À L'ÉGLISE DE NOTRE SEIGNEUR

ET Á TOUS SES VRAIS ENFANTS

ENTRE LES PEUPLES ET NATIONS

SALUT PAR JESUS CHRIST

SI j'avais à faire à quelque Roi ou Prince terrien, j'y ferai une préface qui recommanderait ce que je lui présenterai, mais envers vous, ô bienheureuse Épouse du Seigneur, qui avez nourri ceux qui vous sont offerts en ce Recueil, il n'est pas besoin d'autre recommandation, sinon qu'en vous nommant la Mère, vous les recevez comme les vôtres auquel Jésus-Christ, votre chef & époux a bien daigné communiquer le premier degré de son ordre.

Ils sont du nombre de ceux-là qui depuis longtemps ont entretenu l'une des principales marques par lesquelles vous êtes reconnue vraie Mère (la mère des fidèles), & dont aussi vous êtes discernée d'avec cette fausse Marâtre, qui n'a cessé, dès votre jeunesse, de vous faire guerre mortelle, voulant usurper votre place & dignité. Et d'autant qu'elle, que ses bâtards, jamais n'ont peu rien gagner sur vous, ils tâchent, comme auparavant, de vous arracher ceux qui vous appartiennent, ceux, dis-je, que vous avez engendrez, desquels elle en veut voir sa part coupée en pièces (comme jadis une malheureuse devant le trône de Salomon  (1 Rois 3 : 26) se montrant telle qu'elle est, homicide altérée du sang qui ne lui appartient nullement. Elle pense tellement les avoir étouffés, que la mémoire en soit à jamais éteinte, & que du tout on ne s'en aperçoive aucunement ; mais ils avaient tout au rebours de ses desseins, car en voici quelque bonne partie, spécialement de ces derniers temps, remise en meilleure condition, que quand ils étaient au cours de cette vie humaine. Or comme des longtemps j'en ai donné avertissements, ce ne sont point des os, ni des cheveux, ni membres de leurs corps, ni quelques haillons ou pièces de leurs habillements, ni fables de Légendes dorées, pour les recommander & en faire des reliquaires à l'usage de votre partie adverse & de sa Synagogue maudite ; mais ce sont eux-mêmes parlants en leurs écrits, consolants & enseignants ceux qui restent encore en cette course (L'utilité de ces Recueils).

Vous y verrez des triomphes qui surpassent tous les plus magnifiques que le monde a su décerner à ceux qui rapportaient pleine victoire des ennemis. Il n'est pas question de couronnes de laurier, ne de chariots & arcs, mais d'une façon nouvelle de vaincre étant condamné, & triompher contre tous Placars, Décrets & Ordonnances d'Empereurs & Rois, & mener captifs les exécuteurs d'icelle liés de chaînes horribles. Je vous présente, en somme, la matière d'une belle histoire Ecclésiastique qui montre la même façon de laquelle Dieu a de tout temps conduit & gouverné les vôtres. Sa puissance, sa protection & la fidélité de ses promesses y sont entièrement exprimées & pratiquées. Voyons-les donc (surtout ceux de ce dernier temps) dans leurs Confessions, Réponses & Disputes (débats contradictoires), tenues non seulement contre Moines, Prêtres & Docteurs, suppôts de l'Antéchrist Romain ; mais contre les plus pernicieux hérétiques de ce temps, Seruetistes, Anabaptistes, Épicuriens, Jésuites & tant d'Apostats de la vérité.

Voyons-les aussi dans leur confiance & persévérance, afin que nous en soyons édifiés. Car si jamais il a été raison de proposer ces exemples, si jamais les fidèles ont eu besoin d'être confirmés au milieu d'un déluge de maux, qui est-ce qui ne voit pas que le temps d'aujourd'hui le requiert encore ? Car y eut-il jamais miroir proposé au monde pour représenter plus au vif les furies infernales déchaînées, pour remplir toute la terre de troubles & de confusions ?

Y eut-il jamais orgueil plus furieusement ennemi contre Dieu, que nous l'expérimentons & voyons à présent ?

Y eut-il jamais ignorance plus impudente ? Les consciences des hommes ont-elles jamais été plus contraires & répugnantes à ce dont elles sont néanmoins convaincues ?

Y eut-il jamais des hérésies inventées plus monstrueuses ? vit-on jamais des sectes plus pernicieuses ? la vraie doctrine fut-elle jamais foulée aux pieds avec plus grande arrogance ? le nom de Dieu fut-il jamais blasphémé plus hardiment qu'il l'est aujourd'hui ? les Apostats, qui de malice délibérée font la guerre à la vérité qu'ils ont connue, ont-ils jamais levé les cornes d'une façon plus audacieuse ?

Y a-t-il jamais eu telle confusion que celle que nous voyons maintenant ? Que peut-on penser ni espérer, considérant l'avenir ? Voici cependant la bonté de notre Dieu, qui en ce grand désordre nous environne plus que jamais de sa lumière, & par sa miséricorde non seulement nous entretient en la forteresse de sa vérité, mais aussi maintient d'une puissance du tout extraordinaire le précieux édifice de sa maison, par la prédication de sa pure parole. Puis donc qu'on voit telle munificence de sa bonté en ce temps, il est requis que tous mettent la main à rebâtir les ruines & redresser les murailles de cette maison. La remontrance qui a été faite autrefois par le Prophète Aggée au peuple des Juifs est digne maintenant, comme en cas semblable, être mise au devant :

Avez-vous dit-il, le temps pour habiter en vos maisons lambrissées, & la maison du Seigneur sera déserte ? montez en la montagne, apportez du bois, & bâtissez le temple, & j'y prendrai mon plaisir, & serai glorifié, dit l'Éternel. (Aggée 1 : 4 & 8)

C'est à vous, enfants de l'Église du Seigneur, à qui s'adresse cette admonition, puisque Dieu vous fait la même grâce, qu'après tant de révolutions & de calamités, il parfait devant vous l'oeuvre de votre réparation. Il est vrai qu'on continuera de donner beaucoup d'empêchements à cette besogne, les voisins la troubleront, & détourneront les ouvriers d'une œuvre si sainte, Satan fera plus que jamais ses efforts pour renverser tout, & n'aura pas faute d'instruments qui feront tout leur possible d'abolir toute lumière & introduire les ténèbres d'erreur, d’athéisme & d'injustice sur la terre.

Mais regardons les moyens que Dieu a tenus pour commencer ce bâtiment, & la faveur qu'il a donnée à ceux qui en ont jeté comme les fondements en ce temps : vous connaîtrez que tout a été poursuivi heureusement contre toute espérance humaine, & que, pour voir l'Antéchrist & les siens confus, il ne faut que suivre ce tant aisé chemin de la vérité de Dieu, à l'exemple des vrais fidèles qui nous ont précédez. Il faut se cacher sans feintise (déguisements) sous les ailes du Tout-puissant, & lorsque tous moyens humains défaillent, espérer tant plus qu'il se montrera protecteur & libérateur des siens. Sans rechercher les exemples de plus loin, voyez comment le Seigneur a besogné & continue de besogner à l'endroit d'une ville de Genève ; combien de dangers l'ont environnée, combien d'ennemis & dehors & dedans l'ont assaillie, & comment le Seigneur l'a non seulement garantie, mais aussi lui a fait cette grâce, qu'au temps les plus pervers & divers, il l'a constituée nourrice & tutrice de ses pauvres fidèles, chassez de toutes parts hors de leurs pays, ayant dédié celle ville à son Nom & pour un domicile des siens. Tandis qu'elle n'aura pas honte de l'Évangile, & si elle se renforce dans sa première résolution d'adhérer au fils de Dieu, encore que ses ennemis fussent multipliés au centuple, Dieu fera merveilles pour elle, comme il a fait déjà tant de fois ; demeurant sa promesse très assurée. Qu'il honore ceux qui lui font honneur.

Je dis ceci, parce que d'elle, comme d'une École de piété, un grand nombre de Martyrs, contenus en ces Recueils, en sont sortis ; desquels, ainsi que vous, ô Église, en êtes ornée, aussi le bien & la joie en parviendront à toutes nations. Car saurait-on avoir en ces derniers temps, pleins de calamités, chose de plus grande consolation ?

Y a-t-il présent qu'on puisse offrir plus nécessaire que tels exemples, de la confiance de tant de fidèles témoins de l'Évangile qui nous montrent le chemin ?

Frustrerions-nous la postérité d'un fruit si grand par notre nonchalance ?

L'ancienneté nous enseigne autrement, laquelle a bien considéré comment ceux qui venaient après, étaient enrichis des bénéfices & des exemples de ceux qui avaient précédé au combat, & ce, par la bonté de Dieu qui fait valoir le sang des siens à cette fin, comme plus amplement le même sera déduit (raconté en détail) au premier livre, & par la Préface ajoutée ci-après, en laquelle nous rendons raison de toute cette présente Histoire.

Les Martyrs anciens, dira-t-on, étaient excellents en plusieurs sortes. Cela est vrai ; mais si ceux qui ont été jadis des spectateurs regardaient aujourd'hui les tourments & les afflictions de ces derniers temps, ils verraient choses merveilleuses & nouvelles. Le nombre des anciens était grand ; le nombre des nôtres qu'est-il ?

Ceux-là ont apporté grand fruit & avancement à l'Évangile ; la constance des nôtres se fait si bien sentir aujourd'hui, qu'elle donne assez à connaître que la fureur des tyrans n'avance pas beaucoup dans ce qu'ils désirent ; mais, au contraire, fait croître le nombre de ceux qu'ils veulent exterminer.

O s'ils pouvaient entendre que Dieu épargne le monde pour l'amour des siens ! ils les auraient en toute autre estime.

Ils connaîtraient qu'aussi longtemps que Noé, héraut de justice, a été (Gen. 7 ; Gen. 19) sur la terre, le Seigneur a prolongé (fait attendre) le temps de sa vengeance extrême, & qu'aussitôt qu'il eut mis les pieds dedans l'arche, le déjuge horrible fut envoyé soudain pour couvrir & détruire tous les méchants.

Ils apprendraient aux dépens de Sodome, qu'incontinent que l'Ange prît Lot le juste par la main, & une fois emmené dehors, le soufre & le feu du ciel consuma de fond en comble les habitants avec tout le pays & villes circonvoisines ! contrairement, à la ville de Segor (Tsoar) en laquelle il demanda d'habiter ; elle fut épargnée à cause de lui.

Ils entendraient que l'Egypte a été bénie de fertilité & d'abondance à cause de Joseph, & qu'après la sortie du peuple de Dieu hors de ce Royaume-là, Pharaon & ses gens ont été abîmés au profond de la mer.

Et celui qui voudra, en ces derniers temps, observer & remarquer les mêmes miroirs, cette Histoire pourra lui fournir des entiers (plein d') arguments. Or notre devoir sera de remercier le Seigneur, & de l'invoquer d'affection ardente, lui recommandant la cause & sa querelle, afin que de plus en plus la céleste doctrine de son Évangile soit manifesté au milieu des horribles confusions de ce dernier âge du monde.

AD ECCLESIA CHRISTI CARNIFICES

On dit que le Phoenix vie en mort va reprendre :

Si qu'un même bûcher est sa vie & sa mort.

Bourreaux, brûlez les Saints : vain sera votre effort,

Ceux-là que vous brûlez renaissent de leurs cendres

SUR LA CONSTANCE DES FIDÈLES MARTYRS

NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST

DESQUELS EST FAITE MENTION EN CE LIVRE.

En ce grand feu la grande patience,

Qui en mourant fait le soldat vainqueur,

Émeut en moi l'oeil, l'oreille & le coeur,

Quand je l'oi, (quand je l'entends) quand je l'oi, quand j'y pense.

Je voi souffrir avec joie & confiance,

Voi chanter haut en extrême douleur.

Je pense alors que de Dieu la grandeur

Luit en l'obscur de l'humaine impuissance.

Si l'on veut donc d'un vrai profit jouïr,

Ce n'est assez, & de voir & d'ouïr ;

Car au penser est l'utilité toute.

Et qui je viens en ce lieu adresser,

Pour voir, ouïr, & non pour y penser.

Voyant, oyant, il ne voit, & n'oid goutte.

AUX FIDÈLES MARTYRS DE JESUS CHRIST

Le zèle ardent que je voy en ce lieu

Emmi les feux, tout étonné j'admire ;

Car il éclaire aux bons pour les conduire,

Et les enflamme au service de Dieu.

Et les voyant des tourments au milieu,

Victorieux par dessus leur martyre,

Je voy au feu un autre feu reluire,

Je voy un feu brûler un autre feu.

Car si l'ardeur, si la céleste flamme

Des saints Martyrs & éclaire & enflamme,

N'est-elle pas un feu clair & brûlant ?

Et si, s'armant d'une vertu suprême,

Elle a vaincu la flamme l'assaillant,

N'est-ce pas feu, plus feu que le feu même ?