LES VAUDOIS
ET L'INQUISITION
CHAPITRE VII
L'Inquisition du Languedoc.
ARTICLE 1. - LES VAUDOIS POURSUIVIS AVEC
LES CATHARES.
Avec l'institution définitive de
l'Inquisition confiée à des juges
spéciaux, le plus souvent en France,
dominicains ou franciscains, s'ouvrit pour les
Vaudois, comme pour les Cathares, une ère de
persécution régulièrement
conduite jusqu'à la disparition de la secte.
Le Languedoc en particulier vit tout naturellement
les Pauvres de Lyon partager le sort des
manichéens sous le régime
inquisitorial, comme leurs destinées avaient
été souvent communes pendant la
guerre.
Dans un cas comme dans l'autre, par suite,
de la dénomination vague
d'hérétique donnée en
particulier aux Cathares, mais en
général aussi à tous les
dissidents, il ne nous est pas toujours facile de
distinguer qui, parmi les condamnés,
suivaient les doctrines de Valdo, qui s'attachaient
aux traces anciennes de Manès
(1). Pourtant,
dans certains cas, la
dénomination de Vaudois ou Pauvres de Lyon
est bien précise. Parcourons donc rapidement
ce qui dans les annales inquisitoriales peut nous
intéresser.
Quand l'évêque Durand d'Albi
(1228-1254) organisa dans son diocèse une
confrérie contre les
hérétiques, il lui donna pour but de
combattre les hérétiques, les Vaudois
et toute les autres erreurs (1243)
(2). On ne
saurait donc douter qu'un certain nombre de
léonistes furent dès cette
époque punis par cet évêque si
actif.
Ses successeurs, Bernard de Combret
(1254-1271), surtout Bernard de Castanet
(1275-1308), dont toute la vie fut pleine de
démêlés ou de batailles contre
les dissidents, eurent, sans doute, maille à
partir avec les Vaudois. En voyant ailleurs les
inquisiteurs de Carcassonne interroger leurs
témoins sur l'hérésie et la
vaudoiserie (1250) (3),
nous sommes bien convaincus que
les suspects de l'un comme de l'autre devaient
comparaître devant le tribunal, si les juges
parvenaient à les découvrir. C'est
ainsi que l'archevêque de Narbonne condamna
deux femmes vaudoises à la prison (1251)
(4). De
même les inquisiteurs de Toulouse de 1271
à 1274 semblent avoir puni
pas mal de Vaudois avec les
manichéens parus à leur barre
(5).
Il nous faut malgré ces traces de
poursuites attendre le XIVe siècle pour
trouver dans les monuments publics la mention
nominale de Vaudois frappés par
l'Inquisition.
Au sermon public ou autodafé
(6) tenu à
Toulouse en 1315 les inquisiteurs Bernard Gui et
Geoffroy d'Albi condamnent à la prison un
vaudois, bourguignon d'origine. Ils en livrent un
autre, impénitent, Jean Brayssa, au bras
séculier. Quatre ans plus tard, le
« sermon »
célébré encore à
Toulouse comprenait cinq Vaudois
pénitenciés, quatorze
condamnés aux croix, vingt-huit à la
prison, un autre frappé d'une condamnation
posthume. Tous ces condamnés étaient
de simples croyants
(7). En
même temps, les inquisiteurs livrèrent
au bras séculier un prêtre
nommé Jean Philibert et deux laïques,
tous les trois relaps (8)
Aucun d'eux n'est indiqué
comme ministre ou parfait. Mais le prêtre
surtout se trouvait en relations tellement intimes
avec les Vaudois, que bien probablement il
était membre de la communauté des
ministres.
ARTICLE II. - LES AUTODAFÉS DE
VAUDOIS.
Les Vaudois jusqu'alors condamnés
étaient d'origine bourguignonne. S'ils
avaient fui de leur pays pour éviter les
poursuites ecclésiastiques, ils purent se
convaincre qu'il n'était pas facile
d'échapper au bras puissant de
l'Inquisition.
À Pamiers, l'évêque
Jacques Fournier, assisté des inquisiteurs,
en livra deux au bras séculier, Jean de
Vienne et Huguette sa femme, qui avaient
déjà eu des
démêlés avec l'inquisition de
Carcassonne (1321)
(9). Nous
rencontrons ensuite trois Vaudois, originaires du
diocèse de Rodez, condamnés à
des pèlerinages, lors de l'autodafé
de Toulouse de 1322, cinq soumis aux croix, deux
à la prison, cinq défunts atteints
par des sentences posthumes ; taudis que
quinze contumaces et fugitifs sont frappés
d'excommunication et menacés des peines des
contumaces. Une femme vaudoise est, le même
jour, livrée au bras séculier
(10).
Cette pauvre créature, que les actes
nomment Ermenio, était originaire de
Bourgogne, avec un certain nombre des autres
condamnés ; nouvelle preuve que les
Vaudois avaient eu des églises
prospères en Bourgogne, mais qu'ils y
étaient traqués sans pitié et
obligés de s'enfuir. Elle refusa constamment
de prêter serment, et son obstination la
conduisit au bûcher. Son supplice termina la
longue cérémonie, dont les Vaudois
avaient eu les honneurs
principaux, sinon tous : À peu
près vers la même époque,
quatre Vaudois, pauvres artisans originaires de
Vienne, chassés sans doute de leur pays par
la crainte d'être saisis, vinrent tomber
entre les mains redoutables de
l'évêque Fournier, et furent
livrés au bras séculier
(11).
Parmi les condamnés de l'inquisiteur
de Carcassonne, Henri de Chimay (1318-1329), avec
des cathares, des spirituels et autres sectaires,
se trouvent encore des Vaudois
(12). Ils
deviennent cependant de plus en plus rares. Tout au
plus pouvons-nous mentionner au XVe siècle,
à Montpellier, une certaine Marguerite
Sauve, vaudoise ou professant à peu
près les doctrines vaudoises, ne le
dominicain Raymond Cabassa, vicaire de
l'inquisiteur, condamna, et que le bailli lit
brûler (1407) (13).
Dans tous les condamnés, dont nous
avons encore les noms, on ne trouve aucun ministre,
bien que les dépositions en signalent
plusieurs. Est-ce que leurs sentences ne nous ont
as été conservées, ou bien,
grâce au dévouement de leurs
fidèles, ont-ils pu constamment
déjouer les efforts des inquisiteurs pour
les prendre ? La question reste
indécise, faute de documents pour la
trancher. Il semblerait cependant bien
étonnant que la police, établie pour
la surveillance générale des
dissidents, n'ait jamais pu réussir à
mettre la main sur un des missionnaires vaudois, et
dans ce cas, ou il se sera converti, ou le
bûcher l'aura dévoré ; car
l'Inquisition recherchait avec
énormément de soin les ministres des
sectes, sachant bien que leur
conversion avait une influence énorme, ou
que leur mort répandrait la terreur dans
leurs troupeaux.
Quoi qu'il en soit, avec le
manichéisme, la vaudoisie disparaît du
Languedoc dans le cours du XIVe siècle, par
la fuite de ses partisans et de ses ministres, par
la conversion de certains et aussi la fusion de
quelques-uns dans l'hérésie des
béguins ou fratricelles, alors dans toute sa
force. Plus d'un point commun réunissait, au
reste, les enfants de Valdo aux fils de saint
François devenus rebelles
(14).
En dehors du Languedoc, l'Inquisition les
avait mis à l'épreuve. Contre eux, le
Saint-Office avait été
institué en Bourgogne, et bien que ses
tribunaux ne subsistèrent pas longtemps la
présence de Vaudois bourguignons,
constatée Jans le Midi, témoigne que
les poursuites n'avaient pas été
inefficaces. S'il en tomba entre les mains du
dominicain Robert la Bougre, l'exterminateur des
cathares du Nord, nous n'avons pas besoin de nous
enquérir longuement de leur sort
(15). Sur la
rive gauche du Rhône, les Vaudois
n'étaient guère plus tranquilles.
Nous en avons vu à Pamiers, fugitifs de
Vienne. Nous savons d'ailleurs qu'Avignon assista
au supplice d'un de ces infortunés, mourant
sur le bûcher en 1315
(16), et
qu'à la même époque, les
inquisiteurs parcouraient déjà les
vallées du Dauphiné, à la
quête des hérétiques ;
c'est cependant dans ces vallées que les
Vaudois se maintinrent malgré tout, et c'est
de leur côté qu'il
faut maintenant nous diriger, pour étudier
leur ténacité et leurs souffrances
(17).
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