Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



HISTOIRE DES MARTYRS PERSÉCUTÉS ET MIS Á MORT

pour la vérité de l'Évangile






LIVRE PREMIER(1)


Comprenant les choses plus remarquables dans l'Église du Fils de Dieu, depuis la persécution menée contre les Chrétiens sous l'Empire de Néron trente et un ans après l'ascension de Jésus-Christ au ciel, jusques au temps de Jean Wiclef.

Quoique ce soit une parole certaine & entièrement digne d'être reçue, que les Chrétiens sont régénérés, non corruptible, non point par une semence corruptible, mais incorruptible, à savoir par la parole incorruptible de Dieu, vivante & demeurante à toujours: & qu'à cette vérité céleste écrite dans les livres des Prophètes & des Apôtres, résonnante par le ministère de l'Église, & accompagnée du Saint-Esprit, il faille attribuer le changement du cœur, à cause de la puissance de Dieu en salut à tout croyant: cela ne nous empêche point toutefois de recevoir & tenir pour véritable cette belle sentence, vérifiée par tant de témoignages depuis plusieurs centaines d'années: Que le sang des Martyrs est la semence de l'Église (2)

Car les fidèles qui ont cru et connu ce témoignage sacré être très véritable, se sont souvenus que la vérité de Dieu n'a point été révélée à l'Église pour demeurer simplement dans des livres, qui sont des prêcheurs muets, mais aussi pour être dans la bouche des élus de Dieu, afin de maintenir par eux, dans leur vocation, la gloire de leur Seigneur & Père, & le témoignage de leur salut.

«Voici mon alliance avec mon Église, dit le Seigneur. Mon esprit qui est en toi &, mes paroles que j'ai mises en ta bouche ne bougeront point de ta bouche, ni de la bouche de ta postérité, ni de la bouche de la postérité de ta postérité, dit l'Éternel, dès maintenant, dorénavant, & à jamais.» Esaïe 59: 21

Pourtant toutes les fois qu'il a plu au Père de la sainte famille d'ouvrir la bouche à quelques-uns de ses serviteurs & enfants, pour les faire parler aux hommes de ce monde, & éclairer de sa lumière ceux qui croupissaient dans les ténèbres, s'il est advenu que les aveugles au lieu d'accepter le bien qui leur était présenté ont tâché de l'éteindre, si les sourds rejetant le message du salut qu'on leur apportait ont bouché leurs oreilles, & si les incrédules & profanes, non contents de dédaigner la voix du Fils unique de la maison de Dieu & de tant de ses fidèles serviteurs, les ont mis à mort, il ne faut pourtant estimer que les fidèles ont perdu leurs peines, & que la vérité de Dieu, laquelle est incorruptible, se soit évanouie quand & le son de leur voix: au contraire, si j'ose ainsi parler, le Seigneur l'a comme cachée dedans la terre avec le sang de ses témoins afin de faire germer de là une maison spirituelle, c'est à dire nouveaux peuples quittant les impostures de Satan pour se ranger à Jésus-Christ.

Par conséquent, le sang des Martyrs, (la mort desquels est précieuse devant le Seigneur,) criant de la terre au ciel, & exaucé par le mérite de l'Agneau sans tâche, occis pour la réconciliation de l'Église à son Dieu, a attiré d'une part de nouvelles saveurs du Seigneur en terre, pour manifester sa miséricorde en appelant à sa connaissance un nombre infini de personnes: comme aussi il a fait tomber de terribles traits de la vengeance du Tout-puissant sur les hommes mortels qui se sont égayés à répandre le sang.

Et la confiance de cette belle armée de témoins, par la faiblesse desquels Dieu a combattu, renversé & éteint l'orgueil & l'effort de Satan, de l'Antéchrist, et de leurs suppôts, montre clairement qu'il y a eu une vertu plus qu'humaine qui les accompagnait & vivifiait (comme c'est son propre) au milieu de la mort.

C'est cette semence de vie laquelle donnant de l'efficace à leurs confessions au milieu de tous les tourments, a fait que la voix des Martyrs, tués pour le témoignage de Jésus-Christ, il y a cent ans, voire 1500 ans, retentit encore puissamment en joie au cœur des élus de Dieu, & parle dans la méchante conscience des réprouvés qui tremblent, parce que la vérité qui accompagnait cette voix n'est point un bruit qui passe, mais elle est la parole vivante & permanente à jamais, vivifiée par celui sur qui le temps n'a pas de puissance, mais qui demeure & vit éternellement.

Cette semence fait que le sang des Martyrs a tant fructifié de tout temps, spécialement depuis l'Ascension de Jésus-Christ, & même en ce dernier âge, plein de miracles du Seigneur, autant que l'on en saurait remarquer ... dans les siècles précédents: comme il apparaît par la lecture des livres que nous présentons maintenant.

Mais avant d'entrer en matière, nous avons encore ce mot à ajouter, après un bon docteur de l'Église: Que le Supplice ne fait pas le martyr, mais c'est la cause qui fait le Martyr (3).

Voilà peu de mots qui en disent beaucoup, & qui seraient grandement utiles à l’instruction & à la consolation de tous les Chrétiens. L'Apôtre S. Pierre avait dit la même chose en d'autres termes, y ajoutant quelque pointe pour réveiller et réjouir les âmes fidèles.

«Si vous êtes (dit-il) injuriez au nom de Christ, vous êtes bienheureux, car l’esprit de gloire & de Dieu repose sur vous, lequel (quant aux méchants) est blâmé, mais (quant à vous) est glorifié. Et de fait, que nul de vous ne souffre comme meurtrier, ou larron, ou malfaiteur, ou convoiteux de biens d'autrui. Mais si quelqu'un est affligé comme Chrétien, qu'il n'en ait point de honte, mais qu'il glorifie Dieu en cet endroit.»

S. Pierre suit en cela (comme en toutes autres choses) la doctrine de son maître, lequel avait, quelques années auparavant, déclaré:

«BIENHEUREUX CEUX QUI SOUFFRENT POUR LA JUSTICE parce que le Royaume des cieux est à eux.»

Ainsi donc souffrir pour la justice, souffrir comme Chrétien, & non comme malfaiteur, est LA CAUSE QUI FAIT LE MARTYR.

Nous appelons maintenant à cet examen tous ceux qui peuvent avoir souffert de diverses manières. Où la cause (c'est-à-dire la justice & la piété) font défaut, là où le maléfice (c’est-à-dire l'athéisme, l'idolâtrie, la superstition, l'injustice & l'ordure) se découvre, la cause en est éloignée, le supplice mérité est proche et redoutable. Que les profanes vantent leurs hommes courageux; que les idolâtres mettent en avant les troupes de leurs maniaques (fous furieux); que les superstitieux produisent tant de millions de sectes écloses par l'ignorance, & travaillées de tant d'incommodités; que les violents & les injustes allèguent les dangers & les morts dans lesquelles leurs adhérents se lancent allègrement & à tête baissée; nous dirons en un mot que voilà des soldats de Satan, puisqu'ils accomplirent les désirs de ce Père de meurtre & de mensonge.

Cette sentence donc distingue entre les souffrances de la vraie Église, &, les tourments que les incrédules & méchants endurent, soit que leur maléfice soit couvert, soit qu'il apparaisse aux hommes.
Au reste, ce que Dieu reçoit
comme témoins de sa vérité, ce sont ceux qui bien souvent ne sont pas moins impurs que les autres, se recommandant plus de sa grâce, il s'assure que les vaisseaux (vases), préparez à honneur par le moyen de Jésus-Christ, que ceux que le Père céleste a adoptés à foi (pour lui?) demeureront à jamais dans sa maison, & les (il leur) apprend à cheminer toujours en sollicitude (par ses soins affectueux).
Mais d'autre part, c’est la confusion des idolâtres, superstitieux, hérétiques, incrédules & profanes, d'entendre que tout ce qu'ils endurent n’est, sinon une triste préface de malheurs indicibles, & le faubourg d'enfer, encore que, parfois, il semble que
de telles gens aient un sentiment tout contraire à l'appréhension que nous leur attribuons, de laquelle plus ils sont éloignés, plus ils sont malheureux & proches d'une extrême ruine.

Au contraire, c’est une indicible consolation à tous les fidèles, d'entendre, de lire, de savoir, de voir, que leurs cheveux sont comptés, que leurs larmes ne se perdent point, que Dieu les tient aussi chers qu’un homme délicat ferait de la prunelle de son œil, que leurs jours sont comptés, que celui qui veille pour eux ne sommeille point, qu'il est à leur droite afin qu'ils ne chancellent, qu'il est au milieu d'eux, qu'il est dedans eux, que Christ est leur chef, & eux ses membres, qu'il veut habiter, vivre & régner en eux & avec eux, qu'il veut qu'ils habitent, vivent & règnent en lui & avec lui & voire:

- s'ils souffrent avec lui,
- s'ils n'ont point honte de lui ni de ses paroles,
- s'ils le confesse devant les hommes,
- s'ils portent leur croix tous les jours après lui,
- s'ils sont prêts non seulement d'être liés, mais aussi de mourir pour le Nom du Seigneur Jésus,
- & s'ils sont résolus de ce point qu'en perdant la vie pour lui ils la trouveront.

C’est la CAUSE qui a fait les martyrs, qui les a fortifiés parmi tant d'ignominies tant de supplices, tant de morts qui seront, ci-après, déclarés, au milieu desquels ils se sont armés de cette pensée, que cette cause n'était point leur cause, mais celle de Dieu.

Pourtant ne se sont-ils point beaucoup tourmentés pour résoudre en eux-mêmes de ce qu'ils auraient à répondre à leurs plus hardis & importuns adversaires, n'ont point trop redouté leurs propres infirmités, mais ils ont espéré & senti le secours de la sagesse & la puissance de celui qui les conduisait, lequel, une infinité de fois, a fait sentir, aux persécuteurs qu'il ne regardait pas de loin pour juger des coups, comme on dit, mais était dans le combat, pour encourager, bénir, diriger, consoler, guérir, vivifier & sauver les siens, leur servant de cœur, de mains, d'yeux, de pieds, de bouclier, d'épée, de harnois (d'armure), c’est-à-dire de tous moyens, & plus qu'ils n'eussent osé désirer pour les maintenir d’une façon spéciale; renversant au contraire ses ennemis, exterminant les uns d'une façon, mais avec telle promptitude vigueur & adresse, qu'il faut que chacun reconnaisse qu'une main toute puissante y a passé.
Nous en produisons les preuves maintenant.

Que les Athées froncent le nez contre cet ouvrage, pour s'en moquer entre leurs compagnons, que les faux docteurs fassent tant d'invectives qu'ils pourront aller à l'encontre des Martyrs, dont la cause est avouée par le Seigneur Dieu en sa sainte parole.

Quand le mondain estime que son seul bien consiste dans ses folles opinions; que l’hérétique, le libertin, le malfaiteur prenne son plaisir en ses erreurs, rêveries, & méchancetés fuyant la croix de Jésus-Christ pour porter celle du diable: les fidèles témoins de la vérité de l'évangile se contentent de savoir que Dieu les approuve; son esprit rendant témoignage au leur qu'ils sont de ses enfants. Or sans disputer d’avantage de cela (entrer en contestation) avec la sagesse du monde, ennemie jurée de la gloire du Seigneur Jésus, considérons (suivant ce qui a été brièvement proposé en l'argument du premier livre) en premier lieu, les Martyrs du temps de l'Église ancienne, sous l'empire de Néron, puis nous traiterons du reste en son endroit.

Sur quoi il faut dire encore ceci, qu'il suffira de réciter (raconter) simplement ce que... les historiens, tant anciens que modernes, en ont couché par écrit quelque chose. Et si nous disons beaucoup, ce sera toujours trop peu, pour un sujet aussi fertile: d'autre part en disant peu, ce sera une exhortation à tout lecteur Chrétien de recourir plus avidement à l’histoire de l'Église primitive Chrétienne, pour rassasier son désir, & surtout prendre de bien près garde à la conformité & la convenance qui apparaît entre les Martyrs anciens & modernes, tant en conversion, qu'en doctrine, patience, vraie invocation, confiance, & heureuse fin au Seigneur,

Au reste, la raison pourquoi nous n'avons pas fait mention des martyrs qui ont précédé le temps de Néron, c'est parce que ce qui en est dit dans l'Écriture sainte doit suffire à tout fidèle les choses y étant proposées & déduites en toute perfection, tellement que ce serait une témérité trop grande de vouloir spécifier & éclairer ce qui se découvre de prime face (d'abord) aussi ouvertement que la clarté d'amour serein.

Venons donc à notre récit.


PERSÉCUTION DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE SOUS NÉRON


Paul Orose (4), historien & auteur ancien, qui a vécu du temps de saint Augustin auquel il dédia les sept livres de son histoire, commence à conter les persécutions de l'Église Chrétienne à la persécution sous Néron, il la prend pour la première ainsi qu'ont fait les autres historiens qui ont écrit après lui, ... nous suivrons le même ordre pour le présent.

Ainsi donc, il écrivit touchant cette persécution, que Néron, sixième Empereur Romain, commanda qu'on tourmenta & tua tous les Chrétiens qui étaient dans la ville de Rome, & dans toutes les provinces de l'empire. Car il avait délibéré d'extirper de tous lieux la Religion Chrétienne, & tous les Chrétiens.
Les histoires des Païens (comme Suétone dans la vie de Néron, & Cornélius Tacitus, li. 15.) expriment mieux les causes qui poussèrent Néron à cette persécution, que ne le font les histoires des Chrétiens.


L'Empereur était un gouffre de toutes sortes de vices & de méchancetés, mais principalement de toute vilenie: le plus abominable incestueux & exécrable sodomite qu'on saurait trouver dans toutes les histoires.
Il commettait de telles vilenies sans aucune honte dans la ville de Rome, devant les yeux du Sénat et du peuple Romain, sans que personne en sonnât mot, tant s'en faut qu'on l'en châtiât. Chacun le regardait faire,
au point que ce monstre vivait à son plaisir.
À cause de
cela, Dieu se courrouça contre Rome, & la châtia par feu, comme Sodome & Gomorrhe. Il le fit par Néron, lequel on endurait (supportait), quoiqu’ayant mérité d'être brûlé lui-même à cause de ses infamies horribles.

Néron mit donc le feu dans la vilaine ville de Rome. Il y avait encore un quartier de la ville qui lui déplaisait, d'autant plus que les maisons étaient petites & les rues étroites: il fit commencer par là pour y faire après de beaux bâtiments.
Le feu montant défia bien haut
(arriva au sommet des maisons), Néron s'assit dans la tour de Mecenas, prenant fort grand plaisir à ce feu, & disant qu'il aurait désiré maintes fois voir une représentation de l’embrasement de Troie, & qu'alors il jouissait aucunement (nullement) de son désir dans l’embrasement de Rome: cependant, il chantait (quand même) des vers composés sur le sujet de la destruction de Troie.
Suétone dit que la ville de Rome ne reçut jamais un dommage & une perte
(si grande à cause du) feu, car il dura six jours entiers et six nuits. Tacitus la décrit aussi fort amplement.

Ce feu souffle de l'ire (la colère) de Dieu, s'étant embrasé plus fort que Néron ne pensait et ayant fait un dommage irréparable à la ville, les citoyens de Rome, dont cette perte les touchait, en furent merveilleusement (extrêmement) irrités. Néron voulant détourner de lui cette malveillance, sema partout (la pensée) que les Chrétiens, ennemis de la religion & des dieux Romains, étaient les boutefeux qui auraient ainsi endommagé la ville. Et afin que cela eût plus d'apparence & fut plus croyable, il fit prisonniers plusieurs Chrétiens, & les fit géhenner (brûler) cruellement, pour leur faire confesser qu'ils avaient mis le feu dans la ville.
Il y en eut quelques-uns qui, aimant mieux mourir qu'endurer tel tourment, mentirent contre eux-mêmes, & contre les Chrétiens, confessant qu'ils avaient été la cause de l’embrasement de la ville de Rome.

Nous ajouterons ici les propres mots de Tacitus selon qu'ils sont traduits du Latin de son 15e livre d'Annales.
«Néron voulant lever
(ôter) ce bruit, que Rome avait été brûlée par son commandement, & pour éviter la fureur du peuple, en chargea faussement aucuns (plusieurs) qu'il fit punir bien grièvement (excessivement), & lesquels étant hait de la commune (5) s'appelait Chrétiens.
L'auteur de ce nom, appelé Christ, durant l'Empire de Tibère fut crucifié par Ponce Pilate gouverneur. Et malgré que cette Religion eût été empêchée de s'avancer
(de se développer)... elle se renforça (6), non seulement par la Judée où elle aurait pris commencement, mais aussi dans la ville de Rome, où toutes choses arrivent de tous endroits & y sont bien estimées.

Ainsi donc, ayant premièrement été pris, ceux qui confessaient être Chrétiens, & puis sur leur confession une grande multitude, au lieu de les convaincre (les accuser) d’avoir mis ce feu, on fut bien aise de les tourmenter simplement parce qu'ils étaient haïs de chacun.
En les exécutant on leur faisait une infinité d'outrages & de moqueries, les couvrant de peaux de bêtes, pour les faire déchirer & expirer entre les dents des chiens, ou bien, on les attachait en croix. Les autres étaient grillés; & quand le jour venait à défaillir, on en faisait des feux tels qu'ils éclairaient toute la ville.
Néron offrit ses jardins au peuple pour avoir le passe-temps de ce massacre, & fit faire des jeux de courses de chevaux, étant parmi le peuple vêtu en cocher, & fouettant lui-même les chevaux qui couraient pour gagner le prix.

Ainsi donc, encore que ces gens fussent estimés coupables de mort; si avait-on pitié d'eux comme n'étant pas justiciés (condamnés) pour le bien & l'Empire Romain, il fut commandé qu'on exterminât les Chrétiens comme ennemis de Dieu et de la religion Romaine, & comme boutefeux.
Tous furent
alors émus (excités) contre les fidèles à Rome & ailleurs, avec de telles cruautés, que tous ceux de Rome, ainsi que Tacitus l'écrit, en avaient grande compassion. Quant à Néron il n'en était aucunement ému, mais continuait à inventer de nouveaux tourments.

Les histoires témoignent que saint Pierre & saint Paul furent mis à mort en cette persécution comme il a été dit par ci-devant. Aussi les chronographes (chroniqueurs) font mention de plusieurs saints personnages & gens d'apparence, lesquels, après grands outrages, douleurs & tourments, furent misérablement tués dans cette persécution, laquelle dura quatre ans (à savoir depuis le 10. an de l'Empire de ce monstre jusqu'à sa malheureuse mort) non seulement dans la ville de Rome, mais aussi partout l'empire Romain. Or combien que cette persécution procède d'une cause plus sale & abominable que l'on ne saurait dire ni penser.


Qui sera celui pourtant qui disputera contre Dieu, de ce qu'il donna une telle puissance à cet horrible & exécrable sodomite, contre un si grand nombre de gens de bien & innocents, & contre ses bien-aimés?
& pourquoi il permit que les Chrétiens fussent brûlés comme boutefeux, au lieu de ce vrai boutefeu & sodomite de Néron, qui avait mérité d'être déchiré du peuple?
Pourtant s'il en était aujourd’hui de même
(s'il arrivait qu'il en soit de même aujourd'hui), que chacun s'humilie sous la main puissante de Dieu, portant patiemment la croix que Dieu lui met sur les épaules, qu'il le loue & le bénisse, & se tienne fermement à sa parole, laquelle était (aussi) parole de Dieu du temps de Néron.
Combien les fidèles souffrirent afin que Néron avec sa religion païenne eût victoire & domination


SECONDE PERSÉCUTION DE L'ÉGLISE SOUS DOMITIEN


L'empereur Domitien, fils de Vespasien, & frère de Titus (lequel avait détruit Jérusalem, vaincu & asservit les juifs) s'éleva & surhaussa d’une arrogance (se surpassa par une arrogance) insupportable & diabolique, environ septante-neuf ans après la naissance de Christ & fut si étrangement impudent de se faire nommer Dieu; il voulait que chacun le tînt & l'adorait pour tel, commandant qu'on lui baisât les pieds: ce que nul des autres Empereurs devant (avant) lui n'avait fait & que nul de ceux qui ont été après lui ne l'a fait, sinon Dioclétien, ce cruel tyran & meurtrier des fidèles.

Or ce Domitien émut (mis en mouvement) la seconde persécution contre les Chrétiens, durant laquelle plusieurs saints personnages furent bannis, les autres tués ou privés de leurs biens, après avoir été fort tourmentés.
L'Apôtre & Évangéliste saint Jean fut du nombre de ceux-ci, lequel (comme dit a été ci-devant) fut mené prisonnier d'Éphèse à Rome vers l'Empereur, & là fut tourmenté.
Aucuns tienent
(plusieurs disent) que Timothée Onésime & Denis l'Aréopagite furent mis à mort du temps de Domitien.

Flavia Domicilia, dame des plus illustres maisons de Rome, fut avec plusieurs autres, à cause de la religion Chrétienne, envoyée en exil par ce tyran. Mais saint Jean retourna d'exil à Éphèse, où il mourut cent deux ans après la nativité de Jésus Christ, l'an troisième de Trajan.


TROISIÈME PERSÉCUTION SOUS TRAJAN


L'Empereur Trajan, Prince autrement puissant & victorieux, commença une troisième persécution contre les Chrétiens à Rome, & dans en tout l’Empire Romain, environ l'an cent & dix après la nativité de Jésus Christ.
Les causes principales qui émurent
(qui poussèrent) cet empereur et la plupart de ses successeurs à persécuter les Chrétiens étaient celles-ci.
Ils ne voulaient
pas qu'il y eut division dans l'Empire & principalement en (à cause de) la Religion, mais qu'on suivit tant seulement (uniquement) la religion de leurs ancêtres, car diversité de religion, produit débat, noise & discorde (querelle et dispute), ce qui n’est à supporter (pas supportable) dans un gouvernement, outre cela (sans compter), les grands inconvénients & châtiments, si on n'invoquait & n'adorait plus les dieux comme de coutume.

Or les Chrétiens n'avaient pas seulement en horreur les temples, autels, sacrifices, idoles & fêtes des dieux, dont ils ne tenaient pas compte, ils méprisaient les dieux des Romains & leur service, & pourtant il ne les fallait aucunement les endurer.
Et quand il venait quelque calamité sur la ville ou l'empire de Rome, comme tempêtes, cherté, famine, guerre, séditions, pestes, maladies, ou autres choses semblables, les Romains disaient:

«D'où nous adviendrait tout ceci sinon des Chrétiens qui méprisent nos dieux & leur service? Car au contraire (contrairement à nous) ils invoquent un seul Dieu, & honorent un seul Christ Fils de Dieu, comme leur Sauveur unique, & maintiennent ouvertement que notre religion est fausse & diabolique, & que leur foi en Christ est vraie & infaillible, & qu'il ne faut point adorer pour Dieu les idoles & les temples, par des sacrifices & fêtes & autres choses semblables, mais seulement en esprit & vérité, comme il a commandé en sa parole.»

Or les Romains & les autres Païens étaient, partout le monde, fort obstiné dans leur superstition, & avec hardiesse employaient leur bien & leur vie pour maintenir leur religion, s'exhortant l'un l'autre à ne pas la quitter, alléguant qu'ils l'avaient reçue de leurs prédécesseurs, qui avaient été des gens sages, & qui ne se laissaient point tromper.
Qu'ils avaient gens savants
dans les collèges de leurs prêtres.
Que leur religion avait été confirmée par
de grands signes & des miracles, & qu'en adhérant à celle-ci, ils avaient obtenu victoire & subjugué (assujetti) tout.
Que tout leur bonheur & félicité procédait de leur religion, laquelle avait duré mille ans, & n'était point nouvelle de trente ans, comme celle des Chrétiens.
Que leurs dieux se montraient envers eux gracieux libéraux, & secourables, tellement qu'ils n'avaient faute d'aucune chose.

Au contraire, les Chrétiens étaient toujours pauvres & malheureux, & pourtant que ce n'était pas raison qu'on leur quittât (laissât) ainsi la place, & qu'ils endurassent (acceptent) que les Chrétiens (lesquels ils appelaient sacrilèges) eussent victoire sur leur religion ancienne.

Pour ces raisons les Chrétiens étaient persécutés par les Empereurs Romains. Si on veut encore pour ce jour bien peser & sonder toutes choses, il se trouvera qu'on persécute les fidèles seulement pour les mêmes raisons.

En cette persécution de Trajan fut répandu du sang chrétien sans fin ni mesure.
- Siméon, Évêque de Jérusalem, âgé de 120. ans, fut crucifié.
- Ignace, excellent serviteur de Jésus Christ, & disciple des Apôtres, fut mené d'Antioche (où il était évêque) à Rome, & exposé aux bêtes sauvages, desquelles il fut déchiré.
- Phocas, évêque du Pont, Évaristus, docteur Chrétien, Clément, Alexandre, Quirin, Sulpice, Servilian & plusieurs autres furent emportés par cette persécution, durant laquelle les bons Pasteurs de l'Église se consolent, & exhortent leurs troupeaux à
la patience & la confiance.

On voit au 3. livre de l'histoire d'Eusèbe, chap. 36. ce qu'Ignace disait de foi (par la foi):
«Que ne suis-je déjà entre les pattes des bêtes qu'on prépare contre moi? Je désire qu'elles accourent impétueusement vers moi, je les allécherai, afin qu'elles me dévorent promptement, & qu'elles ne s'éloignent, comme elles ont fait à d'autres. Je les contraindrai de me courir sus
(après). Pardonnez-moi, je sais ce qui m'est propre. Je commence maintenant d'être disciple de Christ; il ne me chaut (ne m'importe) de chose quelconque, je rejette tout & ne veux que Jésus Christ.»

Au reste, il fut livré à dix soldats, pour le mener à Rome, desquels lui-même écrit:
«Depuis la Syrie jusqu'à Rome, je combats contre les bêtes, étant lié & conservant en mer, en terre, jour & nuit entre dix léopards, qui tant plus je leur fais de bien, plus
ils deviennent méchants. Mais leurs outrages ... me rendent plus sage: pour cela cependant, je ne fuis pas justifié.»

Au lieu de perdre cœur en chemin il écrivit des lettres consolatrices à diverse Églises, recommanda celle d'Antioche à Polycarpe, ministre de l'Églises de Smyrne, & étant amené à Rome, eut cette belle sentence en la bouche jusqu'à à la mort:
«D'autant que je suis froment de Christ, il faut que les dents des bêtes me broient, afin que je sois trouvé pain net & savoureux du Seigneur.»

Le massacre des Chrétiens était si grand qu'un gouverneur de l'Empereur, nommé Pline Second, homme prudent, en écrivit à l'Empereur, rendant un excellent témoignage de l'innocence des Chrétiens. On trouve cette lettre au dixième livre de ses Épîtres (7). Et par ce moyen, les Chrétiens eurent quelque relâche.

La longue durée de cette persécution, & la perte de tant de pauvres Chrétiens ne rendait pas mauvaise pourtant la religion Chrétienne, & la Païenne bonne; elle n'empêchait pas que la foi & la religion Chrétienne soit la vraie & certaine.

Et Dieu n'a point failli, permettant que tout ceci soit fait contre les fidèles, car par le martyre & le sang des innocents il a augmenté la vraie foi dans tous les pays. Tellement que les anciens avaient toujours en bouche cette belle sentence: que le sang des Chrétiens était la graisse du champ de l'Église.

Pourtant, ayons bonne espérance aujourd’hui que nous sommes au milieu des persécutions & parmi l'effusion du sang innocent des Chrétiens.


LA QUATRIÈME PERSÉCUTION,
(5e) SOUS HADRIEN LE DÉBONNAIRE,
(6e) SOUS ANTONIN LE PHILOSOPHE,
(7e) ET SOUS LUCIUS SON FRÈRE.


Environ l'an 170. & 78. depuis la nativité de Christ, les Empereurs Hadrien, Marc Antonin, surnommé le Débonnaire, & Antonin le Philosophe firent des grandes & âpres persécutions contre les Chrétiens pour les raisons que nous avons déjà racontées.

Cette persécution n'emporta pas seulement quelques particuliers, mais aussi les principaux & plus excellents Docteurs de ce temps-là, lesquels par leur doctrine & par leurs écrits avaient avancé & maintenu la religion Chrétienne, & l'avaient ornée avec l'innocence & sainteté de leur vie, puis la scellèrent de leur sang.

De ce nombre furent Polycarpe, disciple des Apôtres, & fort ancien ministre de l'Église de Smyrne, lequel était appelé le Docteur d'Asie, & père des Chrétiens, & Pionius, saint et personnage diligent serviteur de Jésus Christ. Ces deux furent brûlés avec plusieurs autres Chrétiens.
Les savants & fidèles serviteurs de Dieu, Justin le Philosophe, & Irénée évêque de Lyon (les livres desquels
on écrit pour la religion Chrétienne contre toutes sortes d’hérésies, sont en lumière) furent occis par glaive.
Mais cette persécution fut cruelle & inhumaine, spécialement dans les villes de Lyon & de Vienne, assises sur le Rhône, de laquelle les fidèles Ministres qui étaient dans les villes susdites écrivirent une lettre aux frères des Églises d'Asie & de Phrygie.
Cette lettre se trouve au cinquième livre de l'histoire d'Eusèbe au I. 2. 3. & quatrième chapitre. Dont nous présentons ici l'extrait, pour être rapporté & conféré avec l'état des Églises de notre temps.

Après avoir dit dans la préface qu'il serait impossible de décrire les tourments des Martyrs, contre lesquels l'ennemi s'était alors plus furieusement bandé que jamais, ils montrent en premier lieu que les persécuteurs privèrent les Chrétiens des privilèges & charges publiques, les chassèrent des compagnies, commencèrent à se mutiner, à crier contre tous, à les traîner, battre, piller, puis les accuser & faire emprisonner, irritants le gouverneur, pour qu'il les traitât en toute rigueur.
Ils ajoutent là-dessus:

«Vetius Epagathus l’un de nos frères, tout affectionné envers Dieu & envers le prochain, tout embrasé de zèle, & ne pouvant plus supporter les iniques procédures qu'on tenait contre nous, demanda audience, pour monter que nous n'étions méchants comme l'on nous chargeait.

Les adversaires s'opposent à cette requête, & le gouverneur, sans avoir égard à la qualité de ce personnage, gentilhomme honorable, au lieu de l'entendre, ne fait que lui demander s'il était Chrétien. Ce que Vetius ayant confessé tout haut, il fut serré (mis en prison) avec les autres &, appelé l’avocat des Chrétiens, avec lesquels il souffrit mort puis après.
Parce que le Consolateur l’accompagnait, il fit preuve de sa charité en ce qu'il abandonna sa vie pour maintenir l'innocence de ses frères. Aussi était-il vrai disciple de Jésus Christ, suivant l'Agneau quelque part qu'il aille.

Les principaux d'entre les Martyrs, en suivant cet exemple, se présentèrent incontinent aux tourments, prêts en toute allégresse de cœur à confesser le nom de Dieu jusqu'à la dernière goutte de leur sang.
» Il s'en trouva quelques-uns mal prêts, peu exercés, infirmes, & mal propres
(non préparés) à soutenir le choc; dix entre autres, se révoltèrent: ce qui nous contrista & nous mit en deuil extrême: car ils émoussèrent l'ardeur de ceux qui n'avaient pas encore été appréhendez, et qui jusqu'alors, avaient accompagné de près les Martyrs.
Nous nous trouvâmes donc alors fort perplexe, ne sachant quel en serait l'événement, non que nous redoutions les supplices, mais parce que nous regardions l'issue, & craignions que d'autres ne perdirent courage. Or on emprisonnait tous les jours quelques-uns des frères, que Dieu honorait tant que, par eux, ils remplissaient la place de ceux qui s'étaient révoltés.

» Les principaux des deux Églises, les Pasteurs, Diacres & anciens furent emprisonnés. Par les mêmes moyens, quelques Païens serviteurs des Chrétiens furent aussi appréhendés par le commandement, du gouverneur, qui faisait faire une recherche générale.
Ceux,
qui vaincus par les assauts couverts de Satan, craignaient d'être géhenner (brûlés) comme leurs maîtres, & subornés par les soldats & bourreaux, confessèrent contre la vérité qu'en nos assemblées nous mangions de la chair humaine, &, que sans distinction de parentage, nous commettions pêle-mêle des incestes & vilenies, qui ne doivent être pensées ni racontées, ni croire même qu'il se soit jamais trouvé des hommes qui aient voulu pratiquer de telle sorte (chose) les uns avec les autres.
Cette calomnie étant publiée, & tenue pour véritable, tout le monde commença à nous courir après & nous traiter avec toutes les indignités qu'il est possible de penser, tellement que ceux qui auparavant s'étaient montrés gracieux (aimables) en notre endroit à cause de la familiarité qu'ils avaient avec nous, furent fort dépités, & commencèrent à écumer leur rage contre nous. Et par ce moyen ce que dit notre Seigneur fut accompli: «Un temps viendra, auquel ceux qui vous occiront penseront faire service à Dieu.»

Alors les saints Martyrs endurèrent tant de tourments, qu'il ne serait pas possible de les raconter. Et le diable faisait tous ses efforts, afin que même quelques blasphèmes sortissent de leur bouche.
Or surtout la rage, tant de toute la populace que du gouverneur & des gendarmes, était embrasée contre Sanctus, diacre de Vienne, & sur Maturus, lequel avait été nouvellement baptisé, toutefois vaillant combattant, & sur Atalus, Pergamenien de nation, lequel a toujours été le pilier & l’appui de nos Églises, & sur Blandine, par laquelle Jésus Christ a montré que ce qui est de petite valeur, & qui n'est point excellent, mais contemptible
(méprisable) devant les hommes, est de grand prix & estime devant Dieu, pour l'amour & dilection (affection) des saints envers lui, laquelle ne s'est point montrée en apparence, mais réellement & de fait.
Car nous tous avions crainte, & avec nous sa maîtresse selon la chair, étant du nombre des Martyrs qui combattaient, qu'elle (Blandine) ne demeurât point ferme dans sa confession à cause de... la faiblesse de son corps.

Mais Blandine fut tellement remplie de cet esprit de confiance, que ceux qui la tourmentaient en toutes les sortes (avec tous les moyens) du monde, depuis le matin jusqu'au soir, chacun à son tour, se lassaient, & la force leur faisant défaut, ils confessaient qu'ils étaient vaincus, ne sachant plus que lui faire, & ils s'ébahissaient (s'étonnaient), vu que même son corps était tout rompu, froissé & ouvert de partout.
Et quand
on espérait qu'une seule espèce de torture était assez suffisante pour lui ôter la vie ..., cette non moins heureuse que vaillante combattante recouvrait de nouvelles forces, tout en faisant confession.
Et toutes les fois qu'elle disait: Je suis Chrétienne; de plus, on ne fait point de méchanceté entre nous; elle était comme refaite
(renouvelée), sentant un grand repos & un merveilleux allégement dans ses douleurs.

Quant à Sandus, il endurait constamment, & plus que les forces humaines ne peuvent porter, toutes les peines que les hommes lui donnaient. Et comme les iniques à cause des passions & angoisses si dures s’attendaient bien d’ouïr (à entendre) de lui quelque parole déshonnête, & mal convenable, il leur résista avec une telle confiance qu'ils ne purent lui faire dire son propre nom, ni de quel pays & ville & condition, s'il était franche ou servile (libre ou esclave): mais à toutes les interrogations & demandes qu'on lui faisait, il répondit seulement en langage Romain: Je suis Chrétien !
Et voilà toute la confession qu'il faisait, de son nom, de sa ville & de sa race, les Gentils ne pouvant tirer autre parole de lui. Et pourtant (quoique), le gouverneur & les bourreaux firent un grand effort, en se dépitant (fâchant) contre lui.

» Or ne sachant plus que faire, finalement ils lui appliquèrent des lames de cuivre toutes rouges de feu, aux parties les plus tendres de son corps. Ses membres étaient brûlés, cependant, sans s'en étonner, il demeurait confiant & ferme dans la confession qu'il avait faite, étant arrosé & fortifié par la fontaine céleste d'eau vive, sortant du ventre de Christ.
Son corps rendait témoignage des maux qui lui avaient été faits. Car son corps fort petit était tout disjoint, couvert de plaies, & tout regrillé, ayant même perdu la forme extérieure humaine.
Et Jésus Christ, endurant en la personne de son serviteur, a obtenu une grande gloire, & confondu l'adversaire, & montré évidemment pour l'instruction des autres, qu'il n'y a rien qui puisse étonner celui en qui est l'amour du Père, ne rien hideux & misérable, là où la gloire de Jésus Christ est conjointe.

Quelques jours après, ces bourreaux iniques tourmentèrent derechef ce Martyr du Seigneur, & s'attendaient d'être bien victorieux sur lui, quand ils viendraient derechef à tourmenter son pauvre corps déjà tout enflé & boutonné, ne pouvant souffrir qu'on y mît la main: ou bien que les autres, s'il mourait à la torture, en seraient effrayés.

Mais contre l'attente des hommes, son corps fut redressé et restauré par les autres tourments qui s'ensuivirent, et il recouvra la première forme & l'usage de ses membres, tellement (au point) que la seconde torture lui apporta médecine.
Et comme le diable pensait qu’une certaine femme, qui avait pour nom Biblis, l’une de ceux qui avaient abjuré, eut perdu courage, & par blasphèmes la voulût assujettir à condamnation, il la poussa au supplice... & la força de dire des choses méchantes de nous. Mais étant à la torture, elle revint à foi, & comme étant réveillée d'un profond sommeil elle se ravisa, au milieu du supplice temporel, du tourment éternel, qui est en la géhenne du feu & contre toute espérance elle se mit à contredire les bourreaux parlant de cette sorte:

«Comment se peut-il faire que ceux auxquels il n’est licite (il est interdit) de manger le sang des bêtes brutes, mangent la chair des petits enfants» (La primitive Église pour l'infirmité de plusieurs retenait encore quelques cérémonies de l'Église d'Israël.) Et dès lors confessant ouvertement qu'elle était Chrétienne, elle fut mise aux mêmes conditions que les Martyrs.

Or comme ainsi soit que par la grâce de Jésus Christ, les bourreaux en leurs tourments tyranniques n'eussent rien gagné sur la patience des Martyrs bienheureux, le diable s'avisa de quelques autres artifices, à savoir que les fidèles étant resserrés en une prison obscure, dedans un croton (cachot) puant, leurs pieds fussent étendus en une façon de torture (de façon à les torturer), & tirez jusqu'au cinquième pertuis (trous), & là endurassent le reste des tourments que les bourreaux dépités & pleins de rage diabolique ont accoutumé de faire; de sorte que plusieurs y furent étranglés, à savoir ceux que le Seigneur voulait retirer à foy (à cause de leur foi) pour leur faire voir la gloire.

Et certes ayant enduré une si horrible torture, que si même on y eût appliqué toutes sortes de remèdes, on n’eut jamais pensé qu'ils eussent pu vivre, ils demeurèrent en prison, destitués de toute aide humaine, mais cependant refaits par le Seigneur, & conservés de corps & d’esprit, en sorte que même ils exhortaient les autres & les consolaient.
Mais quant aux plus jeunes qui étaient appréhendés de nouveau, desquels les corps n'avaient point été auparavant flagellés ni battus, ils ne purent endurer les ennuis de la prison, mais y moururent.

Mais le bienheureux Photin, diacre en l'Église de Lyon, âgé de plus de nonante ans fort faible de son corps, & qui ne pouvait bonnement respirer, à cause de son imbécillité (sa faiblesse) corporelle, était néanmoins conservé d'une grande allégresse d'esprit, de ce qu'il était saisi d’une singulière affection de Martyre, il fut aussi traîné devant le siège judicial (judiciaire), ayant le corps tout abattu tant à cause de la vieillesse, que par les maladies qu'il avait eues, ayant aussi réservé son âme à cette fin, que Jésus Christ triomphait par lui.
Les gendarmes le portèrent jusqu’au siège judicial (judiciaire), & les gouverneurs de la ville allaient ... avec toute la populace jeter de grands cris, de toute sorte, comme si lui-même eût été Christ; & finalement il rendit bon témoignage. Car étant interrogé par le gouverneur sur qui était le Dieu des Chrétiens, il répondit:
«Si tu es digne de le savoir, tu le sauras.»
Sur le champ il fut étrangement (étonnement) traîné & âprement battu & en diverses sortes: car ceux qui étaient auprès de lui l’outrageaient & des pieds & des mains, n’ayant point d'égard à sa vieillesse.

Ceux qui étaient loin jetaient furieusement contre lui tout ce qui leur venait en main, & tous avaient cette opinion que ce serait un grand un péché & une impiété énorme, si quelqu’un se fût déporté (se fut interdit) de lui faire quelque outrage. Car par ce moyen ils pensaient se bien venger de l'injure faite à leurs dieux.
Ne pouvant tout bonnement plus respirer, il fut traîné en prison dans laquelle il mourut deux jours après qu'il y fut mis.

Là se montra une singulière conduite & providence de Dieu & la miséricorde infinie de Jésus Christ. Car ceux qui avaient fait abjuration en la première persécution, furent aussi resserrés (remis dans les liens) & participants des afflictions.
L’abjuration qu'ils avaient faite ne leur servait de rien en ce temps-là. Et ceux qui confessaient franchement ce qu'ils étaient, furent emprisonnés comme Chrétiens.
Les autres qui avaient abjuré, néanmoins détenus comme menteurs & méchants, furent pour ce regard (cette attitude) punis au double.

Or la joie du Martyre & l'attente des promesses & l'amour de Jésus Christ , & l’Esprit du Père céleste étaient un merveilleux allégement pour les premiers, mais ceux-ci sentaient de grands remords en leur conscience, de sorte qu'en passant, ils montraient en la face quelques signes qui donnaient à connaître ce qui les affligeait au-dedans.

Les premiers marchaient joyeux, ayant des marques en leurs faces d’une gloire & grâce merveilleuse. En sorte que leurs liens leur servaient d'un ornement convenable & bien séant comme si c'eussent été des épouses, parées de leurs franges dorées, de diverses couleurs, qui les faisaient sentir bon de l'agréable odeur de Christ. Tellement qu'il y en avait aucuns (plusieurs), qui pensaient que les Martyrs fussent parfumés de quelques onguents précieux.
Mais ceux-ci (ceux qui avaient abjuré) s'en allaient tristes, la tête baissée, défigurés, couverts de toute ignominie & de déshonneur. Et qui plus est, les Païens leur faisaient tous les opprobres, dont ils pouvaient..., comme à des vilains & des lâches de cœur, accusés comme meurtriers en s'étant dépouillés de ce titre de Chrétien, honorable, glorieux & plein de vie.
Les autres, ayant vu choses, furent fortifiés, & étant empoignés, confessèrent hardiment & franchement, n'ayant point même une seule pensée de l'esprit diabolique.»

Or un peu après est ajouté en cette épître
«Ces choses étant ainsi faites, les martyres par lesquels ils passèrent de cette vie en l'autre furent finis & terminés par une grande diversité de tourments. Car ces Martyrs offrirent à Dieu une couronne de diverses couleurs & de toutes sortes de fleurs. Aussi était-il raisonnable que ces vaillants champions, qui avaient soutenu de grands combats, remportaient la couronne d'incorruption.

» Ainsi donc, Maturus, Sanctus, Blandine & Attalus, furent menez aux bêtes, pour être en spectacle, & un jour fut assigné... pour ce combat contre les bêtes. Et derechef Maturus & Sanctus furent tourmentez de toutes (diverses) façons, dans l'Amphithéâtre, comme s'ils n'eussent encore rien souffert, mais plutôt comme s'ils eussent combattu pour la couronne.
Après avoir repoussé l'adversaire, en plusieurs sortes (à plusieurs reprises), ils endurèrent derechef le fouet, ainsi que c’est la coutume de faire en ce lieu-là, puis, ils furent déchirés par les bêtes, souffrant aussi tout ce qu’une populace enragée criait de tous côtés & commandait de leur être fait.
Outre tout cela, ils furent mis sur un siège de fer tout rouge de feu, d'où leurs corps, comme s'ils eussent été frits en une peste
, perfumoyent (parfumant) de leur flair (odeur) tous les assistants. Cependant, les bourreaux ne cessèrent point pour cela (de les torturer), mais étaient encore bien plus enragés, voulant surmonter (vaincre) la patience des Martyrs. Or quoi qu'ils pussent faire, il ne sortit autre parole de la bouche de Sandus, sinon cette confession, qu'il avait accoutumé de faire dès le commencement.

Ainsi donc, ces saints personnages, ayant conservé leurs âmes durant ces divers & âpres combats, finalement furent occis en ce jour même, après avoir été en spectacle à tout le monde, & servi de passe-temps au peuple, au lieu des combats qu'on faisait faire d'homme à homme en champ clos.

Blandine fut pendue à une potence, & exposée aux bêtes, lesquelles se ruaient contre elle, pour la dévorer. Et on pouvait la voir pendue en ce bois, en forme de croix, &, faisant continuellement des prières, elle donnait courage aux autres fidèles combattants, qui pouvaient, en ce terrible combat contempler de leurs yeux externes, et en leur coeur, celui qui a été crucifié pour eux: afin que tous ceux qui croyaient au Fils de Dieu, fussent bien persuadés que toutes personnes qui endurent pour la gloire de Jésus Christ ont communion avec le Dieu vivant.

Et comme pas une de ces bêtes ne la touchât pour lui mal faire, elle fut mise bas de cette potence, & ramenée en prison, & réservée pour d'autres combats, à cette fin qu'ayant été victorieuse en tant de sortes elle montrât à ce serpent tortu (malfaisant), que sa condamnation était du tout irrévocable. Car même cette femmelette, faible & contemptible (méprisable), représentant néanmoins ce vaillant & invincible champion Jésus Christ, exhortait & encourageait ses frères, ayant avec tant de forces repoussé l’adversaire, & finalement par tant & si difficiles combats, elle a obtenu la couronne incorruptible.

» Or quant à Attalus, le peuple aussi demandait à touteinstance , que celui-ci fût mené au supplice: car il était fort renommé. Et lui aussi plein d’une bonne conscience, allait joyeusement au combat. En outre, il s'était fort heureusement exercé en tout à l'ordre & la police (discipline) Chrétienne, & avait toujours rendu bon témoignage à la vérité qui est entre nous.
Il fut donc mené tout à l'entour de l’Amphithéâtre, & on portait devant lui un tableau où il y avait écrit en langue Romaine: «C'est ici Attalus le Chrétien». Le peuple frémissait et grinçait fort les dents contre lui; mais quand le gouverneur fut averti qu'il était Romain, il commanda qu'il fût renvoyé en prison, avec les autres qui y étaient, pour lesquels il avait écrit à l'Empereur, duquel aussi il attendait réponse. Le temps entre-deux ne leur fut point oisif ni sans fruit & une incroyable miséricorde de Jésus Christ se montra en leur patience. De fait, les choses mortes étaient vivifiées par ceux qui étaient vivants & eux étant martyrs faisaient du bien à ceux qui ne l'étaient point.

La mère vierge (c'est-à-dire l'Église) était grandement réjouie, laquelle les recouvrait vivants, en lieu qu'ils étaient sortis de son ventre avortons & comme morts. Car plusieurs de ceux qui avaient abjuré revenaient à eux, & étaient derechef engendrés & réchauffés, apprenant à faire courageusement confession.

Or ayant recouvré la vie, & étant fortifié par la débonnaireté & douceur de celui qui ne veut point la mort du pécheur, mais pour qui il est facile de pardonner à ceux qui se repentent, ils étaient menés au siège judicial (judiciaire), pour être là derechef interrogés par le gouverneur. Car l'Empereur avait rescrit (écrit), que ceux qui persisteraient dans leur confession fussent étendus comme tabourins(8), & qu'on laissât aller ceux qui abjureraient, quand on commencerait à célébrer la grande fête, en laquelle un fort grand peuple s’assemblait de toutes parts.

» En ce jour-là qu'il tenait la Cour, les Martyrs bien heureux furent menés au siège Judicial (judiciaire), pour les montrer devant cette grande multitude, & derechef il les interrogea: & ceux qui avaient eu quelque droit de bourgeoisie à Rome, avaient la tête tranchée;les autres étaient exposés aux bêtes.
Au demeurant, le Seigneur Jésus était grandement glorifié en ceux qui avaient auparavant abjuré, car... ils faisaient confession, contre l'espérance & l'opinion des Païens: on les interrogeait derechef à part, comme ceux qu'on voulait relâcher & mettre en liberté; mais après avoir fait confession ils furent mis au rang des Martyrs.

Ceux qui n'avaient eu aucune trace de foi, ni de sentiment pour la robe de l'Époux, ni aucune pensée de la crainte de Dieu, ayant plutôt tourné leur robe, diffamaient la vérité, demeuraient dehors, comme enfants de perdition. Or tous les autres furent conjoints à I'Église, lesquels on interrogeait? Entre autres, il y eut un certain personnage, nommé Alexandre, Phrygien de nation, médecin de son état, qui avait demeuré plusieurs années en Gaule, & était connu presque de tous, à cause de l'amour qu'il avait envers Dieu, & de la hardiesse dont il usait en son parler (car il n'était point vuide (vide) de dons & de grâces Apostoliques) lequel se trouva près du tribunal, exhortant par signes ses frères à confesser franchement Jésus Christ: & comme ayant la face triste, fut soudainement aperçu de toute l'assistance.

Ce peuple, qui était fort marri (attristé) de voir faire confession ceux qui avaient auparavant abjuré, criait à pleine tête contre Alexandre , comme à celui qui était cause de cela.
Le gouverneur le pressait fort de répondre qui il était, & lui ayant dit tout haut: Je suis Chrétien, soudainement le gouverneur fort courroucé le condamna à être dévoré des bêtes.
Le lendemain il fut produit avec Attalus. Car aussi le gouverneur, pour gratifier toute cette populace, l'exposa derechef aux bêtes.
Ils furent menés à l'Amphithéâtre, & après avoir enduré toutes les peines & tourments, & de toutes sortes dont ils se purent aviser, finalement on les fit meurtrir.
Et quoique l'on ne put arracher un seul soupir ni un seul mot de la bouche d'Alexandre, son coeur parlait à Dieu. Quant à Attalus, ainsi qu'il était mis sur une chaise de fer toute rouge de feu, & étant là brûlé, de sorte qu'on sentait le flair (l'odeur) de la chair ainsi rôtie & brûlée, commença à dire en langue romaine:

«Voici ce que vous faites, c'est vraiment manger & avaler les hommes; mais quant à nous, nous ne mangeons point la chair des hommes, & ne faisons aucune autre méchanceté.
Puis il fut interrogé quel nom Dieu avait, & il répondit, que Dieu n'avait pas de nom comme un homme.

Or après toutes ces choses, pour le dernier jour des jeux, Blandine fut derechef produite avec Pontique, qui était un jeune garçon de quinze ans.
Ils avaient été produits tous les jours, afin qu'ils fussent présents aux tourments des autres, les contraignant de jurer par le nom de leurs Idoles. Mais parce qu'ils demeuraient fermes en leur créance (dans leur foi), qu'ils ne tenaient pas compte d'eux, cette populace furieuse s'aigrit de telle sorte contre eux, qu'elle ne fut nullement émue de pitié pour le jeune âge de Pontique, & n'eut point de respect à la faiblesse de cette femmelette. Après leur avoir fait souffrir une infinité de peines, ils les prenaient & les faisaient tournoyer pour les affliger & les tourmenter en toutes les sortes du monde, les pressant toujours de jurer par le nom de leurs idoles; mais ils ne purent jamais obtenir cela d'eux, car Pontique fut merveilleusement fortifié par sa sœur. Ce que les infidèles aperçurent, à savoir qu'elle exhortait & encourageait Pontique, lequel, après avoir enduré constamment toutes sortes de tourments, rendit l'esprit à Dieu.

Quant à Blandine , elle fut gardée la dernière: laquelle après avoir, comme noble mère, exhorté ses enfants, & qu'elle les eût envoyés à leur Roi Jésus, & considéré attentivement tous leurs combats, finalement elle s'avança pour aller après eux, toute joyeuse & alaigre (dans l'allégresse) en chemin, comme si elle eût été à un banquet nuptial, & non point comme jetée & exposée aux bêtes.
Or après avoir comme été flagellée, exposée aux bêtes, & comme frite dans ..., enfin on l'enveloppa dans un rêt (filet) & fut exposée à la violence d'un taureau, lequel tout effarouché après l'avoir vannée de ses cornes, jusqu'à rendre l'esprit, elle, n'ayant comme point sentiment (rancoeur) de tout ce qui lui avait été fait, à cause de l'espérance des choses qu'elle croyait & du familier devis (des paroles familières) avec Jésus Christ , finalement expira.

Les Païens & les infidèles furent contraints de confesser que jamais cela n'était advenu (arrivé) entre eux, qu'une femme eût enduré tant de tourments si terribles. Mais pour tout cela, leur rage & leur cruauté contre les saints ne cessa point. Car aussi ces bêtes sauvages étant poussées par Satan , qui est une bête cruelle, n'avaient aucun repos. Et comme ils étaient violents & outrageux, ils cherchèrent d'autres façons de tourmenter le corps. Car, quoiqu'ils fussent vaincus en eux-mêmes, ils n'étaient pas apaisés pour tout cela, d'autant qu'ils avaient perdu tout sens & entendement humain. Mais, bien plus, le gouverneur & le peuple étaient embrasés de rage comme des bêtes furieuses, montrant également & méchamment leur haine contre nous, afin que l'Écriture fût accomplie, qui dit que celui qui est inique, soit encore plus inique: & que celui qui est juste soit encore justifié (Apoc., XXII, 11). Car ils jetèrent aux chiens ceux qui étaient étouffés ou étranglés en prison; ils mirent des gardes qui veillaient jour et nuit pour nous empêcher d'ensevelir nos frères.

Et, en même temps les reliques des corps qui avaient été laissées tant par les bêtes que par le feu, en partie déchirées & en partie brûlées, furent produites ensemble avec les têtes des autres & quelque tronçon de leur corps, qui demeurèrent sans sépulture, & durant plusieurs jours députèrent (envoyèrent) quelques gens de guerre pour la garde.
Sur cela les uns murmuraient, & les autres grinçaient des dents entre eux-mêmes, cherchant de nouveaux moyens de se venger encore.
Il y en avait d'autres qui se riaient & se moquaient, magnifiant leurs idoles, leur attribuant toutes les peines & tourments que les nôtres avaient endurés.
Quant à ceux qui étaient les plus doux & bénins entre eux, & qui semblaient avoir quelque compassion, ils faisaient encore des reproches disant:

Où est leur Dieu, & de quoi leur a servi cette religion, laquelle même ils ont préférée à leurs propres vies?” Voilà comment ces infidèles & ces Païens étaient émus en diverses sortes.

Quant à nous, nous étions merveilleusement (extrêmement) angoissés pour ne pouvoir enterrer les corps de nos frères. Car la nuit ne nous servait à rien pour ce faire, & les gardes ne pouvaient être gagnés par de l'argent, ni aucunement apaisés, ni fléchis par nos prières et nos supplications
Au contraire, ils les gardaient fort soigneusement, comme s'ils eussent retiré un grand gain de ce que les corps des Martyrs n'étaient point enterrés

Après ces choses & quelques autres, il est ajouté en cette même Épître ce qui s'ensuit:
«Finalement, les corps des Martyrs exposés aux moqueries & aux risées, gisant sur la terre, l'espace de six jours, furent enfin brûlés & réduits en cendres par ces infidèles; ils furent jetés au fleuve du Rhône, qui passe par là, afin qu'on ne pensât qu'aucun résidu demeurât sur la terre. Ils faisaient ces choses, comme s'ils eussent eu la force de vaincre Dieu, & ôter tout moyen aux Martyrs de revivre afin que ceux-ci, disaient-ils, n'aient plus aucune espérance de la résurrection, de laquelle ils étaient persuadés; ils nous introduisent une religion étrange & nouvelle, & méprisent les tourments, allant franchement & joyeusement à la mort, voyons maintenant s'ils ressusciteront, & si leur Dieu pourra les aider & les délivrer de nos mains.»
Voilà ce qu'Eusèbe a compris au 5. livre de son histoire.

Ce que le même auteur récite (raconte) du Martyre de Polycarpe , Évêque de Smyrne, est du tout mémorable, pour l'instruction & d'une grande consolation pour les fidèles. Après avoir récité (raconté) comment les persécuteurs recherchèrent ce bon pasteur qu'ils trouvèrent caché par les fidèles dans un lieu à l'écart où il fut averti trois jours avant sa prise, que son lit était en un feu qui le consuma en moins de rien, à cette occasion il assura (affirma à) ceux qui l'accompagnaient, qu'il finirait cette vie mortelle dedans le feu.

Étant découvert, il descend vers ceux qui le cherchaient, leur montre fort bon visage, leur fait dresser la table, & ayant obtenu d'eux de prier Dieu l'espace d'une heure en leur présence, il les étonna tellement, que la plupart d'eux déploraient & détestaient le rude traitement fait à un si honorable vieillard.
Sur ce Eusèbe ajoute:
«Après avoir achevé sa prière, dans laquelle il fit un sommaire de toute sa vie & fit mention de l'Église universelle, l'heure de partir étant venue, on le chargea sur un âne pour le mener en ville. Quelques-uns vinrent au-devant de lui, et l'ayant fait monter dans leur chariot, lui disaient:
«Quel mal y aura-t-il de dire: Vive l'Empereur, & sacrifier?»
De prime face (de prime abord) il ne sonna mot. Mais oyant (entendant) qu'ils le pressaient:
«Je ne ferai rien (dit-il) de ce que vous me conseillé.»
Eux voyant leur peine & leur parole perdue commencèrent à le rudoyer, & le poussèrent du chariot en bas, tellement qu'il se froissa la cuisse. Néanmoins, comme s'il n'eût rien souffert, il passa outre.

Le chemin était couvert de gens, qui fut cause que bien peu ouïrent (entendirent) une voix qui leur criait du ciel:
«Polycarpe, prend courage, & continue jusqu'à la fin.
«Personne ne vit celui qui parlait; mais la voix fut ouïe (entendue) de plusieurs Chrétiens. Étant entré dans la ville il y eut un grand bruit du peuple qui disait que Polycarpe était pris. Le gouverneur, devant qui on l'amène, l'interroge.

D. Es-tu celui qu'on nomme Polycarpe?
R. Oui
D. Renonce à ta religion, contregarde (conserve) ta vie, jure par la vie de l'Empereur, change de manière de vivre, dit que c'est bien fait d'exterminer les Chrétiens.

Sur ce Polycarpe, regardant d'un œil ferme la troupe qui l'environnait, haussant (levant) sa main avec un grand soupir & levant les yeux au ciel, répondit: Extermine ces infidèles-ci.
D. Jure, dépite (parle contre) Christ, je te laisserais aller.
R. Il y a quatre-vingt-six ans que je sers à Christ. Il ne me fit jamais mal ni de déplaisir quelconque: comment pourrais-je dire du mal de mon Roi qui m'a sauvé?
D. Jure par le bonheur de César.
R. Si vous prenez plaisir de me faire parler, faignant (faisant semblant de) ne savoir qui je suis, je suis chrétien. Si vous désirez savoir que (ce qu'est le) Christianisme, assignez-moi un jour, & je vous en parlerai.
D. Parle de cela au peuple.
R. C'est à vous que je parle. Nous sommes aprins (nous avons appris) de rendre aux Princes & Magistrats, honneur tel qu'il leur appartient & qui ne nous nuise point: quant à la populace, elle est incapable d’ouïr (d'entendre, de comprendre) mes défenses.
D. J'ai des bêtes pour te faire manger par elles si tu ne changes pas de langage.
R. Faites-les venir. Ma résolution est de ne point changer le bien en mal: au contraire, cela nous est honneur de quitter les choses méchantes pour suivre les justes.
D. Je te ferai brûler, si tu dépites les bêtes & que tu persévères dans ton opinion.
R. Vous me menacez d'un feu d'une heure, & vous ne savez que c'est un feu éternel qui est apprêté (réservé) aux réprouvés. Pourquoi tardez-vous tant? Faites-moi du pis (le pire) qu'il vous sera possible.»

Polycarpe parlant ainsi se sentait plein de foi & de joie. Sa face était si vermeille, qu'au lieu d'être troublée par les menaces du gouverneur, on le voyait très assuré, & le gouverneur tout pâle, envoya un des officiers crier par trois fois au milieu de la place: POLYCARPE A CONFESSÉ QU'IL EST CHRÉTIEN.

Après cette annonce tous les Gentils & Juifs demeurant dans la ville de Smyrne commencent à tempêter & à crier de tous côtés: «C'est le Docteur de l'Asie, le père des Chrétiens, le ruineur de nos Dieux qui a prêché à plusieurs, qu'il ne les faut point adorer.»
Passant outre ils suppliaient ce gouverneur de faire déchirer Polycarpe par un lion; ce qu'il refusa de faire, disant que le lion avait déjà couru & chassé. Alors ils se mirent à crier qu'il fût donc brûlé tout vif, ce qui leur fut promptement accordé, afin que fût accompli ce que Polycarpe avait prédit à ses amis
«Il faut que je sois brûlé tout vif.»

Le peuple courut de ce pas dans ses bûchers & greniers, d'où il apporte du bois & des sarments: en quoi ils étaient secondés par les Juifs qui s'y employaient avec grand courage, selon leur coutume.
Ayant dressé le bois, Polycarpe se dépouilla, & tâcha (essaya) de se déchausser, & ensuite on l'environne de ce qui est requis pour le supplice. Comme on voulait l'attacher contre le pieu, il leur dit:
«Laissez-moi comme je suis; celui qui m'a fait la grâce de mépriser le feu, me fortifiera tellement que sans être ainsi ferré (attaché dans des fers) je demeurerai ferme & debout dans les flammes.»
À sa requête ils ses contentèrent de l'attacher de cordes, & lui ayant lié les mains derrière le dos, le présentèrent, comme une grande victime des plus belles de tout le troupeau, en sacrifice de bonne odeur au Dieu Tout-puissant, à qui Polycarpe fit la prière qui s'ensuit:
«Père de ton Fils bien-aimé & bénit Jésus Christ , par qui nous avons eu connaissance de toi, O Dieu des Ans de toutes créatures & de tant de fidèles qui vivent en ta présence, je te rends grâces de ce qu'aujourd'hui & à cette heure tu m'as fait cet honneur que je sois du nombre des Martyrs, & que, buvant dans la coupe de Christ, j'aie part à la résurrection de vie éternelle en corps & en âme par la vertu du Saint-Esprit. Je me présente devant toi en sacrifice, que je te prie avoir pour agréable; ce que tu fais & accomplis a été manifesté ci-devant par toi. Dieu véritable qui ne peux mentir. Or je te remercie de tant de biens, je béni ton saint Nom, je te glorifie par mon sacrificateur éternel Jésus Christ; ton Fils bien-aimé, par lequel gloire soit à toi, à lui & au Saint-Esprit dès maintenant & à jamais. Amen.»

Comme il achevait, les bourreaux mettent le feu au monceau de bois, mais d'autant que le feu se voûtait autour de ce martyr, sans l'approcher, les méchants commencèrent à crier à l'un des bourreaux, & lui commandent de le transpercer d'un coup de javeline. Ce qu'ayant fait, il sortit tant de sang du corps de ce saint personnage, pasteur de l'Église de Smyrne, que le feu en fut presque éteint. Et sur ce, il rendit paisiblement l’esprit au Seigneur.
Douze hommes de Philadelphie furent aussi brûlés à Smyrne avec lui, & quelques autres après qui glorifièrent le nom de Jésus Christ.

Or j'ai récité (raconté) un peu au long le fait des martyrs de Lyon & de Vienne, & la procédure tenue contre Polycarpe, pource (dans le but) que cela montre comme les anciens persécuteurs besognaient pour la plupart envers les serviteurs de Dieu; je répéterai en cet endroit ce que j'ai déjà dit ci-dessus:

Qui sera celui tant dépourvu d'entendement, qui ose dire que la doctrine & pure religion des saints martyrs & témoins de Jésus Christ, ait été fausse, encore qu'ils aient été livrés de Dieu en la main des païens leurs ennemis: et que la fausse religion de ces incrédules ait été bonne et vraie pour ce qu'ils surmontèrent corporellement, et tuèrent les pauvres fidèles?
Ou, qui sera si audacieux de vouloir disputer avec Dieu, pourquoi il a souffert que son Église bien aimée ait été oppressée de tant et si grandes afflictions?

Mais Dieu par sa grâce suscita de La Religion ce temps-là, et après aussi, d'entre les païens même, de saints & savants, de grande estime & autorité, lesquels par leurs doctes, saints, & divins écrits (qu'ils appelaient Apologies) adressés aux Empereurs Romains, au Sénat, & aux Gouverneurs, proposaient l'innocence des Chrétiens, confessaient, magnifiaient, & défendaient la religion chrétienne, & prouvaient que les Chrétiens sont innocents des forfaits dont ils étaient accusés à tort. Qui plus est, ils furent si hardis que de découvrir, taxer et réfuter par ces Apologies la vanité & la fausseté de la religion des païens.

Or je mettrai ci-après les noms de tels personnages, prenant d'Eusèbe, & noterai le temps auquel ils ont vécu: afin que chacun voit, comme la foi chrétienne, en grandes persécutions, s'est montrée ouvertement et hardiment, sans aucune peur ni frayeur, & a répandu ses rayons comme le soleil, nonobstant qu'elle fût persécutée en qualité d'hérésies & séduction, & arrosée du sang des Chrétiens.

L'an du Seigneur 119. Quadratus, homme craignant Dieu, & de grande autorité, présenta un livre à l'Empereur Hadrien, en faveur des Chrétiens.
Sept ans après, un gentilhomme Romain, nommé Serenus Granius, envoya un semblable écrit au même Empereur. Autant en fit un grand personnage nommé Aristides.
Ces livres émurent (touchèrent) tellement cet Empereur qu'il demanda à son Lieutenant en Asie, nommé Minutius Fundanus, qu'à l'avenir il ne reçût aucune accusation contre les Chrétiens, sinon qu'ils fussent chargés (accusés) de quelque autre crime.


L'an 141. Justin Philosophe, homme fort renommé dans tout l'Empire Romain, écrivit & envoya une apologie pour les Chrétiens à l'Empereur Antonin surnommé le Débonnaire. Autant en firent Afian (Asian?), & Apollinaire pasteur de l'Église de Hierapolis, & Milciades. Cet Empereur Antonin défendit à ses lieutenants en Asie, qu'ils fissent aucun déplaisir aux Chrétiens.
On trouve la copie de sa lettre au quatrième livre de l'histoire Ecclésiastique, chap. 13.

Semblablement, Athenagoras, Philosophe Athénien, écrivit une Apologie à Marc Aurèle Antonin, & à Lucius Aurelius Commodus, laquelle on trouve imprimée en Grec & en Latin.
Il y avait aussi à Rome un fort sage & excellent Sénateur, nommé Apollonius, lequel ayant été recherché & accusé à cause de la Religion chrétienne, composa un fort beau livre de la religion des Chrétiens & de leur innocence, lequel il présenta au Sénat: ce nonobstant il fut mis à mort, ce qui advînt l'an du Seigneur 188.

Finalement l'an 209. Tertullien écrivit aussi un fort beau livre pour les Chrétiens, où il démontre leur innocence, la folie des superstitions païennes, & la vérité & l'excellence de la Religion chrétienne.
Ce livre intitulé Apologétique, est encore en lumière. Des Apologies de Justin & de Tertullien nous extrairons pour le présent ce qui s'enfuit pour montrer quelles étaient les Églises chrétiennes d'alors.

«CEUX qui croient (dit Justin en sa seconde Apologie (9) pour les Chrétiens) ce que nous enseignons de Christ est véritable, & promettent de vivre comme sa parole le requiert, apprennent premièrement à demander à Dieu par prières, accompagnées de jeûnes, qu'il leur pardonne les fautes passées, & de notre part nous joignons nos prières aux leurs.

Puis après nous les menons à l'eau, & renaissent en la même sorte que nous avons été régénérés: car ils sont baptisés d'eau au Nom du Père de tous, de notre Dieu & Sauveur Jésus Christ, & du S. Esprit.
Ayant ainsi instruit & baptisé quelqu'un, nous le ramenons vers les frères en l'assemblée, afin que tous ensemble fassions des prières, tant pour nous-mêmes que pour celui qui est de nouveau éclairé en la connaissance de son salut, afin qu'en adhérant à la pure doctrine nous vivions si sainement que nous soyons trouvés fidèles observateurs de la volonté de Dieu, & que nous obtenions vie éternelle.
Après la prière achevée, nous nous entre-saluons par un baiser.
Le Ministre ayant action l'action de grâces, les diacres donnent aux fidèles présents leur part de pain & de vin trempé, consacrés avec action de grâces, & permettent qu'on en porte aux absents.
Cet aliment s'appelle entre nous Eucharistie, auquel personne ne communique que ceux qui tiennent notre doctrine pour véritable, qui ont été baptisés du lavement de régénération en rémission des péchés, & qui vivent comme Christ a enseigné. Car nous ne prenons pas cela comme du pain & du vin commun: mais tout ainsi que Jésus Christ fils de Dieu, notre Sauveur fait vrai homme, a pris chair et sang pour notre salut: aussi par la parole de prière & d'action de grâces, nous apprenons que la viande sacrée laquelle changée nourrit notre chair & notre sang est la chair et le sang de ce Jésus Christ vrai homme.

Le jour du Dimanche, les fidèles des villes & des champs s'assemblent: alors on lit les écrits des Prophètes & des Apôtres.
Après que le Lecteur a achevé, le Ministre fait une exhortation à sainteté de vie. Cela fait, les riches donnent l'aumône, s'il leur plaît, chacun à sa discrétion. Leurs contributions sont mises en mains du Ministre, qui les distribue aux orphelins, indigents, &.
Nous faisons nos assemblées le Dimanche, pource (parce) qu'en ce jour-là Dieu créa le ciel & la terre, & Jésus Christ ressuscita des morts.»

TERTULLIAN, en son apologétique,chap. 39:
«Nous nous assemblons, dit-il, en grande compagnie, afin que nous obtenions de Dieu, par prière & comme à force de plusieurs voix, ce qui nous est nécessaire. Une telle importunité lui est agréable. Nous prions pour les Empereurs, & pour les états publics, & c.
Nous sommes assemblés pour ouïr la lecture de la parole de Dieu, & pour être exhortés de nous repentir, ou de nous fortifier selon que la circonstance du temps le requiert.
Quoi qu'il en soit, par saintes prédications nous nourrissons la foi, relevons l'espérance, asseurons (ranimons) le courage, & n'oublions pas de répéter (demander) soigneusement l'obéissance aux commandements de Dieu.
En nos assemblées l'on a les exhortations, répréhensions & la censure de l'Église, laquelle juge avec un soigneux examen ceux qui faillent, se souvenant bien que Dieu les regarde. Si quelqu'un a commis tel scandale qu'il soit banni des lieux où se font les prières, & autres saints & publics exercices de Religion, cela lui est un préjugé comme définitif de condamnation à mort éternelle.
Certains anciens bien éprouvés, & qui sont montés en ce degré d'honneur, non point par argent, mais par témoignage de piété, président en telles assemblées.
Chacun apporte sa petite aumône, par mois, ou quand il lui plaît, & pourvu qu'il le puisse. Car on ne contraint personne, mais chacun donne de son bon gré. Et ce sont les dépôts de piété, dont nuls autres que les pauvres n'ont part.
Notre Cène montre à son nom ce qu'elle requiert de fait. On l'appelle entre nous Agapé, c'est à dire dilection (Amour, tendresse): quelques frais qu'il faille faire, c'est grand gain de dépendre (dépenser), pour les exercices de piété.
Tous les pauvres sont aidés & soulagés par ce moyen.
L'on ne se met point à table, que préalablement Dieu n'ait été invoqué. Chacun mange autant que la nécessité le requiert. On boit selon qu'il est besoin à l'honnêteté: les fidèles ... n'oublient point que mêmes durant la nuit il faut adorer Dieu.
Leurs devis (dispositions) sont tels qu'ils se souviennent que Dieu les écoute. Après qu'on a lavé les mains, & mis la lumière sur table, selon que chacun... est incité de (conduit à) chanter à Dieu par Psaumes & cantiques spirituels. Cela découvre la sobriété ou l'intempérance des uns et des autres.
À l'issue de table (la fin du repas), on prie Dieu comme au commencement.»

Ce bref extrait de l'Apologétique de Tertullien nous amène par l'ordre des temps à la 5. persécution de l'Église sous l'Empereur Septime Sévère, environ deux cent cinq ans après la naissance de Jésus Christ.

Ce Prince, comme témoigne Tertullien (qui vivait de son temps) en son livret à Scapula, portait bonne affection aux Chrétiens, & s'opposait à la fureur du peuple qui leur courrait sus. Même il fit des édits en leur faveur. Or, en l'an neuvième de son empire, étant allé en pèlerinage vers l'idole de Serapis en Alexandrie, il changea de volonté.
En ce livret adressé à Scapula & ailleurs Tertullien fait mention des principaux auteurs de la persécution, & S. Cyprian aussi qui les distingue en trois bandes, à savoir païens, Juifs & Hérétiques.

Les crimes imposés aux Chrétiens étaient sédition, crime de lèse-majesté. On les accusait d'être homicides, sacrilèges, incestueux, meurtriers de petits enfants & mangeurs de chair humaine, se mettant ensemble comme bêtes brutes, après les chandelles éteintes, adorant une tête d'âne, & le Soleil pour leur Dieu; qu'ils ne servaient de rien (qu'ils ne serviraient pour rien) au monde, mais étaient ennemis du genre humain, contempteurs (mépriseurs) de la religion que les peuples observaient & maintenaient par si longue espace de temps: c'est ce qui avait attiré tous les malheurs dont le monde était foulé, comme S. Cyprian dit de Démetrian qui diffamait ainsi la doctrine de l'Évangile & les anciens Chrétiens.

Eusèbe décrit cette persécution sous Sévère, au 6. liv. de son histoire, ch. 1. & parle des fidèles d'Égypte & de Thébaïde exécutés à mort en la ville d'Alexandrie, entre lesquels fut Leonides, Père d'Origène docteur fort renommé, & infinis autres.

La persécution fut véhémente à Carthage, comme le livret à Scapula le montre, & en Cappadoce pareillement les martyrs étaient décapités & brûlés. On confisquait leurs biens. Ce néanmoins (malgré cela), tous persévérèrent constamment, & au milieu des supplices condamnaient & détestaient les superstitions de leurs adversaires, ce qui est amplement traité en l'Apologétique de Tertullien, lequel découvre la vanité & l'iniquité des païens, répond à toutes les calomnies imposées aux Chrétiens, & prouve qu'ils ne font coupables d'aucun des crimes qu'on leur imposait.

Durant ces horribles tempêtes, la Foi, la Charité & la Patience des fidèles croissaient & s'épuraient comme l'or en la fournaise: & le Seigneur d'autre part conserva beaucoup de pasteurs & autres particuliers de son Église pour remettre les choses au-dessus après la mort de cet Empereur; l'état de l'Église fut assez tranquille sous Caracalla, Macrin & Héliogabale. Mais la sixième persécution se ralluma sous Maximin, de laquelle il faut dire aussi quelque chose.

L'an de Christ 239. Jules Maximin persécuta l'Église Chrétienne, commandant qu'on empoignât principalement les docteurs de l'Église, à savoir les pasteurs et ministres: car c'étaient eux qui séduisent (comme il disait) le pauvre peuple par leurs prêches, & étaient cause de troubles en l'Empire. Et pourtant les fallait dépêcher (s'en débarrasser rapidement) pour remettre l'Empire en repos, & nettoyer le monde de celle fausse doctrine. Plusieurs ministres de l'Église furent alors mis à mort: du nombre desquels sont Pamphile & Maximus.

Origène écrivit en ce temps-là, pour la consolation de l'Église, un beau livre du Martyre, où il montre qu'il faut que les vrais Chrétiens confessent et rendent témoignage de leur foi, de bouche & par oeuvres & qu'ils la scellent de leur sang, si besoin est. Car de son temps s'était élevée une pernicieuse secte des Helchefaites, lesquels disaient qu'il suffisait d'avoir & de garder la foi au coeur, & qu'on pouvait fort bien (en temps de nécessité) la renier de bouche.
Cette opinion est du tout contraire à la doctrine de l'Évangile, & des Apôtres. Mat. .10. & Rom. 10. chap. Et dura cette persécution & effusion de sang trois ans entiers.

L'an de Christ 252. ou comme les autres disent 254. commença... dans toutes les provinces de l'Empire, sous Decius, la septième persécution contre l'Église chrétienne, qui fut beaucoup plus cruelle que la précédente.

L'Église fut privée de beaucoup d'excellents personnages en cette persécution. Sixtus Évêque de Rome fut décapité
Laurent son diacre fut grillé, ainsi que le poète Prudentius en fait mention & de plusieurs autres, en ses hymnes
En celui d'un martyr nommé Romain, il traite excellemment de la Religion chrétienne & des ses vrais exercices.
Il décrit aussi les tourments de S. Hippolyte, qui fut démembré par des chevaux sauvages.

Babylas très excellent serviteur de CHRIST, & Évêque d'Antioche fut tué. Ce dernier pria fort qu'on mît auprès de lui la chaîne avec laquelle on le traînait à la mort, comme son ornement & collier de l'ordre.
Serapion, ayant été déchiqueté de plusieurs plaies, fut précipité du haut de sa maison en bas.
Macaire, Alexandre, & Epimachus furent brûlés.

Plusieurs vierges excellentes furent cruellement tourmentées & mises à mort, à savoir Apolloine, Eugène, Victoire , Théodore, Anatholie, Rufine, & plusieurs autres.
Denis, Évêque d'Alexandrie, écrivit une lettre à Fabian ministre d'Antioche, en laquelle il raconte seulement les saints martyrs qui furent mis à mort en Alexandrie, sous Decius
Cette lettre est au 6. liv. de l'histoire Ecclésiastique d'Eusèbe, chap. 31.

Hermannus Contradus (10) fait aussi un long dénombrement en sa chronique des S. martyrs, qui souffrirent la mort en divers lieux de l'empire, sous Decius. Bref en cette persécution fut répandu une infinité de précieux sang des innocents. Comme Tertullien avait plaidé sous Sévère la cause des Chrétiens, Cyprian, Évêque de Carthage, son disciple, fit de même & réfuta les calomnies des païens en répondant à un de leurs principaux Avocats nommé Demetrian. Prudence aussi, peu après fit répondre, en beaux vers latins, aux plaintes & objections de Symmachus grand ennemi des Chrétiens.


À grand peine que la VII. persécution eut cessée, que la VIII. Commença par le commandement de l'Empereur Valérien , l'an de Christ 260. en laquelle furent décapités deux excellents personnages, à savoir Corneille Evêque de Rome, & Cyprian Evêque de Carthage en Afrique.

Les histoires font mention d'un grand nombre de grands personnages, qui en ce temps-là reçurent la couronne de Martyre.

On écorcha adonc (à ce moment-là) plusieurs fidèles pour tâcher de les détourner, par ce cruel tourment, de la foi chrétienne, à celle des païens: en quoi ils n'obtinrent point ce qu'ils désiraient.


Table des matières


1) Ce 1er livre n'est pas de Crespin. Il ne se trouve pas dans l'édition de 1570, la dernière dont il ait surveillé l'impression. Il fut ajouté, ainsi que les trois derniers, par Simon Goulart (voir ce qui est dit de lui dans l'Introduction) et ne commença à paraître que dans l'édition de 1582. Il est moins important que les suivants. C'est un résumé chargé de noms et de faits de l'histoire ecclésiastique depuis les origines jusqu'au temps de Wyclef. Nous l'accompagnerons de fort peu de notes, laissant à l'auteur la responsabilité de ses assertions, et nous contentant de renvoyer aux nombreux ouvrages modernes sur la matière, en particulier aux Encyclopédies d'Herzog et de Lichtenberger et aux volumes de E. Chastel, Histoire du christianisme depuis son origine jusqu'à nos jours, et de E. de Pressensé, Histoire des trois premiers siècles de l'Église chrétienne.

2) Semen ecclesiae sanguis christianorum. Tertullien, Apolog., c. L.

3) Ce n'est pas le supplice, c'est la cause qui fait les martyrs. C'est la pensée développée par Cyprien, De unitate Ecclesiœ, c. XIV, en parlant des souffrances de l'hérétique. Non erit religiosœ virtutis exitus gloriosus, sed desperationis interitus, Occiditalis potest, coronari non potest.»

4) Paul Orose, historien du cinquième siècle ap, J-C, disciple de saint Augustin, a laissé: Historiarum adversus paganos libris septem.

5) La commune pour le commun (vulgus).

6) Exitiabilis superstitio crumpebat.

7) Voici quelques fragments de cette lettre de Pline souvent citée:

«Les chrétiens se réunissent un certain jour dès l'aurore, chantant ensemble un cantique en l'honneur de Christ, comme en l'honneur d'une divinité. Ils s'astreignent par serment à ne commettre aucun crime, ni vol, ni larcin, ni adultère.»

8) Comme on étend la peau sur un tambour.

9) C'est-à-dire dans la grande Apologétique, chap. LXV et LXVI

10) Hermann dit Contractas, à cause de son état de paralysie, fut moine dans l'abbaye de Reichenau (1015-1054). Il a laissé une Chronique.


 

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