PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION DU MARTYROLOGE (1554)

JEAN CRESPIN A TOUS FIDÈLES QUI DÉSIRENT L'AVANCEMENT DU RÈGNE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST.

ENTRE les marques de la vraie Église de Dieu, celle-ci a été l'une des principales, à savoir, qu'elle a de tous temps, soutenu les assauts des persécutions. Car puisque Dieu habite au milieu d'icelle (d'elle), & que sa vérité a été toujours maintenue par son ministère, il ne se peut faire autrement que Satan, père de mensonge & meurtrier dès le commencement, ne fasse tous ses efforts pour opprimer cette vérité, afin d'obtenir les deux royaumes, & le spirituel, & le corporel : le spirituel par mensonges & fausses doctrines, le corporel par cruautés & oppressions tyranniques.

Et tant plus que la bonté de Dieu s'est manifestée en donnant une plus grande lumière & une ouverture à sa vérité, tant plus aussi a-t-il amassé des gens de tous côtés pour plus facilement faire ses entreprises & exercer ses cruautés.

En quoi il est ... nécessaire que les fidèles, pour remède à leurs faiblesses, réduisent (se remettent) en mémoire & se proposent devant les yeux les exemples de ceux qui ont maintenu la vérité de la doctrine du Fils de Dieu, & qui ont constamment enduré la mort pour la confession d'icelle (d'elle). Car cela est une bonne marque pour nous adresser & faire marcher de tant meilleur (avec plus de) courage, sous l'enseigne de notre chef & capitaine, au temps (par rapport à l') adversité & la confusion qui nous environnent.

Levons donc les yeux en haut, & contemplons la main forte du Dieu vivant, qui a d'une façon si admirable assisté en tous siècles & de tous temps ses fidèles Martyrs, & a tellement ouvert leurs bouches, & leur a donné une telle force & confiance, que quand il a semblé qu'ils étaient vaincus, c'est lors qu'ils ont obtenu la victoire glorieuse.

Or si jamais il a été temps de proposer leurs exemples, si jamais les fidèles ont eu besoin d'être confirmés (affermis) au milieu de tant afflictions, on peut bien penser comme ce temps plein de calamités requiert aujourd'hui cela. Car y eut-il jamais miroir proposé au monde pour représenter plus au vif les furies infernales déchaînées qui remplissent toute la terre de troubles ?

Y eut-il jamais orgueil plus furieusement envenimé contre Dieu ?

Y eut-il jamais ignorance plus impudente ?

Les consciences des hommes ont-elles jamais été plus contraires à ce dont elles sont néanmoins convaincues ?

Y eut-il jamais des hérésies plus monstrueuses excogitées (imaginées) ?

Veut-on jamais des sectes plus pernicieuses ? la vérité fut-elle jamais foulée aux pieds de plus grand arrogance ?

Le nom de Dieu fut-il jamais blasphémé plus hardiment qu'il est aujourd'hui ?

Les Athéïstes, Libertins, Épicuriens & contempteurs de la parole de Dieu ont-ils jamais dressé les cornes d'une façon plus audacieuse ?

Et pour dire en un mot, le diable s'est-il jamais mieux montré diable qu'aujourd'hui ?

Y a-t-il eu plus grande confusion au monde que celle qui est maintenant ?

Voici cependant la bonté de Dieu qui survient. En dans ce grand désordre où il nous a mis, il nous entretient encore par sa bonté au fort de sa vérité, & nous donne une armée de fidèles champions, il nous environne comme d'une nuée de ses témoins qui nous sont vrais miroirs de confiance & de patience. Que si nous regardons ce qui a été fait, & ce qui se fait journellement devant nos yeux, il y a assez pour nous faire courir par patience à la bataille qui nous est proposée.

Mais le mal est en ceci : il y avait assez de matière pour exercer les esprits de ceux qui avaient reçu la grâce de rédiger par forme d'histoire ce qui est advenu (arrivé) depuis quelques ans ou siècles en l'Église de Dieu ; néanmoins, comme si cela n'eût de rien appartenu à la gloire de Dieu & à la fortification de ses pauvres fidèles, on a laissé quasi ensevelir la mémoire de tant de morts précieuses qui devaient être à l'Église de Dieu un enseignement de sa bonté & vertu admirable.

Qui (Cela) a été une nonchalance par trop grande, ou plutôt une ingratitude par trop vilaine. Les profanes sont diligents à rédiger par écrit les faits & gestes de leurs gens, n'ayant en cela d'autre but que de perpétuer leur mémoire, sans avoir égard à la gloire & à l'honneur de Dieu ; & les Chrétiens, cependant, seront (sont) endormis quand Dieu leur met la plume en la main pour mettre par écrit ses faits & ses oeuvres admirables, lesquelles il manifeste par ses Martyrs, afin que sa gloire reluise par tout, & que tous fidèles aient d'autant plus ample matière de se réjouir & de se confier dans sa vertu & sa bonté ?

Cela n'est nullement excusable. Il n'y a aujourd'hui ni région, ni pays, non pas même les Turcs & autres peuples barbares, où Dieu n'ait suscité quelque nombre de Martyrs pour rendre à toutes les nations témoignage à sa vérité. Voire en telle sorte, qu'à grand-peine trouvera-t-on un siècle depuis la primitive Église, auquel Dieu ait plus excellemment fait reluire (briller) sa vertu dans l'infirmité des hommes.
De telle forte, dis-je, que les réprouvés mêmes & les ennemis jurés de la vérité, sont contraints de se fermer la bouche, étant... étonnés des merveilles de Dieu. Ils en sont au bout de leur rôle, & ne savent plus que dire.

Le diable de l'esprit duquel (par lequel) ils sont furieusement poussés a déployer toutes ses ruses & finesses ; que quand (lorsqu') il voudrait maintenant pis faire (faire pire) qu'il n'a fait, ce ne serait rien de nouveau.

Après ces ruses (je laisse la cruauté de faire couper les langues) on pourrait-il encore inventer & forger d'autres plus subtiles, à savoir quand il a trouvé en ces derniers temps de faire brûler les procès de ceux qui ont été exposés à la mort cruelle pour le nom du Seigneur, afin que, d'un côté, la bonne cause des innocents par une suppression cruelle fût éteinte & opprimée &, d'autre part, que l'iniquité plus que barbare des juges, ne fût connue ?

Outre plus (De plus), quand le diable a tellement endormi les esprits & éblouit les yeux des hommes, que sans discerner, ils ont jugé hérétiques ceux qui ont parlé avec vérité, aussi bien que ceux qui par des fausses doctrines ont corrompu la vérité.
Et c'est à fin que cette vérité fût rendue plus odieuse : comme ainsi sont les Anabaptistes, Libertins, Athéïstes, Épicuriens, Servétistes (1), moqueurs & contempteurs (ceux qui méprisent) de toute religion, gens sans conscience, fussent, sans chois (discernement) & sans jugement, enveloppés en un même rôle, & il a fallu que les pauvres Chrétiens, lesquels communément on a nommés Luthériens en ce temps-ci, aient porté toutes ces ordures & infections sur leurs épaules, & que toute l'ignominie & l'opprobre soit tombé sur eux.

Mais, louange & gloire soit donnée à notre Dieu, le temps... de considération est venu, & le temps de visitation est à présent, où comme Daniel a prédit, la fureur & ire (la colère) est finie, & le Seigneur, père de miséricorde & de bonté, le Dieu de toute consolation a commencé à envoyer ses vrais messagers pour cueillir de son royaume les scandales. Il a pour la plupart déconfit les adversaires de son Fils par le souffle de sa bouche.

Les choses sont maintenant manifestées, grâces à Dieu, & la lumière, survenue brille à présent au plus haut du jour, elle montre & découvre ouvertement le tout, & fait que l'on peut aisément discerner les vrais Martyrs du Seigneur Jésus & les enragés suppôts de Satan.

Voilà pourquoi je prie de bon coeur & exhorte tous ceux qui favorisent, & veulent bien servir à l'Évangile, où qu'ils soient. Que d'un même consentement, d'une même bouche & d'un même coeur ils louent avec nous & rendent grâces au Dieu éternel & tout-puissant ; ... qu'ils aident à maintenir cette tant bonne & juste cause de son Fils Jésus Christ, & de son Église, contre ce basilic & Antéchrist Romain, contre sa synagogue maudite & pleine de blasphèmes, mère de toutes les abominations qui sont sur la terre ; & qu'ils lui paient au double selon ses oeuvres, comme il est dit en l'Apocalypse.

Que tous les fidèles, dis-je, soient admonestés (encouragés), ... & aussi obtestés (pris à témoins) & adjurés (promettent) au nom de ce grand chef & capitaine des Martyrs notre Seigneur Jésus Christ, de ne plus mettre en nonchalance (en infférence) les grandes grâces que Dieu fait journellement à son Eglise ; de ne plus mettre en oubli les morts heureuses & précieuses de ses enfants, mais de réduire fidèlement en mémoire tout ce qu'ils en pourront avoir entendu, & qu'il s'en pourra recueillir, non point de leurs os, ou de leurs cendres, à la façon de ce basilic forgeur d'idoles & de monstres nouveaux ; mais leur constance (fermeté), leurs dits & leurs écrits, leurs réponses, la confession de leur foi, leurs paroles & leurs adorations dernières ; pour rapporter le tout au giron (sein) de l'Eglise, afin que le fruit en revienne à la postérité.

Or pour conclure, ce présent labeur tout ainsi qu'il a été recueilli le plus fidèlement & simplement qu'il a été possible, j'espère qu'il vous servira grandement, selon qu'un chacun de vous aura besoin ou de consolation ou de confirmation.

Car vous avez ici de merveilleux miroirs & de toutes sortes d'exemples, de tous états, sexes, âges & nations.

Vous verrez comme les enfants de Dieu sont traités, comme ils sont diversement interrogés, de quelles finesses usent les ennemis pour les surprendre ; vous découvrirez toutes espèces de tourments : les uns soudain exécutés, les autres tourmentés par longuesse de prison (de longs séjours en...).

Bref, il y a de toute sorte de manière pour se fortifier. Vous, anciens & jeunes, nobles & abieds (méprisés), il y a en ici qui vous précèdent. Vous maris ne faites pas de difficultés de laisser derrière vous & femmes & enfants ; car il y a un échange de meilleure condition qui vous est préparée.

Vous, femmes, que l'infirmité de votre sexe ne vous face reculer; il y a des femmes vertueuses qui par leur exemple vous ouvrent le chemin. Allons donc tous, & montons à la montagne, regardant au triomphe magnifique que Dieu a préparé à tous vaillants combattants.