Mais, étant arrivé dans la Troade en vue de l'Evangile de Christ, et une porte m'ayant été ouverte dans le Seigneur, je n'eus point de relâche dans mon esprit en ne trouvant pas Tite mon frère. Mais, ayant pris congé d'eux (des gens de la Troade), je partis pour la Macédoine.... Mais
grâces
à Dieu qui, toujours, triomphe de nous en Christ, et
manifeste par nous en tout lieu l'odeur de sa
connaissance!
Parce que nous sommes le parfum de Christ par Dieu, en
ceux
qui sont sauvés et en ceux qui périssent; aux
uns, odeur qui va de la mort à la mort, aux autres,
odeur qui va de la vie à la vie. Et pour ces choses,
qui est suffisant? Car nous ne sommes pas, comme
plusieurs,
des falsificateurs de la Parole de Dieu; mais notre
parole
sort en quelque sorte de la sincérité, sort
comme de Dieu, en face de Dieu, en Christ.
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L'apôtre vient d'exprimer tout ensemble l'affection et les inquiétudes dont son coeur de père est possédé, affection qui pardonne au coupable repentant, inquiétudes qui lui révèlent les projets de Satan. Il reprend maintenant l'exposé rapide, mais singulièrement animé, de ses démarches pour obtenir enfin des nouvelles certaines des Corinthiens.
Il se trouvait à Ephèse pendant le voyage de Tite, son second messager. Il attendait toujours. Attente vaine; Tite ne revenait pas. Alors, comme il nous arrive maintes fois de le faire quand nous attendons un de nos enfants absents, il part pour aller à la rencontre de son jeune disciple. Cela rapproche les distances; on se voit plus vite ; c'est un jour, huit jours de moins d'incertitudes. Voilà notre apôtre à Troas, port sur la mer Egée. Et nous pouvons nous le représenter se rendant plusieurs fois, chaque jour, sur les quais de débarquement, examinant chaque navire arrivant de Grèce, s'approchant le plus possible de la passerelle, car il a mauvaise vue, comptant, dévisageant les passagers à mesure qu'ils sortent.... Point de Tite!
Mais comme Paul ne sait pas attendre sans rien faire, il emploie une bonne partie de ses journées à prêcher; ne nous dit-il pas expressément qu'il est venu à Troas « pour l'Evangile » (v. 12)? Et sa prédication fait du bien, beaucoup de bien. Suivant la pittoresque expression qu'il emploie, « une porte lui est ouverte; » il en profite pour y passer, pour entrer, non pas dans la ville, vous comprenez, mais dans les coeurs, amenant ainsi à Jésus un nombre d'âmes que nous pouvons croire considérable.
Notons ici, toutefois, le bon sens, dirons-nous, ou l'humble fidélité de notre apôtre. Il ne reste pas longtemps dans ce milieu où il vient de trouver de si beaux encouragements. Le succès ne le grise pas. Le nouveau troupeau qui se forme autour de lui ne lui fait pas oublier l'ancien. S'il allait, en prolongeant trop son séjour à Troas, compromettre l'Eglise de Corinthe, négliger des mesures qui ne doivent pas être renvoyées, favoriser, par un instant d'oubli, les desseins de Satan! Il faut partir. Il faut savoir au plus tôt, et de la façon la plus exacte, ce qui se passe en Achaïe. Laissons Troas. Disons adieu pour le moment à cette communauté naissante. Nous la retrouverons si le Seigneur le permet. D'ailleurs, mon esprit n'y trouve plus aucun repos. Mon devoir m'appelle. Allons! pour la seconde fois, en route pour la Macédoine.
Que s'est-il passé alors? Pour le moment, nous n'en savons absolument rien. Le maître et le disciple se sont rencontrés quelque part dans cette province moitié grecque moitié romaine. Les nouvelles apportées au missionnaire étaient excellentes. Oui, mais tout cela nous ne l'apprenons qu'au commencement du chapitre septième. Ici, pas un mot sur cette rencontre, pas une description, pas un récit. En revanche, une action de grâce enthousiaste, un vrai cantique de louange. Relisez plutôt nos versets 13 et 14 : « Ayant pris congé, je partis pour aller en Macédoine. Mais grâce à Dieu qui triomphe toujours.... » Grâce à Dieu, pourquoi? Parce qu'il m'a fait trouver Tite? Non: « Parce qu'il manifeste en tout lieu par nous le parfum de sa connaissance, » et ainsi de suite. Voilà, pour l'instant comment Paul raconte. Cela ne ressemble pas beaucoup, vous en conviendrez, à nos narrations ordinaires.
C'est que l'apôtre entrevoit quelque chose de plus pressé que son récit. Il entend exposer maintenant aux Corinthiens, qui l'ont oubliée ou méconnue en partie, la vraie nature, par conséquent la grandeur de son ministère. Il n'estime pas perdre son temps en se livrant à ces considérations. Car ce n'est ni sa personne ni son oeuvre qu'il va glorifier; ce sera uniquement la puissance de Dieu agissant dans ses serviteurs. Rassuré d'une manière générale sur l'état spirituel des Corinthiens, il peut consacrer quelques pages de sa lettre à les placer en présence de ce phénomène nouveau dont ils ont trop détourné leurs pensées : le ministère évangélique dans ses exigences et dans ses promesses. Il va leur faire comprendre le caractère triomphal de ce ministère; leur rappeler qu'il peut produire des effets de mort aussi bien que des effets de vie; montrer la source de sa puissance dans une obéissance inébranlable à la Parole de Dieu. Cet enseignement terminé, il reviendra sans peine à la narration du revoir avec Tite; il n'y aura point eu de temps perdu.
I. Ministère triomphal.
Le ministère dont s'acquittaient Paul et ses collègues (l'apôtre, dans tout ce morceau, parle au pluriel et non au singulier) revêt un caractère triomphal. Très bien; mais qui donc triomphe ? Le missionnaire, les pasteurs, Ou Dieu seul? En d'autres termes, Paul veut-il dire : « Grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher! » ou bien: « ... qui toujours triomphe de nous? »
La première interprétation est celle de saint Augustin, suivi d'ailleurs par un très grand nombre de commentateurs. En fait, cependant, cette traduction ne me paraît se justifier ni par l'usage des auteurs classiques, ni par celui du Nouveau Testament. Nous rencontrons en effet une fois encore sous la plume de Paul le même verbe (thriambeuô) avec le sens très évident de « triompher » et non point de « faire triompher. » C'est dans l'épître aux Colossiens, au chapitre II, verset 15, où l'on ne pourrait traduire par « faire triompher » sans fausser directement la pensée de l'écrivain. Traduisons donc ici hardiment: « Grâces à Dieu qui toujours triomphe de nous en Christ (1)! »
Comme ce sens, voulu par la langue, s'accorde bien avec l'humilité de Paul, avec son besoin constant de rendre à Dieu seul la gloire, en effaçant sa propre personne! Oui, Dieu a triomphé, Dieu triomphe encore de l'apôtre et de ses compagnons d'oeuvre, missionnaires pasteurs, évangélistes ou docteurs. Il a triomphé de leur faiblesse, véritable impuissance en face de l'immensité de la tâche. Il a triomphé de leurs objections et de leurs résistances, comme il triomphait autrefois de celles de Moïse répondant à son appel: « Envoie, je te prie, qui tu voudras envoyer (2); » d'Esaïe tout épouvanté lors de sa vocation (3); de Jérémie s'écriant avec angoisse: « je ne sais pas parler, je ne suis qu'un enfant (4). » Saul de Tarse, lui aussi, quand le Seigneur lui apparut dans le temple de Jérusalem et voulut le consacrer prédicateur des païens, commença par lui représenter que son ministère pourrait être bien plus utile au milieu des Juifs (5). -Mais son maître triompha de lui, comme, trois ans auparavant, sur le chemin de Damas. Oui, Dieu triomphe de ses serviteurs afin de leur enseigner à le servir; puis, ainsi que le faisait le triomphateur antique à l'égard de ses prisonniers, il les joint à son triomphe, il les fait monter en quelque sorte sur son char pour parcourir le monde de l'orient au couchant et du sud au septentrion.
Quelle marche triomphale! Quelle colossale grandeur au travers de la faiblesse apparente des moyens! Quelle splendide image de l'extension du règne de Dieu, et que nous la voyons bien se réaliser depuis tantôt deux siècles dans le champ des missions évangéliques! Morisson, La croix, John Williams, Lechler, Escande, Coillard... que sont-ils, sinon des vaincus de Dieu, devenus avec lui et par lui des vainqueurs, parcourant notre terre de péché pour y laisser après eux la bonne odeur de Christ? De même que des esclaves ou des soldats, précédant, accompagnant et suivant l'équipage du triomphateur, brûlaient de l'encens et l'enveloppaient d'un nuage de parfums, de même ces vaincus victorieux, entraînés à la suite du grand Roi, laissent partout sur leur passage la bonne odeur de Christ. Chaînes brisées, esclavage aboli, cannibalisme tué, famille reconstituée, écoles ouvertes, instruction répandue, moeurs adoucies, églises fondées, païens d'hier prenant aujourd'hui la tête de la civilisation chrétienne, voilà ce parfum sans égal dont Paul devenait déjà le porteur et dont nous retrouvons les traces, à travers les miasmes du moyen, âge, jusqu'à l'aurore de la Réformation et plus tard à l'éclosion de nos missions. Voilà comment Dieu triomphait de notre apôtre.
Une note grave, pourtant, doit se faire entendre dans ce concert. Car, enfin, ce ministère évangélique, si glorieux et si fort, ne sauve pas tous ceux qui en sont les objets. Les uns acceptent, les autres repoussent le salut qu'il leur présente. Aucune violence extérieure ne s'exerce sur eux; leur liberté demeure entière. Certes, le parfum ne cesse point d'être pur. Mais les effets qu'il produit sont très divers, opposés même; ici condamnation, là justification. La bonne odeur de Christ ne change point de nature; mais elle devient, pour les uns, « odeur de mort, produisant la mort, pour les autres, odeur de vie, produisant la vie. »
Cela vous semble-t-il impossible ? Demandez l'explication aux juifs du temps de Pilate, qui ont crucifié Jésus-Christ, parce qu'ils préféraient au parfum de son humilité celui de leurs bonnes oeuvres et de leurs sacrifices formalistes, ou plutôt parce que le parfum du Seigneur éveillait leur jalousie féroce et leurs impitoyables rancunes. Demandez à tant de vos contemporains qui entendent très souvent l'Evangile, qui l'admirent volontiers, le vantent, le chantent peut-être, mais ne l'acceptent pas, refusent d'en porter le joug, préférant se courber sous celui du monde qu'ils ne peuvent déjà plus soulever, répétant enfin, les uns en pleurant, les autres avec dépit les vers découragés du poète:
- O Christ! je ne suis pas de ceux que la prière
- Dans tes parvis sacrés conduit à pas tremblants.
Pour eux, la bonne odeur du Christ, un moment respirée, ne tarda guère à devenir un de ces parfums capiteux qui troublent l'esprit, l'endorment, et quelquefois d'un sommeil dont on se réveille plus.
Ces pensées solennelles semblent arrêter quelques minutes la plume de notre apôtre. Il se recueille, il s'interroge : « Qui, dit-il, est suffisant pour ces choses ? » Qui peut brûler un parfum d'où sortent la mort et la vie ? Nous osons répondre : tout le monde et personne. Il n'y a pas un de nous qui ne soit capable - terrible responsabilité - de répandre autour de sa vie une « odeur de mort pour la mort. » Pas un dont la parole ou l'exemple, même appuyés en apparence sur la doctrine du Christ, ne puissent devenir, pour une seule âme ou pour plusieurs, une cause de ruine. Personne, en revanche, ne saurait faire jaillir de son coeur un « parfum de vie pour la vie », personne, dis-je, sinon le plus humble des enfants de Dieu, qui se tient en communion permanente avec le vivant c'est-à-dire avec Jésus-Christ, car Jésus est la vie. Paul était cet homme-là; ses collègues aussi. Voilà pourquoi, quand nous regardons à leurs travaux, quand nous lisons les lettres de l'apôtre, nous respirons un parfum de vie qui nous vivifie. Et dans la mesure même où Dieu triomphe de nous comme il triompha d'eux, entourant le char du triomphateur, nous répandons sur les pas de Dieu dans l'histoire la bonne odeur de Christ. Mes chers lecteurs, est-ce vrai de chacun de vous?
2. Parole de Dieu.
Si Paul et les ministres fidèles du Seigneur ont obtenu de si grands résultais, s'ils ont vraiment fait pénétrer dans le monde la bonne odeur du Christ, c'est qu'ils n'ont jamais prêché leur propre parole. Ils annonçaient la Parole de Dieu.
Toutefois ceux qui l'annoncent peuvent se compter par milliers. Au temps de notre apôtre, on les rencontrait déjà fort nombreux dans plusieurs provinces de l'empire romain. Mais il s'en fallait de beaucoup alors que cette prédication produisît partout des fruits de vie... et il s'en faut de beaucoup encore aujourd'hui. Pourquoi cela?
Assurément, nous pouvons expliquer une grande partie de ces échecs par les résistances du coeur de l'homme. Le pécheur veut rester dans son péché; il repousse la parole qui le lui découvre et qui essaie de lui en faire honte. Mais cette explication ne suffit point. La parole de Dieu ne porte pas toujours des fruits de conversion parce que ceux qui la prêchent la falsifient quelquefois. Le mot parait dur, j'en conviens. Si l'apôtre n'hésite pas à l'employer, il sait probablement ce qu'il dit. Il a vu, il voit encore de ces falsifications, et sans nommer, sans même désigner personne, il écrit avec toute l'autorité d'une conscience honnête : « Nous lie sommes pas comme plusieurs qui frelatent (traduction littérale) la Parole de Dieu. » Il se sert ici d'une image empruntée au commerce, particulièrement aux procédés de certains marchands de vin qui cherchaient le gain par des moyens peu scrupuleux. Les uns exagéraient outre mesure leurs prix; les autres mélangeaient la marchandise bonne avec la mauvaise. Falsifications qui ont dépassé, convenons-en, le siècle apostolique, et qui se rencontrent, hélas! dans un bien autre domaine que celui du commerce. La Bible, elle-même, dès qu'elle a paru, en a été l'objet.
La Parole prêchée par Paul et par ses collègues ne pouvait être encore que l'Ancien Testament. Nous verrons plus loin l'usage qu'il en faisait. Pour le moment il se contente d'affirmer qu'il ne le falsifie point. Or, comment peut-on falsifier un livre ? De trois façons, nous semble-t-il. En enlevant telle ou telle des parties qu'il contient; en y insérant des fragments étrangers ; en interprétant les textes d'une manière manifestement contraire à la pensée de l'écrivain. Sur ces trois points, Paul se sent et se déclare innocent. Le sommes-nous comme lui?
Nul aujourd'hui n'ignore les attaques très nombreuses et très diverses dirigées contre l'Ancien Testament. Beaucoup de chrétiens s'en épouvantent ; d'autres s'en réjouissent, au contraire. Une foi solide ne devrait partager, me semble-t-il, ni cette satisfaction souvent prétentieuse, ni cette terreur irraisonnée. Une science loyale changera, sans doute, telle opinion traditionaliste sur la valeur, même sur l'authenticité d'une portion ou d'une autre de l'Ecriture Sainte. Elle reconnaîtra la loi d'un progrès constant, à travers toutes ces pages, de la Genèse à Malachie. Elle modifiera des traductions que nos pères crurent inspirées et que les règles actuelles de la philologie rendent tout simplement impossibles. Et ce qu'elle fait pour la Parole de Dieu possédée par saint Paul, elle le fait aussi pour cette Parole dont il fut un des principaux auteurs, c'est-à-dire pour le Nouveau Testament. Travail bienfaisant après tout, malgré les cris poussés par des conservateurs trop timorés.
Travail qui fait de mieux en mieux ressortir le caractère divin du Livre entier. Ce n'est donc point là ce que nous appellerons une falsification.
Mais la voici, celle que redoutait l'apôtre et que nous aurons toute raison de redouter comme lui. La science n'a pas grand chose à y voir, alors même que les falsificateurs se targuent volontiers de termes scientifiques dont ils ne comprennent pas le sens ni la portée. C'est ce travail de lente désagrégation, qui consiste à retrancher de la Bible - ancienne ou nouvelle alliance - les commandements et les doctrines dont le coeur naturel de l'homme ne consent point à s'accommoder. C'est cette sélection mondaine et frivole qui accepte le dieu des bonnes gens, mais qui repousse le Dieu juste et saint et nie énergiquement que ses yeux soient trop purs pour voir le mal. C'est cette admiration superficielle qui se pâme devant certains Psaumes, applaudit à quelques versets du sermon sur la montagne, mais se voile la face à la lecture du chapitre septième de l'épître aux Romains, où elle ne sait découvrir qu'une exagération orientale. -C'est, en un mot, la Bible expurgée, non point du tout au nom des découvertes modernes, mais uniquement de par les réclamations du vieil homme, toujours les mêmes, de saint Paul jusqu'à nous. On ne veut pas se convertir et l'on retranche des écrits des prophètes comme de ceux des apôtres tous les versets qui exigent la conversion. On proteste contre l'idée d'une expiation par le sang ; et l'on supprime le cinquante-troisième chapitre d'Esaïe, avec le sixième de saint Jean, l'épître aux Hébreux presque en entier, et les trois quarts du Nouveau Testament.
Qu'on puisse ajouter après cela, comme faisait Paul, que l'on parle « en toute sincérité, comme de la part de Dieu, en sa présence et en Christ », en vérité nous ne le croyons pas. Et savez-vous le résultat de ces falsifications ? C'est que, dans le combat de la vie, auquel nul de nous ne peut échapper, on marche à l'ennemi avec une épée rouillée, ou déjà plus qu'à moitié brisée. On ne sait plus manier celle de Jésus-Christ. A son « il est écrit » victorieux, on substitue des raisonnements et des discussions qui préparent la défaite. Voilà pourquoi les chrétiens forts se font rares.... Il m'est bien égal, mes amis, que vous soyez orthodoxes ou que vous ne le soyez pas, dans le sens un peu suranné de ce mot. Tout ce que je vous demande, au nom du salut de votre âme, au nom de l'Eglise du Seigneur, c'est de ne pas falsifier la Parole de Dieu.
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