Recommencerons-nous
à
nous recommander nous-mêmes? Aurions-nous
besoin, comme quelques-uns, de lettres de recommandation
à votre adresse ou de votre part ? C'est vous qui
êtes notre lettre, écrite dans nos coeurs,
connue et lue par tous les hommes. Vous avez fourni la
preuve que vous êtes une lettre de Christ dont nous
avons été les instruments, écrite non
avec de l'encre, mais par l'Esprit du Dieu vivant, non
sur
des tables de pierre, mais sur les tables de chair de
vos
coeurs.
Mais
nous avons
pareille confiance devant Dieu par le moyen de Christ.
Non
que nous soyons par nous-mêmes capables de faire
quelque raisonnement comme de nous-mêmes. Mais notre
capacité vient de Dieu, qui nous a donné la
capacité de ministres de la nouvelle alliance, non de
lettre, mais d'esprit, car la lettre tue, mais l'Esprit
vivifie.
|
Nous venons de le voir : l'apôtre Paul, oubliant momentanément, ou du moins laissant de côté le récit de l'arrivée de Tite en Macédoine, a rendu grâce tout d'abord, non pour cette rencontre, mais pour les victoires que Dieu remportait sur lui. Après quoi il a passé promptement à des vues sur la nature du ministère évangélique. La fin du chapitre second introduisait ce grandiose exposé en montrant le double effet de la Parole divine et de la prédication chrétienne : odeur de mort, odeur de vie. L'auteur entre maintenant en plein dans son sujet. Digression, semble-t-il au premier aspect; hors-d'oeuvre, diront même quelques fanatiques des plans rigoureusement conçus et impeccablement suivis. En fait, remarquable préparation aux reproches et aux conseils qui rempliront la suite de l'épître, comme aussi à l'apologie personnelle à laquelle Paul devra revenir.
Les chapitres III à VI, avec les premiers versets du Vlle, forment en quelque sorte un discours. Etudiez-le avec attention ; vous le trouverez très fortement ordonné, d'après les règles de l'art oratoire, commençant par gagner, non sans habileté, la confiance des Corinthiens, usant d'une bienveillance exquise pour arriver jusqu'à leur coeur, puis, une fois sûr de leur sympathie, déployant toute l'autorité d'un ministre de Jésus-Christ pour obtenir d'eux des décisions plus franches.
1. Lettres de recommandation.
« Commencerons-nous, écrit l'apôtre, à nous recommander nous-mêmes ? »
Sans doute, on l'en blâmait ouvertement ou par sous-entendus.' Ses adversaires, pour qui tous les moyens étaient bons, interprétaient tels passages de sa correspondance, par exemple de la première lettre aux Corinthiens, comme une manière de se mettre en avant, par conséquent de se recommander; et ils s'en faisaient une arme contre lui. Ils l'accusaient de suffisance, de vantardise; ils lui reprochaient d'exercer une pression injuste sur autrui. Que savons-nous encore ? Paul ne poursuivra pas son épître sans repousser énergiquement, et d'emblée, ces imputations. Comment les soutenir sans fausser intentionnellement ses paroles et ses actes? Non, il ne se recommande point lui-même. Il ne réclamera pas davantage des lettres de recommandation, ni de ses amis quand il partira pour Corinthe, ni des Corinthiens quand il les quittera. Ce n'est point qu'il condamne ces lettres ni ceux qui en font usage. L'antiquité s'en servait volontiers; nous faisons comme elle, sans y mettre peut-être beaucoup plus de discernement. Paul en emportait à Damas, signées du souverain Sacrificateur, quand il se rendait dans cette ville pour y persécuter l'Eglise. Actuellement il n'en veut point. Pourquoi donc?
Mais parce qu'il en possède une déjà, et qu'il n'en pourrait obtenir de meilleure. Elle ne se trouve écrite ni sur un papyrus, ni sur du parchemin, pas davantage sur des tablettes de cire. Cette lettre, c'est l'Eglise même de Corinthe, ce troupeau qui naguère déchirait l'âme de son pasteur et faisait couler ses larmes, ces chrétiens qui toléraient encore tout dernièrement dans leur sein un pécheur scandaleux et n'osaient pas le contraindre à s'amender. Ah! l'apôtre la connaît bien cette épître-là. Il là lit, gravée en caractères étranges, mais ineffaçables, au fond de son coeur. Mieux que cela. Cette lettre qui parait si intime, elle est devenue publique, et d'une publicité tellement étendue que l'apôtre la déclare « connue et lue par tous les hommes (1). » Ainsi, non pas seulement connue d'une façon sommaire, mais lue dans le détail et dans le mot à mot, par les chrétiens, par les juifs et par les païens. Comment cela se peut-il?
Nouvelle révélation, je le crois, des sentiments de Paul. Cette lettre où les témoignages de repentir suivaient de si près des marques d'endurcissement, où les résistances audacieuses du début se fondaient sous les assauts réunis de la Justice et de la charité, cette lettre Paul n'avait pas pu la garder pour lui seul. Il la trouvait trop belle. Il s'était mis à en parler partout; sa joie, sa reconnaissance étaient de celles qui étouffent quand on ne les communique pas.... Ainsi, faisons-nous, lorsque de l'étranger, d'où nous arrivaient hier de mauvaises nouvelles d'un enfant ou d'un ami, nous en recevons de rassurantes aujourd'hui. Il faut qu'on le sache autour de nous. Il fallait qu'on sût dans l'Asie Mineure, dans la Macédoine, et sans doute aussi jusqu'à Jérusalem, que l'Eglise de Corinthe ne perdait pas sa couronne de fiancée du Christ. Aussi, notez-le bien; cette lettre qu'il appelait tout à l'heure une épître des Corinthiens, il pousse maintenant la hardiesse jusqu'à la nommer une « épître de Christ dont le service a été fait par nous. » Cette fois, comme pour les sept épîtres qui ouvrent l'Apocalypse, c'est Jésus qui a dicté, c'est l'apôtre qui a écrit ; voilà pourquoi les nouvelles excellentes qui circulent au sujet du troupeau de Corinthe peuvent s'appeler une lettre de Christ.
Ces lettres, habituellement, ne s'écrivent pas avec de l'encre : elles passeraient trop vite. Elles s'écrivent par l'Esprit du Dieu vivant, et durent autant que lui. Puis, poursuivant sa comparaison, se rappelant qu'autrefois Dieu avait écrit quelque chose pour son peuple, la loi, et l'avait gravée sur des tables de pierre, l'apôtre voit d'autres tables prendre la place de celles-là, pour recevoir un autre document. Tables plus fragiles en apparence; plus solides et plus durables en réalité, car la pierre même passera, tandis qu'une âme d'homme est immortelle. Eh bien, c'est sur des âmes, c'est dans les coeurs des Corinthiens, nouvelles tables d'une alliance nouvelle, que le Seigneur a daigné écrire, ou faire écrire par saint Paul, ces lettres de recommandation qui devaient servir à la fois au pasteur et à ses convertis.... je ne sais vraiment pas si la correspondance trouva jamais des termes plus saints et plus gracieux.
2. Confiance permise.
Un scrupule arrête ici l'apôtre. En parlant comme il vient de le faire, ne s'est-il point abandonné à une confiance injustifiée qui confinait à l'orgueil ? Ses ennemis, ses disciples eux-mêmes n'y verront-ils pas une mémoire singulièrement prompte à oublier les taches honteuses dont l'Eglise de Corinthe fut souillée?
Non, car sa confiance ne s'appuie ni sur lui-même, ni sur aucun homme. Elle repose sur le Christ seul. Traduisons fidèlement son énergique langage. « Nous avons une telle confiance, dit-il, à travers le Christ, devant Dieu, non que nous soyons de nous-mêmes capables de faire quelque raisonnement comme venant de nous-mêmes; mais notre capacité vient de Dieu » (versets 4 et 5).
A travers le Christ ! Il faut passer par le Christ pour parvenir à une confiance pareille. Dès lors ne craignez point: dans un passage si étroit, tout orgueil tombera ; dans un passage si large, toutes les grâces de Jésus demeureront. Et la bienfaisante sécurité qui restera le trésor de l'apôtre au travers de ses douleurs, il pourra la conserver et la montrer devant Dieu. Les regards qui sondent les coeurs et les reins n'y découvriront rien de condamnable. Relisez plutôt cette déclaration, presque incroyable à force d'humilité : « Nous ne sommes pas de nous-mêmes capables de faire quelque raisonnement comme venant de nous - mêmes. » Comment donc? Ce puissant dialecticien qui écrivait, il y a peu de mois, le quinzième chapitre de la première lettre aux Corinthiens, qui bientôt composera l'épître aux Romains, saint Paul, l'ancien étudiant de Gamaliel, l'orateur d'Antioche de Pisidie et d'Athènes, ne sait pas raisonner tout seul ?... Non; pas dans les matières de la foi. Il lui faut un secours extérieur; une direction d'en haut : notre capacité vient de Dieu. Mais elle vient. Il ne s'agit pas d'une force qui réside seulement en Dieu, à des distances inaccessibles. Non point; l'apôtre, en une courte phrase, donne à entendre que cette énergie sort de Dieu, 'pour venir jusqu'à lui et le mettre en état de servir.
Oh! oui, de servir; nullement de dominer.
« Dieu, continue l'écrivain, nous a faits capables en tant que ministres d'une nouvelle alliance » (v. 6). Or un ministre est un serviteur, pas autre chose. Malheur à lui s'il se permet de l'oublier! D'autre part, il est bien à plaindre s'il méconnaît la grandeur de son service; elle l'élève en quelque mesure au niveau du Christ qui vint sur notre terre, non pour être servi, mais pour servir. Paul le sait et le sent. Rien de faux dans son humilité. Le Seigneur l'élève dans la mesure où il s'abaisse. Il le fait ministre d'une alliance nouvelle. Voilà cet incapable l'égal ou plutôt le supérieur de Moïse, dans la mesure où la nouvelle alliance dépasse l'ancienne. Mystère, assurément; mystère de la puissance et de l'amour de Dieu; mystère qui se reproduit encore de nos jours, et se reproduirait plus souvent, si l'humilité vraie se faisait moins rare parmi nous.
On se plaint de rencontrer dans la société contemporaine, même chrétienne, peu, très peu de grands caractères. On en compterait beaucoup plus si l'orgueil ne saisissait pas l'homme dès l'enfance pour le comprimer à travers toute sa vie. Et, il faut bien l'avouer, les merveilleuses conquêtes de la science et de la civilisation tendent à nous faire monter sur un piédestal chaque année plus haut. La voix du tentateur redit à nos fils ce qu'elle murmurait dans le jardin d'Eden à l'oreille de nos premiers parents: « Vous serez comme des dieux. » Et nos fils, et nous-mêmes, nous nous laissons séduire par ces promesses enivrantes. Il me semblait les entendre, il y a quelque trente ans, quand je pénétrais avec un ingénieur dans la première galerie ouverte pour le tunnel du Gothard. Je les entendais encore en 1900, à travers l'éblouissante exposition universelle de Paris. De la plus imposante machine qui broyait les rochers et perçait les montagnes, jusqu'au plus fin bijou enfermant, dirai-je, le temps sous la forme d'une montre minuscule; de l'étoffe tissée avec une richesse et une souplesse également merveilleuses jusqu'à la photographie parvenue presque à rendre la vie, tout, vraiment tout nous criait: Vous serez comme des dieux! et il y avait pour le croire des milliers de visiteurs. Et cette grandeur, hélas! pour incontestable qu'elle soit, touche de bien près au néant. Ceux qui veulent y mettre leur confiance courent tout droit aux déceptions.
D'autre part, contempler uniquement nos misères, nourrir notre pensée du sentiment de notre incapacité, oublier dès lors les forces que Dieu met en réserve pour. nous, ne pas savoir enfin, ou ne pas vouloir, puiser a cette capacité « qui sort de Dieu pour venir à nous, » en même temps que c'est notre ingratitude, c'est petitesse et impuissance. Paul n'agissait point ainsi. Comme il nous le dira plus tard, à la fin de son épître, il n'avait conscience de sa faiblesse que pour mieux posséder les secours du Seigneur. Incapable de raisonner par lui-même, ainsi qu'il vient de le confesser, il s'attache hardiment au ministère de la nouvelle alliance et il en célèbre le triomphe, parce que c'est le ministère de l'Esprit et non de la lettre.
Il importe ici de bien s'entendre sur la différence que Paul établit entre ces deux termes, différence fondamentale, à coup sûr, puisqu'il attribue à la lettre des effets mortels, à l'Esprit des effets vivifiants.
D'après l'ensemble du passage, l'opposition entre lettre et Esprit se confond pour l'apôtre avec celle qui existe entre l'ancienne et la nouvelle alliance. Nous ne nous tromperons pas dès lors, si nous entendons par la lettre l'ensemble des écrits de l'Ancien Testament. Du nouveau n'existaient alors que quatre lettres de notre auteur lui-même et peut-être quelques-uns des Logia qui formèrent au dire de Papias, le noyau de notre premier Evangile, quelques-unes aussi de ces « entreprises d'écrire l'histoire de Jésus, » auxquelles Luc fait allusion dans la préface de son premier ouvrage (2). Mais si cette interprétation paraît s'imposer, on se demande comment Paul peut attribuer aux livres de l'Ancien Testament des effets mortels. La lettre tue, dit-il; n'est-ce pas une énorme exagération? Ou bien, se rangerait-il par avance au nombre de ces théologiens qui déclarent inutile ou même dangereuse la lecture « de la loi, des psaumes et des prophètes, » demandent aux prédicateurs de n'y plus choisir leurs textes, n'en admettent plus l'inspiration divine à moins de la mitiger et de la diluer à l'extrême et n'y voient plus autre chose qu'un monument historique et littéraire à mettre sur le même pied que ceux des Hindous ou des Assyro-Babyloniens?
Avant de prêter à Paul de telles pensées, regardons avec plus de soin ce qu'il affirme. Si nous rapprochons ce terme de lettre de ces tables de pierre dont il parlait un peu plus haut, nous comprendrons, sans rien forcer, qu'il condense dans la loi mosaïque ce qu'il appelle la lettre, et ce que nous nommons d'un terme plus générique les livres de l'ancienne alliance. Nous demandons alors: que fait la loi? La loi toute seule, sans aucune force ni aucune grâce venue d'ailleurs? A-t-elle jamais communiqué la vie à une seule âme? Qui a-t-elle fait vivre à travers les siècles, depuis les scènes du Sinaï jusques à nous? Elle révèle à l'homme son péché; oui, sans doute. Elle lui présente le devoir dans son absolue austérité, sans en retrancher la moindre parcelle, oui encore. Elle le met en face du châtiment; elle fait déjà tomber sur lui la malédiction; oui, toujours oui. Mais peut-elle sauver un pécheur? Non. Elle tue.
Elle tuait ce moine qui s'appelait Luther et qui tombait mourant sur les dalles de sa cellule, meurtri par ses macérations, épuisé par ses jeûnes, jusqu'à cette minute providentielle où Staupitz vint lui dire: « je crois à la rémission des péchés. » Elle tuait cet étudiant laborieux, ce juriste intelligent qui allait devenir le réformateur Calvin, mais qui, en attendant, gémissait accablé sous le poids de ses transgressions. Et déjà quinze siècles auparavant, elle avait tué notre apôtre et le contraignait à s'écrier. « Misérable homme que je suis! Qui me délivrera du corps de cette mort (3) ? »
Que fait au contraire l'Esprit? Il vivifie. Partout où il pénètre, il crée la vie. Il n'efface point la loi; bien au contraire, il lui laisse toute sa sainteté ; il fait retentir dans la conscience le fameux impératif catégorique: Tu dois. Puis il donne à l'homme que cet ordre allait écraser, la volonté et le pouvoir d'obéir. Il lui présente, en la personne de Jésus-Christ, l'accomplissement vivant de la loi. Et puis, il l'unit à ce Jésus et, dans cette union même, le rend participant de son obéissance.... La lettre tue, mais l'Esprit donne la vie. Du plus glorieux de nos missionnaires au plus humble membre de nos troupeaux, il n'en est pas un qui ne soit prêt à en rendre témoignage.
Allons un peu plus loin. Ce que Paul dit de la lettre au sujet de l'Ancien Testament, il faut le répéter au sujet du Nouveau. On rencontre même à propos de nos Evangiles un amour idolâtre de la lettre écrite qui ne s'inquiète plus de l'Esprit et parvient à le chasser. On peut savoir par coeur, citer sans faute de longues séries de versets empruntés à saint Jean, et ne posséder avec cela pas un souffle de vie. Les mots qui ne sont que des mots parviennent à tuer, après avoir commencé par endormir. Jésus a pris soin de nous en avertir dans des termes singulièrement analogues à ceux de notre apôtre : « C'est l'Esprit qui vivifie; la chair ne sert à rien; les Paroles que je vous ai dites sont Esprit et sont vie (4). » Oh! que le Seigneur donne à nos âmes, qu'il donne à nos Eglises, non pas le bruit retentissant de la lettre, mais le souffle bienfaisant et vivifiant de l'Esprit
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |