LES VAUDOIS
ET L'INQUISITION
CHAPITRE III
Hiérarchie vaudoise.
ARTICLE 1. - L'ORDRE DE
PRÉDICATEURS RÊVÉ PAR
VALDO.
Le but premier de Valdo avait été,
nous l'avons dit, de rappeler dans l'Église
l'esprit de pauvreté et d'humilité
originel. Cette réforme, Il l'avait
conçue comme devant être
exécutée par une confrérie ou
ordre religieux, dont les membres, soumis au voeu
de pauvreté, se livreraient à la
prédication (1),
ainsi que devaient le faire plus
tard les fils de saint François. Elle
supposait donc des religieux, missionnaires
ambulants, donnant l'exemple de la pauvreté
évangélique, se dévouant
à diriger les fidèles restés
dans le monde vers une voie plus
élevée que celle où les
conduisaient les évêques catholiques,
devenus seigneurs féodaux,
propriétaires de grandes fortunes, aussi peu
semblables que possible, sous ce rapport, aux
premiers apôtres de l'Évangile.
Dans cette donnée, l'idéal
chrétien devait être la pratique des
enseignements donnés par Jésus, dans
son Discours sur la montagne. De plus, la
réforme, destinée à
pénétrer peu à peu dans les
familles fidèles, devait venir de la
hiérarchie. Au fond, l'idée de Valdo
s'attaquait surtout à la morale
ecclésiastique, à la conduite des
prélats, des clercs et des moines. Elle
laissait intacte la foi
proprement dite. Présentée avec
prudence, cette réforme aurait très
bien pu s'adapter aux besoins de l'Église,
d'autant plus que tous les papes d'alors, Innocent
III surtout, sentaient le besoin de faire quelque
chose. C'eût été l'ordre
franciscain d'origine lyonnaise
précédant celui d'Assise.
Il y avait pourtant, dans les premiers
projets de Valdo, plusieurs points susceptibles
d'observations sérieuses. D'abord, la
question de la prédication par des
laïques, puis cet office confié
à des femmes. L'Évangile parle bien
de femmes qui servaient le Christ et ses
apôtres, il ne dit pas qu'elles
prêchaient. Au reste, sous ce rapport,
l'imitation complète de la vie apostolique
sur laquelle nous savons trop peu de chose,
présentait de graves inconvénients,
et fut, sans doute, le motif qui fit accuser les
Vaudois d'immoralité. Ce reproche,
reconnaissons-le, leur a été fait par
des adversaires et sur des on-dit
(2). L'histoire
donc peut bien les en disculper. Toutefois
l'organisation de Valdo fournissait un
prétexte à ses accusateurs
(3).
Comme nous avons vu Valdo s'adresser au pape
Alexandre III pour obtenir l'approbation de son
institut, nous devons supposer que
son intention première
n'avait été ni de nier, ni de
renverser la hiérarchie
ecclésiastique. Élu supérieur
par ses frères, Valdo s'était
probablement imaginé qu'il serait simplement
le chef des missionnaires, mais que le pape et les
autres prélats resteraient à la
tête de leurs églises,
transformées par l'exemple, non moins que
par la parole des nouveaux apôtres. Quelle
devait être leur attitude en cas de
conflit ? Peut-être Valdo ne l'avait pas
prévu. En tout cas, les Vaudois ne surent
pas rendre, ou manquèrent du tact et de
l'humilité nécessaire pour se faire
agréer. La conclusion fut leur
excommunication.
Une fois hors de l'Église et
décidés à exécuter
quand même ce qu'ils estimaient leur
vocation, les Pauvres de Lyon devaient se trouver
amenés à constituer chez eux
l'autorité nécessaire, tant à
la direction de leur ordre qu'au gouvernement des
âmes, et, peu à peu, par une
évolution que nous pouvons simplement
soupçonner, car nous n'avons aucun
renseignement à son sujet, le
supérieur de l'ordre devint le chef
ecclésiastique des religieux et des
fidèles. D'après le principe
posé, l'Église primitive fournit le
modèle de la hiérarchie
rêvée. Elle se composa comme aux temps
primitifs d'évêques, de prêtres
et de diacres.
ARTICLE II. - LA HIÉRARCHIE
VAUDOISE.
Les renseignements que nous possédons sur
les Vaudois, sont excessivement difficiles à
concilier.
Souvent confondus avec les Cathares, on leur
a prêté bien des institutions qui
n'étaient pas les leurs. De plus, ils ont
bien pu de leur côté emprunter
diverses formes aux sectaires avec qui
ils se trouvaient en contact.
Enfin, une fois séparés de
l'Église, leur organisation a dû
forcément se modifier, et, soit par l'effet
des persécutions, soit par l'influence de
groupes plus ou moins dissidents, se
présenter, suivant les lieux et suivant les
époques, sous une forme bien
différente, aux yeux des écrivains
qui nous ont transmis des détails sur leur
compte (4).
En bloc cependant, les religieux,
évêques, prêtres ou diacres des
deux sexes étaient les Vaudois proprement
dits (5). Les
fidèles qui les écoutaient ne
semblent pas avoir eu d'abord de nom
spécial. Plus tard, et c'est l'Allemagne
qui, semble-t-il, en fournit le premier exemple, on
donna ce nom de Vaudois non seulement aux
ministres, mais encore à leurs
fidèles laïques. On put parler alors,
non seulement d'un ordre religieux vaudois, mais
d'une église vaudoise. À la
même époque sans doute, on inventa,
pour désigner les religieux ou ministres, le
nom de parfaits, nom qui servait aussi aux
ministres cathares. Les fidèles devinrent
alors les auditeurs ou croyants
(6).
Seuls les, parfaits se voyaient tenus
à la pauvreté et à la
chasteté des religieux ; en
revanche ces obligations
fondamentales des ordres monastiques restaient pour
eux strictes. Aussi la personne mariée qui
désirait entrer dans la communauté le
pouvait sans doute, mais son mariage était
considéré comme rompu, et elle devait
se séparer de son époux. Chez les
Lombards, on exigeait pour cette séparation
le consentement de la partie restée dans le
monde ; les Vaudois français
estimèrent qu'un vote de la
communauté, représentant
l'Église, suffirait pour légitimer
cette séparation
(7).
Il semble bien qu'à la mort de Valdo,
il y eut dans les Vaudois français une
velléité de ne confier aux ministres
leurs diverses fonctions que pour un an
(8). Nous ne
pouvons pas savoir comment se seraient
arrangées les choses, en supposant
l'évêque élu simplement pour un
temps aussi court, d'après la théorie
catholique, encore admise chez eux à cette
époque, du pouvoir d'ordination
conféré à cet
évêque (9).
Les Pauvres Lombards
réclamèrent au contraire avec plus de
logique l'élection à vie, et somme
toute, c'est l'opinion qui paraît aussi
l'avoir emporté en France, après
quelques tâtonnements sans doute
(10).
Donc, en théorie, chaque
communauté devait posséder un
évêque, pour ordonner les ministres,
distribuer l'Eucharistie, accorder l'absolution des
péchés et la rémission de
leurs peines (11).
Aux prêtres la charge des
prédications et des confessions ; aux
diacres le rôle humble d'aider les ministres
de rang supérieur
(12). À
la tête de toute la secte un majoralis
chargé de maintenir l'unité, de
concentrer et d'administrer les ressources communes
(13). Le
pouvoir de ce personnage, de ce pape des Vaudois,
successeur de Valdo, se trouva dès le
début fort limité par les divisions
intestines. Il se peut bien qu'il n'ait
existé qu'en Languedoc. De plus, bien les
communautés n'eurent pas
d'évêque, un prêtre en tint
lieu, et quand la persécution vint, il fut
admis qu'un laïque juste pouvait faire le
rôle du prêtre ou de
l'évêque empêché
(14).
Les membres laïques de l'église
vaudoise, n'appartenant pas à la
confrérie religieuse chargée de
l'apostolat, restaient dans le monde et vaquaient
à leurs affaires, soutenant de leurs
aumônes les missionnaires, ainsi que les
oeuvres pieuses de leur secte. Ils étaient
autorisés, par mesure de prudence, à
suivre extérieurement le culte catholique,
et à recevoir même les sacrements,
comme tous les fidèles
(15), bien
qu'autant que possible ils dussent se confesser aux
ministres vaudois.
À mesure que les persécutions
s'accentuaient, ces derniers, appelés
« parfaits, nous l'avons dit, comme chez
les Cathares, ou « Barbes »
dans le Piémont, se trouvèrent tout
naturellement signalés par leur vie
spéciale à la vigilance de
l'autorité et sur eux tombèrent
spécialement les coups des inquisiteurs.
Aussi ils ne tardèrent pas à
abandonner les marques spéciales prescrites
d'abord par Valdo, leurs sandales, leurs
boucles ; ils s'ingénièrent au
contraire à trouver des déguisements,
qui leur permirent de circuler sans être
arrêtés, afin d'aller visiter les
communautés de croyants ou en fonder
d'autres
(16).
D'abord uniquement adonnés à
la prédication, ils voyageaient deux
à deux, ainsi que les ministres cathares,
sans avoir de demeure permanente
(17). Plus tard
cependant, on trouve des mentions d'hospices,
où vivaient ensemble quatre ou six Vaudois,
hommes ou femmes, sous la direction d'un recteur,
formant ainsi de petits couvents mixtes qui ne
paraissent avoir été qu'en petit
nombre (18).
À partir du XVe
siècle, il n'y a plus de femmes parmi les
ministres actifs, mais elles vivent dans les
hospices qui leur servent de couvents. À ce
moment, les Vaudois avaient été
chassés du Languedoc, et les courses dans
les montagnes eussent été sans doute
trop pénible pour des femmes. Nous avons au
reste peu de renseignements sur
la manière dont se
recrutaient alors les
« Barbes »
(19).
|