : nombreux, trop nombreux sont les
paroissiens qui ne donnent pas de nouvelles de leur
âme à leurs pasteurs. Le plus souvent,
ils parlent de tout autre chose : ils
détournent la conversation.
Quel est le pasteur qui ne l'a pas
expérimenté et qui n'en a pas
été navré ? Ils sont
nombreux dans nos Églises ceux qui ne sont
pas convertis et, par conséquent, heureux.
Les pasteurs leur parlent du Sauveur qui les aime
et veut leur accorder son pardon, s'ils veulent,
tout d'abord, changer de vie. Ils leur parlent de
la joie ineffable qu'ils éprouveront, s'ils
donnent leur coeur à Jésus-Christ.
Mais cette conversation les gêne ou les
ennuie. Le pasteur fidèle ne se
découragera pas : il priera avec
d'autant plus de persévérance et de
foi pour ces âmes immortelles.
Heureusement, il est des membres de nos
Églises qui aiment la visite de leur pasteur
et en sont réconfortés. Ils sont
animés du désir d'être plus
consacrés au service de Dieu et de leurs
frères, comme les paroissiens de
Félix Neff.
Dans ces conditions, l'oeuvre du pasteur
ne sera pas inutile.
4. - La Prédication
Il y a trois parties principales que
nous distinguerons dans la prédication de
Félix Neff : la forme, le fond et
l'improvisation.
A) Forme de la prédication de Félix Neff
Ce qui frappe dans les sermons ou
méditations de Félix Neff, c'est la
simplicité. Comment arriver à se
faire comprendre de ses auditeurs peu
cultivés, sachant à peine parler le
français, si ce n'est en leur parlant
simplement, en attirant leur attention sur les
préoccupations de leur vie
quotidienne ? « C'est par des
idées neuves, dit André Blanc, par
des peintures vives, des comparaisons frappantes
qu'il commandait leur attention.
La faim, la soif physiques que ses
paroissiens éprouvaient tous les jours
l'amenaient à leur parler des besoins de
leur âme : « Avez-vous
habituellement faim et soif de justice ? leur
disait-il un jour. Pouvez-vous dire comme David que
votre âme a soif du Dieu vivant ? Si
votre corps est atteint ou seulement menacé
de quelque maladie, si vous craignez quelque
danger, avec quelle ardeur ne cherchez-vous pas du
secours, que ne faites-vous pas pour recouvrer ou
conserver votre santé et votre
liberté ? En est-il de même quand
il s'agit du salut ? »
Neff ne se perdait jamais dans le vague,
mais par des récits de conversions, parlant
quelquefois de lui-même, de ses propres
expériences, il leur montrait clairement
l'importance du salut.
Des termes justes, vigoureux
caractérisaient ses méditations
nourries de citations bibliques et
illustrées de comparaisons frappantes :
« Comme les eaux de la mer baignent
également la baleine et le plus petit
coquillage, comme une pluie abondante arrose
suffisamment le chêne et le gramen, ainsi
l'amour de Dieu, embrassant tous les êtres
qui vivent en Lui, rassasie pleinement chacun
d'eux, comme s'Il ne s'occupait que de lui
seul... »
(9).
Il allait droit à la conscience
et faisait comprendre à ses auditeurs que le
but de tous ses sermons ou méditations
était leur conversion. Tout cela
était dit avec conviction, avec amour :
ce qui explique la puissance de la
prédication de Neff comme moyen de
Réveil : « Donnez-vous
à votre âme les mêmes soins
qu'à votre corps, qu'à votre
réputation, qu'à votre
intérêt temporel ?
« Faites-vous pour votre salut
ce que vous feriez pour des choses de moindre
valeur ? Vous ne passerez pas sans doute une
seule journée sans prendre votre nourriture,
votre repos, vos délassements ; combien
en passez-vous sans alimenter votre
âme ? Et si vous le faites, si vous
prenez votre nourriture spirituelle, le faites-vous
avec autant d'ardeur, de régularité
que s'il s'agissait de votre corps ? Vous
dites sans doute : il faut que je vive ;
il est nécessaire que je sois nourri,
vêtu, logé ; dites-vous
aussi fermement : il faut
que mon âme vive, il faut qu'elle soit
nourrie de la Parole de Dieu, vêtue de la
justice de Christ, et qu'elle ait une place dans la
Cité céleste ? »
(10).
Les sermons de Neff rappellent ceux de
Nardin par leur caractère
profondément évangélique.
D'ailleurs, il appréciait lui-même
beaucoup ce prédicateur et en recommandait
la lecture à ses paroissiens.
À l'école de Félix
Neff tous les pasteurs devraient apprendre à
prêcher simplement et à se
défaire absolument de ces termes
d'École que la plupart des auditeurs ne
comprennent pas. Cela demande une
préparation très
sérieuse ; c'est si difficile de parler
simplement !
Il faut que les prédications
soient nourries de la Bible pour qu'elles puissent
nourrir les âmes et les fortifier dans la
foi. Il faut qu'elles visent la conscience et aient
pour but la conversion, origine de toute vie
vraiment chrétienne.
B) Fond de la prédication de Félix Neff
La prédication de Félix Neff,
comme celle des prédicateurs du
Réveil, avait, à sa base, les
vérités dogmatiques qui sont, depuis
la Réforme, les fondements de la
Théologie évangélique :
la chute de l'homme et son état de
condamnation, la rédemption par le sacrifice
expiatoire de Jésus-Christ,
la justification par la foi, la
régénération, la
nécessité de la sanctification ;
en un mot - le salut comme oeuvre de la grâce
et de la miséricorde d'un seul Dieu, le
Père, le Fils et le Saint-Esprit,
vérités que l'Esprit-Saint a
réunies avec une admirable plénitude
d'expression dans les paroles suivantes :
« Élus suivant la prescience de
Dieu, le Père, pour être
sanctifiés par l'Esprit, pour obéir
à Jésus-Christ, et pour avoir part
à l'aspersion de son
sang ».
C'est surtout le dogme de la
Rédemption par le sang du Christ qui faisait
le sujet de la prédication de Félix
Neff. Il absorbait à lui seul la plus grande
partie de ses sermons ou méditations.
C'était la doctrine fondamentale autour de
laquelle tout se mouvait.
Si nous ajoutons la conversion par
laquelle l'âme saisit les bienfaits de la
Rédemption, l'amour de Dieu opposé
à l'amour du monde, et enfin,
l'autorité de la Bible, nous aurons toute la
prédication de Neff.
On lui reprochait quelquefois d'annoncer
des doctrines nouvelles : il s'en
défendait énergiquement. Il lui
arrivait même de porter en chaire le
catéchisme de Calvin ou d'anciens livres
liturgiques : « Dans la
première partie de mon sermon,
écrit-il lui-même à propos
d'une prédication qu'il donna dans le Temple
de Mens le dimanche 24 août 1822, je n'ai
fait que lire les extraits de catéchisme et
des sermons de Calvin, de sa confession de foi,
etc..., en ayant soin de leur
faire remarquer la parfaite conformité de ma
doctrine avec celle de nos anciens
docteurs ».
Il n'admettait pas que l'on
prêchât autre chose que ce qui est
renfermé dans la Bible et consacré
par la tradition : « Quand on ne
croit pas que toute la Bible est divinement
inspirée, disait-il un jour à un
pasteur avec lequel il avait discuté
longtemps ; quand on ne croit pas que l'homme
est, par sa conception naturelle, soumis à
la condamnation et qu'il a besoin d'un Sauveur,
quand on ne regarde pas Jésus-Christ comme
Dieu béni éternellement, on ne
célèbre pas des fêtes en son
honneur, on ne baptise pas des enfants en son nom,
on ne se dit pas son ministre, on prend le froc et
on le jette aux orties ».
L' « apôtre des
Hautes-Alpes » croyait à
l'inspiration littérale de la Bible, comme
la plupart des prédicateurs du Réveil
du siècle dernier. Le volume sacré,
par le fait même du profond amour que Neff
lui portait, formait pour lui un bloc compact et
intangible. Il ignorait que la Bible n'est pas un
livre, mais une collection de livres écrits
à des époques très diverses,
par des auteurs plus divers encore, de culture et
de développement spirituel très
différents.
Il croyait que tout, dans la
Bible,
était Parole de Dieu.
Tout n'est pas « parole de
Dieu » dans la Bible - on y trouve des
paroles d'homme et des paroles de Dieu. Dieu s'est
servi d'intermédiaires humains - quelle
condescendance ! - pour nous transmettre sa
parole, par une révélation
progressive ; d'auteurs
qui
n'étaient pas d'égale valeur
religieuse et qui, vivant à des
époques très différentes, ne
pouvaient pas avoir exactement la même
opinion sur tous les points.
Mais nous ne devons absolument rien
retrancher à la Parole écrite. Nous
devons en conserver soigneusement toutes les
parties comme utiles, nécessaires même
pour nous faire connaître le Dieu d'amour qui
se met au niveau de sa créature
tombée pour pouvoir mieux la sauver en
l'élevant jusqu'à Lui !
L'Écriture sainte est encore et
sera toujours la Parole de Dieu infiniment
précieuse, car elle contient la nourriture
après laquelle notre âme soupire,
l'eau vive dont elle est altérée et
la consolation éternelle que nos coeurs
réclament.
Le fond de la prédication de
Félix Neff n'offrait donc rien de
nouveau.
Comme lui, nous croyons que nous,
pasteurs, nous devons, en instruisant nos
paroissiens, « chercher, à les
convaincre de péché par tous les
moyens scripturaires et de raisonnement ; les
conduire à Jésus, l'Agneau de Dieu
qui ôte les péchés du monde et
ne rejette aucun de ceux qui vont à
Lui ; les engager tous à lire et
à méditer la Parole de Dieu, et
surtout prier pour ceux qui ne connaissent pas la
vérité, afin que le Seigneur
éclaire leur esprit, leur fasse sentir leurs
péchés et leur donne le pardon et la
paix en Jésus ; prier aussi pour ceux
qui le connaissent, afin que Dieu les garde de tout
péché, et les
conduise à la perfection dans la
charité et l'humilité »
(11). Ceux
qui
ont charge d'âmes doivent aussi prêcher
« Christ et Christ
crucifié » : c'est la seule
prédication qui ait converti
véritablement les âmes.
Prêchons la Rédemption par
le sang de l'agneau pur et sans tâche,
« mort pour nos offenses et
ressuscité pour notre
justification » : c'est la seule
prédication qui ait véritablement
humilié les âmes et leur ait fait
comprendre à quel prix elles ont
été rachetées.
Prêchons la folie de la
croix.
En un mot : annonçons
l'Évangile « intégralement,
sans voile, tout entier, dans sa mystérieuse
grandeur, en élevant aussi haut que
possible, avec l'ardent courage d'une foi
sûre d'elle-même, le glorieux
étendard qui porte toujours dans ses plis le
salut de nos frères. On nous écoutera
avec d'autant plus de respect et peut-être de
faveur que notre absolue sincérité
dira mieux la conviction qui fait le bonheur de
notre vie »
(12).
C) L'improvisation dans la prédication de Félix Neff
D'après ce que nous savons sur la
contrée où s'exerçait le
ministère de Félix Neff et sur
les difficultés,
matérielles qui rendaient sa tâche
plus rude à visites pénibles d'une
vallée à l'autre, montagnes à
franchir, malgré le vent, la pluie, le froid
et la neige, on peut comprendre que le temps qui
lui restait, pour se recueillir et préparer
ses sermons, était très
limité.
Les réunions étaient
fréquentes avec des auditeurs, à
peine civilisés ; c'est ainsi que Neff
qui n'avait pas toujours le temps de
préparer sa prédication avec autant
de soin qu'il l'aurait fallu, fut amené
à prêcher selon l'inspiration du
moment.
S'appuyant sur Dieu seul, Lui demandant
son secours, il prêchait avec facilité
bien qu'il ne se fût pas
préparé.
Sa profonde connaissance de la Bible, de
la vie chrétienne de Jésus-Christ
surtout lui facilitait la tâche. Ses talents
naturels lui étaient en particulier d'un
précieux secours.
On ne naît pas improvisateur. Sans
doute l'habitude avait pu accroître chez
Félix Neff ce don naturel de la
parole : « Je fais le sermon de la
passion de demain matin, écrivait-il, il ne
m'a pas été possible de le
préparer ; c'est pourquoi,
j'espère que le Seigneur y pourvoira et
qu'Il me donnera de quoi parler. Je m'accoutume
ainsi à improviser, et souvent j'ajoute un
grand bout à mon discours sans que cela se
puisse connaître ».
Dieu avait bien choisi son ouvrier. Neff
possédait, en effet, ces qualités
nécessaires à tout
improvisateur : savoir parler selon le besoin
du moment tenir ou ranimer le
zèle religieux, s'exprimer sur le champ,
dans une circonstance donnée, d'une
manière assez correcte et surtout
vivante.
Félix Neff, pourtant,
préparait souvent ses sermons :
« Nous avons eu le privilège, dit
M. A. Peloux, d'avoir entre les mains quelques
manuscrits de méditations de Félix
Neff lui-même. C'est avec une émotion
bien grande que nous avons contemplé ces
feuilles jaunies par le temps, remplies d'une
écriture fine, irrégulière et
tourmentée. Sa main un peu tremblante nous
révèle un homme habitué
plutôt à une vie errante
d'apôtre et d'évangéliste
qu'à une existence de cabinet. Il y a
même des fautes d'orthographe. Mais ces
sermons sont soigneusement préparés,
la forme en est étudiée ; il y a
beaucoup de ratures, de surcharges, des pages
entières sont effacées, d'autres sont
presque illisibles. Des expressions sont
remplacées par d'autres plus heureuses ou
plus fortes. Certaines phrases sont soigneusement
soulignées ».
Neff se sentait soutenu de Dieu et cela
lui donnait de l'assurance : « On
gaspille beaucoup de talent dans ce monde faute
d'un peu de courage », a-t-on dit.
« L'apôtre des
Hautes-Alpes » possédait ce
courage qui l'aidait puissamment. Il allait de
l'avant en comptant sur Dieu, et tout allait
bien : « Quoique mon discours ne
pût être soigné pour le style,
puisqu'il était improvisé comme
à l'ordinaire, tout le monde m'en a
témoigné de la satisfaction... je ne
crois pas dire ceci pour me glorifier; mais
je n'aurais jamais osé
espérer que la prédication me
deviendrait aussi facile. Il me semblait que tels
d'entre nos prédicateurs étaient des
prodiges, et je vois maintenant qu'un peu
d'habitude, et la foi surtout, peuvent faire de ces
prodiges tant qu'on veut. Aujourd'hui, monter en
chaire sans même avoir eu le temps de songer
à mon texte, et faire un discours en
règle, sans répétitions, sans
chevilles, aussi long et devant tant de personnes
qu'on voudra, ne me semble pas une chose
difficile »
(13).
Les pasteurs qui peuvent en faire autant
sont rares, à notre avis.
Beaucoup de prédicateurs du
Réveil n'ont pas su éviter les
dangers de l'improvisation, par exemple, la
négligence, la confusion.
Il est de toute évidence que ce
qui importe c'est le fond, l'Évangile. La
prédication de l'Évangile doit
être mise en pleine lumière, mais un
prédicateur qui n'a pas le don inné
de l'improvisation laisse le fond se voiler par
l'imperfection de la forme et le manque de suite
dans le développement.
Il faut se méfier des discours
d'abondance où les mots résonnent
sans valeur : ces sermons où le
« patois de Canaan » domine ne
font aucun bien.
Félix Neff ne prononçait
jamais de pareils discours. Et parce qu'il
improvisait facilement, il ne faut pas s'imaginer
que l'improvisation est nécessaire dans une
oeuvre de Réveil.
Une préparation sérieuse,
au contraire, permet à l'orateur de choisir
le mot juste et frappant, de soigner la forme de
son discours et d'analyser ses idées.
Alliée à la simplicité et
à la conviction, elle peut produire un
sermon excellent.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |