LES VAUDOIS
ET L'INQUISITION
CHAPITRE IV
Le Culte Vaudois.
ARTICLE I. - LES SACREMENTS.
De ce que nous avons dit des premières
intentions de Valdo, il est facile de conclure
qu'il n'avait pas eu d'abord l'idée
d'innover quoique ce soit, dans les usages et les
rites de l'Église reçue. D'une
manière générale, ses
disciples reconnurent donc aux prêtres
catholiques le droit et le pouvoir d'administrer
les sacrements, et jusqu'à la fin,
c'est-à-dire jusqu'à leur conversion
au protestantisme, ils engagèrent les
croyants à s'adresser pour la
réception des divers sacrements aux
ministres de l'Église (1).
On constate cependant, dans l'histoire
des Vaudois, bien des contradictions sur ce point
comme sur les autres. Ainsi on a pu dire que
certains d'entre eux rejetaient tous les sacrements
(2). D'autres
niaient l'efficacité du baptême des
enfants (3).
Quelques-uns s'en prenaient aux
cérémonies accessoires du
baptême (4).
En général
cependant, il semble bien que les enfants vaudois
aient été jusqu'au
XVIe siècle
baptisés, suivant le rit, et dans les
temples des catholiques.
En ce qui concerne la confirmation et
l'extrême-onction, nous ne connaissons aucune
trace de leur usage chez les Vaudois,
peut-être leur eût-il été
difficile d'avoir les huiles bénites
nécessaires. On leur reprocha au XIIIe
siècle de rejeter l'efficacité de ces
sacrements (5).
Il est bien probable cependant que, pour
éviter des ennuis, la masse des Vaudois
continua de les recevoir, tout comme les
catholiques. Il en fut sans doute de même du
mariage, quelle que fût leur opinion sur le
peu de valeur des empêchements établis
par l'Église. Certains Vaudois ne les
admettaient pas, puisqu'on en trouve qui
soutenaient la licéité du mariage
entre parents, même fort rapprochés
(6).
Ce qui est plus caractéristique,
c'est la pratique vaudoise au sujet de la
pénitence. Comme chez les catholiques, la
pénitence était un sacrement qui
supposait la confession, l'absolution et
l'accomplissement d'une pénitence
(7), sans parler
du repentir ou contrition, condition intime du
pardon divin. Toutefois, dès que les Vaudois
se séparèrent de l'Église, ils
réclamèrent sur ce point le droit de
remplacer les prêtres romains. Ce fut
là le signe caractéristique du
croyant vaudois. Se confesser à un parfait
le rendit suspect
d'hérésie, et justiciable de
l'Inquisition
(8). À
Pâques, on laissait cependant les croyants se
présenter à leurs pasteurs
catholiques pour éviter des
poursuites ; mais la véritable
confession se faisait aux Vaudois, même
laïques, car les prêtres romains,
étant supposés presque tous
coupables, ne pouvaient accorder aux autres le
pardon qu'ils ne possédaient pas
eux-mêmes (9).
Les pénitences
imposées consistaient surtout en des
jeûnes le vendredi, et en la
récitation de « Notre,
Père », plus ou moins nombreux
(10).
L'absolution était
donnée sous la forme
déprécative
(11).
L'ordination se conférait avec
des cérémonies assez semblables aux
rites catholiques, sauf qu'il n'y avait ni onction
d'huile, ni tradition d'objets matériels,
calice et autres. Une instruction
du président rappelait
d'abord au ministre futur ses principaux devoirs,
puis venaient l'imposition des mains, la
récitation du Notre Père, le baiser
fraternel des autres ministres. Dans le rituel, on
trouvait expressément prescrite la
confession du candidat au Président
(12).
Jusque-là, rien ne
tranchait encore trop sur la doctrine de
l'Église ; mais du principe que le
prêtre doit être juste était
dérivé celui que tout juste est
prêtre, et dès lors, tout homme bon
pouvait entendre les confessions, consacrer
l'Eucharistie, remplir les fonctions sacerdotales.
Les femmes mêmes, si elles étaient
pures, pouvaient y prétendre
(13). Du
même principe, on conclut que le
privilège d'ordonner n'était pas
exclusivement réservé aux
évêques. En leur absence un
prêtre, un diacre, un laïque, purent
ordonner l'élu de la communauté
(14).
ARTICLE Il. - LA PRÉDICATION.
Avec la confession, le ministre vaudois n'avait
pas achevé sa tâche, il lui restait
d'autres devoirs à remplir qu'un vieux
document résume en trois mots : la
prédication, le repas, la prière
(15).
En ce qui concerne la
prédication, depuis Valdo qui en fit la
mission spéciale de son ordre, il semble
bien que les ministres vaudois s'en
soient toujours acquittés
avec zèle, et l'on peut bien croire que leur
application à prêcher fut une cause de
leurs succès. Quand la persécution
vint, les « parfaits » durent
se déguiser, mettre de côté les
fameuses sandales, décoration pour ainsi
dire de leur ordre et aller furtivement visiter les
« croyants ». Ils n'en
continuèrent pas moins de remplir leur
devoir de prédicateurs. Et certainement rien
ne pourrait décrire l'impression que
produisait la parole simple, mais vibrante du
proscrit, tandis que la petite communauté
réunie dans une cave, dans une
écurie, dans une chambre aussi
secrète que possible, devait baisser ou
éteindre la lumière, pour
éviter les regards d'une police
soupçonneuse et de l'inquisition toujours en
éveil.
Nous n'avons conservé aucun
« sermon » des premiers
Vaudois, et néanmoins nous pouvons
soupçonner les points principaux des
instructions données aux croyants. On leur
rappelait les devoirs spéciaux de la secte,
ne pas mentir, ne pas jurer, ne jamais tuer. Ce
dernier précepte s'appuyait-il sur le
commandement du Décalogue si
général dans sa
brièveté : Tu ne tueras
pas ? ou venait-il, par instinct d'imitation,
des Cathares ? nous ne le savons pas, mais ce
fut un des commandements auxquels les Vaudois
tinrent le plus, refusant de reconnaître,
soit aux magistrats, soit aux militaires, et pas
davantage aux inquisiteurs, le droit d'enlever la
vie à une créature humaine
(16).
Malgré la persécution et les
violences, on ne vit jamais les
barbes ni les parfaits vaudois recourir à
l'homicide, sous n'importe quelle forme. Il n'en
fut pas de même des croyants ; car nous
citerons bien des faits de meurtres individuels
commis sur les inquisiteurs, et nous verrons aussi
les Vaudois prendre les armes, pour repousser avec
vaillance leurs agresseurs.
Le mensonge et l'usage du serment se
trouvaient rangés parmi les Vaudois au
nombre des péchés graves. Sur le
premier, les polémistes catholiques ne
pouvaient discuter que sur le plus ou moins de
gravité de la faute en revanche, ils
soutinrent énergiquement la
licéité du serment dans des cas
donnés (17).
Les ministres accordèrent de leur
côté, à leurs disciples,
quelques dérogations aux défenses
absolues de la première heure
(18). Pour ne
pas trahir leurs frères et leurs
maîtres, afin de ne pas se livrer
eux-mêmes aux inquisiteurs, les croyants
apprirent à faire des serments et
cédèrent plus d'une fois au mensonge.
Ils apprirent surtout à faire des
réponses évasives, qui mettaient
leurs juges au désespoir
(19). Quand,
poussés dans leurs derniers retranchements,
ces pauvres gens devaient prêter serment, ils
recouraient à de curieux prétextes
pour s'en dispenser. À Pamiers, par exemple,
un Vaudois, Jean de Vienne, déclare qu'ayant
voulu une fois faire serment, il a
été atteint d'épilepsie. Sa
femme, Huguette, se défend également
jurer, car elle est enceinte, et
elle craint un avortement, si
elle prête le serment demandé
(20).
Pour compléter la
prédication du ministre, ou y
suppléer parfois sans doute, les Vaudois
avaient recours à des lectures.
Déjà Valdo avait fait traduire
quelques ouvrages des Pères, les Morales de
saint Grégoire en particulier
(21), il est
probable qu'il y en eut d'autres. Peu à peu,
il se forma une collection d'écrits pieux,
dont nous conservons encore quelques
spécimens, qui semblent appartenir à
des époques différentes, livres fort
édifiants, destinés à guider
les croyants vers la vertu et à remonter
leur courage
(22).
Mais le livre par excellence
était la Bible traduite en langue vulgaire.
Ces traductions remontant aux premiers temps de
Valdo, ses disciples restèrent
fidèles à son exemple, et, c'est
à l'usage de la Bible, en langue ordinaire,
que les Vaudois se firent tout d'abord
connaître. Ils en eurent des commentaires
qui, suivant l'usage catholique,
développèrent les sens historique,
allégorique, tropologique et anagogique de
la sainte Écriture
(23). Les
futurs ministres, pendant les
années de préparation - nous dirions
aujourd'hui de séminaire, - apprenaient par
coeur tout le Nouveau Testament et de longues
parties de l'Ancien. Ils étaient fiers de
pouvoir citer à l'occasion les paroles de
Matthieu, de Luc, de Pierre, de Paul ou de Jean.
Les croyants eux-mêmes étaient heureux
d'en savoir de longs extraits par coeur, et,
à leur usage, on avait traduit les
épîtres et les évangiles des
dimanches de l'année, qu'à force de
patience et d'attention les moins lettrés
finissaient par avoir dans la mémoire.
À ce travail les enfants s'appliquaient
eux-mêmes avec ardeur, et, avec l'aide de
leurs maîtres ou de leurs parents,
finissaient par connaître tellement la Bible,
qu'ils pouvaient se vanter de la savoir mieux que
les docteurs catholiques
(24).
ARTICLE III. - LA LITURGIE.
Les réunions vaudoises ne comportaient
pas seulement une prédication ou une
lecture, elles étaient accompagnées
de prières. Il nous est resté
quelques formules usitées, par exemple, pour
la bénédiction des repas ou l'action
de grâces, car le ministre vaudois devant
vivre dans la pauvreté, soutenu par ses
frères, acceptait volontiers
l'hospitalité offerte. Le plus ancien des
parfaits présents, après le Kyrie
eleison et le Pater, récitait
sur les mets un
Bénédicité, fort recevable
dans toutes les familles chrétiennes :
Que le Dieu qui dans le désert a béni
pour ses disciples les cinq pains d'orge et les
deux poissons, bénisse les mets qui sont sur
cette table et ceux qui y seront apportés.
Au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. Amen. La fin du repas se terminait
par une formule non moins correcte
(25).
Mais de toutes les prières celle
qui paraît avoir été la
préférée est le
« Notre Père ». À
genoux, inclinés et appuyés sur un
banc ou un autre objet, les Vaudois ouvraient leur
réunion par une oraison silencieuse pendant
laquelle ils pouvaient dire dix, vingt,
jusqu'à cinquante et même cent
« Notre Père », suivant
sans doute le temps dont on disposait, la ferveur
du ministre ou celle des assistants
(26). Tout en
admettant les vérités du symbole, ils
ne récitaient pas le Credo, ni l'Ave Maria,
dont l'apparition fut du reste postérieure
à Valdo
(27).
Du culte, par exemple, du sacrifice de
la messe chez les Vaudois, nous savons que,
jusqu'à la Réforme, la
transsubstantiation catholique fut admise sans
grandes difficultés, par la majorité
des communautés françaises. La
théorie de l'impeccabilité
exigée du sacerdoce porta néanmoins
ses fruits sur ce point comme sur les autres.
D'abord on admit que la conversion des
espèces se faisait par le ministère
du prêtre, non du laïque
(28). Mais
déjà au commencement
du XIIIe siècle, il
fallait une condition spéciale, c'est que le
prêtre romain fût reconnu dans sa
dignité par la communauté vaudoise
(29). Plus
tard, on fit de l'impeccabilité une
condition sine qua non, et des lors, on reconnut
que le laïque juste, homme ou femme, pouvait
consacrer le corps du Christ, tandis que le
prêtre ordonné, coupable, ne le
pouvait plus
(30).
Une coutume tout à fait
particulière aux Vaudois français fut
d'imiter la Cène. Le Jeudi Saint, au soir,
tous les membres de la société des
deux sexes se réunissaient et
préparaient une sorte d'autel, couvert d'un
linge blanc. Cet autel portait une large coupe de
vin pur et un gâteau non fermenté. Le
président faisait une sorte de prière
préparatoire, analogue à celle qui
précède la Secrète de la messe
latine actuelle (31).
Tous les assistants disaient
alors, à genoux, sept fois « Notre
Père » et quand le
président avait béni le pain et le
vin, il distribuait à chacun une parcelle du
pain, puis faisait boire à tous une goutte
du vin consacré, car, disaient-ils, le pain
est devenu le corps, et le vin, le sang du
Seigneur. Ce qui restait des espèces
était achevé le jour de Pâques
(32). Il semble
que cette cérémonie se passait
surtout entre Vaudois parfaits, mais si quelque
ami, c'est-à-dire quelque
frère y assistait, on lui remettait aussi,
sur sa demande, une parcelle du pain
consacré.
Que ce rit ait suivi, suivant les temps
et les des variations que décrivent d'autres
documents (33),
ce n'est pas fait pour nous
étonner, car, si les écrivains
catholiques ne se sont pas trompés, il est
évident que l'unité des
communautés vaudoises n'a jamais
été bien parfaite. Sur une autre
coutume, celle du pain bénit, liée
peut-être à la Cène du Jeudi
Saint, en sorte que ce pain bénit
distribué à domicile aux croyants les
faisait pour ainsi dire, participer à la
cérémonie dont ils n'avaient pu
être témoins, nous avons trop peu de
détails pour faire autre chose que la
signaler (34)
d'autant plus que certains
auteurs tendent à y voir un usage cathare
(35).
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